La lumière du jour est lentement remontée dans le salon jusqu'à éclairer ses pieds. Le sursaut de Madeleine en découvrant la maitresse des lieux assise avec un teint livide ne l'a même pas fait réagir. Sur le guéridon, du gruau et un verre d'eau qu'elle n'a pas touché, ne se sentant pas capable d'avaler quoi que ce soit, les lèvres sèches et déshydratées. Inquiète, Madeleine fait des aller retours entree le salon et la cuisine, gardant un œil sur elle. Elle sait à quoi elle pense, elle a vu sa mère mourir en lui donnant naissance et v oit sans doute l'ombre de la mort l'envelopper. Sa joue est rougie d'une marque, Jack a eu le premier geste de violence envers elle qui l'a replongée dans un état de détresse qu'elle a déjà connu par le passé. La différence c'est qu'elle n'était pas enceinte à ce moment là. Qu'aura t-elle a lui offrir si elle n'est pas capable de se défendre ? Qu'en sera t-il s'il perd patience avec le petit ?

Elle se sent coupable parce qu'elle va l'accueillir dans une ambiance qui n'est pas propice pour l'épanouissement d'un enfant. Elle même a souffert du déséquilibre que sa propre naissance a provoqué suite à la mort de sa mère. Même si son père a tout fait pour la protéger de cela, c'était là et elle s'était juré de protéger sa progéniture de toute mauvaise onde. Elle a peur qu'il le sente déjà et que ce soit pour ça qu'elle a l'impression d'être malade, que son ventre se fait de plus en plus lourd comme si le poids qu'il représentait était bien plus lesté, mais d'une manière très anormale. Parfois elle a l'impression que son corps va s'ouvrir en deux, qu'il rejette la grossesse et essaye de le faire sortir le plus rapidement possible. Jack l'a vue dans cet état végétatif et ne s'en est pas soucié, au contraire, il lui met la pression depuis quelques jours et n'hésite pas a faire le lien avec sa mère décédée en couche. « Ce serait dommage que tu crèves comme ta mère » avait il dit alors, des mots dont la violence est ressentie de la même façon que le cooup qu'il lui a donné, perturbant ses nuits. Elle a passé la dernière assise, ne pouvant fermer l'oeil, parce qu'il ne bouge plus. Sa main caresse son ventre, son pouls trop lent, presque inexistant. Tandis que les bottes de Jack résonnent quand il descend ; elle observe son époux passer par là et s'en aller sans même la saluer pour aller au saloon. Il laisse Abigail dans un piteux état et une détresse psychologique importante, se disant peut être que quand il rentrera elle sera dans un linceul et il mettra la main sur son héritage.

Elle demande a sa domestique alors d'aller lui chercher le docteur, Arthur, s'il est disponible mais lui demande quand même de lui préciser qu'elle pense effectivement que c'est urgent. Est ce que le bébé est mort ? Elle se retient de pleurer, alors quelle se retrouve seule dans la maison, les cernes marquant ses yeux. Quel douloureux échec ce serait pour elle de ne pas être capable de mettre un enfant au monde. La grossesse a été longue et très difficile, mais elle a tenu et ne veut pas que ses efforts ne soient pas reconnus. Elle tourne ses prières à Dieu, lui demande de protéger l'enfant et de la prendre elle a la place. Sa main caresse son ventre à travers le fin tissu de sa robe de chambre, elle prie pour un geste, un signe qu'il est toujours là. Sa tête lourde, elle se retient de s'endormir en ayant l'impression qu'elle ne pourra pas se réveiller si elle cède à l'appel du sommeil. Une idée délirante puisqu'elle n'est pas en mauvaise santé, juste épuisée, juste fatiguée et que l'enfant ressent sans doute la nécessité de se cacher, de se faire oublier.

Elle ne peut pas rester sans rien faire, et la dernière fois elle a répondu à cet appel de violence par la violence. Howard était venu tuer William mais cette fis elle ne pourra pas lui demander de faire le travail à sa place. Abigail se lève, difficilement, son regard se porte sur le fusil de son père exposé au dessus de la cheminée. Elle pourrait mettre fin à tout ça, d'un coup, d'une balle. Elle va alors chercher dans la commode du salon, se déplace lentement, une main dans le dos, une autre portant son ventre ayant grandi durant neuf mois. Elle trouve cette boite remplie de balles, en prend une dans le creux de sa main et l'observe. Ce qui est choquant, c'est que l'idée de le descendre l'effraie mais la tente bien plus qu'elle lui fait peur. La porte s'ouvre, elle referme soudainement ce tiroir, les balles roulent sur le bois à l'intérieur et elle se tourne. « Docteur, merci d'être venu. » Abigail se déplace lentement, penchée vers l'avant, la douleur dans le dos. « Il ne bouge plus...Depuis hier, je ne le sens plus... »