Je suis à la fenêtre de ma chambre d’hôtel à faire des ronds de fumée et en tirant sur ce qui reste de ma cigarette.
La nuit est tombée sur une journée particulièrement merdique. Et je n'avais pas anticipé un duel pour débuter celle du lendemain...
La lettre envoyée par Davis et laissée à l'accueil m'a annoncé le jour et l'heure pour demain matin. Je suis étonné par le choix d'une date si rapprochée. Mais pourquoi pas et j'aime vivre sous pression... Mon statut d'ancien militaire me permet de me battre dans la salle d'armes du régiment le plus proche.

J'ai quitté la demeure des Davis, je me suis rendu dans la garnison la plus proche... ça n'a pas été sans mal.
Située en dehors de la ville, n'ayant pas de cheval sous la main, il a fallu que je parte en quête d'une calèche pour trouver cette foutue caserne. Une fois arrivé, j'ai été surpris de retrouver si facilement mes marques dans le monde militaire. J'y ai trouvé la solidarité irlandaise parmi certains soldats.  ... je n'ai eu aucun mal pour trouver les témoins pour me seconder et un sabre de cavalerie qui m'attendra demain...

De nouveau revenu dans la chambre, j'ai pris mon nécessaire pour me raser dans mon bardas et j'ai lentement commencé l'opération pour revoir mon visage. Le rasage est un rituel comme le montage et le démontage de mes armes. C'est l'une de mes manières de me concentrer, me calmer et peut être prendre le temps de me découvrir un peu.... car la nuit sera longue.

Joseph Davis... quel nom banal. Il doit avoir dix ans de moins que moi, une bonne condition physique qu'il doit cultiver dans les salles de sports. Il parait que c'est une mode venue d'Europe pour les riches de la Cote Est qui veulent prendre soin de leurs formes physiques.

Je suis certain qu'il sait tenir une épée ou un sabre dans une salle d'entrainement.

J'ai toujours pris soin de ne jamais  mépriser mes adversaires. C'est la meilleur méthode pour s'en prendre plein la gueule... Je me demande ce qu'il veut. La règle voudra sans doute qu'on s’arrête au premier sang. C'est la loi des gens civilisés qui vivent à l'Est.

Ma moustache a disparu avec ma barbe de quelques jours. Je remarque du gris sur mes tempes... le temps passe...  Bah... J'ai encore toutes mes dents et c'est l'essentiel.

Je me crispe légèrement. J'aime la simplicité.
Je ne suis sans doute pas le père, le frère, le fils, le mari qu'on espère avoir mais ...  toucher à mon sang, c'est me déclarer la guerre...

Un léger choc à la porte me sort de mes pensées violentes.

Entrez!

J'ai pris mon colt par réflexe... et puis je le repose en douceur...

   

Dès l’instant où, quelques heures plus tôt, le marshal fédéral avait quitté la demeure des Davis, monsieur Davis s’était retiré dans son bureau, ne le quittant que pour retourner à la banque dans l’après-midi, les domestiques avaient repris leurs tâches et madame Davis, laissée seule à elle-même, avait marché jusqu’à l’église où elle se trouvait toujours bien que la nuit soit déjà tombée.

Elle avait prié. Elle avait posé toutes les questions qui la tourmentaient à l’Être supérieur. Elle s’était confessée. Pas une fois elle n’avait pleuré.

Sally Davis croyait maintenant connaître la vérité : son fils n’était pas mort le jour de sa naissance. Il avait été abandonné. C’est ce qu’avait dit Bartel. Elle avait été privée du bonheur de tenir dans ses bras son petit Samuel et d’en être sa mère par la faute de l’homme qui lui avait promis de l’aimer et d’en prendre soin. Cet homme qu’elle avait aimé et qui lui avait donné trois autres beaux enfants. Joseph Davis.

En sortant de la maison de Dieu, aucune calèche n’attendait madame Davis pour la ramener saine et sauve à la maison. La nuit, les rues de Boston, comme celles de n’importe quelle grande ville, n’avaient rien de rassurant pour une femme seule et jamais, jusqu’à maintenant, monsieur Davis n’avait laissé son épouse revenir seule et à la marche de l’église. D’autres préoccupations occupaient certainement l’esprit de Joseph. Et Sally s’en voulut aussitôt de l’excuser une fois de plus.

