Me retrouver  si régulièrement  à Silverstone perturbe un peu ma vie bien réglée. La vie d'un fugitif est à peu prés tout, sauf l'anarchie. Et depuis le braquage de la banque, on recherche ma compagnie. J'ai réussi à éviter des journalistes de la Cote Est avides de sensationnalisme et d'histoires à raconter et déformées...

J'ai réussi à plonger dans l’anonymat et la médiocrité du quotidien. Et ce n'est pas vraiment désagréable. Je n'aimerais que ma gueule soit reconnue par l'une des rares victimes de mes braquages ou attaques de trains et qui serait assez physionomiste pour identifier l'un des derniers membres du gang des frères James encore en fuite...

Je passe la porte du saloon. Je ne suis pas vraiment vierge de ce genre d'endroits. Alors je tente de garder le regard surpris d'un quincailler  qui se perd un peu par ici. Je serpente entre les tables de poker en direction du comptoir. Je finis par m'accouder entre deux gaillards puants le cuir mal tanné.

Le barman derrière son comptoir, se dirige vers moi. Le comptoir est parfois une protection contre les balles perdues...

Barman:Quelque chose pour faire plaisir?

J'ai faim, mais j'éviterais la viande par ici.

Une bouteille de scotch

Et pendant qu'il entame la bouteille en me versant un verre

De la nouveauté par ici?

Le gars fait une grimace d'agacement

Barman: A part le poker qui est une valeur sure... la patronne tente la nouveauté. Regardez sur la gauche.

Je me tourne légèrement. Je distingue  entre les fumerolles sortant des cendriers, une table de jeu longue et large. Il y a en son centre une roulette à cinquante chiffres. Je reconnais deux silhouettes féminines actionnant le mécanisme. Je cherche des yeux la montagne humaine qui leur sert escorte. Mais la bête n'est pas en vue.
Quelques semaines plutôt à Imogen, j'ai perdu suffisamment d'argent pour me poser des questions. Il ne s'agit pas d’être mauvais perdant mais de se poser des questions sur des fréquences de défaites et de victoires qui défient les probabilités.

Je reporte mon attention vers le barman.

Si ta patronne est disponible, j'aimerais lui parler

Je dois rester prudent dans mes paroles. C'est mon instinct, l'observation et la perte de mon argent qui m'ont avertit d'une tricherie possible. Mais l'accusation est trop grave et il faudra une preuve matérielle à montrer au sherif autre que les cadavres de deux tricheuses et de leur brute.

- Bonjour Monsieur. Que désirez-vous ?

Les mots sont courtois, mais pas le ton employé pour me les cracher à la figure. Je vois d'abord la taille de l'employé qui cache momentanément celle plus modeste du capitaine de ce vaisseau pouilleux.
La première chose que j'ai appris en passant du coté  des commerçants est la politesse la plus basique. C'est une manière  délicate d’empêcher la passage à tabac de certains clients... et de s'entendre dire qu'on est un homme charmant pas les dames. Et mine de rien, c'est une expérience pas désagréable d’être apprécié...

Même pour des raisons absurdes...

La demoiselle brune est jolie mais pas vraiment aimable. Elle ne s'en donne même pas la peine d'ailleurs...
Elle me regarde sans presque  ciller. J'ai connu des regards d'assassins plus tendres.

Je marque un temps d’arrêt. Je méprise pardessus tout les balances, les cafards et tout ce qui ressemble de près ou de loin à un mouchard... Je suis déchiré entre mon personnage honnête, vendeur de casseroles et sauveur de clients de banque en détresse lors d'un braquage ou l'autre moi, moins cordial, pas vraiment intègre, un peu plus dangereux et bien  plus réel...

Mon statut de héros, sauveur de braves gens aurait fait  mourir de rire mon pote Jesse James. Mais quelques kilos de terre et un cercueil l'en empêche...

Je jette un rapide regard à la table de jeu. Les deux femmes qui tiennent la table ont l'air de bien s'amuser de la naïveté d'un public de joueurs exclusivement masculin.

... décidément...

Je peux pas faire ça. j'ai vu des tricheurs être couvert de goudron brulant.
Je ne suis pas un grand sensible, mais je sens encore l'odeur de la peau humaine brulée se confondant avec  . Et rien à faire... j'ai du mal. Je vieillis surement.

J’entends une respiration précipitée qui doit traduire un certain agacement. La demoiselle brune doit avoir la patience d'un crotale...

Je regarde de nouveau les deux jeunes femmes. Tricher est un métier à très hauts risques. Elles doivent le savoir. Et si elles l'ignorent, il se peut qu'elles l’apprennent.

Je n'y connais rien aux jeux de hasard, sans parler des jeux de cartes... Qu'est-ce qu'il y a de plus facile?
Je n'aimerais pas me retrouver dépouillé par plus malins que moi.

Quelle curieuse femme. Petite et délicate... mais rien de fragile ne transparait de cette silhouette. Elle me jauge de son regard de renarde. On a tenté tant de fois d'évaluer mon potentiel, que je sais reconnaitre cet instant ou l'on juge l'adversaire.

Alors...? Amie ou ennemie?

"-Je m'y connais pas plus que vous. Pour tricher, faut être aussi malin qu'un mathématicien. Pour prendre un tricheur, faut être aussi observateur qu'un trappeur.

En tout cas... mauvaise menteuse sur ce coup là. Personne n'arrive aussi loin avec son statut et son vécu que je devine pénible, sans savoir tricher, même face au diable...

"-Un bon whisky pour la maison. Continuons la conversation dans le petit salon.

Je réprime un sourire. Voici une entrée en matière qui me plait fortement. Elle m'invite aussi à la suivre vers ses quartiers. Et je tache de ne pas la perdre. Car l'arrière boutique de son saloon est au moins aussi surprenante que mes propres quartiers derrière mon comptoir.

Et nous voila dans son antre. C'est assez surprenant... et presque monacal. Je m'approche du seul meuble de la pièce. J'y vois une bestiole empaillée.
Qu'est-ce que c'est? Ça ressemble à un rat avec une fourrure volé à une prostituée.. Bizarre...

La voix de la jeune femme me tire de ma contemplation

- Maintenant qu'on est au calme. Parlons affaire. Et racontez-moi. On va voir si vous avez des compétences de trappeur.

Le mot me fait me redresser. Et je me souviens de sa première phrase

Je ne suis pas un trappeur. Je chasse à l'affut. Et je suis un modèle de patience...

J'aimerais bien fumer. C'est une de mes méthodes de concentration.

Quant aux maths...? Je pense que ça aide. Mais c'est pas le plus important pour un très bon tricheur. Parce que la triche, c'est comme le mensonge... il y a toujours deux conditions à remplir avant tout.
Être prêt à mettre sa vie en jeu et trouver la bonne planque...

Je fais une petite grimace

Je dirais que si l'on tricha dans ce pays, c'est qu'on est prés à mourir..

Je reste songeur devant la flamme vacillante de la lampe à huile. Je pose ma main à plat à la base de la lampe.

Quelle est l'endroit le plus obscur de cette pièce? A la base de cette lampe...
Trouvez cet endroit dans votre saloon et vous trouverez vos tricheurs