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Halloween

Penelope s’éveille, comme avec la sensation d’avoir pris un gros coup sur la tête. Le monde est vague autour d’elle. Rapidement, elle reconnaît les contours d’un grand lit à baldaquin. Où-est elle ? Les draps de soie pourpres baignent dans la lumière de la fin d’après-midi, la lune est déjà levée. Que fait-elle là ? On a allumé un feu dans la cheminée, et un chat persan ronronne au pied du lit. Depuis une autre pièce, une mélodie enjouée semble s’élever d’un piano-forte, couvrant le murmure de voix. Depuis la fenêtre, on peut apercevoir les rues animées de la nouvelle Orléans.

Une petite bonne entre soudainement dans la pièce, agitée. « Madame, Madame, vous êtes réveillée ! », s’écrie-t-elle en déposant bruyamment un plateau d’argent contenant du thé et des friandises sur une petite console. « Madame se sent mieux ? Les invités sont arrivés, Madame, tout le monde vous attend ». Comme une tornade au milieu du désert, la jeune femme vient tirer les rideaux, et sortir d’une armoire une toilette d’un grenat profond. La robe en question est recouverte de minuscules rubis qui semblent perler sur le tissu comme la rosée sur une rose. « Cela convient-il à Madame ? ».


Pénélope descend les marches d’un élégant escalier en marbre sombre, qui mène à une salle de réception. La maison est richement décorée, des tentures aux ornements, rien ne semble avoir été laissé au hasard.  Sa tenue ne l’est pas non plus : la petite bonne a coiffé ses cheveux blonds en un chignon complexe, assez haut pour dévoiler sa nuque et la rangée de perles serrées qui donnent à son cou des airs de cygnes.

Alors que Penelope atteint la dernière marche, tous les regards se tournent vers elle, et les murmures cessent – seul le piano-forte continue sa mélodie entêtante. Tous s’inclinent poliment, quand un cri perce soudain le vacarme.

« Maman ! Maman ! ». Deux têtes blondes semblent fendre la foule, se précipitant droit sur Pénélope. Le petit garçon, à qui il manque les deux dents de devant, offre un sourire radieux à celle qu’il appelle sa mère, tout en cherchant à attraper sa main. Ses yeux bruns ont l’amande particulière de ceux de la jeune française, parfaite copie conforme. La petite fille qui le suit avec une longueur de retard, a quant à elle des yeux sombres mais étonnamment clairs. Plus timide, elle vient se réfugier contre la jupe de Penny, le pouce dans sa bouche.

La musique s’arrête enfin, et la foule semble se mouvoir à nouveau - comme pour laisser passer une grande ombre. Le temps semble s'être comme suspendu, comme si tous retenaient leur souffle. Une main nue s’approche alors des enfants, pour venir d’abord se poser sur l’épaule du garçon, puis sur la joue de la petite.

« We missed you, my dear », dit Cole d’une voix charmante, « …the party will finally start! ». Avec douceur, il vient alors se saisir de la main libre de la jeune femme, pour venir y déposer un baise main – les yeux rieurs. « Will you allow me this dance? ».

Au même moment, la musique recommence.

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Le chat la dévisage avec mépris. Elle en est certaine. Si minet pouvait parler, il dirait qu'il n'est qu'un innocent félidé qui lui ronronne sur les pieds. Un fidèle compagnon qui assiste sa maîtresse pendant sa sieste alors qu'elle se réveille avec une migraine. Mais il est la première âme qui vive dont elle croise le regard, dans cette chambre dont elle ne reconnaît ni les meubles ni les murs. Elle en est donc persuadée : cet animal se moque d'elle.

Penelope sursaute quand la porte s'ouvre, portant les draps sur sa personne en chemise de nuit par réflexe, alors qu'une petite dame pépie les mains chargés de victuailles. La Française reconnaît sans mal ce qui lui aurait fait saliver voilà un an auparavant, mais la migraine n'est pas la raison pour laquelle elle serait bien incapable d'avaler un seul met. Elle attrape avec hâte, la tasse de thé, ignorant le liquide chaud qui lui brûle les mains tremblantes et tâche la soie des draps. N'importe quoi pour la sonner hors de cet étrange réveil. Mais non, le thé qui enflamme son palet et glisse sur son menton ne dissipe pas le brouillard aux allures de mauvais souvenirs. Elle ne retrouve pas sa roulotte, ses livres, son service a thé chinois qu'elle a fait payer une fortune a Cole. Celui sur le plateau vaut bien trois fois plus cher, mais c'était son service a thé!

