En cette nuit du 14 février, Colombe a donné rendez-vous au célèbre Thomas Rosenbach (enfin, c'est ce qu'il prétend...) afin de l'interviewer pour un prochain article (enfin, c'est ce qu'elle prétend...). Comment chacun arrivera-t-il à distinguer le vrai du faux ? Thomas a-t-il seulement la moindre idée de la dangerosité de cette rencontre qui pourrait bien le mener à sa perdition ?

Depuis peu, Colombe n’est plus tout à fait la même. Son corps change sans qu’elle puisse l’expliquer et elle est prise de saut d’humeur et de coup de cœur. Mais le plus difficile, c’est ce désir insatiable pour la bonne viande rouge bien saignante. En effet, Colombe a été attaquée très récemment par une des prostitués du bordel local. Celle-ci, complètement incontrôlable, l’a mordu au cou avant de disparaître dans la nuit. Et depuis, Colombe passe ses journées à dormir, incapable de s’accorder avec le soleil alors qu’elle est prise de fièvre et de tremblements qui ne s’apaisent qu’à la nuit tombée. Elle a entièrement perdu goût à la vie… Enfin, c’est ce qu’elle croyait. Au moment où les yeux dorés de Colombe ont croisé ceux de Thomas Rosenbach, c’est comme si deux soleils bleus venaient balayer le voile opaque de ses nuits que la destinée avait refermées sur sa vie. Coup de théâtre ! Deus Ex Machina ! Et si la fin de la pièce de la vie de Colombe n’était en réalité qu’un entracte ? Alors Thomas serait-il le Roméo dramatique qui donne un second souffle à sa Juliette qui croyait portant son repos éternel ? Maintenant, elle doit en savoir plus. Sera-ce sa curiosité piquée à vif qui la poussera entre les bras musclés et protecteurs de ce pilier de virilité prophylactique ?

Thomas Henry Henri Rosenbach… Avocat émérite, fils prodigue, playboy milliardaire, fiancé fidèle, élu meilleur compte en banque de la ville trois années consécutives… bref. Thomas Rosenbach, l’homme béni des dieux eux-mêmes, semble n’être qu’à l’aube d’une vie déjà pleine de promesses. Mais même à son zénith, l’astre le plus lumineux projette sa part d’ombre… Thomas Henri Henry Rosenbach montre-t-il son vrai visage au monde ou bien ne serait-ce qu’un masque au sourire étincelant qui cacherait un secret aux origines bien plus sombres ? Son costume flamboyant ne cacherait-il pas plutôt une âme écorchée par la violence de la réalité de la vie ? Car Thomas a un lourd secret, et pas des moindres, passé comme une maladie héréditaire entre les hommes de la famille Rosenbach. Parce qu'en vérité, derrière le masque Thomas Henri Henry Rosenbach se cache Thomas Henry Henri Van Helsing ! Les Van Helsing ont porté serment, génération après génération après génération, après génération (...), de protéger la ville de Silverstone des créatures des Ténèbres.

Le fils doré de West Esperanza se doute-t-il seulement un seul instant que la terrible journaliste à la beauté du Diable n’est autre qu’une de ces associées ? Lorsqu’il répond au rendez-vous qu’elle lui a proposé, dans l’intimité de l’imprimerie désertée pour la nuit, se doute-t-il un seul instant quelles sont les véritables intentions de cette Aphrodite des abîmes ? Et Colombe, qui n’a plus rien de pur ni de sain, saura-t-elle résister à la tentation de damner l’être désiré pour l’éternité ?

Que l’on veuille le rencontrer, le fils Rosenbach peut aisément le concevoir. Tout le monde veut pouvoir mourir en racontant à sa famille avoir parlé à Thomas Rosenbach. Mais vouloir le rencontrer en pleine nuit, à l’abri des regards indiscrets, dans une imprimerie … ? Oui, il peut le concevoir également. Oh, il avait bien compris où voulait en venir le petit oiseau épris de liberté. Et il était prêt à la faire s’envoler aussi loin qu’elle le désirerait. Il lui devait bien cela après tout, il est vrai que la famille a son influence sur le journal. Il ne fait que perpétuer la tradition.

Ce soir, il ne pense déjà plus à Rose, sa fiancée (soyons honnête, il n’y pense pas beaucoup) et Filippa qui d’habitude hante ses pensées semble s’être volatilisée comme par enchantement. Il ne se doute absolument pas qu’elle est sous l’emprise d’une des créatures que sa famille a juré de ne pas laisser entrer à Silverstone depuis maintenant des siècles entiers à seulement quelques rues d’ici. Il ne le sait pas non plus, que les yeux dorés (cela aurait dû lui mettre à la puce à l’oreille) de la jolie journaliste cachaient la cruauté de ses intentions.

