time heals all wounds

Thornhill Manor, 18 septembre 1888

Le point de rendez-vous, un ordre tacite dans le chaos, une destination confuse et inconnue pour la plupart d’entre eux. Tous le monde sait où ils doivent se rendre, mais personne n’aurait cru avoir un jour à le faire.

Planque de dernier secours, cette ancienne maison bourgeoise n’a plus rien de sa splendeur d’antan mais a le mérite d’avoir un toit et quatre murs solides. Sure, assez loin d’Imogen pour se faire oublier, assez près de la ville pour survivre sans mal, elle s’élève du sol aride comme un phare au milieu du déluge.

Tous n’arrivent pas en même temps. Au compte gouttent, ils se rejoignent silencieusement autour du feu de camp qu’a allumé Kilian. Les regards qui sont échangés autour des flammes sont à la fois emplis de rage et de douleur, remplaçant les mots qui semblent avoir perdu tout sens depuis l’attaque. On cherche Sean du regard, puis Mae, mais les deux leaders ont déjà été installés à l’abri. Mary Davis s’occupe de leurs blessures à ce moment même. « Il leur faudra du temps pour étre à nouveau sur pied », répond la mère de famille lorsqu’on ose demander s’ils vont s’en sortir.

A mesure que les heures défilent, certains choisissent de s’éloigner pour lèchent leurs plaies prudemment cachées dans l’ombre de la demeure. D’autre restent, préférant noyer cette soirée à la lumière des étoiles. Le crépitement du feu se veut réconfortant, mais la chaleur du brasier peine à apaiser les êtres. La gourde de Gin récupérée sur le cheval de Clyde passe de mains en mains, comme pour honorer l’absence de ce dernier.

A VOUS DE JOUER

Ici, le MJ n'interviendra pas.

A vous de vous appropriez de rp libre, de réagir avec vos personnages sur l'évènement tragique qu'ils viennent de vivre.

❥ code by kimlee

time heals all wounds

Thornhill Manor, 18 septembre 1888

Irina se redresse et c’est toute la maison qui craque. Les deux carcasses ont au moins cent ans ; les murs du manoir lézardés et tachés de reste d’une tapisserie cramoisie un reflet du visage d’Irina. De la fumée s’échappe de ses lèvres. La cheminée craque d’une bûche nouvellement mise.

« Elle ressemble à un cochon à la broche, » constate-t-elle, la cigarette calée au coin du bec.

La russe s’est levée de sa chaise branlante pour s’approcher du lit de Mae. Elle appuie ses coudes sur le rebord du matelas dont certains ressors ont crevé le tissu pour tenter de se faire la malle. Il geint sous ce nouveau poids.

En effet, Mae a une sale gueule.

Les flammes ont léché son visage comme un chien trop gourmand, pour ne laisser que des miettes. C’est bien cela qui tombe, d’ailleurs. Des bouts de peau racornies et brunâtres qui clairsement le col brûlé de son manteau comme autant de gouttelettes de rosée dans une clairière au petit matin. Au-dessus de ses paupières closes, son front sans sourcils paraît immense. Ici, la couenne est encore claire. Lorsque Mary vient y poser un linge humide, une mèche de cheveux noirs se désagrège comme un sucre qu’on aurait posé dans une flaque d’eau. Il y a une odeur de poulet grillé, de sang et de laine qu’on aurait laissé sécher trop longtemps au-dessus du feu de camp.

Elle jette un mauvais regard à la mère de famille à travers ses cils.

« Je t’ai déjà dit de reculer, Irina, » s’agace presque madame Davis en la repoussant doucement du bout des doigts. « Tu es trop près. »

Mais Irina ne bouge pas d’un iota. Mary s’éclaircit la gorge en jetant un regard vers la porte laissée ouverte.

« Toi aussi tu es dégoûtante, » lance-t-elle d’une voix qui se veut légère. « Qu’est-ce que tu as fait, là-bas ? »

Les yeux verts de l’ancienne ballerine sont retombés sur le profil abimé de Mae. Le silence est trop long pour être agréable.

« Je nous ai remboursés. »

Cette fois, son regard est sur Mary. Le visage inerte, elle finit par obéir et se relève en s’étirant. Ses articulations protestent et Irina laisse s’échapper un « gnnnnnn » avant de relâcher ses muscles endoloris.

À côté du lit de Mae, Sean est lui aussi allongé, entre conscience et sommeil. Sa chemise a été déchirée pour dégager sa blessure. Son torse est bandé. Il y a une tache d’un rouge presque brun qui fleurit comme un coquelicot. Une couverture mitée et sans couleur lui couvre les jambes. Les yeux mi-clos, il baragouine des incohérences en ahanant.

« Oui, oui, je sais, » soupire la révolutionnaire en cendrant sa cigarette dans un éclat de porcelaine brisé qu’elle a trouvé par terre dans l’ancienne cuisine. « Moi aussi, j’en mangerais bien. »

Mary lui jette un coup d’œil par-dessus son épaule avant de revenir à Mae.

« Les hommes sont stupides, » susurre-t-elle en franchissant l’encadrement de la porte. « Et je suis une bonne chasseuse. »

Elle a le dos déjà tourné lorsque l’infirmière relâche sa respiration.

Les autres membres du gang sont dispatchés autour d’un maigre feu devant la barraque. L’après-midi tire sa révérence et la nuit menace à l’horizon. Le ciel est lourd de nuages grisâtres. Il va peut-être pleuvoir.

Dans ce patchwork de visages, la mine est la même partout. Éreintée, sombre, creusée. Les yeux sont vides. Les vêtements sont sales. Ils ressemblent à des petits soldats tristes et perdus dans la toundra. Une bourrasque pourrait les renverser tous.

Irina ricane en se rangeant parmi les siens et son rictus se transforme en chansonnette marmonnée alors que Kilian se met à parler. Il tisonne à force de mots choisis le moral des troupes, mais il ne récolte qu’un silence accablant et des murmures hachés. La slave fronce les sourcils tandis qu’elle gratte le sang et la saleté sous ses ongles. Avec Floyd, il y a un peu du barbu qu’elle a voulu découper à la machette.
Elle ne lève pas le nez de sa tache lorsque Nancy l’enveloppe dans une couverture. Wyatt vient se coller contre ses jambes, abrité sous ce chapiteau de fortune.
L’œil toujours éclairé par la mauvaise lumière des explosions de la nuit dernière, Irina lorgne sur le visage de souris de la blonde. Elle est moulue par la nuit et la bonne humeur de l’ancienne prostituée lui donne envie de lui tordre le cou. D’avoir plombé la cervelle de Floyd a rongé son habituelle nonchalance pour la remplacer par une irrépressible soif.
Une soif de tout. Ses yeux croquent le monde. Ses mains tremblent de tout réduire en cendre. Elle sent le nœud coulant sur sa gorge. Elle a l’impression qu’il sert plus fort. Qu’un des doigts qui lui permettaient d’avoir du mou a été retiré. Elle n’en est que plus agitée, désespérée de brûler la mèche par les deux bouts.

Elle ne répond rien aux questions de Nancy. Elle se contente de la lorgner en hésitant entre lui embrasser le crâne et lui faire sauter les dents à coup de crosse de fusil à pompe.
Finalement, elle écrase son mégot dans le châle de la jeune femme.

Lorsque les yeux bleus de Kilian fouillent la maigre assemblée en quête de soutien, son regard accroche celui d’Irina. Un sourire dévoile ses dents jaunies par le tabac et le café noir.

Elle les a remboursés, oui. Mais l’ardoise n’est pas encore totalement à zéro.