La silhouette imposante de Thomas Rosenbach se détachait du mur sur lequel il était appuyé depuis une bonne heure. Il se serait presque endormi sur place, profitant de la douce chaleur du soleil de fin d’après-midi, mais la boutique face à lui commençait enfin à perdre de son affluence.

Le jeune homme se redressa, épousseta sa veste et traversa la rue en direction de Fanfreluche. Son attente lui avait permis d’étudier la devanture comme la clientèle du commerce de Meredith. Il ne pouvait qu’être impressionné par ce que son ami avait accompli en l’espace de quelques mois. Non pas qu’il y ait eu énormément de concurrence à son arrivée ou que Thomas doutait des talents du tailleur, mais il fallait bien s’avouer que la clientèle de Silverstone était très éloignée de celle qu’il pouvait côtoyer à New York.  

Tenant la porte à une mère et sa fille, l’aîné des Rosenbach entra dans l’antre de Meredith Claret pour la première fois depuis son retour. Ne repérant pas son ami, Thomas prit le temps de parcourir la boutique et d'admirer les tenues exposées. Il n’avait pas un goût prononcé pour la mode en tant que telle, pourtant depuis sa rencontre avec le tailleur il n’avait cessé d’être fasciné par les visions de ce dernier. Comment pouvait-il tirer de simples morceaux de tissus des ensembles qui détermineront en grande partie la manière dont ses clients seront perçus dans le monde ? Car si Thomas n’était pas doué de ces mains, il y a bien un domaine dans lequel il avait un talent indéniable : le paraître en société. Son rôle d’héritier l’avait guidé naturellement dans cette direction et il y avait pris goût au fil des années à observer ses parents évoluer chacun dans leurs cercles respectifs.

Mais ce n’était pas pour refaire sa garde robe qu’il patientait dans l’entrée de Fanfreluches. Ses pas l’avaient mené jusqu’ici en quête d’un confident et d’un ami. Il était bien conscient que Meredith avait de nombreuses questions à lui poser depuis que Thomas avait arrêté de répondre à ses lettres et était réapparu sans prévenir à Silverstone. Lui expliquer les événements de ces derniers mois n’allait certainement pas être une partie de plaisir, mais il espérait qu’après ce moment douloureux les deux compères pourraient se remémorer leurs souvenirs d’un temps plus simple à New York. Il avait également hâte de connaître les aventures de Meredith depuis leur séparation et ce qui l’avait conduit à s’installer de manière plus pérenne à Silverstone malgré son âme vagabonde. Est-ce que cela avait quelque chose à voir avec l’assistante dont il lui avait parlé à la foire ? Cela lui paraissait improbable, mais après tout Meredith avait toujours été une énigme pour lui. Leurs expériences de vie étaient on ne peut plus éloignées l’une de l’autre et pourtant un lien indéniable s’était créé entre les deux hommes. Du côté de Thomas, cet attachement avait certainement été encouragé par le fait que le tailleur avait sensiblement le même âge que Freddy.

Perdu dans ses pensées, le jeune homme glissa sur la traîne d’une robe exposée à son côté. N’osant pas risquer d’abîmer les tenues à portée, Thomas essaya d’amortir sa chute en plaçant les mains derrière lui. Le bruit de son postérieur rencontrant le sol brutalement résonna dans toute la boutique, suivi de près par un juron de frustration. Il se releva tant bien que mal en entendant des pas se rapprocher rapidement de lui, le visage rouge de honte.