Les Kings sont maudits.

Comme si leur prétentieux patronyme ne leur apportait que des ennuis. Lorsqu’ils vivaient encore en Ecosse, la grand-mère de Clyde aimait prendre ses petits-enfants appart pour leur raconter des histoires autour du feu. Alors que les adultes finissaient de manger en discutant bruyamment, elle ressemblait les petits autours d’elle, leurs petits yeux brillants d’excitation à la simple idée d’avoir droit à une histoire. Seanmhair* resserrait alors son sontag autour de ses épaules avant de se lancer dans son récit, commençant toujours par « …Latha bha seo », signifiant : « …A day that was here** ».

L’histoire préférée du jeune Clyde était celle de leurs noms, qu’ils semblaient tenir d’un de leur ancêtre, au temps des celtes, qui aurait été Roi. Un certain Carrick, à la barbe noire comme la nuit, et aux yeux clairs comme les glaciers. Apprécié pour sa justesse et son sens du devoir, Carrick aurait même vaillamment chevauché Each Uisge, un monstrueux kelpie, et ce sans sombrer dans les eaux au Loch Earn !

Les clans n’ayant pas de noms de familles à l’époque, on aurait affublé sa descendance de son titre en guise de patronyme, jusqu’à ce que ce dernier perde toute valeur de noblesse avec l’invasion des Anglais.

Lorsqu’ils ont quitté l’écosse, les Kings n’étaient que des sept du clan McGregor, sous leur protection - n’ayant même pas leur propre tartan. Gamin, Clyde aimait s’imaginer revenir en écosse, libérer leur peuple du joug des manteaux rouges et devenir souverain comme Carrick.

Aujourd’hui, il est convaincu que la prétention de leur nom leur à attirer la défaveur du destin.

Leur arbre généalogique entier se plie à la règle. Le père, menteur déserteur qui n’a pas participé à la guerre de son pays d’adoption, et qui a pris la fuite dès qu’il en a eu l’occasion. La mère, pauvre femme qui a traversé les océans pour un époux qui ne lui à pas rendu sa loyauté, emportée peu de temps après par le chagrin et la maladie. Le fils ainé, qui perds toutes les personnes auquel il s’attache, bien souvent à cause de ses propres mauvais choix. La fille, destinée à réparer les erreurs des autres sans jamais vivre pour elle-même. Le cousin, dont l’enfance traumatique lui fait aujourd’hui se ranger du mauvais côté de l’histoire pour des raisons de fierté. L’oncle, dont les mauvais choix ont forgé la progéniture à coup de sang et de sueur.

Comme si quiconque portant le nom King était destiné à vivre une vie de drames et de regrets pour se repentir des excès de confiance d’un ancêtre présomptueux.


« Aye, why? », demande Clyde comme si sa présence n’était pas déjà un mauvais présage, oiseau de malheur de la famille.

Appuyé dans l’encadrement de la porte, un paquet sous le bras, il attend qu’on le laisse entrer. A vrai dire, il a bien quelque chose à lui demander, concernant Wyatt. Wyatt, dont a précisément omis de parler de la présence à ses coté au camp, par peur que les Beaver ne décident de s’en prendre à elle. Nancy l’accompagne, autant là pour jouer les médiatrices que pour faire avaler la pilule à sa cadette.

Il finit par entrer sans se faire inviter dans la maison de sa sœur, précisément comme s’il était chez lui. Pourtant Clyde à bien sa propre maison, celle de leurs parents – une ruine nichée non loin de l’église d’Imogen, qu’il laisse pourrir par simple peur d’y remettre les pieds. Il tire du paquet une bouteille de scotch - qu’Abigail lui a offert pour le remercier de l’avoir débarrassé d’un habitué un peu trop entreprenant (rien que quelques menaces ne pouvaient résoudre), et la pose sur la table.

Du coin de l’œil, il observe sa sœur et les cernes violettes sous ses yeux. Plus le temps passe, plus les deux se ressemblent ; ils ont les mêmes prunelles trop claires pour ce monde, la même fatigue dans le regard comme s’ils n’en étaient pas à leur première vie. « Ye look… well, like ye dinnae sleep enough », avare en compliments, Clyde esquisse un sourire compréhensif et vient se frotter les yeux, soulignant sa propre fatigue. « …I guess it’s a curse around here. »


* grand-mère en gaëlique
** l'équivalent écossais de "once upon a time"

Allison lui rends ses compliments avec une tendresse fraternelle qui n’échappe pas à Clyde tant celle-ci se fait rare chez les King. Un joyaux rare, à manier avec précaution. L'aîné laisse sa sœur s’approcher de lui, pourtant peu habitué à ce genre de démonstration. Lorsqu’elle flatte son épaule autant que son égo, il soupire ; à être un exemple de douceur, elle lui complique la tâche. Clyde aurait préféré qu’elle râle, le renvoie dans les roses, ou le remette à se place - ainsi elle tomberait de moins haut en entendant la raison de sa présence. Pour toutes ces raisons, il ne lui rends pas son geste, se sentant soudain hypocrite et maladroit dans la maison de sa cadette.

