Le corps de la gangster se mut sans attendre, comme s’il répondait directement aux instructions de Cole, négligeant sa propre volonté. C’était peut-être bien le cas. Elle glissa machinalement la fiole de poison dont elle s’apprêtait à verser quelques gouttes dans son verre au fin fond de l’une de ses nombreuses poches. Causer un accident regrettable chez les Borden était la dernière chose qu’elle souhaitait. Même si elle n’avait pas reconnu sa voix, la brune aurait su que c’était l’homme à qui elle devait la vie qui s’était adressé à elle. Il n’y avait que lui qui osait l’appeler ainsi. Chemin faisant, la femme ferma la porte de la roulotte derrière eux. Toujours sans décrocher un mot, elle attrapa la boîte élégante désignée par son interlocuteur. Tout en l’écoutant, elle l’ouvrit. Un léger tressautement au coin de son œil trahit sa surprise devant la parure qu’elle contenait. Leonora referma instantanément le réceptacle, avec un claquement sonore, presque comme si cette vision précieuse l’avait brûlée. Elle n'avait aucun goût pour les richesses et ne faisait que suivre celui des siens. L’arnaqueuse reposa l’objet à l’emplacement où il se trouvait initialement. Elle et le brun se connaissaient depuis suffisamment longtemps pour savoir qu’il ne s’agissait pas là d’un véritable présent.

Sa curiosité était définitivement piquée par l’approche de son chef. Elle croisa les bras sur sa poitrine et s’adossa à l’une des parois de la roulotte. Le Serpent pencha légèrement la tête sur le côté, à la mention d’un rapprochement avec l’une des filles Rosenbach. Un autre mariage pour voler la dot ? À croire que l’homme avait un goût pour cela. D’aucun aurait pu penser que devoir véritablement vivre avec sa dernière épouse l’aurait découragé de tels stratagèmes. Cela aurait été mal connaître le fils Borden. Elle soutint le regard de son ami, un sourire rare se glissant sur ses lèvres devant le ton dramatique qu’il avait employé pour sa révélation finale. « It won’t be the most difficult thing I’ve done. Might be the worst, though. » L’empoisonneuse inspira, glissant machinalement sa main dans sa chevelure, signe de réflexion chez elle. « I will need someone who can forge me the perfect identity. These people don’t take to kindly to outsiders. Luckily, you already took care of that with your last wedding, didn’t you ? » C’était comme s’il avait absolument tout prévu. Avec le gitan, c’était bien possible. « What do you expect from me exactly ? To befriend the Rosenbach’s daughters and sing your praises to them ? »

Ne pas s’arrêter aux Rosenbach. La femme n’était pas surprise. La faim de richesses de Cole était insatiable. Cela l’effrayait parfois, cette évidence qu’il ne s’arrêterait et ne se considérerait satisfait que lorsqu’il serait six pieds sous terre. Toutefois, c’était ce pour quoi la brune avait signé. Son meneur ne lui avait jamais caché son appétit et elle avait accepté de le suivre jusqu’en enfers en connaissance de cause. Elle espérait simplement qu’elle finirait entre quatre planches avant lui, pour ne pas avoir à survivre avec son échec et son deuil. Toujours parfaitement silencieuse, Leonora se saisit du morceau de papier tendu dans sa direction. Comme à son habitude, elle veilla à positionner ses doigts de sorte à n’avoir aucun contact avec ceux de son interlocuteur, bien que ces derniers soient gantés. Ce n’était pas un traitement qu’elle réservait au gitan. C’était bien plus par égard pour elle-même que la gangster fuyait toute interaction tactile. Cette coutume était devenue aussi naturelle chez elle que de respirer, à tel point qu’elle ne le remarquait même plus. Ses iris glissèrent sur les lettres imprimées sur le billet, les déchiffrant difficilement. Elizabeth Kensington. Elle devrait se glisser dans cette peau sans que rien ne laisse deviner qu’elle n’était pas sienne. La demoiselle avait un historique de jouer des rôles de toute manière. De Suja l’innocente enfant britannique, elle était devenue le bouc émissaire sans nom et sans valeur de quelques meurtriers, avant de se transformer en Leonora, la seconde du clan Borden, et, accessoirement, le Serpent, l’empoisonneuse des ennemis des siens. Lizzie ne serait qu’un masque de plus à son actif.

