It knew no medecine Adolescente maladive dans une Irlande affamée, Grace était vouée à mourir jeune. La famille Monaghan dissimulait dans sa maison ses poignets minuscules, son teint jaune et ses quintes de toux. Pendant les quatorze premières années de sa vie, elle ne voyait le monde qu’à sa fenêtre, dans une maison bourgeoise qui appartenait à son père, Duke Monaghan, directeur d’un atelier de brodeuses à Cork. Aînée fragile d’une petite fratrie, elle avait la chance d’exister dans un milieu suffisamment aisé pour la soigner. La disparition de sa mère, emportée par le typhus, avait bouleversé l’émérite père de famille. L’atmosphère du royaume l’étouffait comme une autre maladie. Il voulait explorer le monde, découvrir ses trésors antiques. Malgré ses nombreux voyages en Afrique où il pillait les peuples autochtones de leurs artisanat, Duke surveillait étroitement la santé (et le futur) de tous ses enfants.
It was no sickness L’homme qu’elle connaissait mieux que ses propres parents était le médecin de famille, le gentil docteur Moore. Celui-ci recommandait beaucoup de repos, des bouillons infâmes et il préservait Grace au sec et au chaud, comme une fleur dans un herbier. Très dédié pour un médecin de famille, il l’emmenait régulièrement dans sa maison de campagne avec ses sœurs, seules escapades permises par sa condition fragile. Jeune fille, ses occupations tournaient autour de la lecture, d’un peu de piano et de beaucoup de régimes. Au pire de son état, elle ne buvait que du bouillon clair et pesait à peine plus lourd qu’un sac de farine.
Then - Dire qu’elle avait des aspirations à cette époque serait excessif. Grace espérait un bon mariage et l’amour de son père, de plus en plus absent. Sa force ne persuasion ne vacilla que lorsqu’elle découvrit comment son propre père, non content d’accompagner ses maîtresses à l’opéra, entretenait une autre famille là-bas, dans ses colonies. A force de solitude domestique, elle avait pris l’habitude soucieuse d’ouvrir certains courriers. A peine émit-elle un questionnement sur le sujet que Duke colle à sa fille une gifle cinglante, qui ferme le sujet à tout jamais. S’ensuivirent, l’année suivante, des fiançailles pressées avec Adrien Moore, l’attentionné docteur.
- nor any need of surgery Cork forge le caractère. La ville côtière où elle s’installe au cabinet de son époux lui rend la santé. Le brave docteur Moore savait que l’air de l’océan raviverait ses forces. Grace se remplume, ses joues rosissent et elle devient mignonne en même temps que l’enfance la quitte. Le cabinet médical tourne à plein régime dans une ville ravagée par toutes les corruptions et le gendre idéal fait la fierté du père. Grace n’aime pas Moore, ne l’a jamais aimé, le trouve simplement ennuyeux, petit, simple et si timide. Il n’a pas l’apanage des héros de roman, si ce n’est d’un Bovary. Celui qu’elle aime, c’est le jeune homme qui passe sous ses fenêtres chaque jour pour lui adresser un sourire, un signe de la main et parfois un baiser.
-And thereforeSean O’Reilly s’est présenté à elle, adossé à un mur comme un mauvais garçon, près des étals du marché. Discrètement, dans le dos du mari, il lui offrait d’aller manger une glace ou de regarder les jongleurs. A peine âgée de dix-neuf ans, elle confondait le flirt malhabile d’un mioche mal dégrossi des bas-fond avec les chants sublimes de l’amour romanesque. Les baisers qu’ils lui donnent la suivent jusque dans la demeure conjugale, ne quittent jamais ses pensées et la bouleversent au plus profond de l’âme. À ses yeux, il est beau comme un Lancelot à l’armure scintillante, venu la délivrer du royaume d’Hadès. Son esprit cloisonné et naïf lui voilait les affres plus réels d’une sordide histoire de fesses juste bonne à bourrer le gnon d’une bourgeoise mièvre. Leurs rendez-vous secrets avaient le parfum du scandale mais Grace était prête à tout sacrifier pour le voir.
