“♫ Right prouuuudly hiiiigh over Dublin Toooooooooown, lay hung out the flag of waAaaaAAaar. 'Twas betteeeeeeeeeer to die 'neath an Irish skyyyyy, than at Sulva or Sud El Baaaaaaar… ♪”

Des défauts, Nancy en avait tout le tour du bras, mais chanter faux n’en faisait pas partie. Bien sûr, toutes ses notes ne tombaient pas totalement dans les clous, mais elle avait un beau brin de voix et un peu de coffre dans son petit corps maigrelet mais rompu à la course à pied. Elle chantait rarement, et jamais en public, elle préférait plutôt siffloter des chansons cochonnes qu’elle entendait dans les saloon. Chanter ça pouvait faire chier les gens, et si elle était du genre expansive, elle préférait éviter d’imposer sa présence plus que de raison.

“♫ And from the plaaaaaaaaaaAAAAAains of Royal Meeeeeeath,  Strong men caaaaaaaaaame hurryiiIiiiiing throoooooooooooough! While Britannia's Huns, with their long range guns, sailed out o'er the foooggyyyy deeeeew! ♪”

Complètement insouciante de la portée politique de la chanson, répétant comme un perroquet ce que les irlandais éructaient à Boston dans sa prime jeunesse, accompagnés d’accordéon et de crincrin, elle marchait sur le bord de la route avec nonchalance. A la voir comme ça, balançant les bras et faisant des tours sur elle-même en dansant un peu au rythme de sa balade préférée, s’amusant à faire faire des twirls avec sa robe comme au bal d’hier soir, un pied devant l’autre avec entrain, on imagine pas qu’elle vient de tout abandonner derrière elle pour commencer une nouvelle vie ailleurs.

'♫ Twas England bade our Wild Geese fly that small nations might be freeeee,  but their lonely graves are by Sulva's waaaaves on the fringe of the Great North Seaaaaaaaaa… ♪”

Elle leur aurait bien laissé un mot, pour leur dire que franchement elle serait bien restée, un jour de plus, une semaine de plus, jusqu’à ce qu’on en ait marre d’elle -ça finira bien par arriver. Mais elle ne savait absolument pas écrire. Et rentrer était absolument hors de question. Elle avait dépensé ses derniers deniers dans une robe pas trop laide, avait jeté la jolie rouge, et la voilà, fraîche comme un gardon, avec rien de plus que ce qu’elle a sur le dos et sa caboche vide de rêve, à faire ce qu’elle sait faire de mieux : ne pas exister.

“♫ Oh, had they dieeEEEEEeed by Pearse's siiiIIIiide ! Or fought with CA-THAAAAaaal Brugha!! I’m sure their names we will keep! Where the fenians sleeeeeeeeeep, 'Neath the shroud of the fooooooooooggyyyyy deeeeeew. ♪”

Si elle s’était mise à chanter aussi fort, c’était pas uniquement parce qu’elle était seule - elle avait vu une paire de cavaliers la regarder avec surprise en passant - C’est aussi pour éviter de penser. À Wyatt surtout. Elle aurait tondu ses tifs pour pouvoir lui faire un gros bisou sur son p’tit nez adorable avant de partir. Mais c’est comme ça. Heureusement il était trop petit pour en avoir quelque chose à foutre. À cette heure-ci, il doit encore jouer avec Mary avant le déjeuner. Elle venait de finir sa première nuit dehors, bien a l'abri dans le coin d’un champ de blé. A croire que la vie de crevarde, c’était comme le vélo : ça s’oublie pas. Les bruits de sabots d’un nouveau canasson se font entendre alors qu’elle reprend le couplet, cette fois-ci tapant des pieds en marchant pour imiter les soldats qui vont visiblement se faire égorger dans la chanson :

“ ♫ But the bravest feeeell as the requiem bell! Rang mouuuurn-fu-llyyyy and cleaaaaaar. For those who dieeeed that Eastertiiiide, in the spring tiiiiime of the yeaaaaar- ♪ “

Elle jette un regard derrière son épaule quand elle sent que ça s’approche, par réflexe. Son visage s’illumine immédiatement quand elle reconnaît la silhouette de Clyde - comme à chaque fois qu’elle le voit.

“♫ And the woooorld did gaaaaze, with ..deep amaaaaaze, at those fearless meen… buuuut… few ?...”

Sa voix s’arrête avec surprise quand elle le voit ralentir pour arriver à sa hauteur, mais elle ne peut s’empêcher d’afficher un large sourire ravi : Elle va pouvoir lui dire au revoir en personne, et ça, c’est littéralement tout ce qu’elle n’avait pas osé souhaiter. Qu’il s’arrête pour elle au milieu d’une course, c’est suffisant pour lui coller le rose au joue.

