Meredith avait toujours été une personne que l’on qualifiait volontiers d’originale ou d’excentrique pour ne pas dire bizarre ou étrange. Il était différent de sa famille, de sa fratrie et il en avait souvent eu conscience, au point de l’accepter complètement. Cela lui plaisait bien, de ne pas être comme tout le monde, de voir de la beauté là où les autres ne voyaient que de la banalité, voire de la laideur, de trouver de la joie dans la simple vu d’un rayon de soleil sur un pétale de fleur ou de la valeur dans ce qui semblait n’être que pauvreté et médiocrité. Il était comme cela et c’était ce même esprit qui l’avait poussé à quitter sa chère ville de Crozon pour la Ville des Lumières et puis, plus tard, pour le reste de l’Europe, jusqu’aux portes de l’Orient et même au delà. C’était cela aussi qui lui avait fait chaque fois apprendre d’autres techniques, d’autres traditions à son métier, pour les intégrer à son propre style et à son propre sens de la beauté.

Bien sûr, Meredith se pliait aux règles de la société, une chose indispensable quand on exerçait un métier comme le sien et qu’on souhaitait en vivre, mais pour ses projets personnels, il avait tendance à trouver des muses moins conventionnelles. Il y avait eu cette vieille prostituée à Paris, une femme qui gardait quelques traces de la beauté exceptionnelle de sa jeunesse sur son visage ridé et qui lui avait raconter maintes histoires du passé tandis qu’il s’employait à lui offrir une garde-robe digne de ce nom tout en travaillant les idées qu’elle lui inspirait. Il y avait cet homme bien plus petit que la normal en Italie, cette créature magnifique, à la fois homme et femme à Constantinople, ce marin en Grèce, ce fakir en Inde … Tout autant d’êtres aussi exotiques que merveilleux, à la beauté loin des carcans habituels, qui lui avait inspiré ce qu’il considérait comme ses plus belles créations.

Et voilà qu’il venait de tomber sur une autre potentielle muse, ici, en pleine rue de Silverstone, le dernier endroit où il aurait imaginé en trouver une.

Il était sorti de sa boutique pour se rendre à l’office de poste avant d’aller faire un tour au saloon pour un petit quelque chose à manger, n’ayant pas envie de cuisiner quoique ce soir après une longue journée de travail qui n’était pas encore terminée. Il avait quelques travaux pressants qui demandaient plusieurs heures de travail supplémentaire. Il était donc en chemin quand son regard avait été attiré d’abord par un cheval en train de boire puis par la personne qui se tenait à ses côtés, un individu de haute taille, la tenue maculée et l’air maussade. Meredith avait d’abord cru qu’il s’agissait d’un homme avant d’apercevoir son visage, clairement féminin. Son regard d’artiste avait immédiatement remarqué les traits saisissants de ce visage, les mèches blondes qui s'échappaient de sa capuche, sa haute stature, beaucoup plus que la sienne, comme une déesse septentrionale. Il pouvait déjà se la représenter, drapée dans un tissu écarlate ou émeraude, des couleurs de joyaux, de gemmes, qui se marieraient avec sa peau laiteuse.

Tout à son inspiration soudaine, Meredith ne se rendit pas compte qu’il s’était arrêté net pour dévisager l’inconnue, comme le plus impoli des malotrus. Sa mère aurait été horrifiée de son manque de manière, c’était certain. La femme l’interpella brusquement, sans que le tailleur ne s’en formalise. C’était lui qui avait commencé après tout et elle venait de lui donner l’autorisation de lui adresser la parole. Plus ou moins.

- You are magnificent !

Son ton était complètement sincère et admiratif mais il se rendit compte qu’encore une fois, il avait complètement manqué de manière. Décidément, son émoi artistique était conséquent.

- I’m sorry, I didn’t mean to be rude or anything but … you are simply stunning and I’m afraid, I was quite surprised to say the least.

Meredith espérait vraiment pouvoir la convaincre de lui servir de muse. Cela serait tellement grandiose. Et peut-être qu’elle trouverait aussi son compte s’ils parvenaient à un arrangement ?

Meredith aurait pu prendre peur quand la déesse s’approcha de lui, l’air farouche, fermé, menaçant. Il était sûr que peu de gens osait l’aborder comme il venait de le faire, intimidé par l’aura que l’inconnu dégageait. Mais ce n’était pas son cas. Elle était encore plus saisissante de près, le dominant d’une bonne tête voire plus et le tailleur était absolument enchanté par ce qu’il voyait. Son visage était d’une symétrie presque surnaturelle et ses yeux d’un bleu perçant qui s'allient à merveille avec sa peau pâle et ses cheveux blond. Tout à ses fantasmes de tissus et de muse, il n’avait tout simplement pas la place pour la peur. Et puis, il n’en avait pas l’air comme ça, mais il avait connu pire au cours de ses voyages, bien pire. Il en fallait plus pour l’effrayer.

Et puis, en l’écoutant plus attentivement, Meredith se rendit compte qu’il y avait sûrement un malentendu entre eux. L'inconnue semblait persuadée qu’il se moquait d’elle ce qui était loin d’être le cas. C’était très loin d’être le cas. Le tailleur était complètement sincère dans ses compliments, il n’était pas le genre à se moquer des autres, encore moins de leur apparence physique. Moins une personne entrait dans le moule, plus il la trouvait belle et captivante. Mais il n’était pas naïf et il savait bien que le monde était rarement aussi tolérant, il se doutait des raisons de sa méfiance. Qu’à cela ne tienne ! Il lui montrerait qu’il était sincère et elle s’en rendrait compte par elle-même bien vite. Il balaya ses menaces d’un geste de la main.

-Oh you know, my mother is already ashamed of me, you don’t need to worry about that. And thank you for the compliment !

Elle avait admis qu’il était joli non ? Enfin, ce n’était pas important, Meredith avait une autre tâche, bien plus importante, s’il voulait la convaincre de participer à l’idée qui prenait place dans sa tête. La déesse ferait une magnifique muse, il en était sûr.

-And you misunderstood me, I am not mocking you or anything like that ! You are simply magnificent and I would love to have you as a muse !

En vérité, nombre de créateurs parisiens auraient tué leur mère pour avoir le plaisir d’habiller l’inconnue en face de lui. C’était tellement excitant de pouvoir s’occuper de personnes sortant de l’ordinaire. Il la regarda de nouveau puis fit une petite moue.

-You would be gorgeous with some colors on you. And without all that dirt clinging to you as well.

Il retrouva son sourire et décida de prendre le taureau par les cornes.

-Well, can I offer you a drink in my store ? I would like to make an offer to you.

Avec de la chance, elle accepterait et il pourrait mettre en pratique les idées qui commençaient à fuser dans son esprit. Il ne pouvait passer à côté d’un tel caneva pour sa créativité.