Wanted: dinde or alive

@Makoyepuk Blackfoot

Au moment où les grattements la réveillent, il est déjà trop tard… Mira se rue pourtant hors de son lit, manquant de trébucher sur le chien et le chat endormis du sommeil du juste devant les braises du foyer. Un instant, elle entretient la pensée peu que les animaux pourraient au moins essayer de gagner leur croûte mais elle est trop pressée pour entretenir la question plus d’un quart de seconde avant de mettre la main sur la fourche qu’elle a laissé la veille au soir dans un coin de la pièce et d’ouvrir sa porte à la volée.

Il fait encore noir dehors mais dans l’air Mira peut sentir les signes avant-coureurs d’une aube toute proche. Malgré la saison, la jeune femme sent la fraîcheur matinale s’enrouler autour de ses mollets avant de s’engouffrer sous sa chemise de nuit. Elle regrette d’avoir oublié sa robe de chambre mais elle n’a pas le temps. Ni pour la robe, ni pour les chaussures. Elle pose son pied nu sur le chemin de terre battue qui s’étend depuis sa porte.

Le silence est complet, là-dehors. Le bruit qu’elle a fait et l’ouverture de la porte ont figé l’envahisseur mais Mira le sait la créature est toujours là. Et elle a l’avantage. Alors, la jeune femme se fait discrète. Elle progresse en silence en essayant de percer les ténèbres du regard. Elle a presque atteint le point de sa propriété où elle a entendu le bruit pour la première fois quand la nuit explose. Elle entend un cri puis une masse la bouscule.

Le poids la heurte au niveau de la rotule droite et la fait basculer. Puis une traînée brûlante remonte le long de son mollet dans le sillage de la chose qui la piétine avant de s’enfuir dans les bois, la laissant seule avec une belle estafilade. Consciente d’être seule, Mira lance une bordée de jurons.

Quelques heures plus tard, la jeune femme engage son cheval dans la pinède, ses sous lui brûlant la poche, l’odeur de résine plein les poumons. Une partie d’elle a honte. Devoir demander de l’aide pour empêcher un animal de détruire ses précieuses plantes… Ses parents doivent se retourner dans leurs tombes. Ils étaient d’ailleurs aux premières loges pour voir la culbute de leur enfant survivante. Elle se console en se disant qu’elle n’est pas la première à mettre une prime sur la tête d’un animal nuisible. Les grizzlis en général.

Alors qu’elle traverse la pinède, elle se demande combien de personnes ont déjà fait ce genre de trajet pour réclamer le prix du sang non pas pour un animal mais pour un humain. Et pas n’importe quel humain. Pour son frère. Les années ont eu beau passer, il reste toujours un vague malaise entre elle et Makoyepuk. Et la voilà maintenant forcée de lui demander un service.  

Qaund elle arrive à son campement, elle ne le voit tout d’abord nulle part. Arrêtant son cheval à l’entrée de l’espace, elle ne voit qu’une solution. “Makoyepuk! C’est Mira... Graham.” Elle se sent un peu stupide de devoir préciser mais l’homme voyage bien plus qu’elle. Peut-être en connait-il des tonnes de Mira... “J’ai...” Elle cherche une façon qui ne soit pas complètement ridicule de présenter les choses. “Un contrat pour toi.” Dans sa main gauche, une poignée de plumes tachetées.

Wanted: dinde or alive

@Makoyepuk Blackfoot

Mira considère un instant l’offre puis accepte le café. Maintenant qu’elle est là, devant le chasseur de primes, elle se sent complètement et absolument idiote. Tout ça pour un volatile. Elle fait tourner les plumes entre ses doigts, l’œil attiré par les reflets irisés, laisse échapper un petit rire au bord de l’hystérie, lisse sa robe et lâche en s’asseyant… « Un problème de renard… si seulement. » Une pause puis « Je suis désolée d’avoir interrompu tes… vos… » Elle jongle avec le tu et le vous avant d’opter pour le premier au motif du cadavre qui occupe un espace intangible mais inévitable dans leur relations. Si elle était tout à fait honnête, elle admettrait qu’il y a un rien de mesquinerie dans sa décision mais elle décide aussi qu’elle a assez de soucis sans gloser sur la situation. « Tes prières. Et oublions les Mademoiselle Graham, s’il te plaît. Mira ce sera très bien. Dieu sait si à la fin de cette conversation tu me considéreras comme une bécasse. » Encore un oiseau… Le thème de la journée visiblement. Elle divague, elle s’en rend compte mais elle ne sait pas comment aborder le sujet autrement que par son monologue en crabe avant de lâcher la vraie raison de sa venue d’un coup comme un abcès qu’on perce. « J’ai un problème... » Inspiration. « De dindon. » Elle a un autre de ses rires brefs comme un aboiement. « J’ai tout essayé pour convaincre ce maudit animal d’aller se nourrir ailleurs que dans mes plantations de simples mais rien à faire. »

Elle revoit les plans saccagés, son désarroi face à la situation, son enquête pour essayer de comprendre ce qui avait bien pu se passer puis son horreur quand elle avait compris. « J’ai tenté de lui donner des rognures, j’ai tenté de lui faire peur, ce matin j’ai même essayé de lui tirer dessus mais la seule chose que j’ai gagné c’est une écorchure sur le mollet. » Qu’elle ne lui montrera pas, Mira sait se tenir. « Je ne voulais pas en arriver là mais je ne peux pas fermer boutique simplement à cause d’un oiseau. » La jeune femme n’aimait pas le gaspillage. Elle avait dans ses placards suffisamment de provisions pour tenir et elle ne faisait pas partie de ces gens qui accumulaient pour le simple plaisir de voir leur garde-manger déborder. Mira avait une forme de frugalité presque religieuse chevillée autant au corps qu’à l’âme et elle espérait que Makoyepuk comprendrait que si elle en venait à cette extrémité c’était qu’elle avait épuisé toutes ses autres solutions. « J’aimerais placer une prime sur la tête de ce fichu dindon mais je ne sais même pas combien ça coûterait », elle confesse dans un souffle.

Mira n’est pas riche. En fait, question finance, elle serait même plus franchement du côté des pauvres mais elle a eu quelques bonnes semaines et des patients qui viennent régulièrement la consulter. Elle n’aurait pas pu envisager de faire appeler aux services de l’homme autrement. « J’ai essayé le pister moi-même mais je perds sa trace. » Poser un collet pour les lapins c’est une chose, filer un oiseau dans une forêt même un oiseau qui ne vole pas est au-dessus de ses capacités comme elle l’a découvert récemment. « En somme, j’ai besoin de ton aide. »