“You GOT to be kidding me.”

Sa voix tonne malgré elle, mais Dolores, pour son immense stature, est plutôt en train de soupirer de fatigue en secouant sinistrement la tête. Quand on lui avait proposé une descente dans une des fameuses arrière salle avec une bande de vieux loubards chasseurs de prime, elle avait accepté sans trop de questions. Basiquement surprendre des potentiels criminels au milieu d’une partie de poker, au milieu des escortes et de l’alcool. Ce n'est pas le plan le plus crédible possible, mais c’était un potentiel pactole facile avec des abrutis qui ne savent pas gérer leurs arrières. La part divisée de façon égale, et Dolores qui a les jambes assez longues pour rattraper les quelques optimistes qui veulent leur fausser compagnie. En théorie, rien de compliqué.

Mais ça c’est la théorie.

Au milieu du capharnaüm qu’à laisser l’affrontement, elle donne un coup de pied distrait a une bouteille quand un de ses camarades s’approche, bien qu'à distance respectable -ils ne sont pas vraiment amis la désapprobation est mutuelle.
“You go with us Do…lores?”
Elle ne relèvera pas qu’il essaye de lui donner son affreux sobriquet. “You guys go ahead.” Elle fait un geste vague vers l’objet de son attention. “I have some business with this one.”

Un regard perplexe traverse les autres chasseurs, pas sûr de savoir ce que l’horrible Dolly voudrait avoir a faire a un mec lambda. Mais vu sa réputation de briser des nuques avec ses énormes paluches, ils ne peuvent finalement que le plaindre : personne n'a envie d’être dans le collimateur de Gallow.
Les lieux sont déserts, que ce soit les joueurs surpris, une paire avec un méchant coquard, les chasseurs, ou les prostituées qui ont disparu dès que les coups de feu sont arrivés ; probablement les indics. Au final Dolores n’en sait rien, elle n’y est pour rien dans cette descente. Au milieu des cartes éparpillées, des bouteilles cassées, et des billets trempés, qui n’ont pas encore été récupérés dans la mêlée, Dolores prend machinalement une chaise pour la remettre en place. “Sit down.” Ordonne-t-elle presque - ou totalement. Avant d’elle aussi s’asseoir en face de lui en ébouriffant ses cheveux mal coiffés et se frotter un œil avec fatigue.

Putain de Clyde. Elle avait redouté le moment de le croiser, mais si elle s’imaginait qu’il était pas devenu un bon samaritain après avoir été une petite merde une partie de sa prime jeunesse, ça la fout mal de retrouver son vieil ami dans un contexte aussi à chier.

Après un silence désagréable -Dolores se sait nulle à chier pour commencer les conversations, elle finit par marmonner un bref : “Hi.”
Elle lève brièvement les yeux au ciel, comme déjà lourdement ennuyée par la situation : “I really wonder if I should just carry you by the neck to the sheriff office, but I guess I can as least grant you some kind of common decency."

Enfin ça c’est si il se conduit bien. Sinon il va faire le voyage a coup de pompe dans le cul.

Les années passent, mais le verbe reste le même. Ce serait presque rassurant si Dolores n'avait pas en horreur sa jeunesse passée à se prendre des pierres et à donner des beignes pour qu’on lui foute la paix. Son interlocuteur n'en a pas réchappé d’ailleurs, chiard parmi d’autres qui a essayé d’asticoter le monstre du village pour finir avec un bleu sur sa frimousse de merdeux. Mais faut croire que c’est ce qui construit les amitiés dans l’ouest, vu qu’il est encore présent à essayer de faire de l’humour au lieu d'être tiré par des chevaux, direction le panier à salade. Ceci dit Dolores ne crachait pas sur le fait de ne pas être en contact prolongé avec les connards qui se disait son équipe - les chasseurs de prime, c’est vraiment pas la foire aux génies.