Les pas de madame Davis ne la conduisirent pas vers l’imposante demeure où se trouvaient les membres de sa famille. Quant à vivre dangereusement, autant y aller jusqu’au bout! Cette pensée fit rigoler la mère de famille qui prenait un certain plaisir à explorer la ville sous un angle nouveau. Toute sa vie d’épouse avait été un mensonge et bien que la vérité lui soit douloureuse, Sally avait l’impression de redécouvrir sa propre vie. Probablement un effet des grandes quantités d’encens respiré et de ses longues méditations religieuses de la journée.

La brune marchait d’un pas léger en regardant ici et là les fenêtres illuminées derrière lesquels les habitants de Boston vaquaient à leurs occupations nocturnes habituelles lorsque son regard fut attiré par une silhouette expirant de la fumée de cigarette à sa fenêtre de chambre d’hôtel. Un sourire étira ses lèvres et sans réfléchir, car la logique lui aurait certainement fait prendre une direction différente, Sally entra dans le grand hôtel pour se retrouver quelques instants plus tard devant la porte close de la chambre de Bartel Murphy.

Elle n’hésita pas un seul instant à ouvrir la porte lorsqu’elle entendit l’invitation à entrer de son occupant : « Bonsoir…, dit-elle en regardant Bartel reposer son colt. J’ignore pour quelle raison je suis ici…, avoua Sally en expirant un petit rire nerveux. C’est vrai que plusieurs de mes questions demeurent sans réponses… Madame Davis avait fait quelques pas dans la direction du marshal sans attendre son autorisation en retirant gants de satin et chapeau qu’elle avait déposés sur le premier meuble qu’elle avait croisé. Mais je n’ai aucune envie de discuter… Bartel, pardonne-moi pour ce que je vais faire… » Avec audace, Sally retira la cigarette d’entre les lèvres du marshal et d’un mouvement résolu, attira de son bras libre le visage de Bartel au sien pour l’embrasser. Bien que n’ayant laissé aucune chance à l’homme de l’ouest pour éviter cela, Sally n’eut pas l’impression de le forcer à faire quelque chose dont il n’avait aucune envie. L’image des flammes éternelles de l’enfer brûlant ses chairs traversa un moment l’esprit de la femme de Joseph Davis, mais jamais elles ne lui avaient semblé si délectables qu’à cet instant figé dans le temps.

   

Après cette journée, la présence de Sally dans ma chambre me surprenait à peine.


Sally:Mais je n’ai aucune envie de discuter… Bartel, pardonne-moi pour ce que je vais faire…

J'ai une impression de "deja vu"... La femme qui m'embrasse est restée la jeune fille effrontée de mon souvenir.
J'ai encore la pensée confuse que j'ai bien bien fait de me raser quand tout s'écroule ...  La porte s'ouvre brutalement sur un homme  armé. J'ai le réflexe d'attraper Sally et de la jeter derrière moi.

Monsieur Davis...

Il est entré sans tirer. Même furieux, il reste un homme du monde

Mr Davis: Eloignez-vous de ma femme!

Pourquoi pas... Cela me rapproche de mon colt restée sur le table

Baissez votre arme... il vous reste une chance pour demain avec un sabre...

Mais pas ici...

La porte est restée ouverte. Des inconnus regardent ... Ils peuvent me voir être menacé...

Mr Davis: Je savais que se serait plus fort qu'elle...

Il est totalement hors de lui
Mr Davis:
Si je l'ai libérée de son bâtard, c'est pour elle. Pour qu'elle tourne la page de cette histoire lamentable. Elle aurait été incapable de le faire sans mon aide. Et il a fallu que vous apparaissiez...

Je sais exactement quand un homme va tirer... c'est un tressaillement de la pupille irrépressible qu'aucune volonté ne peut réprimer.

Ça me prend le temps d'un battement de cil... Pas facile pour lui de tuer pour la première fois. Et la haine ne suffit pas... elle fait souvent trembler le bras. L’explosion des deux tirs presque simultanés sonnent comme un seul coup de tonnerre.

Ceux qui vont mourir ont toujours ce même regard stupéfait. Il se tient la gorge. Ma balle l'a perforée pour ressortir et se ficher dans le mur du couloir à hauteur d'homme.
Quelques témoins ont failli y passer...
Je réalise que du sang coule sur mon épaule. Sa balle a frôlé mon oreille.

Pas si mauvais tireur...

Cela sonne comme une épitaphe...  Je lève les yeux vers la porte. Un employé travaillant à l'étage m'observe, visiblement sidéré.

Je suis marshall. Cet homme voulait  me tuer... Les témoins ne manquent pas. Allez chercher votre patron...

Je réprime le mouvement d'envoyer un coup de pied dans la cadavre pour vérifier si il reste de la vie... J'hésite à regarder Sally.