Dès que celui qui lui avait sauvé la vie lui donna la parole, elle déglutit un instant, choisissant avec soin ses mots pour exprimer au mieux sa pensée. « Since Penelope is the perfect blueprint of the kind of lady I am supposed to be, I will be able to make a convincing Elizabeth with her help. It will probably be a bit difficult to keep her involvement at that, and only that, but I’ll take care of it. » La brigand humecta rapidement ses lèvres. « Looking for a place to buy, hm ? I will probably have to actually do some of that for it to look convincing… It also means that we have a specific window to operate before we start attracting suspicions. » Elle croisa ses bras sur sa poitrine, toujours en pleine réflexion. « My cousin ? » Le doute transparaissait dans sa voix. Elle aurait préféré que ce ne soit pas le cas, mais elle savait qu’elle ne ressemblait pas exactement aux autres membres du gang, du moins, pas tous. « I suppose Lizzie wouldn’t happen to be a widow ? That would give me more freedom to investigate… » Leonora connaissait déjà la réponse à cette question, puisqu’il avait mentionné le besoin d’un chaperon pour parfaire leur couverture. « Plus the chaperon would be one more person that will have to act a part, which means one more chance for our cover to be blown. »

La gangster autorisa un sourire à se glisser sur ses lèvres. Il était rare de voir une telle expression sur ses traits, en tout cas de manière véritable. « Don’t bother, I will talk to her. We know it, let’s hope she is ready to hear it. » Leonora se refusait à demander l’intervention de Cole, comme une enfant invoquant une autorité supérieure à la moindre difficulté. Elle était la seconde du gang et cela impliquait de faire rentrer les brebis dans le rang, même lorsqu’il s’agissait de l’épouse de leur chef. Le gitan et elle avaient tous les deux été confrontés à l’aplomb de la française. Ils savaient qu’elle ne faisait pas partie des membres les plus faciles du clan. À leur manière nécrosée, ils appréciaient tous deux la femme Borden et c’était pour cette raison qu’ils tentaient avec tant de patience de lui inculquer les manières des gangsters. « And I trust your judgment. Widow, chaperon, cousin… I will make it work, whatever you decide. » Elle avait également confiance en lui, naturellement, et pas uniquement en son jugement. Toutefois, Leonora ne ressentait pas toujours le besoin de le lui rappeler. Elle mettait quotidiennement sa vie entre ses mains et elle jugeait cette preuve bien plus puissante que n’importe quelles paroles.

Elle suivit les mouvements du Gypsy du regard, son expression se faisant plus aimable et amusée. Elle appréciait toujours le temps qu’il lui consacrait, y compris en dehors de l’organisation de leurs opérations. Le brun était tout ce qu’elle avait, tout son monde. Il était sa famille, son sauveur et celui qu’elle suivrait jusqu’en enfer. Ses doigts s’enroulèrent habilement autour du verre fraîchement rempli et le Serpent prit le soin de boire en même temps que son hôte. « Thank you. » Il s’agissait probablement là des mots qu’elle avait le plus souvent adressé au meneur des Borden. Ils semblaient toujours particulièrement lourds de sens, ne se référant pas uniquement à la dernière action de l’homme, mais à toutes celles qui avaient précédé. Un souffle de rire franchit sa gorge et une grimace mutine dansa sur son visage. Elle tira de sa poche la fiole de poison, la posant bien en évidence pour que son niveau soit visible. « I am not sure how I should take that. I haven’t upped my dose in a while and I won’t anytime soon, now that I have a mission. » Ses iris cherchèrent ceux si familiers de son ami, leur couleur gravée dans sa mémoire depuis la nuit où il l’avait libérée de ses entraves. « I am being careful with that, you know. And if I ever feel too sick, I will tell you, I swear. »