La tasse lui est retirée des mains quand après un long silence, Penny se souvient avoir prononcé quelque chose mais impossible de savoir quoi, et voilà qu'elle se retrouve des années en arrière, sur ses deux jambes à se faire enfiler une toilette. Par habitude, la jeune femme, encore perdue, commence mollement a se débattre avec les pans de tissus, mais elle se fait rapidement assoir devant un vanité pendant que sa bonne s'occupe de faire ça avec une rapidité et une efficacité exemplaire. Penelope se regarde avec effroi dans la glace essayant de se souvenir par quel sortilège elle se retrouve ici. C'est bien elle dans le reflet, pas une ride en plus, pas des joues rondes d'adolescente, pas un souvenir d'une époque qui ne lui attire aucune nostalgie. Elle entend la musique en bas comme d'autres les trompettes de Jéricho. Le vanité est d'une propreté impeccable, il n'y a même pas un de ses livres dessus, quoique ce soit auquel elle peut se raccrocher, un ancrage à ses passions. Elle lève sa main soudainement avec effroi et a un semblant de soulagement en y trouvant son alliance. Elle admire un instant les rubis qui s'y trouvent, qui vont à ravir avec le choix de sa robe, ne peut elle s'empêcher de relever avec ironie, et malgré la pénombre, essaye de repérer la cicatrice dans sa main. Celle qui lui a été faite quand son sang a été versé et mêlé à celui de son époux. Mais la petite dame prend sa tête pour la remettre droit et l'houspille gentiment alors qu'elle achève de la maquiller. "Vous adorez la regarder je sais! Mais soyez patiente…"

Patiente de quoi, veut elle hurler et s'emporter. Mais ses jambes sont en coton et sa gorge est serrée. Ses pensées vaquent entre la confusion et la colère, mais comme après un choc violent, elle est incapable de réagir. Une partie d'elle veut se gifler violemment, sortir de cette chambre avec sa coiffure à moitié faite, et courir loin d'ici. Pour aller où?

Le bon goût et la sobriété du lieu lui rappelle pourtant sa mère qui était bien plus tape à l'œil et vulgaire. Mais elle n'a pas le temps d'y penser alors que ses grands yeux marrons sont un simulacre d'une biche face à des chasseurs, devant à l'assemblée devant elle. Sa poitrine serrée dans son corset s'agite visiblement alors qu'elle n'a pas la moindre idée de qui sont ces gens. Elle essaie un instant d'entre voir son fidèle Tusitala, Léo, Moïshe, ou même Wendy, voir n'importe qui de Silverstone bien que les fenêtres lui ont donné un tout autre décor. Aucun fantôme du passé n'est présent non plus. Elle sent que le silence dure et elle cligne des yeux et reprend pendant un bref instant sa grâce naturelle. Elle inspire, lèvres entrouvertes, prête a … l'enfer seul le sait alors qu'elle entend des enfants appeler leur mère. Cherchant l'agitation du regard par réflexe, il semble que le peu de contenance qu'elle eût réussi à obtenir pendant ces deux secondes, s'évapora immédiatement alors que les cheveux dans son cou se dressaient en voyant le sourire radieux du bambin édenté. A nouveau son visage s'effondre, et le peu de vie quitte son visage, incapable d'hurler les moult noms d'oiseaux qui lui traversent l'esprit pendant qu'elle sent la petite main fraîche et collante saisir la sienne. Impossible de se tromper, comprend-t-elle avec horreur. Penny connaît son visage par cœur, et ses yeux là sont définitivement les siens. Et un malheur ne venant jamais seul, il traîne avec lui une petite dernière qui s'enfonce dans sa robe comme si cela la protéger de l'assemblée ici présente. Elle l'observe, alors qu'elle pose sa petite paluche sur la taille de l'infortunée jeune femme. Les boucles blondes sont les siennes, elle arrive même à distinguer son propre nez derrière sa main qui soutient le pouce qu'elle suce. Mais le reste …
…
…Oh non.