“HEY KING!” S’enthousiasme-t-elle en bondissant sur ses pieds pour trottiner vers lui. “ T’is good see you! Goin’ somewhere ?”

Si elle avait réfléchit une seconde, elle se serait probablement dit qu'il voulait qu'elle la ferme au lieu de gueuler sa chanson si fort qu'elle en réveillerait les morts. Mais Nancy pense déjà peu avant d'agir, et encore moins avec lui.

What the fock ye think yer doing?
"Uuh …?" Chantait-elle si faux ? Elle désigne d'un pouce hasardeux la route derrière elle. "Walkin'?"

Le voyant la désigner d'un index accusateur la plonge encore plus avec perplexité, mais pas autant quand il lui ordonne de monter sur le cheval. Incapable de savoir a quel moment elle avait fait quoique ce soit de répréhensible, elle se demanda si il était en train de la confondre avec une autre : la seule raison pour qu'il soit aussi furieux après elle, était qu'elle lui doive du pognon. Et Nancy n'empruntait rien -comment elle rembourserait ?- et elle a arrêté de lui faire les poches quand il lui avait fait promettre de ne plus le faire. A un éclat de voix plus haut que les autres -celui sur foocking- elle ferme cependant brièvement les yeux. C'est un réflexe : un homme qui lui hurle dessus est toujours suivi par une mandale. Clyde ne l'a jamais frappé, elle ne lui en aurait pas voulu mais elle était certaine qu'il ne le ferait jamais, si il ne l'a pas fait en la suprenant avec sa montre, il n'a pas d'autres raisons de le faire. Mais une vie d'automatisme la rattrape souvent.

Ouvrant un œil puis l'autre, elle soupira quand elle finit par comprendre : "Ow. Ye mad at me too." Comme Jaime. Elle ne sait pas qu'ils se sont parlé, Nancy se dit juste que si elle a fait une connerie, elle est probablement monumentale. Elle se frotte un œil avec la fatigue de celle qui n'a fait que marché depuis cette histoire, et répond en haussant une épaule: bizarrement elle sait exactement de quoi il est question. "Nah. Checking behind me back since. T'is why me on the open road. Would be a shitshow to follow me discreetly there."

Elle considère l'ordre de monter sur le canasson, Nancy est pas vraiment du genre obéissante, mais elle en doit plus d'une à Clyde, et il n'a pas l'air d'avoir envie de discuter. Mais un pas plus tard, elle plissé les yeux et se ravise. Le suivre mettrait complément son plan en branque, ce n'est pas un luxe qu'elle peut se permettre, et elle n'en a déjà pas beaucoup. "S'Okay." Fit elle, avec un calme olympien malgré sa situation. "We can talk here. Will be quick."

l'Irlandaise était une vieille habituée des situations de merde. Elle pouvait gérer tout ce qu'on lui jetait a la figure sans broncher. Les regards furieux, méprisants, condescendants, voire dégoûtés, rien ne pouvait vraiment la mettre mal à l'aise. Mais ce qu'elle voyait danser dans le regard clair du gangster, outre la fureur et la fatigue, c'était de la déception. Et ça, non. Même pour son dos rodé aux malheurs, elle préférait y mettre le hola. Il devait encore plus détester cette situation qu'elle. Si elle était plus experte dans les relations sociales, elle saurait que s'attacher c'est souvent faire du mal, à un moment où à un autre. Mais Nancy n'y connait rien, elle ne voit que le fait qu'elle a réussi à se foutre à dos une des rares personnes qui lui a tendu la main. Si la culpabilité n'était pas une émotion dont elle était familière, voilà qu'elle lui tombe misérablement dessus. Et c'est encore plus dur quand on ne comprend pas pourquoi.

"Wanna talk about Beaver eh? Yeah, saw him and his dog. Bunch of arseholes as ye warned me. Put me in the church so can't walk away. But did as ye told : said shite. Ain't know no Wyatt. Tried to bribe me, gave the money back." Elle se gratte le cou en réfléchissant. Elle aurait pu lui parler de plus de details, le couteau, les menaces a peine dissimulée, Alice, mais elle n'avait pas envie de perdre son temps. Fallait aller a l'essentiel : le gosse était en sécurité. "Looked dumb enough, so pretty sure he swallowed it. But ye never know with these motherfeckers Imma right ? I thought like ye : 'What if he follow me arse down to the camp?' Fek no! I ferking love this kid! " Elle désigne la route a ses pieds avec ses paumes ouvertes et un bref sourire pincé. "Annnnd Tadaaaa! Here's the solution! If me go away, little lad is safe for now. Would have warned ye, but Jaime hates me too now. Sorry ye travel here for shite."

