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| | Sam 22 Jan - 17:54
Tout ce qui brille n'est point d'or
Les paysages du nouveau monde n’avaient rien à envier à la France. C’est du moins ce que Colombe pensait depuis le jour où elle avait posé ses pieds sur le sol américain. Cette vie remplie d’adrénaline lui convenait parfaitement. D’ailleurs, elle ne comptait le nombre d’années qui la séparaient ainsi de sa fuite. Une quinzaine d’années, bien assez pour oublier peu à peu les visages nobles et pitoyables des membres de sa famille. Si la destinée devait la rapprocher de sa vie antérieure, elle aurait beaucoup à raconter. La longévité de son séjour à Sylverstone valait bien quelques tomes d’une série romanesque. Colombe aurait pu nourrir des soirées entières à côté du feu à narrer les détails croustillants de ses aventures. Cela pouvait passer par ses conquêtes, son combat pour la liberté, son ascension au journal local, ou tout simplement l’acclimatation à l’effervescence de cette ville fiévreuse aux nombreux secrets...
Ce jour là, il en était tout autre. Les mains perdues dans la noirceur d’un cambouis amoindri, Colombe tentait de faire repartir la presse d’imprimerie car celle-ci venait de s’arrêter dans un vacarme infernal. Du papier s’était coincé dans les différents rouages du système, sans doute parce que le guide était mal trafiqué. Des grognements s’échappaient alors du monstre en bois. La jeune femme s’altérait à passer le bout de ses doigts entre le cran des mécanismes minutieusement consistés sous un plateau de travail. Des lambeaux de feuilles imprimés tombèrent progressivement aux passages de ces mains douces et travailleuses. Colombe jurait beaucoup quand une situation entravait ses projets, c’était un peu le cas ici. Il n’était pas loin de dix-huit heure et notre jeune imprimeuse pensait déjà à la fin de sa soirée. La machine en avait décidé autrement, forçant notre amie à se décarcasser sur le sol en terre battu de l’atelier. Enfin, la bête finit par reprendre du service, repartant de plus bel dans l’impression d’un article. La jeune femme soupira, non pas de soulagement, mais dans l’effort de son propre relevage. Ce travail était physique, et son patron pouvait parfois l’oublier. Il n’était pas seulement question de soutenir le dispositif dans sa tâche, mais il fallait répondre à la moindre disproportion. C’était toute une technicité ! Il y avait aussi cette prise de risque quotidienne, celle de perdre un doigt ou de se blesser par inadvertance. Les interventions comme celle-ci demandaient une certaine dextérité que notre Colombe maîtrisait parfaitement après quelques années à en s’en dépatouiller. La longue et large page blanche s’évapora lentement du système, laissant découvrir les dernières actualités de la gazette finement imprimées. A l’observation, on pouvait sentir le relief sous le papier épais. Notre ancienne bourgeoise pouvait être fière de son travail, c’était une journée satisfaisante malgré cette dernière surprise. Colombe concluait bien souvent que la graisse n’était jamais assez appliquée aux endroits les plus sollicités de la machine. On comptait bien trop souvent sur l’habitude, oubliant parfois qu’il faut matière à l’accrochage de la courroie.
Dehors, la nuit commençait doucement à tomber. Le soleil semblait trouver le réconfort à la rencontre de l’horizon. La jeune femme remarquait cela à la lueur des vitres troublées par la saleté. Les lampadaires de la ville s’éveillaient un à un pour éclairer ce petit monde qui gravitait encore copieusement dans les rues. Les chevaux tapaient la terre battue, conduit par des cavaliers pressés. La dernière diligence se faisait attendre et les commerçants se préparaient à fermer boutique. Pendant ce temps, Colombe passait ses mains dans un seau d’eau froide pour retirer la crasse de cette huile usée, profitant pour débarbouiller son visage à cette l’occasion. Il était l’heure de rendre son tablier. Un vieux miroir sordide et taillé grossièrement était posé au-dessus de notre seau en bois. La jeune femme tentait de remettre un peu d’ordre dans ses longs cheveux, il était important de toujours conserver une image propre de soi-même. Colombe tenait à sa réputation et s’entichait de croire que la propreté était signe d’honnêteté. Elle avait besoin de ressentir cette confiance, simplement parce que ses idées progressistes, féministes, révolutionnaires, ou que sais-je encore, n’avaient pas à transpirer de sa personne. Les boutons de sa robe parfaitement rangés, le corset fermement scellé à la taille, le foulard habilement noué à la gorge, Colombe enfila son chapeau. Les lampes et l’éclairage de l’atelier furent éteints à la sortie de notre protagoniste. Le monde grouillait à l’extérieur, ce qui lui apporta une sensation de vertige qui ne dura que quelques secondes. Les passants s’affairaient de part et d’autres, la ville était agitée ce soir. Les enfants couraient sur les planches craquelées des parquets médiocrement posés à l’avant des commodités. Les chevaux hennissaient nerveusement à l’attache des abreuvoirs, tandis que les putains s’installaient à l’aguiche dans le but de débaucher le bon poisson. On la salua même dans un mouvement de tête comme pour éviter d’en rajouter à ce panorama. Colombe emboîta ainsi le pas vers sa chambre de bonne à quelques dizaines de mètres de là. Ses pensées naviguaient dans l’essor de sa soirée. Ses occupations n’allaient être guère fluctuantes ce soir, et bien qu’elle avait glissé quelques dollars entre ses seins pour délicatement garder la main sur l’imprévu, personne ne l’avait sollicité pendant la journée. Que ce soit une amie ou un amant, personne n’avait tenté de l’amadouer dans un projet de divertissement. C’était rare certes, mais il arrivait que cela se produise. Alors comme une vieille mégère, Colombe prévoyait de débiter un reste de soupe avec un morceau de pain tout en se perdant dans un roman d’Herman Melville.