Je n'ai pas eu le choix.  

Quand on braque son arme sur un type, c'est pour tuer... il faut s'attendre à mourir. Et je préfère que ce soit lui...

   

Les flammes de l’enfer n’avaient jamais semblé si réelles que depuis qu’elles léchaient le bas-ventre de la trentenaire qui retrouvait la fougue de sa jeunesse. Le baiser qu’échangeaient les anciens amants n’avait rien de celui timide d’une première relation et pendant un instant, le seul souci de madame Davis fut de ne pas échapper le mégot de cigarette toujours fumant sur le plancher de bois de la chambre d’hôtel de Bartel. Les flammes devaient rester qu’une image du désir qui l’animait et non pas devenir un véritable incendie à gérer.

La porte de la chambre s’ouvrit brusquement derrière Sally et l’air ambiant devint lourd; un homme venait d’entrer. La brune n’eut à peine le temps de se tourner vers lui que Bartel la poussait derrière lui.

Joseph Davis, le visage déformé par la colère et la haine, se tenait là, une arme au poing et menaçait de tirer en direction du marshal fédéral. Avait-il suivi son épouse depuis l’église? Savait-il qu’elle irait à la rencontre de Bartel alors qu’elle-même ne le savait pas en marchant dans les rues de Boston? Quoiqu’il en fût, le moment n’était pas aux questionnements incessants; Bartel venait d’attraper son colt et le pointait dans la direction du banquier.

Les mots que prononça monsieur Davis étaient si cruels; qui était cet homme? Qu’était-il devenu de l’homme bon que Sally avait épousé et aimé pendant toutes ces années? Avait-il seulement été cet idéal à un moment ou un autre de leur vie commune?

Tout à coup, ce fut la détonation; les deux hommes avaient tiré. La fenêtre derrière Sally éclata et du sang gicla dans sa direction. Les muscles de son corps s’étant figés, la femme ne réalisa que trop tard que l’un des hommes avait été mortellement touché par la balle de fusil. Sa tête se mit à bourdonner et alors qu’elle aurait dû courir vers son époux et le supplier de rester en vie, Sally resta loin de Joseph Davis. Aucune larme n’inonda son regard alors que son époux se vidait de son sang et que son corps était secoué des derniers soubresauts avant la mort.

Bartel s’était approché du corps de son adversaire et sans regarder dans la direction de la brune, il justifia son tir. Des témoins observaient la scène. Certains murmuraient des commentaires, d’autres semblaient scandalisés et à un moment, Sally entendit son nom prononcé. Les Davis étaient connus dans la ville; la rumeur de la mort du banquier dans la chambre de l’amant de sa femme serait rapidement partagée.

Comme si le scandale devait être évité et que rien d’autre ne devait être considéré à cet instant, Sally fit quelques pas tremblants vers la porte de la chambre, enjamba le corps de son mari vers lequel elle ne lança qu’un demi-regard et posa une main sur la porte de la chambre qu’elle referma lentement en fixant les curieux dans le corridor. Ce qu’elle faisait était insensé et plusieurs personnes protestèrent, mais d’autres supposèrent que ce n’était qu’une marque de respect pour monsieur Davis d’épargner la vue de son corps au plus grand nombre.

Sally pivota sur elle-même et posa son dos contre la porte de la chambre en regardant Bartel : « Tu es blessé… ». Du sang s’écoulait de son oreille. Et comme si cette constatation lui faisait réaliser la scène à laquelle elle venait d’assister, la femme se laissa choir sur le sol et pour la première fois, Sally laissa échapper un sanglot. « Salaud…Espèce de pourriture! ». Madame Davis se traina jusqu’au corps de Joseph. « Je te hais. Tu as détruit ma vie! ». Soudain, Sally se mit à frapper le corps encore chaud de son époux avec rage en continuant de proférer ses propos injurieux qui n’avaient jamais été pour Bartel. Puis, elle cessa de la frapper et laissa tomber sa tête sur la poitrine de l’homme qui ne se soulèverait plus jamais pour respirer. Elle demeura ainsi un moment et se redressa légèrement pour baiser le front de Joseph. Sally sécha ses larmes du revers de la main et leva les yeux vers Bartel : « Mes enfants… Ils ne doivent pas savoir… Je veux que leur père demeure l’homme vertueux qu’ils croient qu’il est…était… ».

   

Je reste un instant interdit par l'émotivité de Sally.

Sally: « Mes enfants… Ils ne doivent pas savoir… Je veux que leur père demeure l’homme vertueux qu’ils croient qu’il est…était… ».

