Piégé par le mauvais temps, Chuy avait dû se résoudre à rejoindre la paroisse plutôt que de reprendre la route vers le ranch de Nuttah. La montagne n’était pas sûre en hiver, s’y engouffrer alors qu’une tempête était sur le point d’exploser était du suicide. Il était encore trop peu débrouillard durant ce genre d’intempéries pour oser braver la neige et le vent sur les routes dangereuses qui quittaient Imogen pour descendre vers les Heartlands. Le soleil avait tiré sur lui d’épaisses couvertures de nuages sombres. Au loin on entendait déjà le ciel gronder. En entrant dans la propriété (de Dieu) qui entourait le temple protestant, Chuy se rappela que c’était sous la pluie et l’orage qu’il avait rencontré le pasteur et retrouvé son amie qu’il croyait morte.

***

Le toit de la grange avait cédé sous le poids des neiges de la dernière tempête. Le trou béant au-dessus de la tête du garçon de ferme lui offrait une contemplation sur l’une des plus belles créations du Seigneur. Quelqu’un (Jaime, sûrement), avait pris soin de remettre un peu d’ordre avant le lancement des travaux plus importants. Le bois humide et pourris qui avait servis de toit pour la petite Becky était entreposé à côté du foin. D’un geste machinal, Chuy repoussa fermement les naseaux tout doux d’un Caballo trop curieux qui voulait se réchauffer dans le creux de son cou. « Basta. Me haces cosquillas. » Le souffle chaud de l’animal lui réchauffait le bout des doigts, c’était une sensation agréable et sa main se retrouva prise de picotements. Chuy embrassa la joue du cheval avant de reprendre les rênes en mains. « Vamos, no puedes estar aquí. Oye, Becky, estaré de vuelta pronto¿vale? »

***

Becky était une brave fille, et c’était plus parce qu’elle était de bon caractère qu’elle se laissait traîner par Chuy qu’à cause du filet de Caballo qui était bien trop grand pour elle. Elle passa sans broncher les portes du temple et ne se montra vraiment pas impressionnée par les lieux pourtant très saints. Il en fallait plus pour une vieille carne comme elle. Chuy lui flatta le flanc, avant qu’elle ne lui file entre les doigts. Il ne fut qu’à moitié surpris de voir un gamin haut comme trois pommes tenter de planter ses doigts dans les naseaux de son cheval (qui lui aussi avait pris ses aises dans les lieux). « T’es qui toi ? Touches le pas. Tu fais quoi là ? »

***

Le gosse était aussi utile qu’il articulait bien. C’est-à-dire très peu. Chuy n’avait pas réussi à comprendre comment il s’appelait, ni la moitié de ce qu’il baragouinait. Mais le petit était plutôt obéissant (bien que bavard) et Chuy l’envoya attendre sur les bancs (attendre quoi ? Il n’en savait rien), à côté de Cooper puisqu’ils semblaient s’entendre (mais Chuy savait que Cooper le préférait lui alors il ne se faisait pas de soucis). Le pauvre chien avait tenté de suivre Becky et son petit compagnon en les voyant traverser la cour. Il avait dû abandonner l’expédition à la moitié de la route, ses pauvres pattes ne pouvant pas tenir son corps trop lourd et rond. Bien évidemment, Chuy était parti le récupérer pour le traîner dans son arc de Noé improvisé. Il lui avait également expliqué (en anglais, bien entendu) qu’avec la tempête qui arrivait, il était tout à fait inconscient de les laisser dehors. Il ne manquerait plus qu’ils attrapent froids ou alors la mort. Le genre de chose qu’on attrape bien trop vite quand il neige en montagne.
Et peut-être qu’il y avait aussi l’intention de mettre le pasteur en colère, de voir la veine pulser dans son cou. Rien que des Padre Nuestro ne serait résoudre.

***

Caballo et Becky n’avaient rien trouvé de mieux pour brouter que les quelques pauvres fleurs (branches de sapin seraient plus exacte) qui décoraient très mal l’autel. Pas grand-chose pour les rassasier. Chuy et le petit flattaient le ventre tendu de Cooper qui se roulait très difficilement au sol (ainsi que dans sa propre bave). La tempête qui approchait avait enveloppé l’atmosphère d’un quelque chose de solennel, d’un peu de peur. Petit à petit, l’enfant comme Chuy avait finis par ne plus échanger de chuchotements du tout.