Nancy est sur les routes depuis ses 10 printemps, mais elle n'est pas très expérimentée en adieu. Elle aurait bien aimé lui faire un dernier câlin, coller son pif dans sa chemise défaite par sa course folle. Mais il a pas l'air d'humeur et elle a déjà abusé de son hospitalité. C'est l'heure de sa révérence, et ce qu'elle peut ressentir n'a pas sa place dans cette équation simple : si elle est plus là, c'est un danger en moins pour Wyatt.

"Ye kiss the kid goodnight for me, eh? Make sure he sleeps ok!" Conclut- t elle en commençant marchant à reculons avec un sourire qui atteint pas ses yeux, agitant sa main pour dire au revoir.  Elle sent une boule déplaisante dans l'estomac qu'elle décide d'ignorer : probablement l'envie de bouffer mais avec ce qu'elle a becté chez les italiens, elle peut bien durer une paire de jours supplémentaires.

Ses grands yeux verts n'affichent que la surprise et la confusion. Les stratégies de Nancy sont généralement de fuir ou de laisser la tempête passer, et face aux exigences de l'Écossais, elle était dépossédée des deux. Quand il l'a rappelle à l'ordre derechef pour qu'elle finit par monter sur le dos du canasson, son sourire est immédiatement remplacé par une expression interrogative. Nancy se sait pas très maligne, mais c'est bien la première fois qu'elle se sent aussi démunie. Comme spectatrice de ce qui est en train de se passer. Elle lui a expliqué sa décision, et elle savait que partir était la solution parfaite. Pas de trace, pas de souvenirs, pas de réponses aux questions, pas de vide laissé par son rire stupide. Juste, rien. Du vent, comme elle sème toujours derrière elle. Comme des centaines de milliers de pauvresses comme elle auparavant. Des visages flous qui ne laissent pas de noms, ou juste qu'on se rappelle vaguement, des voix qu'on oublie vite, des putes remplacées par des autres putes. C’était sa réalité depuis bien longtemps.

"But-" Essaye maladroitement Nancy qui est prête à se répéter de bonne foi : il a peut-être un coup dans le nez, ou tout simplement il ne l'a pas écouté -elle ne connait pas trop sa voix, elle est peut être insupportable. Mais visiblement le gunslinger a quelque chose à dire, et Nancy se pince poliment les lèvres.
Et elle pense définitivement qu'il est saoul, mais c'est son état normal. Mais saoul ou pas, elle n'était pas préparée à ce genre d’informations, et certainement pas autant d’un coup.

"Uhh.." fit-elle quelques secondes plus tard, la bouche pleine de contradiction à lui envoyer mais l'esprit parfaitement vide. "But…he won't…" de qui elle parle, elle ne sait plus trop. Elle déglutit alors que ses yeux s'agitent furieusement, en essayant de focus sur quelque chose, n'importe quoi. De quoi enfoncer les ongles de ses pensées dans quelque chose de précis. Être hébétée n'est pas son état normal. C'est même dangereux. C'est être en situation de faiblesse dans un monde qui n'a pas de pitié pour elle.

Mais c'est plus fort qu'elle, la première chose qu'elle remarque, c'est Clyde. Ou plutôt, son état. Derrière sa visible colère qu'elle ne sait pas où situer, Nancy ne peut s'empêcher de se sentir concernée. Sa sueur qui recouvre son visage, les tâches sombres sous ses yeux et la jeune femme retrouve peu de temps après son état naturel. Personne aime voir son prochain en détresse, et Nancy encore moins, surtout quand ça concerne quelqu'un d'aussi important pour elle. Un peu gauchement, elle ose finalement approcher son aîné, un pas hasardeux après l'autre. Ses mains se lèvent doucement pour d'abord essuyer la sueur qui parlent à son front, et pour finalement saisir gentiment son visage entre ses mains.

"Ye ride for a hell of a time… right, Handsome ?" Ses pouces caressent doucement ses joues dans une pierre tentative pour le détendre. "A pretty shite idea if ye ask meself." Elle ricane un peu malgré elle, bien que le rire sonne moins que d'habitude malgré le grognement porcin signature qui le suit. Comme si c'était une blague. Parce que s'en est sûrement une. Qui, dans son âme et conscience, prendrait un canasson de bon matin pour aller la chercher? Elle? De toutes les personnes possibles? Elle n'a rien volé, ne connaît aucun secret du gang, ça ne lui apporte absolument rien. Absolument rien. Et pourtant il l'a fait.