- ‘twas no pain Le cocu flaira bientôt l’haleine de son rival sur la figure de sa patiente rêveuse. Un vaudeville banal joue entre leurs murs gâtés par la jalousie. Bientôt, le vieux mari fait suivre sa (trop) jeune femme quand elle part acheter du ruban. Les patients du médecin jacassent en au cabinet. Plus que d’amour, il s’agit de réputation. Comme son époux, elle partage la terreur d’abîmer les apparences mais Sean ne sort pas de sa peau. La seule médecine qui permet à son cœur de battre, ce sont les lettres que le jeune Kilian arrive à glisser sous son porche. Les mots d’un amant éloquent transgressent ce qui les sépare et la dérobe.
Pour enfin mettre un terme à cette mascarade qui le fait passer pour un idiot, Adrien, avec l’ascendant de son beau père, veut la peau du fils de poissonnier qui croit pouvoir culbuter ses affaires. Les hommes qu’ils emploient partent à la recherche d’un gamin qui ressemblent à mille autres dans les quartiers misérables de la ville.
Avertie des projets de son époux, Grace a juste le temps d’écrire à Sean pour l’inciter à se mettre à l’abri. La séparation est insupportable pour celle qui veut s’enfuir avec son amoureux. L’annonce de son départ aux Etats-Unis, comme un clandestin du pacifique, brise ses espoirs en mille morceaux. Ils échangent des promesses volages qu’elle prend très au sérieux.
J'aurais aimé me faire la belle Le retour à la vie conjugale ne fut pas facile. Quelques mois après le départ, les lettres continuaient d’affluer. Adrien, croyant avoir vaincu, ne se souciait plus de ses correspondances. Il savait éperdument qu’elle parlait avec l’américain mais il comptait sur l’éloignement pour chasser le bad boy des pensées de sa sotte. Tout l’entourage de Grace semblait attendre l’arrivée d’un enfant qui l’occuperait du soir au matin et ne lui laisserait plus un moment pour penser à autre chose. Pourtant, Sean lui donnait le récit détaillé de ses aventures (du moins le croyait-elle). Il joint dans ses lettres des poèmes qui achevèrent d’ensorceler Grace. La fortune qu’il bâtissait sur le nouveau continent alimentait son doux rêve de le retrouver pour partager enfin un toit. Malheureusement, comme le prédisait le clairvoyant docteur, les lettres de Sean commencèrent à s’amenuiser, à être de moins en moins fréquentes et de moins en moins inspirées. Avec les années, elle ne sait bientôt plus à quelle adresse envoyer ses soupirs.
Le mariage Moore était devenu un cruel échec. Adrien et Grace ne préservaient qu’une apparence de couple devant la patientèle, les amis d’Adrien, la famille de Grace, mais une fois porte close, les époux ne s’adressaient plus la parole. Elle mangeait peu, fumait à longueur de journée, jusque dans son lit, en s’usant les yeux sur des romans d’amour. Adrien méprisait sa femme qu’il considérait maintenant comme une idiote rurale. Grace méprisait Adrien parce qu’il était un lâche. Ils ne se touchaient plus, ne dormaient pas ensemble, ne mangeaient pas ensemble et n’avait plus d’union que les papiers et la propriété. Adrien envoyait sa femme dans sa maison de campagne s’ennuyer et organiser des goûters avec ses voisines, pour ne pas avoir sa tristesse sous le nez en permanence. Une romance somme toute banale chez les Molighan.
12 novembre 1881
Mon cher Sean,
Oh Sean, je ne pourrais jamais m’excuser assez d’avoir douté de toi. Tu me manque tellement. J’ai cru que les paysages de l’Amérique t’avaient enfin éloigné de moi. Comme je suis soulagée d’avoir à nouveau de tes nouvelles. Je me sens tellement imbécile d’avoir pensé cela. Mon sang s’est glacé dans mes veines en lisant ta dernière lettre où tu me raconte les périls que tu as dû affronter. J’ai peur de te savoir en danger si loin.