Ce n'est plus une biche en chasse, c'est à l'abattoir qu'elle a l'impression d'être alors qu'elle le voit poser des caresses paternelles sur les têtes blondes qui n'ont même pas peur de lui. Ses grands yeux marrons cherchent désespérément une salvation autour d'eux, et même dans les yeux de son époux, mais elle n'en trouve aucune. La main qu'il embrasse veut s'arracher les cheveux et cogner entre ses deux yeux en hurlant à l'imposture : QUI est cet homme ?!! Qu'il lui rende immédiatement son mari ! Elle a épousé un déviant, un roi de l'arnaque, un vil criminel qui peut terroriser avec un bref filet de voix. Pas un m'as tu vu qui organise des soirées et cajole des chérubins blonds!

Elle doit faire un pas hésitant pour ne pas tourner de l'œil derechef. Rien n'a de sens ! Cette mascarade inclut qu'ils ont acheté cette propriété, ils ont discuté sur la couleur des murs, ont assorti les rideaux à l'escalier. Par tous les saints: Ils ont dû décider ensemble du prénom des enfants, Diantre, ils ont conçu ces enfants !!

"I…" finit-elle enfin par dire pendant que la musique reprend, d'une voix parfaitement fluette qu'elle force à plus de mesure avec un bref éclaircissement de gorge. "Absolutely… my beloved."

La main qu'elle pose sur le dos de son cher et tendre a probablement des allures de serre d'aigles. Et elle le sait très bien. Penelope refuse de céder: il y a certainement une explication. Une absolument rationnelle. Elle a peut-être pris un mauvais coup et a besoin d'un petit remontant, mais ceci n'est qu'une farce. Une gigantesque farce. Ils sont les loups au milieu des moutons, en habits blancs immaculés. Les Borden sont dissimulés quelque part dans l'assemblée, prêts à bondir, ou alors tout ceci n'est qu'une pièce sur un énorme échiquier pour des fins beaucoup plus sombres. Peut être qu'un homme politique influent est ici ce soir, prêt à se faire égorger dans un coin par Léo alors qu'ils servent de distraction de fortune. Les rubis de sa robe sont certes magnifiques, mais la moitié sont des faux façonnés admirablement par le Baron. Et les enfants ? Oh sûrement des orphelins crasseux, extrêmement ressemblants, qui ont été payés un plat chaud pour jouer cette sordide histoire. Les voilà qui justement les regardent s'éloigner, la bonne les amenant vers le buffet avec tendresse. Elle se laisse guider par Cole vers la piste sans même se souvenir d'avoir un jour déjà danser avec lui. Elle ne sent aucune crispation de son côté alors qu'il l'amène avec lui, mais elle décide d'en faire que peu de cas pour l'heure. Après tout n'est il pas exceptionnellement talentueux pour ce genre de machination?

"I apologize for being late." Murmure-t-elle à son oreille alors que ses grands yeux sondent ceux de son mari, y cherchant la réassurance dont elle a cruellement besoin. N'importe quoi. Un reniflement méprisant, un sourire mauvais, un bref sifflement qui lui assure que le plan -quelqu'il soit- est en marche. Deux doigts qui soutiennent son menton pour la forcer à accrocher ses yeux bleus. Même une crispation de la mâchoire suivit d'un silence. Juste un geste qui n'appartient qu'à Cole. Quelque chose pour lui assurer que son mari est ici, quelque part, et qu'elle ne partage pas son lit avec un de ces freluquets indigents que son père a tenté de lui faire épouser toute sa vie. Et certainement pas un qui a les traits anguleux du seul homme qu'elle ait jamais admiré. Elle serre sa prise autour de lui sans même vraiment y faire attention, s'y accrochant avec l'énergie du désespoir, espérant que ses démons se réveillent et que son aversion du contact brise un instant le charme.

Pourtant, une demeure aussi somptueuse, un mari tendre et aimant, des enfants magnifiques, une parure de reine, une valse au milieu d'une assemblée admirative… n'est ce pas le rêve de toutes les femmes?
Peut être, mais ce n'est pas le sien.