"Ye dunt listen to me. A bit mouldy eh ? Bah, doesn't matter." Elle sourit derechef en donnant un petit coup de nez sur celui de son interlocuteur, les frontières de l'affection physique toujours un peu floue chez la jeune fille. Elle pince les lèvres et finit par céder avec une certaine appréhension, dirigée vers le petit garçon qui n'est pas là pour lui parler. "'Kay. If ye really want to, I’ll jump on the cuddie." Souffle-t-elle.

Peut-être qu'il se rendra tout seul de l'absurdité de la décision, mais si elle n’est pas sûre de la marche à suivre, elle sait, pour une raison qu’elle n’ose pas identifier comme étant bel et bien le fait qu’elle va leur manquer, que la laisser partir est absolument hors de question pour lui.
Et plus qu'elle veut se l'avouer, Wyatt lui manque deja affreusement.

TW : Prostitution, Abandon, PTSD

Haussée sur le canasson, son bras qui saisit les rênes devant elle, alors que la monture râle doucement sur le surplus de charge, Nancy a perdu son verbe. La blonde n'a pas l'habitude de se taire pour autre chose que de se rendre invisible, et vu leur proximité c'est une option -ironiquement-  hors de sa portée. Elle reste silencieuse avec ses yeux de merlan fris, regardant autour d'elle de ses yeux verts pour s'assurer que personne ne les suit. Mais elle ne comprend pas. Que fait-elle sur ce cheval ? Pourquoi, du canasson au cavalier, tout le monde semble s'agiter ? Pourquoi elle même sent un inconfort quand son estomac qu'elle est incapable d'identifier ?

Nancy ne dit rien, se contente juste d'avoir l'air parfaitement stupide a son habitude. Mais c'était avant que Clyde ne se décide à l'ouvrir a nouveau. Première réflexion accueillie avec un haussement d'épaule pour ne pas répondre directement à l'affirmatif. Oui elle s'était bien entendu à parti comme ça, sans aucun obstacle, sans question et sans personne, surtout pas lui, qui vient la ramener Illico presto sans autre forme de procès. Mais c'est quand il en rajoute, sous un ton badin qui devait témoigner de la logique immuable de sa déclaration.
Sauf que pour Nancy, rien n'est moins logique.

"Eh ?!" Fit elle en levant comiquement le nez en l'air pour le regarder puis en retournant la tête vers lui, alors qu'il fini de jeter un œil derrière eux de même. Ce qui ne calme pas la blonde qui fait des grands gestes du haut de son perchoir équin.
"No I didn't! I thought ye forgot me stupid arse already!"
Elle ne se souvient pas d'avoir été aussi franche un jour avec lui, juste passer la vérité au dessus de l'épaule, comme un détail auquel il ne faut pas faire attention. Parce que c'est le cas.
"It's what it is : when everyone gets bored of me, I just disappear and nobody is looking for me. Did that since am a ween. I ain't no lady, feckin' thick and so ugly ye won't fuck me. Saw ye lookin' everywhere like someone is tarring us : why would ye take a stupid risk to look for me, when I get the fuck out of here to be sure nobody will hurt ye and the little lad ?!" La dernière phrase se perd dans un bref sifflet de voix qui ne lui ressemble pas "I ain't worth the risk. I ain't worth shite. I won't put Wyatt in harm's way because of me shitty self."

Un seul soupire avant qu'elle ne se mette à flatter la crinière du canasson. Comme si cela n'avait pas d'importance, et comme si ce n'était pas la chose la plus proche d'une confidence depuis dieu seul sait combien d'années, que Nancy a pu sortir de ses entrailles. Ce n'est pas le genre de chose importante. Pas quand on a aucune fierté ou attache.
"Told ye. Just asked me if I knew the kid and his big guy showed me his knife. If Jaime wouldn't have come inside to gawk at me, he will prolly have used it." La perspective ne semble pas spécialement lui faire peur. "Uh, he said he wants to meet me again some day to speak about it. And gave me a green to buy my arse. Gave it back to his dog, but still dunno what he wants to do, looked pretty intense ye know. So I played safe and got out. Even throw away my red dress so maybe they won't recognize me ugly snout. Got a pretty common face."
Elle avait économiser des mois pour sa robe, et elle éviter de trop penser a la déception de l'avoir jeter ainsi. Mais sa dernière réflexion lui fait revenir un bref détail en mémoire. Elle n'est pas certaine de vouloir en parler, mais Clyde lui a demandé des explications. Alors elle expire brièvement et confie: "He told me about his sister. Jaime's sister too… seemed pretty pissed… pretty sad. He remembers how she died, said even I look like her corpse." Ses yeux verts se retournent, accrochent ceux du gunslinger avec une inquiétude qui ne ressemble absolument pas à la Nancy débonnaire et au-dessus de toute question terrestre, elle qui est déjà presque 6 pieds sous terre. "He really wants the wean back. And will destroy ye for that. Feck we care about what happen to me, I won't say shite, we know that right ? Even if he finds me, I ain't never going to speak. I dunt give a damn about what he do to me, I ain't worth the risk."

