_____❝__GARDEN OF
____________e__d__e__n_„IT'S NOBODY'S BUSINESS BUT OURS.___
__1870 ; SOMEWHERE IN THE MOUNTAINS NEARBY IMOGEN. Menaçantes, les hautes herbes se dressaient tels des remparts au milieu du vallon cerclé de montagnes. Clairsemé de fleurs, il arrivait à cet Eden autoproclamé de fouetter au gré du vent le visage des deux âmes qu’il protégeait. Les rayons du soleil luisaient contre leur peau nue, légèrement recouverte d’une fine couche de sueur. Walton était allongé sur le dos, les bras calés derrière sa tête. Il avait les yeux fermés, aveuglés par l’astre de feu au zénith. Sa cigarette s’était consumée de moitié, la cendre menaçant de s’écraser contre son torse à tout moment. La légère brise de l’été faisait virevolter ses mèches blondes qui tombaient sur son front. Il avait l’air paisible. Allongé sur le côté, Lysander l’observait dans les moindres détails. Ses doigts se frayaient un chemin sur son ventre, sculptant avec leur bout la forme des abdominaux de Walt. Ses gestes étaient lents, dénués de tentation, simplement en pleine découverte. Délicats, ils remontaient jusqu’à son sternum pour caresser ensuite l’arête de sa mâchoire. Walton ouvrit un œil. Lysander lui sourit. Leur regard était rempli d’amour. Aucun mot ne fut échangé. À quoi bon perturber la sérénité du silence avec la futilité des mots ? Ils étaient dans les cieux, celui de leur amour fraichement né. La perfection de l’instant ne pouvait être brisée. Lysander s’était débarrassé de cette cigarette qui entravait les lèvres de son amant pour à nouveau l’embrasser, assoiffé par cette ivresse qu’elles avaient fait naître en lui. Le contact entre leurs deux corps était si magnétique qu’ils n’avaient pas résisté à l’envie de s’abandonner dans les bras de l’autre une nouvelle fois, pour la seconde fois de la journée. Les soupirs qui mourraient contre la bouche de Walton, contre sa peau chaque fois qu’elle fut couverte de baisers étaient des je t’aime hurlés à pleins poumons. Ces moments hors du temps avaient la saveur de l’éternité. Autant Lysander que Walton, ils ignoraient combien de minutes et d’heures s’étaient écoulés avant qu’ils ne réalisent à regret que le soleil disparaissait derrière les montagnes. Le petit lac en contrebas avait été le témoin de leur premier baiser avant que leurs chamailleries ne prennent une tournure sentimentale et qu’ils ne se perdent dans le corps de l’autre sur la colline.
Lysander n’avait pas nécessairement été déstabilisé par cet amour qui s’était infiltré en lui. Le poison s’était naturellement mêlé à ses cellules. Progressivement, Walton passait de l’ami à l’amoureux secret. Lysander faisait fuiter malgré lui des indices sur la nature de ses sentiments — systématiquement, ils n’aimaient pas les filles qui l’approchaient sous prétexte qu’elles n’étaient pas marrantes, qu’elles allaient les emmerder plus qu’autre chose ou bien encore qu’elles ne le méritaient tout simplement pas. Lysander avait peur que Walton lui échappe, le fuit. Alors, pendant bien longtemps, l’entièreté du monde était devenue son ennemi. Puis il y eut cette balade à cheval dans les montagnes qui changea le cours de l’histoire et du temps. Ce vallon. Ce lac dans lequel ils s’étaient jetés pour se rafraichir sous la chaleur écrasante de l’été. C’était Lysander qui avait nagé vers lui après qu’ils s’étaient amusés à s’arroser. C’était Lysander encore qui l’avait embrassé. Mais c’était à deux qu’ils s’étaient dévorés dans l’eau, dans l’herbe,
partout. Ce vallon, c’était leur échappatoire, leur paradis vers lequel ils voguèrent aussi souvent qu’ils le purent. En aucun lieu autre que celui-ci Lysander n’avait atteint cet état de plénitude et de totale sérénité.