Enfin, ça c’était avant de se retrouver propulsée sur le sol à la violente rencontre d’un individu qui venait de se faire éjecter du saloon. « Ici on s’emmerde pas avec ceux qui payent pas leur bière ! Dégage de là sale rapiat ! » Hurla le tenancier du bar, bien trop occupé à retourner dans sa fournaise, le torchon à l’épaule. Le choc fût tel que la jeune femme se retrouva à mordre la poussière pendant que l’ivrogne tentait de se relever. Une musique soudoyante s’échappait du lieu en question, tentant d’imiter de ces mélodies bien trop connues au temps des cowboys. Les notes du pianoforte se distinguaient à l’intérieur du bâtiment, chatouillant ainsi l’oreille de Colombe pour l’encourager à se méprendre de la brutalité de cette rencontre. L’odeur de l’alcool et du tabac ressortissaient de ce bataclan, les rires masculins retentissaient parfois bien plus fort que la ritournelle. Bousculée par les forces de la surprise, notre amie avait fermé les yeux. Le bruit incandescent des charrettes approchait de plus en plus rapidement vers notre demoiselle. Combien d’hommes et de femmes avaient succombé par de tels accidents ? Une personne osa s’interposer, arrêtant brutalement la course d’un fiacre dont les deux chevaux étaient déjà bien engagés. La poussière et le sable s’amalgamèrent autour du corps frêle de l’imprimeuse. Ses vêtements maintenant salies ne permettaient plus de faire la distinction dans cette pénombre émergente. Une foule naquit autour de cet événement, pour ne pas qualifier cela de drame aux yeux de certains passants. On s’exclama alors que le cuitard prit subtilement la poudre d’escampette. Pendant que quelques-uns affirmaient que l’innocente était morte sur le coup, d’autres s’indignaient qu’un médecin ne soit pas déjà sur place. « C’est l’imprimeuse ! » déclara une passante, alors que son enfant tirait sur sa robe pour ne pas avoir vue sur l’horreur. On était figé sur cette scène, constatant que personne ici n’avait le courage de s’élancer vers un sauvetage. Colombe finit par tousser, éprise par une blessure à la joue qui la piquait vivement. Sonnée, ses yeux tentaient de s’ouvrir. Sa vue était vitreuse et troublée par le manque de lumière. Des pieds, oui des pieds se dessinaient fébrilement. Son dos lui faisait mal, une côte était peut-être cassée. Enfin, dans un brouhaha infernal de cris et de commentaires accablants, une main se tendit devant son visage, comme pour l’inviter à se relever…
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| | Dim 23 Jan - 10:45
Tout ce qui brille n'est point d'or
@Colombe DuBern & qui veutLes journées de Wendy Borden ne se ressemblent pas, à chaque jour suffi ses âmes comme dirait un proverbe gitan que personne ne connait. C’était son arrière-grand-mère Olga qui lui avait appris cela, un soir de grand froid alors qu’elle n’était encore qu’une petite fille blottie contre la sagesse de la vielle dame. Olga avait compris depuis longtemps que la jeune Lyouba (elle n’avait pas encore décidé de s’appeler Wendy) avait elle aussi quelque chose d’hors du commun. Elle savait que son arrière-petite-fille fascinerait le monde autant qu’elle lui fera peur.