TW : Prostitution, Abandon, PTSD, négligeance.
Mention de violence sexuelles, affection a sens unique.

Nancy oublie son départ avorté, sa robe rouge disparue, ses cheveux emmêlés, et les râles du canasson qui continue d’avancer. Elle oublie même les couleurs du ciel qui semble les guider vers un endroit qu’elle a aussi oublié. Elle écoute. C’est une des choses qu’elle sait faire de mieux à vrai dire. Mais cette fois, ce n’est pas des indices éructés par des murmures au coin des rues, ce ne sont pas des lamentations dont elle est l’étrange témoin. C’est un dialogue, autant qu’il puisse être. Ses épaules se détendent alors qu’elle fixe l’horizon, avec un léger sourire tendre. Quoique Clyde puisse dire sur Alice, il n’a pas vraiment besoin d’être précis. Nancy comprend vite, avec cette empathie dont elle même ne connait pas vraiment les limites.Elle comprend que cette façon de parler, précise, viscérale, emprunte de nostalgie, si l’amour a une forme, c’est celle-ci. Celui dont elle n’a qu’une vague idée chimérique, comme un bain chaud apres une dure journée, ou une maison pour l'acceuillir. Mais s' il existe, son berceau est dans la voix de Clyde. Dans le souvenir de la jeune femme disparue.

Nancy n’est jamais triste, elle n’a pas le temps. Mais la tirade terminée, elle sent ses épaules s’affaisser. Cherchant dans sa tête des excuses pour la femme qui n’était pas la quand il est revenu. Un malentendu, peut-être, un mal pour un bien, probablement, un retard sur une fin heureuse, très certainement.  Mais surtout d’injustice : Alice est disparue. Elle est sous terre, sans combler ni le gangster ni leur fils. Les cadavres sont sur tous les chemins, et s'émouvoir sur chacun d’entre eux serait du temps perdu. Et pourtant, sa gorge est serrée avec peine et accablement. C’est injuste. Elle n’arrive pas à penser autre chose.

Ce préjudice lui revient encore plus au visage quand Clyde insiste encore : “You don’t look like her corpse.”

“Aye, heard ye.” Répond Nancy comme une évidence, persuadée qu’il souligne ici le fait que comparé les deux femmes, même à un cadavre potentiellement déjà ravagé par l'œuvre de la nature, n'était rien de moins qu'une abération grotesque. “Poor thing didn’t deserve to…”

Elle ne peut plus parler, c’est même lui qui lui coupe la parole pour la première fois. La vagabonde, les yeux exorbités sur l’horizon, l’entend parler en se demandant s' il n’y avait pas une 3eme personne sur le cheval. Cherchant sans comprendre la quelconque logique qui la rendrait méritante d’une déclaration pareille. S' il cherchait juste une raison pour la faire taire, il semblait avoir réussi son pari. Déglutissant pour faire disparaître la boule dans sa gorge, se souvenant qu’elle n’a pas bu depuis au moins la dernière soirée, elle cligne des yeux et reprend un minimum son air débonnaire quand il se remet à parler. Expliquant un peu mieux le pourquoi de sa présence ici alors qu’elle n’avait rien demandé. Coinçant sa cigarette désormais allumée entre ses dents, elle aurait bien parlé si la dernière question l’aurait pas explosé dans un solide et bruyant rire sincère et surprit. Un sourire certes un peu erraillé par la soif et l’émotion, et teinté des renifflements de petit cochons habtiuels chez la jeune femme. Mais un rire étrangement bienvenu.

“Fuck I care ‘bout that !” Ricane-t-elle entre deux éclats, sauvant sa cigarette de la chute de justesse, entre majeur et index. “I ain’t givin’ a shite about what you do, won’t change what I feel about ye.” fit Nancy avec nonchalance, très honnête avec elle-même sur ses sentiments, et ayant toujours monnayé ses charmes,  ne voyant pas vraiment comment les deux peuvent se mélanger. Bien sûr qu’elle savait que c’était possible : juste pas pour elle.

Elle soupire une longue fumée depuis sa cancéreuse, son rire ayant fini par disparaître dans le vent de la soirée, loin vers le crépuscule. Elle inspire, comprenant qu’elle doit -qu’il mérite- qu’elle s’explique. L’irlandaise déteste parler d’elle-même. C’est de loin le sujet de conversation le moins intéressant qu’elle possède.