Mon père est mort en décembre. J’imagine bien que cette nouvelle ne risque pas de t’émouvoir beaucoup. J’aurais tellement aimé que tu sois avec moi. Adrien veut partir s’installer à Dublin mais je n’ai pas envie de quitter Cork, j’y ai trop de souvenir. Le seul départ qui me paraît souhaitable, c’est celui qui me permettra enfin de te retrouver. Je suis certaine qu’avec mon héritage, je pourrais prendre le premier ferry pour New York.
S’il te plaît embrasse Kilian pour moi.
A jamais,
Grace
Six ans après leur dernière entrevue, sur les quais de Cork, elle reçut enfin les instructions qui lui permettraient de naviguer jusqu’en Amérique. Le malheur de sa condition avait achevé de faire tomber ses barrières morales. Grace quitta discrètement dans la nuit mari, maison, confort, et elle déroba une partie de son propre héritage ainsi que la recette du cabinet pour financer sa traversée.
que la belle, ce soit oit' - Là où elle avait laissé un garçon gouailleur, Grace retrouva un homme. Les deux frères freluquets sans le sou avaient fait de la route. En découvrant le gang, ses liens mafieux, son projet fou, Grace pardonna ses années d’abandon. L’empire qu’il construisait pourrait abriter sa famille, celle qui n’a jamais cessé de l’aimer.
Après un mariage fade et décevant, elle goûta enfin aux affres de la passion. Le clan comptait déjà ses figures les plus illustres. Le choc des cultures opéra tout naturellement. Grace avait beau être gentille, elle se comportait avec dédain et quittait très rarement la tente de Sean pour se joindre aux autres. Seul le charismatique leader comptait à ses yeux. On lui reprocha souvent de ne pas participer suffisamment aux tâches aussi bien domestiques que guerrières, qui maintenaient la bande à flot. Plus coquette, plus superficielle que les dames du camp, la réalité de sa naissance la distançait des préoccupations d’une Mae, d’une Irina ou encore d’une Mrs Davis. Quoi qu’elle ne le disait pas, la cause défendue par les O’Reilly n’avait pour elle que l’intérêt de servir son rêve, celui qui lui permettrait de fonder enfin une famille avec Sean. Ils pourraient acheter un ranch, devenir fermier, et enfin reprendre là où ils s’étaient arrêtés.
L’annonce de sa grossesse aggrava le phénomène de parrainage des hommes du camp envers-elle. Car si Grace pouvait se permettre de se prélasser, c’est que son amitié avec Kilian, ainsi que la protection de Patterson ordonnée par Sean, la mettait à l’abri. Perçue comme fragile, trop féminine pour ce mode de vie, la jolie pièce rapportée d’Irlande contribua malgré tout à rendre la vie du camp moins rude. Lorsqu’elle était enceinte, elle transforma son attitude subtilement, prête à prendre soin des autres.
Kelly vit le jour le 17 février 1883.
dans une nuit éternelle (tw meurtre, viol) Tout le temps que dura la vie de la petite fille, Grace essaya de rassembler son foyer. Les infidélités de Sean lui étaient moins digestes qu’autrefois mais Kelly lui apportait du bonheur, comme l’avait prédit sa famille. Le campement rassemblait une joyeuses communauté d’enfants, de parents, dont Grace faisait partie. Prendre soin des blessés, parler avec les taiseux, porter Clyde King jusque dans sa tente, avoir le bonheur d’être rejoint par Sean pendant la nuit, ...les activités ne manquent pas pour Miss Davis et Miss Monaghan. Kelly grandit, élevée par tout le village. Sa venue au monde renforça à jamais les liens d’amour entre Grace et Kilian, l’oncle tellement dédié. Elle lui avait pardonné depuis longtemps d’être l’auteur des lettres. Que Sean sache écrire ou non, c’était celui-ci qu’elle voulait.