Les craquements de pas lourds dans l’escaliers les firent sursauter encore plus haut que le hennissement que Becky avait poussé plus tôt. Peut-être que Cooper aurait pu sursauter, mais il n’en était plus physiquement capable. Seuls ses yeux c’étaient sensiblement agrandit. La tête tordue, ponctuée d’un regard au strabisme divergent, qu’il tourna vers Chuy aurait très probablement fait éclater de rire ce dernier dans d’autres circonstances. Comme un idiot, il avait cru le bureau à l’étage vide. Et comme à son habitude, il avait préféré se reposer sur ses croyances bâties sur du vide plutôt que de vérifier quoi que ce soit.

Le morveux fut poussé sous le drap de l’autel dans un réflexe salvateur de Chuy (de toute façon il n’y avait pas pire balance qu’un môme). Lui, n’eut pas le temps de se planquer ailleurs que derrière la (sainte) table. La porte s’ouvrait dans un grincement.

La seule présence féminine qui aurait pu apaiser les larmes du pauvre Wyatt admirait la séquence rocambolesque déployée par ce vigoureux trio sous un angle différent, à la reservoir dog. Le ballet équin envoûté par le joueur de flûte mexicain, le seul enfant assez abandonné pour se faire kidnapper en pleine rue et le vieux toutou pataud du voisin, tout ce monde défile sous ses fenêtres, prêt à transformer l’église en étable. Occupée à remplir une brouette brinquebalante sous l'abri-bûche, le vent rabattait son châle dans sa figure et faisait pareil de ses hurlements circonspects.

« Tu te met où ? Chuy ? » Ses interrogations emportées vers le nord-est, elle aperçut le cul du cheval disparaître dans la maison de son créateur. « Tu as demandé à… ? » La brouette n’en attendait pas davantage pour se renverser. Le moins qu'on puisse dire c'est que ça souffle. Nadie doit s’évertue à rempiler le bois à travers les jupons qui volent autour d'elle. Benicio s’obstine à attraper la mort dans sa citadelle mais il serait plus utile à porter des rondins jusqu’à son propre foyer. Elle peste en repensant au pied profondément entaillé du pasteur qui l’empêche de réparer la trappe du cellier. « Nêsowisiw, awâsisihkâsowêkwa kihtimikanêw*, -où est-ce qu’il va encore awa… ? Brooke ! Brooke ! » Le vicaire talonne la parade, affrontant le déluge de pleine face. Lui aussi n’entend pas ses appels. Il la dépasse et secoue à son tour le loquet du temple tandis ce que l'intempérie balaie, au-dessus de la tête de la brave épouse, une dégringolade de tuiles.
Nadie abandonne simplement sa tâche en voyant le maître talonner son gros chien et rentrer à son tour dans l’église qui ne lui appartient pas.

« Chuy ! Brooke ! Je crie d’après vous et personne n’entend rien avec le » Le vent a ébouriffé ses cheveux courts et quand elle pousse à son tour la grosse porte du temple, elle découvre le tableau le plus incongru de ces derniers mois. Les pleurs du gosse n’efface pas son rire qui éclate dans toute la nef devant le cirque auquel participent involontairement les serviteurs du Christ. Le vent ouvre et claque la porte dans son dos.

« Regarde ! » s’écrie-t-elle en pointant du doigt la vieille jument borgne qui broute les ornements. « Les fleurs ! »
Enfin, elle remarque la détresse du pauvre vicaire et lui répond avec aplomb. « Oh non, non merci, regarde, trop clair, trop bleu. » Elle contourne le molosse, désespéré de pouvoir le déplacer elle-même pour le chasser du temple, et trottine jusqu’à Chuy.

« Tu perds ta langue, stupido, tu peux demander pour dormir à la maison. Chez moi tu es toujours bien. Viens, je fais un café. » Affectueusement, elle lui pince le bras. Daignant apaiser les souffrances d’un enfant qui s’étouffe, elle se tourne vers leur voisin. « Toi aussi, viens, on va lui donner du sucre. Tu es d’accord, Benicio ? »

Le silence de l’église lui paraît consentir. Elle reprend.

-Les deux, sortez les animaux et rentrez les bûches. Le pasteur est trop fatigué, on rentre.

Dehors, la tempête souffle de plus belle. Un craquement signale qu’une branche a cédé aux abords du sentier, on l’entend s’écraser contre le sol. Plus aussi déterminée à sortir, Nadie regarde vers les hautes fenêtres que la tempête fait siffler et trembler. Elle se rapproche de son mari plutôt pour se mettre à l'abri que pour le traîner jusqu'à leur casita.

« Chuy, c’est qui ce petit ? Il est à quelqu’un ? »

Le vent ouvre grand les deux portes battantes et s'engouffre dans l'église en dressant tous les cheveux sur les têtes.