“When men say ‘follow me’ …” Commence-t-elle, bien moins expressive que son rire voila quelques minutes à peine auparavant. “Usually that doesn’t mean : ‘Here’s my tent, i’ll make sure ye got food and ye’re not cold.’ see ?” Elle hausse une épaule. “Never understood why you did that. So I figured it out. Ain’t got much more to give, see ? Either I work, I beg or I fuck for a pretty penny. Ye don’t ask me for either of those and still, ye here.” Elle secoue la tête, encore perplexe à ce sujet. “Ye fuckin’ here…” Répète-t-elle. Presque certaine que si elle se gifle, elle finira le cul par terre, sans plus aucun équidé ni cowboy avec elle. Une jolie illusion envolée. Un dernier pied de nez de la part du destin. Mais avant ça, faudrait que le destin sache qui elle est.

Elle ne sait pas pourquoi elle continue de parler, cependant. Comme une douleur qui doit être hurlée, sans savoir qu’elle est ici, à se gangréner sous sa peau. “Ye wrong about me, ye know ?” Elle lève le nez vers lui, croisant son regard de rechef. Elle ne sourit pas cette fois, mais son regard est incertain, quoique tendre. Prit au milieu d’un maelstrom d’émotions complexes : “When ye call me Sunshine. Everyone can see the sun. But ye… ye the only one who sees me. Ever. Ye can’t be warmed if you can’t see the light.” Elle aimerait sincèrement être plus brillante que ça. Comprendre ce qu’il veut dire. essayer d’avoir un glimps de ce qu’il voit. Mais elle se sent piteusement bête. Elle ignore pourquoi elle pense immédiatement qu’Alice était sûrement trés intelligente. Alice aurait probablement détesté lui parler, comme beaucoup de gens qui sont excédés par ses sourires idiots, son vocabulaire limité, son illettrisme crade, et ses yeux de merlans frits. Mais Nancy aurait adoré la regarder. Belle et vivante, explosive et sûre d’elle. Comme elle regarde les gens autour d’elle: comme on voit des poissons dans une rivière. Paisibles, dans leur écosystème. Lointains. Intouchables. Dans un monde auquel elle n’a pas sa place. "I even tried to find you a nice lass, takin' you to parties, or just being a fuckin' idiot so ye could at least takin' the piss on me. Didn't even managed to make ye smile. That's a pretty shite sunshine if ye ask me." Confie-t-elle sans même s'entendre. Mais elle éclate immédiatement la bulle pour passer a un autre sujet :

“So… ye’re here because ye think it’s yer fault if i’m in this mess?” Ses yeux clignent, et son sourire revient immédiatement, illuminant son visage qui avait paru si étrangement sérieux. “Don’t. Ok Handsome ? I ain’t a puppet, naught a kid. I could have sold yer ass for five dollars but I didn’t. And that was my choice. True I fancy ye, but that ain’t your problem. That’s mine. Deal ?” Elle redirige son œil vers l’horizon, un peu plus confortable malgré sa déclaration brute. “Ye got enough on your plate with yourself and the wean. Think about that, ‘bout him. I ain’t something to be protected. Whatever happens to me, it’s me fault. Please, don’t feel guilty.” Elle dodeline de la tête, comme sous le son d’une mélodie qui n’existe que dans sa tête. Bête, stupide, ridicule, forte de ses sentiments risibles, et pourtant piteusement faible.
Mais étrangement libre.
Et c’est parfois suffisant.

Mention d'abandon, ptsd, affection a sens unique.

La jeune femme n’arrive pas à identifier le silence qui suit ses déclarations. Elle ne sait meme pas comment décrire le vide qui s’est logé en elle quand elle a fini de parler. Nancy ne sait pas si elle regrette d’avoir parler, ou si ses forces sont parties au fur et a mesure que les mots ont glissés. Elle sait juste que si elle avait pu, elle n’aurait pas parlé de ce genre de choses. Ça ne met personne à l’aise, ça ennuie tout le monde, et ça n’intéresse personne. Ses sentiments, elle préfère les enfoncer au fond de son être en espérant qu’ils finissent par être digérés, comme tout le reste. Mais ils partent jamais. Ni les souvenirs. Et bon sang qu’elle aimerait que ça dégage d’elle. Elle aimerait tellement que quitte à être condamnée a rester sur terre, oubliée par la mort elle-même, au moins, que les choses horribles puissent disparaitre. Juste elle et les jours d’après. Mais ce serait trop demandé. C’est pour ça qu’elle ne demande rien. Et certainement pas qu’on lui rende ses sentiments pitoyables.