King a vieilli, le mouchoir sur son pauvre nez ne cache pas vraiment les rides, et elle aussi, plus les dizaines de cicatrices qui achèvent de la défigurer. Ils ont tout les deux le regard des gens qui ont vu trop de choses pour vraiment être déboussolés par la situation. À peine ennuyés pour être honnête. Quitte à subir un homme pour la soirée, autant savoir ce que devient son vieil allié que de supporter les blagues douteuses des autres obsédés de la gâchette. Elle considère la proposition avec un œil morne avant de finalement tendre la main vers la dite bouteille au sol, assez grande pour la récupérer sans lever son séant de sa chaise. “Peely Wally, he?” Fit-elle en se moquant gentiment de son accent - une vieille habitude qui n’est visiblement pas partie avec le temps. “You still look worst than me.” Dur a savoir vu son ton laconique, mais c’est une plaisanterie. Personne n’a l’air pire qu’elle, même si elle portait une robe en satin et maquillée comme la première dame.  Elle ponctue sa phrase avec le claquement du cul de la bouteille contre la dernière table encore debout.

“So tell me, me old mate...” Dolly verse gracieusement le précieux liquide dans les verres encore debout. “Couldn’t help but to notice you didn’t have any friends in this room during the action. `the hell you were here ?” Elle gobe le fond de son verre en grimaçant : de la vraie pisse en libre service. “There are many rooms to rot in peace in Imogen, and you looked for the worst place in Silverstone to drink this ?!” Elle secoue la tête avec désapprobation, surjouée, comme une daronne qui gourmande son ado pour avoir ramenée une fille moche à la maison. “I wasn’t expecting you to become a prince, King, but come on…”

Plus d’une décennie et demi a ne pas le voir, et le retrouver dans un taudis entourés de criminels de bas étage, c’est encore plus désagréable en bouche que le mauvais alcool. Elle espérait que ce soit un malentendu, histoire qu’il ait une vie un peu moins pourrie que la sienne. Mais pour rester positive :  il a peu de chance de s’être retrouvé dans un freak show avec une tronche pareille.

Ugh. Cet accent.
Dolores préférait prétendre qu’il l’ennuie avec véhémence et le tourner en ridicule plutôt que d’affirmer qu’il lui rappelait son bon vieux papa. C’est une des nombreuses raison pour lesquelles remettre le harpon dans ce nid a merde n’avait pas inspiré a la chasseuse quoique ce soit d’autre que de la bile qui remonte. D’ailleurs, elle est presque sûre qu’après cette soirée, ça va commencer à faire le tour de la ville, si ce n'est pas déjà fait. Son petit plaisir personnel serait de voir combien des mégères qui insultaient sa mère morte en couche ont passé l’arme à gauche entre-temps. Si elle s’aventure au cimetière, elle pourrait trouver une minute pour nettoyer leur tombe avec un crachat.

“Now, if I remember correctly.” Fit Dolores en se resservant un verre, faute de meilleure picole et parce qu’il était hors de question pour elle d’avoir cette conversation totalement sobre “You were the one picking on me. Makes more sense you were having a crush on me.” Pari réussit pour l’écossais cependant, vu le ton plus léger qu’elle emploie et l’ombre d’un semblant de sourire qu’on peut apercevoir. En plissant les yeux. De très proche. “Not blaming you, I was a damn fine catch back in the days.” Uniquement dans le cadre de la pêche aux thons.

Des fantômes, voilà un langage qu’elle comprend. Elle en a tout un tas autour de la ceinture, et vu sa large stature, ça en fait un sacré paquet. Elle grimace légèrement avant de prendre une respiration et d’avaler son verre avec un regard sur le côté. Un regard qui semble appeler à l’aide. La grande blonde n’a jamais été du genre bavarde, même dans ses primes années, mais des années d’isolations et de mauvais traitement l’a rendu très tiède à l'idée d’une conversation les plus basiques et débonnaires. Elle aurait dû se douter pourtant, qu’en mettant les pieds dans ce bourbier, il y aurait des visages du passé qui allaient survenir, et probablement lui dire trois mots. Après tout, c’était elle qui avait décidé de rester pour lui parler. Mais elle avait laissé ça de côté, et la voilà les deux pieds dans le plat.