« I love you. Always. Forever. » Il avait imprimé ses mots sur la peau de Walton à force de les lui souffler. Walton était sien. Lysander lui appartenait.
Deux âmes soeurs.1872.__
Éclairs déchirant le ciel. Pluie torrentielle. Une cabane abandonnée comme cadre pour ce huis clos mouvementé. Amour pur se transforme en haine lorsque Lysander fit la pire des révélations à Walton. Adieu leur amour ! Adieu leur secret ! Lysander va épouser Clarissa parce qu’il l’aime. Parce qu’elle peut lui offrir la famille dont il rêve.
A contrario de Walton. Mais l’horreur ne s’arrêta point ici : imaginez la colère de Walton quand il devina qu’en parallèle de leur histoire, Lysander en avait mené une autre avec Clarissa ? L’orage laissait éclater sa rage, assombrissant la voute céleste de ses épais nuages. La tempête se déchainait aussi dans la cabane : Walton s’étouffait dans sa haine tandis que Lysander hurlait un flot d’excuses et son amour pour tenter d’apaiser le cœur de son amant avant de s’emporter dans des reproches invraisemblables. La dispute tourna au vinaigre. Les éclairs saignèrent le ciel au rythme des poings qui s’écrasaient sur le visage de l’un et l’autre. La bagarre fut barbare. Le combat était le reflet de cet amour contraint au silence et à l’étouffement pour l’éternité.
À cause de Lysander. À cause de son égoïsme. Leur tristesse éclata. Lysander murmura des excuses tandis que Walton désirait plus d’explication qu’il n’aura point. Après s’être écharpés, leur violence se tut. Ils pleurèrent. Ils s’embrassèrent. Firent l’amour. Avec peine. Avec brutalité. Avec passion. Ils se quittèrent sans un mot, l’un avec le cœur plus brisé que l’autre.
Lysander avait vu la nuit avaler Walton dans ses ténèbres malgré l’éclat des éclairs. Plus jamais il ne le verra. Seul maigre lot de consolation, il passa le restant de ses jours à courir après leurs souvenirs en retournant dans leur Eden. Nombreuses furent les fois où Lysander avait observé le petit lac en contrebas du vallon, scrutant leur fantôme s’embrasser dans l’eau. Nombreuses furent les fois où il s’était couché dans l’herbe à l’endroit même où il avait pris l’habitude de contempler son amant endormi avec pour seule compagnie désormais la solitude du choix qu’il avait fait. Lysander l’aime encore. Lysander le pleure encore. Mais Lysander ne s’autorisait pas à espérer le revoir un jour après l’avoir sacrifié sur l’autel de la vie normale à laquelle il avait toujours aspiré.
I never meant to cause you any sorrow
____I never meant to cause you any pain. — .・✧ ((
c'h'r'o'n'o'l'o'g'y )) ·
1848 — Le grand-père de Lysander quitte son Kentucky natal pour tenter sa chance vers l’ouest. Au bout d’un an de tentatives infructueuses, il n’a nul autre choix que de travailler pour la scierie. ·
1852 — William, le père de Lysander alors âgé de 15 ans, travaille à la scierie pour subvenir au besoin de sa famille. Il rencontre Nancy, la mère de Lysander, la même année. La famille de la jeune femme est dans la même situation que la sienne. ·
1853-1854 — Le mariage entre William et Nancy est express. En effet, l'union doit être scellée au plus vite puisque la jeune femme est enceinte de trois mois. ·