J'avoue qu'à cet instant, la détresse de ses enfants n'est pas mon premier soucis. Je l'attrape fortement par le bras pour la redresser et la rapprocher de moi. Je dépose mon arme de l'autre main.

On a pas beaucoup temps.... Quelques minutes avant que le directeur de l’hôtel arrive avec la police.
Alors écoute moi...
Tu es venue ici pour me persuader de faire des excuses à ton mari et annuler le duel. A aucun moment, tu n'aurais imaginé que ton mari interprète ton attitude de travers et soit assez jaloux pour te suivre et venir armé

Une partie est au moins vrai.

Ils vont se concentrer sur moi. Ton mari est arrivé armé aux yeux de tous et m'a forcé à dégainer. Ce sont les faits. Il y a assez de témoins pour le confirmer

Je perçois des mouvements dans le couloir. Je repousse Sally à temps. Il y a presque deux mètres qui nous sépare  quand la porte s’ouvre de nouveau sur un chef de la police  et quatre de ses hommes. Le directeur est resté prudemment dans le couloir.
Aucun d'entre eux n'ont d'armes apparentes. La police des grandes villes me laissent septiques... Ils sont tous habillés comme des employés de banque.

La tête du chef est luisante comme une boule de billard. J'essaie de ne pas sourire

Chef de la police: Le directeur m'a informé que vous étiez marshall... Marshall Bartel Murphy?

Il jette un regard méfiant au cadavre

Chef de la police: Je doute qu'il s'agisse d'un criminel en fuite...

Perspicace...

Je devais me battre en duel aux sabres avec ce monsieur demain. C'était officiel. Vous pouvez vous renseigner auprès des témoins qui nous étaient assignés. Je vous donnerais leurs noms.

Il hausse les épaules.

Chef de la police: Tel que je vois les choses... c'est un homme qui a perdu la tête et qui est venu provoqué un autre homme. .... en choisissant une arme qui ne lui laissait aucune chance face à vous...

Il se rapproche de moi.

Chef de la police: Mes subordonnés vont escorter cette dame chez elle.

Je vois une Sally un peu absente être conduite vers l’extérieur.

Chef de la police: Quant à vous... Sachez que cela me déplait fortement de ne pouvoir rien retenir contre vous...
Sachez aussi que je désapprouve totalement vos méthodes ... pour vous débarrassez de vos rivaux.

Il articule chaque syllabe du dernier mot

Je lui renvoie mon sourire le plus blasé

On voit bien que vous ne connaissez pas SilverStone


   

D’un seul mouvement, Bartel releva Sally et l’approcha de lui pour l’avertir de la suite des évènements. En docile créature, madame Davis acquiesça sur chaque syllabe que prononça le marshal et se laissa repousser lorsque la porte de la chambre s’ouvrit à nouveau sur un chef de police et ses hommes.

Elle baissa les yeux sur le cadavre de son mari.

« - Je doute qu'il s'agisse d'un criminel en fuite...
- C’est mon époux, Joseph Davis…, dit d’une voix lente la brune.
- Je devais me battre en duel aux sabres avec ce monsieur demain. C'était officiel. Vous pouvez vous renseigner auprès des témoins qui nous étaient assignés. Je vous donnerais leurs noms.
- Je pensais pouvoir éviter cela…, dit à nouveau Sally d’une voix absente, mais qui profitait à son alibi.
- Tel que je vois les choses... c'est un homme qui a perdu la tête et qui est venu provoquer un autre homme. .... en choisissant une arme qui ne lui laissait aucune chance face à vous... Mes subordonnés vont escorter cette dame chez elle. »

Sans détacher son regard du corps de Joseph Davis, Sally se laissa entrainer vers l’extérieur de la chambre. Le chemin vers sa demeure lui parut flou et lorsque les policiers la laissèrent seule devant l’imposante porte des Davis, elle hésita à y entrer. Ses seules pensées étaient pour ses enfants à qui elle devrait annoncer la mort de leur père. Cette tâche lui semblait impossible à réaliser.

Si pendant un instant Sally crut pouvoir repousser l’annonce au lendemain matin puisque les enfants Davis devaient dormir, les hurlements que poussèrent les domestiques en découvrant leur maitresse couverte de sang et comprenant la raison de l’absence de leur maître réveillèrent Lawrence, Lizzie et Hazel qui accoururent vers leur mère, la cadette tenant la main de son ainée.

Cette terrible nuit bouleversa à jamais le destin des Davis…