Elle a un bref mouvement d’épaule quand le gunsingler lui dit être ravi. Comme en plein déni. Mais le regard vert curieux qu’elle lui jette parle pour elle.
Elle ne l’interrompt pas quand il continue sa tirade, expliquant les raisons pour laquelle il s’est décidé de l’aider. Si ce n’est juste pour un bref instant. “Well I didn’t expected some…” Murmure-t-elle malgré elle quand il retrace lui meme son souhait d’avoir reçu de l’aide sans avoir a se salir les mains. Grandir sans aucune figure prête a tendre la main ne laisse pas de place a ce genre de souhait. Il n’y avait qu’une poigné de personnes qui aurait été prêt a faire ça, il y avait longtemps. Pas un seul n’avait atteint les seize ans.

Elle cligne des yeux, comme piquée par un moustique, quand il lâche l’air de rien qu’il pensait qu’elle méritait mieux. Nancy est incapable de se souvenir une autre fois ou elle a entendu une chose pareille. En revanche, elle sait parfaitement qu’elle n’est pas d’accord. Et pour ainsi dire, elle lève un sourcil perplexe, persuadée qu’il se paye sa tête. Perplexe mais pas outrée. Elle ne voit pas le probleme de passer pour une idiote ça le fait rire.  

Ceci dit, quelque chose ne sonne pas tout a fait clair pour elle. Il reste un pourquoi qu’elle ne comprend pas. Pourquoi ‘elle’. C’est pas comme si y’avait pas une paire de chiot affamé qui traine autour d’Imogen. Il pouvait faire a peut prêt n’importe quoi si il voulait avoir l’air charitable, et le voilà a supporter une bouche à nourrir. Il aurait meme pu s’en laver les mains quand elle a décidé de se tirer, et le voilà a perdre son temps. Mais Nancy décida de laisser tomber, et finalement l’écouter. Mettant sa situation sur le coup de la chance, et probablement la boisson.

“Eh. I…” Fit-elle quand elle l’entends préciser qu’il est loin d’être aussi altruiste qu’elle le semble le penser. Elle aimerait ajouter qu’il sait pas vraiment ce qu’elle pense, mais immédiatement il renchérit avec une plaisanterie. C’est probablement le meilleur moyen pour que la jeune femme oublie immédiatement ce qu’elle voulait dire pour ricaner comme un goret. Elle se penche contre lui pour se mettre a l’aise croisant les bras avec fausse provocation, tout en évitant de se bruler avec sa cigarette. “Will remember that when I need ‘nother dress!” Conclue-telle en levant son petit nez vers lui. Un bref ricanement la reprend quand il conclue également de son côté. Mais celui la est beaucoup plus confus.

“Why ?.. I didn’t do shite.” Non vraiment. Elle n’a rien fait. Elle a juste fermé sa gueule, et c’est franchement pas le plus difficile. A vrai dire, il est probablement celui qui a le plus donné dans cet espèce d’arrangement dont elle ne comprenait pas vraiment les clauses.
“... Ye’re not bullshiting me, Right ?” Demande-elle soudainement, presque malgré elle. Le mégot calciné de sa cigarette vole soudainement quelques metres plus loin, alors que Nancy redirige son regard vers la route. “‘Bout Wyatt I mean. Ye said he missed me, ye sure about that ?” Elle laisse planer un bref silence avant qu’elle n’avoue tout de go, ce qu’elle a du mal a laisser passer. Ce bout d’humanité qui l’éloigne éternellement de cette image de survie et de pragmatisme qu’elle s’est infligée comme unique personnalité. “I fucking miss him. Like… a lot. Can’t think without his cute face in me head.”

Presque immédiatement elle ajoute. “Am sorry by the way…” Une épaule se souleve. “Still think it’s a shite idea, but I didn’t want to upset ye. Sorry. I’ll just go out of yer hair only when ye ask me. Promise.”

Mention de décés, affection a sens unique.

Les rayons du soleil couchant ont beau lui percer les mirettes, Nancy se sent patauger dans un brouillard épais. Ils sont malins, tous les deux, sur la proximité imposée par le canasson, en funambule sur le fil de leurs propres pensées. l'Irlandaise se sent mieux quand elle a juste à se laisser porter par les tempêtes autour d'elle. Le chaos et la misère en guise de chaumière. Mais même si elle n'était pas assez brillante pour faire de sens à cette situation, elle avait le sentiment inconfortable que de toute façon, le dit sens ne lui plaira pas. Faute de mieux, elle décide de le croire, que s'il est venu la chercher c'était pour la satisfaction d'avoir tendu la main à autrui. Après brève réflexion, elle n'avait pas besoin de plus de détails. Elle n'avait jamais eu besoin de faire sens a tout de qui lui arrivait auparavant -il n'y en avait jamais. Cette fois-ci ne devrait pas faire de différence.

