L’odeur lui chatouillait les narines depuis un moment déjà. S’il avait encore eu de la salive, il aurait dégluti trop de fois pour les compter tant la soif lui déchirait la gorge. À vrai dire, il avait longuement hésité à partir à la recherche du bandit. Sa nouvelle condition de vampire n’avait que renforcé son désir de chasse et il avait gardé la profession qu’il exerçait humain. Une belle couverture, avait dit son créateur. Lui n’avait rien dit, trop heureux de pouvoir poursuivre encore son activité. L’ambition d’éradiquer la vermine avait été trop forte pour disparaître avec la mort. D’un côté, donc, il gardait les apparences, de l’autre, il abandonnait la mission confiée par le patron. Enfin, ce n’était pas comme si Jacob était faible, il pourrait bien se débrouiller pour une journée…

Il humait plus qu’il ne suivait les traces dans cette traque. L’odeur enivrante lui faisait presque perdre ses esprits. Pour lui qui venait à peine de les retrouver, être aussi proche du précipice était… surprenamment grisant. Il avait été en contrôle toute sa vie humaine, retenant ses pulsions, démoniaques selon sa religion. Là, maintenant, il avait enfin l’occasion de lâcher prise et de découvrir l’étendue de sa corruption. La voix de Dante le rappelait cependant à l’ordre. Les humains ne devaient pas savoir, disait-il. Ben comprenait l’utilité du secret, mais le secret n’étanchait pas sa soif, n’enlevait même pas le picotement au fond de sa gorge alors que les effluves du chasseur obnubilaient tous ses sens.

Le sang. La soudaine explosion olfactive lui enleva presque la vue. Il prit une grande inspiration, sans se rendre compte que son corps se dirigeait déjà vers cette odeur ferreuse. Il allait boire jusqu’à ce que tout son corps soit gorgé. Il allait planter ses crocs dans la peau blessée, aspirer la boisson de la vie et murmurer mille mercis à la dépouille fraîche de sa victime.

Mais un grizzly s’acharnait déjà sur sa proie. Sa première envie fut de se jeter sur lui pour défendre sa prise. Lui allait boire, avait besoin de boire. La bête n’avait rien à faire sur son territoire. Les cris du vagabond réveillèrent en lui l’ordre lointain mais bien ancré des Volturi: les humains ne devaient pas savoir. Était-ce vraiment nécessaire de lui cacher sa véritable nature lorsque de toute façon il périrait de sa main? Il entendait son cœur battre à tout rompre, en écho au sien silencieux. Il voyait le sang gicler de la chair déchirée en une fontaine exquise. Il entendait les grognements…

D’un geste un peu trop rapide pour être humain, il dégaina. Il avait toujours été bon tireur, durant sa vie, mais sa mort avait décuplé son talent naturel. Il visa et tira, atteignant l’ours en plein œil, qui s’effondra de toute sa masse sur la jambe en bois du bandit.

« Patterson? » demanda-t-il au blessé en s’approchant.

Si sa peau n’était pas aussi dure que l’albâtre, il aurait déjà transpercé ses lèvres à force de les mordre. La peau blanche et dénudée de sa cible l’appelait dans un mélange de faim et de désir. Maintenant qu’il n’était plus retenu par la morale humaine, les années passées à retenir ses préférences s’ajoutaient à la douleur de la soif. Il s’approcha donc, le carmin de ses yeux reflétant celui qui décorait la scène. Par chance, il avait l’habitude de se retenir. Il prit une longue inspiration dont il n’avait pas besoin.

« You’re under arrest… » dit-il plus comme un murmure que comme une phrase