A Silverstone, les Borden ne sont pas toujours bien vus. Les langues se délient et la peur fait son nid dans les esprits les plus ignorants (c’est-à-dire plus de la moitié de la population), qualifiant ainsi Wendy Borden de sorcière. L’ont dit qu’elle a fait arrêter les chevaux de Josh Campton, que ces dernières ne voulaient plus rien entendre lorsqu’il leur disait d’avancer et qu’ils se sont décidés à avancer uniquement lorsqu’il a été menacer la mère Borden qui lui avait alors dit « Donne leur un coup du plat de la paume sur un flanc et caresse trois fois leur tête si tu veux qu’ils repartent tes ânes. ». Certains disent que lorsqu’elle entre au saloon, elle fait tourner la bière, lui donnant un goût rance, laissant le gosier aussi aride qu’à son arrivée. Et puis, une fois la nuit tombée, certains viennent la supplier d’interroger les âmes sur leur avenir ou d’entrer en contact avec le regretté enfant défunt. Elle ne leur en tient pas rigueur, elle sait Wendy, à quel point l’humain peut être faible face à ce qu’il ne maîtrise pas. Et c’est pour cela, qu’elle n’a jamais peur madame Borden, parce qu’elle sait.
Du bout des lèvres, elle fredonne cette berceuse slovaque que sa grand-mère lui chantait tous les soirs avant qu’elle ne s’endorme entourée de ses petites âmes gardiennes. Son entrée dans la petite ville minière de l’Ouest passe inaperçue dans la nuit déjà bien entamée par les bruits de verres qui s’entrechoquent dans le saloon. Si l’on tend bien l’oreille, on peut même entendre le rire triste des prostitués de l’Open Purse, lieu chargé d’histoire que Wendy évite bien souvent, l’esprit tourmenté par les âmes qui en sont prisonnière. Une en particulier n’arrête pas de dire que Ella l’a assassiné. Une autre dit qu’Ella a tiré. Et il est vrai que quand elle croise le regard dur de la maquerelle, Wendy ne sent pas la chaleur d’une âme bienveillante dans ce corps rigide.
Les vieux chevaux du clan Borden battent et retournent la terre au rythme que la gitane leur impose, elle a à faire ce soir, une famille qu’elle doit libérer d’un esprit qui a trop de secrets en lui. Sa charrette chargée de quelques victuailles pour sa famille, Jasper lui a demandé du goulash pour le dîner, mais il ne se rend pas compte de la difficulté à trouver les ingrédients dans ce coin reculé de l’Amérique. Enfin, elle avait fini par trouver des pommes de terre achetées à des Irlandais dans le bog (ils s’y connaissent en pommes de terre les Irlandais, ils en ont tant manqué pendant un temps qu’ils ont découvert comment les faire pousser sans en perdre maintenant.), elle s’est débrouillée pour les épices et le bœuf avait été acheté (et une partie volée en détournant l’attention) au boucher de la ville. Perdue dans ses pensées et dans sa recette, Wendy ne remarque pas toute l’agitation autour du First Chance Saloon (il y a d’ailleurs deux saloons à Silverstone, la mère de famille a toujours trouvé cela très étrange.). Le hennissement de ses chevaux vient alors la tirer de ses songes. D’un coup sec et dans un petit cri, elle tire sur la bride afin de faire arrêter sa carriole dans un nuage de poussière, prête à crier de plus bel sur l’homme qui a osé la faire arrêter ainsi en pleine rue passante.
Alors, elle attrape ses jupes et descend de sa charrette, les sourcils froncés de mécontentement. Mais l’agitation qui semble s’animer autour d’eux l’alerte rapidement. « C’est l’imprimeuse ! » Entend-elle dans le brouhaha. L’imprimeuse ? Que fait-elle ici l’imprimeuse ?
Avec effroi, Wendy Borden se rend compte qu’elle a bien manqué d’ôter la vie à la seule personne qui permet encore au peu de lettrés de cette ville de se tenir au courant des nouvelles alentours. « Mince alors ! » C’est vrai que cela aurait été embêtant. Elle ne fait pas vraiment attention au reste et s’engage alors vers la jeune femme en se mettant à sa hauteur pour attraper sa main, non pas pour la relever, mais pour y suivre les lignes de sa paume du bout de ses ongles crasseux. Un instant, elle ferme les yeux en laissant les lignes de sa vie la guider. Dans un claquement de langue, Wendy serre la main de la jeune femme qu’elle a failli tuer pour l’aider à se relever. « Ils disent que tout va bien ! Relevez-vous jeune femme. »
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