Elle ne répond pas quand il lui confirme que Wyatt l'attendait. Pourtant, pour la première fois depuis des époques révolues, il lui semble sentir ses yeux d'humidifier. La phrase est anodine, mais Nancy se frotte une tempe. Le geste semble être absent et naturel après des heures de cavale dans la cambrousse, mais la violence de la révélation lui a en vérité donné une soudaine migraine. Nancy était ravie qu'il la regarde pas, comme il ne l'a regarde jamais vraiment. Elle ne veut pas s'expliquer. Elle ne saurait pas s'expliquer.

Mais Clyde change soudainement de refrain à sa grande surprise. Argumentant maintenant qu'il la laisserait partir si elle voulait. Elle n'entend pas vraiment les conditions, déjà complètement perdues. Elle a du mal à faire cohabiter l'idée de lui laisser une place ici, tout en l’escortant ailleurs. Pourquoi il irait la chercher pour la laisser partir ? Juste pour dire au revoir a Wyatt ? Bien sûr que non. Mais avant de lui demander d’élaborer sur la question,
il lui annonce tout de go une dernière réflexion.

“Uh.” Fit-elle comme si il venait de lui décrire la théorie de la relativité. Ce qui ne serait pas si éloignée dans son incompréhension. “A good life.” répète-t-elle comme une prière en latin à la fin de la messe.  Elle hausse une épaule avec une soudaine lassitude. "I… don't wanna go anywhere." Lui assure-t-elle sans trop savoir pourquoi. "Ain't got nowhere else to be. And nobody is looking for me." La dernière phrase lui échappe comme murmure récité à voix haute par accident. "They're all gone."
Tous. Et tant d'autres. Tous partis sans elle, là où elle est incapable de les suivre.

“If I'm worth it, then ye do to y’know ? I mean… ye the one who came to fetch me in the dirt. Why ye did it ain’t matter at the end, right ?” Flattant le canasson, reprennant son sourire en laissant les questions derrière elle. “I dun’t care if ye nice or not. Yer nice to me. That is enough.”

Plus que suffisant.

Affection a sens unique.

Le voyage se passait dans un silence respectueux, avec les étoiles qui achèvent de les saluer sur la route. Nancy se laisse bercer par la cadence du canasson, le poids de la cavale du dernier jour prenant le pas sur son envie de se demander ce qu’elle fait ici avec lui. Clyde n’est pas très éloquent, mais il lui répond toujours. Comme s' il n'avait pas envie d'être impoli. Elle n'est pas vraiment éclairée sur des motivations pour aider une pauvresse comme elle, mais une partie d'elle se dit qu'il ne sait pas plus qu'elle. Et au final, est-ce bien important?

Chaque coup de sabots les rapprochent inlassablement du campement, et si Nancy ne sait toujours pas comment considérer ce fait, ses pensées se dirigent naturellement vers Wyatt. Le petit gamin adorable qui - à en croire Clyde - attend religieusement qu’elle revienne. C’est une information qu’elle n’a pas vraiment enregistrée, plus concentrée sur l’idée de le revoir et de le serrer dans ses bras. Elle se demande aussi brièvement s' il est aussi fâché que son père. Même si la raison de l’ire de son compagnon de balade lui semble encore un peu abstraite, mais Nancy préfère se taire et accepter ce bout de conversation qu’ils ont partagé pendant un petit moment de répit. Juste… accepter cette attention qu’elle a reçue, sans plus la discuter et la repousser. Un petit souvenir pour les moments les plus difficiles qui l’attendent dans le futur. Un moment où quelqu'un est venu la chercher. Si elle ne sourit pas bêtement, c’est qu’elle préfère s’interdire de se blottir trop dedans pour le moment. Mais dans son palpitant malmené par la vie, il y fait présentement très chaud.

Elle remarque au loin la silhouette du petit alors que Clyde est déjà pied a terre. Nancy se préparait a faire de même, mais fut surprise par la main tendue du gangster. Ricanant de bonne foi a sa refléxion, elle lui attrape la pogne. “Aye, ye know me, Mucker…” Pied a terre, elle lui tapote fraternellement l’épaule “... am a bloody good dancer, ‘ight ?”

Mais avant toute danse ou remontrance, Wyatt, alerté par les hennissement soulagé du cheval, est déjà en train de courir vers eux.
Pour l’irlandaise, c’est un sentiment étrange d’avoir été attendue.