Animation d'
Halloween

« Ne t’approche pas de l’eau. »

Quand Blair ouvre les yeux, rien n’est familier. Le sol est dur sous son dos, il fait froid et il faut du temps pour s’habituer à l’obscurité. La lune se reflète dans l’eau d’un lac. Pas un seul bâtiment qui soit familier, seulement des rangées d’arbres. A ses côtés, un feu crépite. La lueur des flammes lèchent le manteau et le visage émacié d’un homme qui la dévisage d’un œil mauvais. Son œil est froid comme la glace. Il est penché en avant et taille une pointe de flèche avec la lame d’un couteau. Il boit dans une bouteille sans étiquette, crache et se détourne d’elle. A vue de nez, c’est soit un chasseur de prime soit une prime qu’on chasse.

« Alors, ta sœur ? » Un ricanement mauvais secoue sa poitrine d’une toux sifflante. « C’est qu’elle a fait bon voyage... »

Lui-même semble venir de loin. Il a un drôle d’accent. Au moment où il finit sa phrase, un bruit d’eau lui répond et la surface du lac se trouble comme si on y avait jeté une pierre. L’homme grimace.

« Elle a raison. Tu dois manger. » Du menton, il lui désigne une écuelle de soupe. « Maintenant, quand je te dis « pas près du lac » tu m’écoutes, mh ? » Il ajoute. « C’est pour ton bien. »

Un petit lapin se dresse sur ses pattes à quelques centimètres du feu puis prend peur et disparaît dans la broussaille jusqu’à ce qu’on ne voit plus les herbes remuer sur son passage.
Le cri d’une chouette retentit.

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Blair a toujours eu peur. De tout pour un rien. Parfois sans avoir besoin d’aucune justification, une terreur sourde monte du tréfonds de ses entrailles pour lui serrer la gorge et faire trembler ses mains. Elle a mis plusieurs année à déployer une stratégie : frotter frénétiquement un objet, une surface, un tissu et se focaliser sur la moindre aspérité pour s’ancrer dans le réel.
Alors que l’oeil bleu de l’homme la toise méchamment, jamais son pouce n’a aussi bien poli le deuxième bouton de sa manchette. « Doux Jésus, Seigneur, Marie Mère de Dieu, le bouton a quatre trous, oh non il crache et si c’était la tuberculose ? Il y a un fil qui dépasse du bouton, respire, il faudra le couper, il me regarde encore il va me tuer c’est ça ? Il a un couteau. Comment est-ce que je suis arrivée là, moi ? Oh pitié pitié pitié pitié. »
Sans discontinuer, les pensées s’entrechoquent mieux dans sa cervelle rendue brumeuse par l’angoisse que des verres dans un saloon.

Les flammes creusent le visage maigre de l’inconnu d’ombres mouvantes. Les angles secs de ses pommettes et de ses mâchoires découpent la noirceur sans douceur. Quand son mouvement l’approche du feu, la lame brille mieux que la lune. Autour d’eux, la nature bruisse dans l’écho de la nuit. Chaque bruit attire son attention et s’accompagne d’un sursaut, aussi alerte qu’un furet de trois semaines.
Le bois brûlé a une odeur de cendre.

La mention de Sam lui fait cligner des yeux. Blair se rend compte qu’elle est toute recroquevillée ; épaules en dedans et jambes ramenées contre sa poitrine. Elle essaie de bouger, mais elle est si bien paralysée que ses muscles semblent être grippés. Elle geint.
Sa bouche, quant à elle, reste grande ouverte, abasourdie, comme une carpe en manque d’air à la surface d’un lac. Elle se sent blêmir.

Un « plouf » sonore dans son dos la fait sursauter. Il y a une grande étendue noire, juste à côté. Les étoiles scintillent à la surface, comme si elles étaient tombées au fond de la mare. « Une grenouille ? Dites moi que c’était une grenouille. Mais comment est-ce que je suis tombée ici ? Qu’est-ce que je faisais avant ? Je… » Déboussolée, elle étouffe un sanglot en pinçant les lèvres, mais son menton tremble.