4 avril 1854 — Naissance de Lysander et de sa jumelle, Violet. D’autres enfants suivront en 1857, 1860, 1864 et 1867. ·
1860 —
((6 ANS)) Rencontre avec Walton. ·
1867 —
((13 ANS)) Nancy meurt en couches. Lysander est traumatisé par ce décès. A ce jour, il n'a toujours pas fait son deuil. ·
1868 —
((14 ANS)) William se remarie. Lysander n’accepte pas la situation, refusant que quiconque remplace sa mère. Il aura cinq autres enfants avec sa nouvelle épouse que Lysander n’appréciera foncièrement jamais (1869, 1871, 1874, 1879, 1881.) ·
1869 —
((15 ANS)) Ne souhaitant pas travailler à la scierie comme son père et son grand-père avant lui, Lysander cherche autre chose et se dégote un petit job dans l’une des fermes du coin, dans le territoire des Heartlands. Il s’occupe de tondre les moutons et de veiller sur les agneaux. Il lui arrive aussi d’aider pour d’autres tâches subalternes à la ferme. Il y rencontre Clarissa qui est la fille du propriétaire et qui a le même âge que lui. ·
1870 —
((16 ANS)) Premier baiser avec Walton. Ils entament secrètement une relation. ·
1872 —
((18 ANS)) Mariage avec Clarissa. Lysander rompt avec Walton. Ils ne se reverront plus. Clarissa et lui s’installent dans une maisonnette adjacente à celle des parents de la mariée dans les Heartlands. ·
1873 —
((19 ANS)) Naissance de sa première fille, Iris. ·
1874 —
((21 ANS)) Ses tâches à la ferme sont toutes autres : désormais, Lysander est autorisé à s’occuper de la transhumance des moutons dans les plaines et les montagnes alentours. Une tache qui l’oblige à être loin de sa famille, mais dont il s’accommode. ·
1876 —
((22 ANS)) Naissance de sa deuxième fille, Rose. ·
1878 —
((24 ANS)) Sa sœur jumelle, Violet, disparait du jour au lendemain, en pleine nuit. Lysander ainsi que le reste de sa famille ignorent qu'elle a fui avec le voyon dont elle s'est éprise. Inutile de préciser qu'ils étaient contre cette relation. Encore aujourd'hui, Lysander n'a plus de nouvelles d'elle. ·
1881 —
((27 ANS)) Naissance de sa troisième fille, Dahlia. ·
1884 —
((30 ANS)) Naissance de sa quatrième fille, Constance. ·
1889 —
((35 ANS)) Clarissa est enceinte de 5 mois. Lysander revoit Walton pour la première fois depuis dix-sept ans.
You are in my very soul,
t'o'r'm'e'n't'i'n'g me...
— .・✧ ((
m'i's'c'e'l'l'a'n'e'o'u's )) ·
ONE — Lysander a toujours rêvé d’être père. Si pour la plupart des hommes de son temps c’était une corvée, une obligation, un truc à fuir ou une chose dont ils se foutaient totalement, ce n’était pas son cas. Il a toujours voulu avoir sa famille à lui, bâtir quelque chose qui a du sens et transmettre. Chose extrêmement rare pour l’époque, c’était un père impliqué dans l’éducation de ses filles. Il adorait les voir grandir, devenir des petites personnes incroyables… Il n’avait pas été déçu de ne pas avoir eu un garçon en premier. Au contraire, dès qu’Iris est née et qu’il l’a tenu dans ses bras… Jamais il n’aurait cru pouvoir aimer autant une personne sur cette planète. Un amour qu’il retrouva à chaque naissance, aussi puissant qu’à la précédente. Aussi, la grossesse est vraiment un phénomène qui l’intrigue au plus haut point. Il affectionne tout particulièrement de toucher le ventre de sa femme et d’y sentir le bébé bouger. De la vraie magie pour lui.