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Cole attire Penelope à lui, la guidant jusqu’au centre de la piste pour entamer une valse. Sa main vient naturellement se poser sur la taille de la jeune femme, l’autre sagement plaquée dans son dos. Avec douceur il mène la danse, faisant de la jeune femme une poupée de chiffon sous ses doigts.  La foule d’invités les observent, s’inclinant parfois les uns vers les autres pour murmurer quelques compliments soulignant la grâce de Mrs Borden, ou l’aisance naturelle du maitre des lieux.

Alors que le monde commence à les rejoindre au milieu de la piste de danse, Cole garde cet air distingué mais lointain que Penelope ne lui reconnait pas. Lorsque la musique se termine, ce dernier s’incline dans une révérence parfaite, avant de déposer un baisé sur le font de son épouse. Sans un mot, il s’éloigne pour rejoindre ceux dans l’assistance qui ne dansent pas. Quelques hommes viennent lui serrer la main, s’accordant même de franches accolades, et tous se dirigent vers une autre pièce – cigare au bec et verre de whisky dans la main.

A ce moment-là, la voix de la petite fille aux yeux clairs retentit dans la pièce : « Maman, Maman ! Jack fait des bêtises ! ». Sa petite voix retentit depuis une autre pièce, suivie de pleurs.

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Rien.

Quelqu'un a siphonné l'intérieur de son mari et à remplacé le vide de son âme par des bonnes manières. Car rien, rien dans son attitude ne lui rappelle Cole. Le baiser sur son front achève de la plonger dans la confusion la plus totale. Elle lève les yeux vers lui pour se mettre sur la pointe des pieds : peut-être qu'elle a mal regardé et que cet homme n'est pas son époux. Mais impossible de se tromper: elle a sondé son regard pendant des heures de cours acharnées, au point qu'elle a dû mal à trouver Jack ressemblant.

Cependant il y a quelque chose qui lui ressemble bien: le silence. Il ne lui dit absolument rien avant qu'il ne s'éloigne avec … des amis ?! Des gentlemen ?! Penny regarde la scène avec une perplexité non feinte. Elle ne reconnaît personne dans cette assemblée de frères d'armes, pas même Moïshe. D'ailleurs aucun n'a vraiment les traits des Gypsys qui peuplent leur clan.

Sans se faire invité, et prete a faire fi des conventions, Penny s'apprête a les rejoindre pour tirer cette situation au clair, mais c'est avant qu'elle entende une petite voix qui l'appelle.

You're not my child. Pense la jeune femme avec humeur. I didn't carry you. Me and my womb remained untouched. I never had children and I will never…

Et les pleurs arrivent, suivi d'une exclamation de la petite qui lui donne encore plus envie d'hurler. Jack. Leur fils s'appelle… Jack. C'est une sinistre mascarade ! Une mauvaise plaisanterie!! Ils ont certes un humour déplacé, chacun à leur façon.. .mais au point d'appeler leur propre fils Jack ?!

Elle a bien conscience d'être regardée alors qu'elle semble bel et bien déchirée entre l'envie de rejoindre son mari et son devoir maternel. Elle n'y peut rien, quelque chose en elle est incapable de résister. Ses dents s'enfoncent dans sa lèvre inférieure alors qu'elle siffle un "Ffffff…" qui aurait bien pu finir dans un affreux juron qu'elle n'a jamais au grand jamais prononcé avant de finalement souffler " …fffiddle dee dee."
Et la voilà qui saisit ses jupons pour retrouver ses pseudos enfants.

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La porte d'où venaient les pleurs se referme dans le dos de Penelope, soudain lourde et verrouillée.

La pièce en question est une salle à manger, aussi somptueuse que la salle de réception, mais beaucoup plus intimiste. Les invités sont déjà assis, et tous tournent la tête vers jeune femme lorsqu’ils l’aperçoivent, se relevant aussi tôt. Une trentaine de regards sont tournés vers elle – une trentaine d’hommes.

Cole entre à son tour, par une autre porte cependant. Etrangement, il semble être entrain de terminer le nœud de sa lavallière.

Tous s’assoient en cœur lorsque Penelope trouve enfin sa place, et Cole fait de même – chacun se voyant gouverner l’assistance aux extrémités de la table. Les domestiques commencent à faire le service, dévoilant sous des cloches d’argents des mets délicieux : pinces de homard, palais de bœuf à l’italienne, côtelettes d’agneau, volailles au curry, et mijoté de veau.