D’ailleurs avec la subtilité d’un buffalo sous opium King change de sujet pour le retourner sur elle. C’est de bonne guerre, mais la guerrière gronde doucement “Considering the situation I should be the one asking questions.” fit-elle avant de finalement laisser filer un bref soupir exaspéré. “Words do travel fast in this place…” Dolores marmonne, légèrement énervée avant de répondre d’une phrase plate et où l'on aurait du mal à discerner le cynisme si ce n’était pour le sujet évoqué -et peut-être que sous cette immense carcasse il y avait un sens de l’humeur quelque part. “Oh sure. Night and day.” Sa main s’enfonce dans sa veste pour prendre un cigare entamé, un petit délice qu’elle se permet de temps en temps, et dont elle a bien besoin quand il faut discuter de ce genre de chose.

“No, I’m here for work. Once I get enough cash I'll go somewhere else.” La cancéreuse s’allume. “I’m not quite fond of Imogen. Especially not with Beaver around.” Elle s’est brisé le dos a 14 piges pour que ce mec rase la vieille ferme quand le cadavre de son père était encore chaud. Ça laisse une paire de séquelles quand c’était tout ce qu’on avait.

Rumeurs il y aurait bien pu avoir. Mais même si c’était le cas, la montagne n’en a fait que très peu de cas. Difficile de prêter attention aux quolibets quand on a passé son enfance à se faire traiter de rejeton du diable, et une grande partie de sa vie adulte à se faire passer pour une surfemme russe qui ne sait pas s’exprimer autrement qu’en hurlant. Elle se souvenait que les Beaver avaient autant d’ennemis que de pognon, mais que personne avait les couilles de s’opposer au Dollar tout Puissant. Elle se mettait dans le lot pour être honnête, mais qu’aurait-elle pu faire d’autres à l'époque, que de ruiner son dos pour leurs beaux yeux de chacals ? A peine adolescente, sans éducation, avec une gueule comme la sienne, et une taille à défier les nuages, les basses besognes avaient été toute sa vie. Et l’aurait probablement été si elle n’avait pas été assez conne pour écouter le premier connard venu qui lui racontait des histoires de bonnes femmes.
Elle aurait eu une vie de merde, une vie normale, mais une vie honnête. Une vie qui ne lui a pas laissé une grosse carcasse édentée par les traumatismes et les abus. Et dans l’ouest, parfois, ça vaut quelque chose.

Elle laisse passer la remarque au-dessus d’elle -c’est à dire très haut- mais ses yeux bleus s’étraicissent quand son immonde accent semble papillonner des yeux pour lui demander qui est l’heureux élu auquel elle a décidé de coller au cul.

“Now, look at you.” Le cul de son verre se pose sur la table avec une sécheresse qu’elle ne dissimule pas. “Becoming an old fart didn’t help you being subtle.” Fit-elle en ponctuant sa phrase d’un soufflement de nez moqueur. Ami d’enfance peut-être, mais filou avant tout, et si elle avait eu la grandeur d’esprit de lui éviter un aller simple au trou ce soir, sa confiance était inexistante. Si elle laissait passer le moindre nom, il pourrait non seulement aller raconter à qui veut, mais aussi lui dessiner une jolie cible dans le dos au passage. Pour ainsi dire, Dolores ne lui en voudrait pas outre mesure : Elle n’avait rien fait pour gagner sa confiance, et se méfier d’elle était un signe d’intelligence.

“Just be grateful I don’t have my eyes on you.” Conclue t elle en grognant à moitié, ce qui dans son cas avait des vieux airs de mère ours. “Yet.” admet-elle. Elle ne peut pas promettre que ça ne changerait pas demain. Elle ne courrait pas après l’opportunité de le ramener au shérif par la peau du cul, mais être forcé de vendre sa famille pour bouffer n'était malheureusement pas la chose la plus rare qu’on ait vu par ici. Ou ailleurs.
A propos de famille. “Haven’t heard Allison yet. Is she still around?” Elle se resserre de nouveau, levant une main. “Not after her either.” Elle espérait qu’elle ait fait de meilleurs choix que son frère, mais l’espoir n’était pas vraiment ce qui leur restait.