« I-Il n’y a pas de poisson dedans ? » bégaye-t-elle en faisant grincer son bras pour prendre son petit bol. « Je suis a-allergique. Le médecin… Je gonfle et après je… je… »

« Mais qu’est-ce que tu racontes ?! » se lamente-t-elle en regardant sa soupe. « Tu tournes plus rond ma pauvre fille, qu’est-ce que tu aaaaaaaahhhh ! »

Cette fois, le cri muet de ses pensées est parfaitement vocalisé et extériorisé par un bond digne des meilleurs athlètes de saut en longueur.
Tandis que le lapin s’éloigne à grandes cabrioles, Blair, elle, trébuche dans ses jupons (elle avait les genoux recroquevillé dedans) et se laisse choir sur le côté, tétanisée, comme Caroline (la chèvre familiale, pas sa mère) lorsqu’elle est surprise. La soupe n’a pas totalement viré par-dessus bord, mais elle a taché sa jupe. Elle se rend d’ailleurs compte qu’elle n’a pas sa sacoche et qu’elle ne pourra donc pas lui sortir la phrase qu’elle a si souvent lue dans les journaux « Je n’ai pas grand chose, mais prenez tout, prenez tout ! » Parfois, ils prennent vraiment tout et s’en vont.

Cette fois, Blair se met franchement à pleurer.

« Vous vous vous vous, » hoquette-t-elle (difficile d’articuler une phrase) « vous parlez tout seul, il fait nuit et j’ai t-t-t-très très peur. Je ne comp-comp-comprends rien. Ma soeur… ma soeur… »

Le dernier mot finit dans des aigus rarement atteints par un être humain. D’une main absente, elle se touche l’arrière de la tête, craignant d’y découvrir une bosse grosse comme un oeuf. Le petit Tom Gallagher, un de ses petits voisins à Sunshine, était tombé de cheval un jour et sa tête avait enflé comme ça et deux jours plus tard ses parents pleuraient à l’église.
Mais rien, si ce n’est quelques feuilles mortes emmêlées dans ses mèches.

« Promis, promis, promis, je n’irai pas près du lac, je vous le jure, je suis allergique aux poissons, je vous l’ai dit, je vous l’ai dit… »

Rien de tout cela n’a de sens et ce n’est pas Blair qui va commencer à mettre un peu d’ordre. À nouveau, elle tente désespérément de plonger dans ses souvenirs, mais ne rencontre qu’une flaque sombre, aussi noire que le lac qui parle avec le fou en face d’elle. « Ouh, vraiment, vraiment ! Ça n'arrive qu'à moi ces choses-là ! »

D’un revers de manche, elle essuie sa truffe glacée qui commence à couler.

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L’homme inconnu l’écoute passivement, comme s’il ignorait de quoi elle parle.

« C’est fini les larmes, oui ? » s’agace le rustre. Les balbutiements de Blair ne semblent pas l’adoucir. Il se contente de touiller le bouillon dans son bol avec une cuillère tordue. « Tu serais pas un peu une princesse, toi... » maugréé-t-il en scrutant l’horizon du lac.

A nouveau, un clapotis remue la surface d’eau plane qui se trouble de cercles concentriques, comme une onde de choc ou un ricochet. L’homme se lève doucement.

« Beware... »

Il n’a pas le temps de dégainer, la main posée sur son holster. Un coup de feu retentit dans les bois sombres qui le projette au sol, touché dans le dos. Le premier assaillant franchit la lisière du bois tandis ce que des éclats de voix se font entendre dans le ventre de la forêt.

« Princess... » Dans une dernière toux sanglante, l’inconnu du feu de camp jette son arme aux pieds de Blair.

Avant d’être à son tour exécutée froidement, l’institutrice a le temps de voir l’arrondi des chapeaux melons. Elle entend « Ne la laissez pas s’enfuir ! » et puis la détonation qui la plonge immédiatement dans le noir.




(La mort fait le même bruit que les vieilles roues d’un brancard) (la lumière blanche des néons déploie des couleurs bizarres sous les paupières de Blair)

Les anges parlent.

(« Ils sont proches l’un de l’autre aujourd’hui. »)
(« Elle n’a pas eu le temps de prendre l’arme. »)
(« Normalement, elle en porte déjà une sur elle. »)

(« Ils ne sont pas supposés dévier du scénario. »)
(« J’ai l’impression qu’ils ont raté un top. Peut-être qu’une réponse a sauté parce qu’ils sont perturbé par quelque chose. »)

(« C’est sûrement rien. »)




Quand Blair revient à elle, rien n’est familier. (A moins que ?) Le sol est dur sous son cul, il fait froid et il faut du temps pour s’habituer à l’obscurité. La lune se mire dans l’eau du lac. Pas un seul bâtiment, seulement des rangées d’arbres. Le feu crépite, les flammes luisent sur le manteau et le visage émacié de l’homme qui la scrute d’un œil mauvais. Sa voix ressemble un peu à un rêve jusqu’à qu’un clapotis remue la surface plane de l’eau.

