Dur de trouver comment fuir l'ennui quand on est nouveau en ville. Pas de patron de confiance pour qui travailler à la chaleur du jour pour quelques piécettes, ou de camarade avec qui passer les soirées à rire, à boire et dépenser ces quelques sous tout juste gagnés, ni de conquête à la peau familière et chaude avec qui passer la fin de la nuit entre les draps. John était familier à cette solitude ce soir à Silverstone mais habitué à être le nouveau en ville depuis un an qu'il vadrouillait dans tout le pays, il savait aussi que ces problèmes ne le hantaient pas très longtemps. Il connaissait aussi le lieu qui recelait la solution à ces trois problèmes : le saloon.

John avait hésité à se changer mais il n'avait que ses hardes de travail pour tout autre vêtement et il songea qu'il serait peut-être malvenu de les porter s'il voulait faire une bonne impression dans la ville, surtout après tout ce qu'il avait apprit sur son père. C'était un homme important à Silverstone, que dirait-il s'il apprenait que son fils s'y baladait en haillons. Il avait donc décidé de garder ses beaux atours pour quitter la garçonnière tout juste gracieusement offerte par papounet et descendre dans la rue à la recherche du premier bar animé qui croiserait son chemin.

À peine une heure plus tard, le fermier réchauffait de son postérieur une des chaises du First Chance. Contrairement à plus tôt dans la journée, il avait commencé la soirée en se faisant discret (il avait bien compris que son petit numéro n'avait pas plu à papa). Mais chassez le naturel et il revient au galop. Au bout de longues, très longues minutes et surtout deux verres de ce bon vieux Jack il se trouva vite ennuyé d'observer en silence la compagnie alentour qui s'imbibait aussi efficacement qu'une éponge oubliée dans une flaque d'eau. Heureusement, John n'était pas tout à fait venu seul, et si ce soir il ne jouerait pas du piano debout, rien ne pourrait en revanche l'empêcher de gratter sa fidèle guitare. Il sorti l'objet rutilant de derrière sa chaise (il pouvait avoir des dehors crasseux mais prenait toujours grand soin de ses instruments) et commença à l'accorder en grattant doucement les cordes et tournant les mécaniques jusqu'à être tout à fait satisfait. Il pinça ses premiers accords avec une délicatesse de couturière, susurra les premiers mots du premier complet et peu à peu se laissa emporter par la musique.

Un coup de paluche secoua l'épaule de John mettant par la même fin à sa chanson dans un crissement qui fit grimacer le musicien. RIP mélodie inachevée. Le jeune homme leva les yeux (qu'il avait fermé sans même s'en rendre compte) vers le trouble fête qui étaient en réalité au nombre de deux et maintenant avait les loisir de les dévisager, avaient des têtes plutôt avenantes. Le fermier se décrispa, les deux compères ne cherchaient pas les problèmes mais un compagnon de beuverie. La bouille du garçon s'illumine d'un sourire devant cette opportunité de belle amitié qui s'offrait à lui. John passa sa guitare dans son dos et se leva pour rejoindre la table de Dee et Dum.

- Ma foi, avec plaisir ! Vous avez l'œil, j'suis arrivé en ville dans la journée mais j'compte bien m'y installer. Me suis dit que traîner au saloon serait une fort bonne idée pour rencontrer les locaux alors j'suis bien content de votre invitation, pour vrai !

John ne se trouvait pas particulièrement bien coiffé mais il n'était pas du genre à laisser échapper un compliment, ni une invitation à boire. Et si la condition pour boire à l'œil était de conter ses aventures et de parler musique, ses compagnons perdaient sûrement au change. Il ne voyait aucun mauvais côté dans ce contrat de comptoir.

-J't'apprend quand tu veux mon gars. La musique est la meilleure compagne des soirées de solitude, j'm'en voudrais de te priver de ce plaisir.

Il se tira une chaise à la table de ses deux camarade.

- Ça s'appelle "Wayfarer Stranger". Je l'ai appris sur les routes. Ça fait un an que j'me balade dans le tout pays, ça en fait des histoires, je sais pas si le bar à assez de bière dans sa réserve pour tout conter! Il rit de bon cœur à sa propre blague et se libéra de la lanière de sa guitare pour la tendre au plus petit des deux hommes. Tiens, amuse-toi si tu veux !

Son regard, pendant qu'il parlait, sautait entre l'un et l'autre des deux hommes. La solitude ne serait définitivement pas sa compagne ce soir.