La seconde haussa nonchalamment les épaules, alors que son meneur lui rappelait que les derniers mois avaient été pour le moins mouvementés pour le gang. Le flegme de la jeune femme imprégnait sa réponse. « We made it, it’s all that matters. And we’re gonna keep making it, because that’s what the Bordens do. » Son ton ne laissait pas de place au doute, ses paroles étaient une évidence pour elle. Ces quelques mots étaient l’incarnation de la dévotion et nombre de prédicateurs auraient rêvé d’entendre tant de foi être aussi simplement proférée envers leur dieu ou leur communauté. Après avoir obtenu l’assentiment de son hôte, le Serpent fit bien vite disparaître sa petite bouteille de venin. Celle-ci retrouva sa place, au creux de l’une de ses nombreuses poches, là où seuls ses doigts pouvaient l’atteindre. Cet objet était presque une extension d’elle-même à présent. Il démontrait ce que Leonora était capable d’accomplir pour sa famille trouvée. Déjouer la mort en s’exposant quotidiennement à elle, l’acte de loyauté était plus d’honorable. La brune ne fit pas grand cas des craintes de Cole, sachant que c’était une observation qu’il se devait d’émettre en tant que leader, plus qu’un souci personnel.

Acquiesçant à l’invitation de son interlocuteur, l’arnaqueuse s’assit sur son lit, son habitude de se faire la plus petite et non remarquable possible se trahissant dans sa posture. La mention de Pénélope glana efficacement son attention, lui faisant porter son regard sur l’homme. Elle retint difficilement un sourire certain, laissant son ami arriver au terme de son récit avant d’y réagir. « I don’t think he’ll mind… But it can be a bit time consuming. » Un semblant de rire s’échappa de ses lèvres. « She really is a smart one… But I take it didn’t go to badly, given she is still around. » Elle avait elle-même découvert l’existence du frère jumeau, mais bien plus tardivement que l’épouse Borden. Cole le considérait comme sa faiblesse principale, à raison, et avait fait le choix de le protéger en le dissimulant au monde. Plus le secret de son existence se répandait, plus sa protection s’amenuisait. « You trust her with that ? » Il ne s’agissait pas d’instiguer une quelconque méfiance chez le gitan, absolument pas. C’était là une interrogation honnête et curieuse, adressée à une personne dont elle valorisait le jugement et l’opinion. L’empoisonneuse avait envie d’avoir une certaine confiance en la française, mais cette dernière n’avait rien fait pour mériter un tel égard de sa part.

La jeune femme pencha légèrement sa tête sur le côté, sentant les nœuds dans sa nuque s’étirer avec protestation. Elle était dans une posture d’écoute extrêmement attentive, chaque mot franchissant les lèvres de son ami étant immédiatement décrypté par son esprit aux aguets. La brune savait qu’ils avaient naturellement glissé dans l’une de ses conversations où des secrets étaient déterrés. Confidences qu’elle se devait de garder et protéger. Elle se permit d’acquiescer et interjeter, alors que le meneur des Borden mentionnait que son épouse s’attendait à se faire assassiner à chaque instant dans le camp. « She does. She always seems to be wary when I’m around her. » Visiblement, la blonde s’attendait à ce que la seconde soit encore une nouvelle fois le bras armé du gitan. Le Serpent laissa ce dernier aller au bout de son propos, tendant son verre et se laissant resservir. Elle porta l’alcool à ses lèvres avant de lui faire part de ses propres observations.

« I agree, she could be a great element. But I feel like… What we might need from her is precisely what she’s running from. The poise, the nobility… What she can bring to the table is everything she wanted to leave behind, in her previous life. » Leonora inspira tranquillement. « I think she wants to trust us… She wants to feel safe, as one of us. But she’s been burned before, us included, so it doesn’t come easy. » Ses iris cherchèrent ceux de son interlocuteur. « I still can’t understand what she wants, what drives her. And as long as I – we ? – won’t… We won’t get her to do what we need. She’ll be a loose cannon, and, even though she doesn’t want to cause us any harm… She still might. » L’empoisonneuse était incapable de mettre le doigt sur les leviers qui régissaient les intentions de l’épouse Borden et il s’agissait clairement d’une source de frustration et d’incompréhension pour elle.