Alors, c’est armé d’uniquement son charme légendaire qu’il s’est aventuré dans l’imprimerie du journal dont la famille détient la moitié des parts. Il est donc un peu chez lui; les mains dans les poches, il avance à pas de velours à la recherche de la petite Colombe aux yeux d’or. Et lorsqu’il la voit, penchée sur sa planche, ajouter les lettres de plomb avec une délicatesse infinie, il ne peut empêcher le frisson qui s’aventure dans tout son corps. Il remercie Dieu de l’avoir fait aussi beau, et de lui avoir mis des femmes aussi belles sur son chemin. Il se risque alors à lui sourire, il ne saurait dire pourquoi, mais à l’instant même où ses yeux se posent sur sa chute de reins , sur ses cheveux pardon, ses longs cheveux qui descendent vraiment jusqu’à la naissance de ces merveilleuses … Non Thomas, les cheveux, plus haut. Oui, voilà, il jette l’ancre sur ses cheveux d’encre justement (attention jeune lecteur avisé, ce n’est pas le même mot et donc pas la même signification.).

Et avec un accent tout américain, il ose enfin prononcer ce nom qui lui brûle les lèvres : “Kuolube …”

Il était nécessaire de garder ce secret bien gardé, cet évènement qui avait bousculé le quotidien si bien cadré de notre jeune journaliste. Il était rare qu’on s’en approche et encore moins qu’on ose flanquer ses canines à la merci d’une morsure parfaitement exécutée. Colombe croyait succomber au fabuleux déclin de la dépression avec ce perpétuel rejet du jour et cette affabulation pour la nuit. Il y avait des symptômes qui ne trompaient pas, la conclusion en était tout autre quand la jeune femme remarqua bien rapidement que sa dentition avait quelques peu changé... Des pointes discrètes à la commissure des lèvres, assez pour appeler une faim irrésistible.

Un désir se faisait de plus en plus présent. Il s’exprimait dans le cerveau, mais il haletait surtout à la poitrine. Il palpitait calmement à la forme du sein, s’agitait dans les arabesques des intestins et chatouillait là où on aime créer l’affairement.
C’était des sensations comme celles-ci qui tenaient prisonnière Colombe dans des pensées intimes et divergentes. Tellement divergentes que l’imprimeuse avait lancé son dévolu sur la plus grosse fortune de la ville, comme pour s’offrir le gros lot. Pas le banquier ! Non ! L’avocat fortuné ! Son presque patron !
Bel homme, peut-être accompagné, mais face à la beauté de cette crinière brune aux lèvres de velours, il était certain que la matière pouvait facilement faire naître le doute et la tromperie.

Le meilleur motif s’apparentait à l’image. Faire mousser les gens en écrivant leur promotion dans un encart du journal, c’était toujours une bonne raison pour attiser la motivation à la rencontre. Colombe savait ces règles là. Il y avait toujours une place à côté de la Lune de Midi pour émaner les bonnes qualités d’un honnête citoyen. Celui-là, il pouvait s’écrire à la première ligne d’une liste. Il était la pièce maîtresse d’un jeu échec. L’homme parfait pour une rencontre éphémère à la mélodie d’un 14 février…
Le lieu n’était pas choisi au hasard parce que Colombe connaissait chaque centimètre de l’imprimerie. Aussi, il était question d’amener les choses progressivement, de se tenir à l’impatience de la faim ou la soif du sang. Dans l’attente, on peut dire que notre toute jeune mordue avait eu le temps de s’imaginer le goût vertueux du liquide rougeâtre de Thomas Rosenbach. De l’or voyons !

Alors quand il poussa la porte grinçante du local, il put apercevoir dans la pénombre cette créature médisante finement dépeinte dans une robe noire aux motifs rouges dessinés à la soie. Sa chevelure brune s’élançait effectivement jusqu’au creux de ses reins. Un succube, une sirène, toute la beauté du monde se retrouvait divinement là. Colombe était certainement irrésistible.

La voix du noble personnage coupa lentement le silence, rappelant ici et là que seules quelques bougies étaient témoins de ce qui allait se passer.
« Thomas.. Bonsoir. »
Une voix feutrée et assurée, comme une chaleur pourpre et romanesque qui pouvait s’échapper de ses entrailles. Pourtant glacée, Colombe pouvait émaner une fièvre ténébreuse et avide d’un après…
« Je vois que la fraîcheur de ces derniers jours ne vous a pas découragé... »
Baliverne, nuit fraîche n’attendait que sa chaleur pour être sauvage…