Pour les missions étaient de plus en plus dangereuses, portées par « la cause » que le trio gagnant défendait si ardemment. Combien de fois Grace soigna des blessures de coups sur le visage de Kilian, dut-elle veiller sur le sommeil agité de Mae ou nourrir Sean à la cuillère ? Pour son avenir et celui de sa petite fille, elle s’en remettait souvent à Dieu pour bénir hommes et armes. Les quantités d’argent qu’ils récoltaient dépassaient amplement tout ce qu’elle avait eu en main dans sa vie. Grace faisait les comptes pour Sean fréquemment.
L’incident arriva en hiver.
Les rescapés, ceux qui n’étaient pas là, retrouvèrent un charnier à la place du foyer. L’escouade punitive, plutôt que d’attaquer directement Sean et ses hommes, avait attendu patiemment que le campement paisible n’abrite plus que les femmes, les vieux, les malades, les blessés, et les enfants. La fusillade commença au petit matin. Patterson retrouva Grace à des kilomètres du campement, errant sur les rotules dans un sous-bois. Traînée par les cheveux par un cavalier qui la voulait dans un coin plus bucolique, volontairement laissée en vie dans un buisson, le chef avait reçu sa correction en règle quand sa femme fut soigneusement besognée et laissée pour folle dans son sang.
Le petit corps de Kelly échoua sur les berges de la rivière, sommairement étranglée par des mains de brute.
que l'on baise, que l'on boive La perte de tout ces gens marqua un tournant dans l’histoire du gang. L’attaque avait été trop violente, trop injuste, trop barbare. Les hommes envoyés par Borden étaient des sauvages dont il n’avait pas lui-même le contrôle. Dévastée par la mort de Kelly et l’expérience traumatisante dont elle sortait, Grace s’éteint petit à petit et se renferma dans ses coutumes anciennes. L’odeur aigre de ses cigarettes emplissait toute la tente. Elle ne s’exprimait plus qu’en monosyllabe. Sa douleur était si palpable que le couple éclata.
La jeune mère en veut profondément à Sean de n’avoir pas su protéger son propre enfant. Grace le tient pour responsable. Les hommes ont déposés à ses pieds les trophées du raid vengeur, comme s’ils apaisaient le courroux d’une déesse. Pendant longtemps, comme un fantôme, elle n’apparaît que pour se servir un café, un verre, un bol de soupe, acheter des cigarettes, et redevenir recluse. L’humiliation qu’elle a subi est un tabou absolu dont il ne faut jamais parler.
Les absences de Sean, qui fuit sa vision pour d’autres moins déprimantes, achèvent d’aigrir cette jeune femme qui n’a plus de la bonne famille que le souvenir.
Un tel choc la transforme. Quoi qu’elle n’aime toujours pas les armes et ne prétende aucunement rivaliser avec les gâchettes du groupe, Grace s’immisce dans les méthodes criminelles des O’Reilly. Ils ne sont plus assez nombreux, elle n’a plus personne à protéger. Les missions qu’elle exécute sont souvent sans danger car ni Kilian ni Patterson ne la laisserait aller au combat. Néanmoins, elle contribue à élaborer des diversions, des stratégies, et joue volontiers la cruche pour aider ses compagnons à voler, tuer, ce qu’ils savent faire.
Le temps s’écoule, le deuil s’étale. Kelly lui manque affreusement. Elle regrette aussi le campement heureux et familial qu’ils étaient. Son rêve n’a plus la même saveur, entourée d’hommes de main frustres. Quitter le lieu du drame pour s’installer au bord du joli lac apaise un peu les mœurs de tous. Néanmoins, Grace souffre de voir son amour se mettre perpétuellement en danger. Sa proximité avec Mae la rend folle mais elle n’ose rien dire. Ils n’ont jamais réussi à discuter de leur deuil. C’est comme si leur lien s’était lui aussi noyé dans la Green River.
Pourtant, Grace n’en veut aucun autre.