TWO — Il aime chacune de ses filles de la même manière, avec leurs qualités et leurs défauts, ainsi que leur personnalité bien différente. Mais, il le confesse : il est gaga de Dahlia, huit ans, et de son sale caractère. La petite n’a pas sa langue dans sa poche, n’hésite pas à tirer la langue à quiconque ose lui dire que ce n’est pas digne d’une demoiselle de se comporter de la sorte et ne laisse pas les garçons l’enquiquiner. Plus d’une fois, Lysander avait été appelé pour la sortir d’une bagarre parce qu’un autre enfant lui avait fait une réflexion qui ne lui avait pas plu. Si Clarissa déplorait un tel comportement de la part de sa fille, ce n’était pas le cas de son époux qui était plutôt amusé. Lysander adore l’emmener en balade avec lui dans les plaines sur le dos de son cheval. Tous les deux partagent d’ailleurs un secret, celui de ne point dire à sa mère que son père l’initie au tir sinon elle le tue sur le champ. Pas de sa faute si la fillette adore tirer sur des canettes ! Enfin, quand elle arrive à les viser sans l’aide de son père quoi. C’est à dire jamais. Il n’est pas rare que, lors de ces moments privilégiés avec elle, Lysander lui adresse ces quelques mots :
« Ma chérie, change jamais. Laisse jamais personne te dire quoi faire de ta vie ou te faire sentir honteuse pour ce que tu es. T’es une petite fille incroyable, l’oublie pas. » Lysander était très loin d’être féministe ou ce qui s’en approche, mais disons qu’il souhaitait que ses filles, surtout Dahlia avec son caractère bien trempé, soient libre de faire leurs propres choix et de les exprimer sans tabou.
THREE — Restant sur le chapitre concernant ses filles, des envies de mariage titillent la première, Iris. Depuis un an, alors qu’elle n’a que seize ans, son soupirant rend quotidiennement visite à Lysander pour lui demander sa main, dans l’espoir qu’il accepte enfin. Toujours pas. Déjà parce que sa tête ne lui revient pas, parce qu’il n’aime pas bien le fait qu’il traine autour de sa fille et parce que juste n o n. Oui, il ne l’avouera pas, mais il n’est pas prêt à voir son premier bébé à quitter le nid. Pourtant, Clarissa essaie de le convaincre. Iris aussi. Mais rien à faire c’est toujours « non » qui sort de sa bouche. Peut-être qu’il dira oui l’année prochaine… Ou bien l’année suivante… Ou jamais.
FOUR — De mémoire d’Imogen, Lysander n’a dû se battre réellement qu’une fois en public. Il était au saloon en train de boire une bière quand un type et sa clique de branques vinrent lui chatouiller les oreilles au sujet de sa femme incapable de lui donner un fils au détour de deux, trois trucs obscènes. Sauf qu’on parle pas de sa femme. Surtout pas en ces termes. Alors forcément, le type a valdingué et Lysander lui a fait bouffer la terre à l’extérieur du saloon.
FIVE — Il sait très bien jouer de l’harmonica. C’est son père qui lui a appris quand ils s’entendaient encore bien. Comme les trois premières n’en ont strictement rien à faire, Lysander tente d’initier sa petite dernière à l’art subtil de cet instrument, mais c’est mal barré. Il joue aussi un peu de la guitare, mais franchement sans plus.
SIX — Aussi incroyable que cela puisse paraître, il adore lire. Absolument tout et n’importe quoi. Lorsque ses finances le lui permettent, il se retrouve toujours avec un livre à la main. Encore plus lorsqu’il doit rester dans les montagnes pendant de très longues semaines pour les moutons. Il a une passion pour les vers libres de Walt Whitman et a adoré se faire peur avec les histoires horrifiques d’Edgar Allan Poe. En revanche, il n’est pas fan de Melville ou de Mark Twain. Henry James est, selon ses dires, un auteur à suivre de près. Bref, il peut tenir le crachoir pendant un long moment quand il s’agit de littérature.
SEVEN — Lysander adore aussi sculpter des petits objets en bois avec son canif, en général des jouets pour ses filles. Ça aide à combler les longues heures d’ennuis durant les périodes de transhumances.
EIGHT — Lysander est un homme très routinier. A la moindre perturbation dans sa machine quotidienne bien huilée… C’est la catastrophe totale.
NINE — C’est un couche tôt. Avec les journées qu’il se traine, pas question de filer au lit après les douze coups de minuit.
TEN — On ne dirait pas comme ça, mais c’est un solitaire. Il aime sa famille plus que tout au monde, mais il ne crache pas sur des moments sans elle, loin de tout. Pour ça que son métier de berger lui convient très bien. Le manque se crée et Lysander est toujours heureux de les retrouver. Il est aussi assez taciturne. Il aime bien parler, mais si ce n’est pas son interlocuteurice qui initie la conversation… Bein on est pas dans la merde.