Son interlocuteur manifesta plusieurs signes d’assentiment au fil des paroles de la brune. Elle n’était aucunement surprise qu’il partage ses opinions, il avait après tout grandement participé à forger son sens de l’observation et du raisonnement. Qu’elle émette une notion qui s’éloigne du jugement de Cole aurait été aussi surprenant qu’inédit. L’homme s’efforça de manifester verbalement son accord à sa seconde et cela était suffisamment rare pour être souligné. Ce commentaire ne réchauffa pas le Serpent de satisfaction pour autant. Il y a quelques années en arrière, à ses débuts dans le gang, cela aurait été le cas, mais à présent, elle n’avait même plus besoin des, oh si rare, louanges du gitan pour avoir les intérêts de ce dernier et de leur famille plus à cœur que les siens. Il s’était acheté sa loyauté depuis bien longtemps et elle n’attendait plus rien de lui en échange.

Le brun l’interrogea sur la marche à suivre avec sa récalcitrante épouse, avant de lui-même formuler quelques propositions. L’empoisonneuse soupesa mentalement chacune d’entre elles, la réflexion rongeant ses traits. Elle desserra finalement ses lèvres, son débit de parole d’une lenteur relative et chaque mot choisit avec soin. « We all tried to talk to her, at different times, in different ways. The bottom line is : she doesn’t believe what we say. She still thinks we’re lying, trying to trick her. » Leonora humecta furtivement ses lippes, avant de poursuivre. « I feel like she’ll only respond to action… Undeniable proof that we are making room for her and are worthy of her trust. And yes, giving her responsibilities will definitely have a cost at first… But it might be worth it in the long run. » L’arnaqueuse ne s’obligea pas à étouffer son sourire devant la frustration de son ami. Il était face à une énigme qu’il peinait à résoudre. Le connaissant, cela devait être une source de contrariété, mais également d’une certaine ébullition. Qu’adviendrait-il en revanche une fois que le mystère Pénélope n'aurait plus de secret pour lui, si cela devait arriver un jour ? 

La seconde préféra ne pas y songer et se concentrer sur le sujet de l’attaque de la banque. « I do hope she realizes how major it is that she gets to have a part in this. We – you – are already reaching out by letting her participate. » Le front de la future Miss Kensington se trouva orné de quelques plis de contrariété. « I am aware that my skill set is needed elsewhere and wouldn’t be of much use in such an operation anyway, but it doesn’t really sit right with me that I won’t be around for this. I feel like I’m letting you down. »

Aussi étrange que cela puisse paraître, l’américaine d’adoption aurait plus apprécié entendre que sa présence pour le braquage de la banque aurait été d’une inutilité foisonnante, plutôt qu’écouter Cole confirmer qu’il aurait, lui aussi, préféré la savoir auprès du gang. Au moins, la première possibilité aurait quelque peu apaisé la sensation troublante qui l’habitait à l’idée de délaisser les siens lors d’une opération aussi critique au lieu de la nourrir. Enfin, Leonora ne pouvait pas exactement protester que son meneur apprécie ses talents et sa contribution. Elle opta donc pour un simple pincement forcé de ses lèvres l’une contre l’autre. If we fail. Il était rare d’entendre la possibilité d’un échec être mentionnée chez les Borden et l’empoisonneuse aurait pu s’arrêter dessus si elle n’avait pas une confiance absolue en leur stratège principal. Il s’agissait pourtant bien d’une entreprise frontale, différente des stratagèmes plus fins des arnaqueurs et dont les risques étaient non négligeables.

Leonora délaissa ses – trop – nombreuses réflexions, au profit des précieuses informations supplémentaires fournies par son interlocuteur. Une moue de réflexion déforma ses traits. « Yes, he used to be a regular until a few years ago… Then, he joined his uncle in New York. I guess that means they’re back… » Ses iris sondèrent ceux du gitan. « Their wealth is recent… They probably will look to strenghten it with good matches for their children. Is that lady a candidate for our scheme ? Or is she just a means to an end and we are focusing on the Rosenbach girls ? » Leur mécanique était bien huilée, puisqu’il avait déjà fait usage de ce stratagème sur Pénélope, qui n’était pas la plus conciliante de leurs victimes. À la différence près que cette fois, Elizabeth serait la première à approcher leurs cibles et à soigneusement préparer l’arrivée de son cher cousin.