Tout le monde se remet à parler, certains plus poliment avec leurs voisins, d’autres croisant les conversations pour mieux renchérir sur les propos des uns et des autres. Cole, verre de vin rouge en main, participe à un peu toutes à la fois. Il sourit, complimente, réprimande et argumente avec une aisance qui fait de lui un parfait homme du monde. C’est à peine s’il touche à son assiette tant il est occupé à parler, à rire et à charmer l’assistance.

Tout en versant du champagne dans la coupe de Pénélope, le majordome chuchote à l’oreille de la jeune femme : [i]« Encore une de vos absences, Madame ? Souhaitez vous que je fasse appeler le médecin ? ».

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"Mais euh…" Bafouille la jeune femme avec un filet de voix a peine audible qui contraste méchamment avec son assurance habituelle, pendant que ses grands yeux noirs s'agitent entre la porte et l'assemblée qui se trouve debout devant elle. "Les enfants ?..."

Personne ne lui répond. Elle qui était partie rejoindre les bambins-qui-ne-sont-absolument-pas-sorti-de-son-giron, elle se retrouve face a une horde de gentlemen qui ont probablement les dents qui rayent le plancher.

Elle ignore a quel moment elle s'est installée à table, peut être par réflexe, mais si le repas a l'air digne d'un chef qu'ils payent une fortune, à rivaliser avec celui dont son père était extrêmement fier, la jeune femme n'avale rien. Obnubilée par des désagréables sueurs froides dans sa nuque qui l'a font trembler. Car elle refuse d'imaginer qu'elle tremble de peur.

Les yeux rivés sur son assiette, elle fronce soudainement les sourcils à l'infortuné majordome qui lui a recommandé le pire. "Mes absences?!" S'insurge-t-elle à voix basse, comme si cette simple atteinte a son ego lui avait redonné un semblant d'énergie. "Ne soyez pas ridicule! Je vais très bien, merci." Peste-t-elle, ce sont les autres qui ont un problème, et certainement pas elle! Tout le monde est devenu fou, c'est une évidence! Sa main gantée retire presque la coupe des mains qu'elle avale presque d'une traite. "La prochaine fois qu'il vous vient à l'esprit de…" elle allait terminer de lui conseiller de faire venir le médecin pour traîter l'anus qu'il avait en lieu et place de bouche -retrouvant ainsi sa verve qui a fait fuir moult prétendants, et lui avait valut moult gifles paternelles- mais son regard se pose sur son époux. Et ses yeux se froncent, sa main serre la coupe avec hargne. Ce n'est pas l'accord qu'ils ont passé, ce n'est pas normal qu'il taille le bout de gras avec la moitié de la nouvelle Orléans, même son costume, pourtant noir comme d'habitude semble complètement tranché avec son style. Et surtout: il n'est certainement pas un heureux père de famille !!

Penelope ne croit en rien et certainement pas à la magie. Elle n'a pas passé de marché avec Mephisto, et si c'était le cas elle n'aurait certainement pas un manoir qui pue l'hypocrisie. C'était ce qui l'avait charmé chez les gitans, outre l'aventure qu'on lui a promise. A quel point ce sont des gens vrais et non pas des m'as-tu-vu en lavallière a peine remise. La blonde inspire longuement pour calmer la rage qui menace de quitter ses lèvres. Avec élégance, elle tapote le coin de sa bouche avec sa serviette -manoeuvre inutile alors que son plat est intact et que même ses couverts sont vierges de ses empreintes digitales- et relève une expression dure vers le majordome.
"Je veux mon mari. S'il vous plaît, dites-lui que je veux lui parler immédiatement." Fit-elle avec politesse mais sans chercher à dissimuler son irritation. "En privé." Insiste-t-elle en fronçant les sourcils.