« Beware... »

La main sur le holster, il tourne le dos à la forêt comme s’il redoutait que les assaillants qui les traquent surgissent du lac. Son autre main est légèrement tendue de côté, comme s’il voulait la protéger.

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La question aux allures d’ordre suffit à couper la chique à Blair. Dans un dernier hoquet, un sanglot reste bloqué dans sa gorge. La toux menace, mais elle s’obstine à fermer la bouche et à contracter tout ce qu’elle peut de sa trachée pour se rendre aussi muette que possible. Bien qu’elles baignent déjà ses yeux bleus, une nouvelle rasade de larmes manque de la noyer. « La princesse des gourdes, oui ! » a-t-elle envie de lui rétorquer, mais elle craint de s’étrangler si elle se laisse aller à donner de la voix.

À nouveau, le lac semble parler à l’inconnu. Il se redresse lentement, comme s’il craignait d’effrayer un ours.

Le coup de feu fuse comme le premier feu d’artifice du 4 juillet. Si Blair n’a plus peur des chandelles et autres pétards colorés (un travail de longue haleine), elle ne peut malheureusement pas dire la même chose des tirs de carabine. En particulier lorsqu’elle est visée.
Le choc l’ébranle si bien qu’elle se jette à plat ventre sans un cri, les mains sur la tête. L’homme s’écroule à côté d’elle. Les ombres s’avancent vers eux.

« O-Oh Seigneur, » panique-t-elle en comprenant qu’il est touché.

Une bulle sanglante éclate entre ses lèvres. Il jette son pistolet devant elle.
Les yeux de madame Smith s’écarquillent, horrifiés.

« Non, non, non, non, non, » répète-t-elle en osant à peine toucher le canon. Ses mains tremblent trop. Elle ne s’est jamais servie d’une arme.

Des pieds entre dans son champ de vision.

Elle n’a pas le temps de lever le nez avant que n’éclate le bouquet final.




Un frisson la secoue. Ses yeux, douloureusement fermés, peinent à s’ouvrir. Blair se sent vaseuse. Comme si elle avait fait une sieste de quatre heures après avoir mangé un plateau de fruits de mer sur un bateau. Elle grimace, prise de nausée.

« Lau- »

Le nom de son mari meurt sur ses lèvres lorsqu’elle croise le regard méchant d’un inconnu. Pétrifiée, recroquevillée au coin du feu, elle mime la mort par crise cardiaque.

Il murmure, son attention désormais toute entière tournée vers le lac qui brille sous les étoiles. Mais Blair, elle, regarde la forêt.

« Qui… Qui êtes-vous ? » bredouille-t-elle en se redressant avec la rigidité d’un cadavre.

Sa main touche la crosse d’un pistolet, attaché à sa ceinture. Elle glapit comme si le métal avait été brûlant.

« Quoi ? » se murmure-t-elle pour elle-même, parfaitement éberluée.

« Je pourrai le faire. » La pensée, insidieuse, la surprend autant qu’elle l’écoeure. Sam lui a montré comment armer le chien. Il faut tirer avec son pouce vers soit. Clic. Voilà, comme ça. « Ensuite, il n’y a plus qu’à presser avec l’index. Comme si tu écrasais une punaise. Regarde Blair, c’est facile. » Sam, j'ai peur. Pan !

« Pas un geste ! » siffle-t-elle, plus yorkshire que chien-loup. « Ou je tire ! »

« Non mais, qui va croire ça… ? C'est moi que je vais finir par blesser ! Ça ne m'étonnerait même pas, tiens ! » a-t-elle envie de se lamenter. Même elle ne parierait pas un kopeck si elle.

« Il faut me dire… Ce que je fais ici ! J-Je n’ai rien fait, je le jure ! »

Sa truffe glacée commence à couler. Mais ses deux mains sont occupées à stabiliser le pistolet.