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Le majordome se redresse, hoche la tête et fait le tour de la table pour aller murmurer quelques mots à l’oreille de Cole. Ce dernier semble acquiescer à son tour, sans rien perdre de son charme qui séduit l’assistance. Il s’excuse poliment auprès des convives à ses côtés, non en ajouter qu’ils n’ont pas la chance de savoir ce que cela fait d’avoir une épouse incapable de passer de lui plus de quelques minutes - le tout couronné un clin d’œil presque salace. Lorsqu’il arrive à la hauteur de Penelope, il offre une main à cette dernière tandis que le majordome se précipite pour tirer sa chaise, et dit avec douceur : « You wanted to have a talk with me, my Darling ». Sans attendre, il l’attire vers une autre pièce, où ils pourront discuter au calme.

Ils se retrouvent alors dans un petit boudoir, du genre ce deux qu’utilisent les dames pour prendre de thé sans la compagnie des messieurs. « What’s the problem? », demande-t-il en regardant Penelope comme s’il cherchait à lire quelque chose de précis dans ses yeux. « Did you got another… unconcious moment? Or did you just missed your husband? ». Sa main vient alors caresser la joue de la jeune femme, avant qu’il ne dépose un baisé tendre dans son cou.

On frappe soudain quelques coups à la porte, impatients. « We shall go back to our guests », précise-t-il, cette fois encore sans vraiment chercher à obtenir une réponse de Penny. Il se détourne alors d’elle pour sortir du boudoir. « Go get some rest in your room, I’ll join you later… ».

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Ses espoirs d’un semblant de normalité s'effondrent misérablement quand il lui parle avec du miel épais plein la bouche. Un surplus de sucre qui lui dégouline du menton et attérit sur sa stupide lavallière. Les mains de Penelope ne peuvent pas se retenir, se saisissent de son col dans l’optique de le secouer, le forcer à sortir de cette misérable carapace de luxe pour qu’enfin elle retrouve l’homme qu’elle a épousé. Mais elle est immédiatement coupée dans son geste quand lui aussi ose l’impensable.

“Wh- are you calling me insane ?!” s'insurge-t-elle, profondément choquée. Quoiqu’elle dise, il n’a aucune envie de l’écouter, et sa gorge laisse échapper un son entre outrage, la surprise et … un semblant de contentement quand ils montent d’un cran dans l'inacceptable. Immédiatement cramoisie, une main sur sa poitrine qui s'affole et l’autre sur sa bouche, ses grands yeux qui s’humidifient. Ça non plus ne l’affole pas alors qu’il annonce dans le plus grand des calmes qu’il doit retourner à ses obligations d'hôtes.

“You just arrived!” S’insurge-t-elle en décalant sa tête pour le fixer dans les yeux. “Answer me, what do you mean ? I’m not unconscious ! I’m very aware ! ” Insiste-t-elle bec et ongles, se rendant bien compte de la contradiction de ce fait, mais incapable de laisser partir. Elle refuse de faire face a l’inavouable : qu'elle est coincée dans cette utopie ridicule qui représente tout ce qui lui donne la nausée.
Quand il annonce qu’il va la rejoindre dans leur chambre, les bras lui en tombent, et son souffle s’emballe à nouveau, les poumons atrophiés alors que ses genoux la lâche une fois que la porte claque cruellement derrière sa silhouette.

“You’re not my husband.” Soupire-t-elle dans un souffle pénible, ses mains sur ses tempes, cognant son crâne pourtant encore en proie à la migraine. “That’s not my husband!” Gémit-elle en déglutissant, alors que son menton tremble sous le désespoir qui la gagne.

La chambre, se souvient-elle dans un sursaut. La chambre. Elle ignore où elle est dans cette immense bâtisse aussi opulente qu’étrangère, mais elle se redresse et malgré sa terreur d’ouvrir les portes pour se retrouver dans une nouvelle scène qui ne fait aucun sens, elle s’enfonce dans la porte derrière elle, galopant dans les couleurs en portant les jupons de son immense robe. Sa chambre. Il doit sûrement y avoir quelque chose. N’importe quoi. Quoique ce soit pour lui rappeler qui elle est. Une copie de Frankenstein, des lettres qu’elle a forgées de ses mains. Aucune photo de chérubin pour la rassurer sur la fausseté de cette scène.

“I’m not insane.” s’entête-t-elle sur le chemin, murmurant à elle-même. “I’m neither demented, nor foolish, or sick…” Il y a une explication, une sortie à ce cauchemar.  C’était un cauchemar, et comme tout les cauchemars, il suffit de se réveiller.