Nancy à la bienveillance de leur servir du thé, et Clyde la remercie d’un sourire gêné accompagné par un hochement de tête. Lorsque sa sœur mentionne qu’ils peuvent prendre un bain s’ils le souhaite, Clyde arque un sourcils : « Be honest, just say we’re stinky », puis en attrapant la tasse de thé fumante, ajoute : « Thanks, Lili ».

« How's life ? What have you two been up to recently ? »

« Good », marmonne King en manquant de se brûler la la vue avec le breuvage. C’est toujours mieux que : “J’ai tué Samuel Scott et emmené son fils, qui est en réalité le mien, vivre sur un camp de hors la loi, et nous préparons un braquage.” Ne sachant comment amener le sujet sur la table, il décide d’arracher le pansement d’un coup sec.

« I have a son.»

« Oh, good for you, » crache Allison, sa voix chargée de ressentiment. Clyde déglutit, absorbant chaque mot comme une gifle. Il aurait voulu lui dire qu'il comprend, qu'il regrette chaque instant où il choisit le silence au lieu de la vérité. Mais les excuses semblent ridicules dans cette situation. Il aurait pu lui dire un milliard de fois mais… mais ça l’aurait forcé à admettre qu’il choisissait volontairement de ne pas s’impliquer dans la vie de cet enfant, dans celle d’Alice. Et Clyde a bien trop de fierté, certes mal placée, pour ça.

Il laisse un soupir étouffé s'échapper, et se passe mollement la main sur le visage.

« Well, I guess with the father of the year, they don't need such a terrible aunt anyway, » ajoute-t-elle, son sarcasme résonnant dans la pièce. « You won’t », commence clyde, ne sachant comment reprendre normalement le cours de cette conversation.

Il jette un regard vers Nancy, observatrice silencieuse. C’est la bouée de sauvetage qu'il ne sait pas qu'il cherche. Son regard compatissant semble dire : "Tu peux réparer ça, Clyde." Il comprends alors qu'elle est là autant pour apaiser Lili que pour l’épauler lui.

« How long hav- How old are they? What's their name? », demande Allison, la colère se mêlant à la tristesse dans ses yeux. Clyde commence à ouvrir la bouche, mais Nancy ne lui laisse pas le temps de trouver ses mots. Et c’est pour le mieux. Ses paroles sont accueillies comme un baume sur la plaie béante que Clyde vient juste de causer. King se fait la réflexion qu’elle aurait fait une excellente diplomate, dans une autre vie. « He's a lovely wee lad. Much curious, adorable, and so funny. Makes me crack up all the time! », confie-t-elle à voix basse. « He's five. Name’s Wyatt. […] Told him about ye, you know? Because… ye’re me friend. He thinks ye’re very nice. I’m sure he would love to meet ye someday. »

Clyde se sent soudain de trop dans la pièce, et envisage sérieusement de laisser Nancy manœuvrer ce problème pour lui. Il baisse ses yeux clairs vers sa tasse, observe les volutes de fumées qui s’en échapent, et ne relève le menton que pour dire : « I messed up, Lili. I should've told you sooner. I'm sorry », les mots sortant avec une sincérité désarmante. Il ne cherche pas d'excuses, seulement à partager le fardeau de ses propres regrets. « He’s nice, she’s right. You’ll like him. » Il prends une profonde inspiration. « He thankfully takes nothing from me, ye have to thank his mother for that... Hm... ye remember Alice Beaver? ».

Clyde laisse le nom de son ancienne amante planer dans l’air quelques secondes. Il n’a pas besoin de donner d’avantage d’explications à sa sœur. Elle sait qu’il a voulu épouser Alice, et qu’il s’est vu refuser cet honneur. Elle sait aussi qu’elle est décédée récemment, et que son époux a lui aussi trouvé la mort. Elle comprendra alors que leur enfant disparu n’est autre que le fils de Clyde. C'est peut-être même elle qui a fait naitre Wyatt, pour ce qu'il en sait.

« Well, that’s why I’m… we’re here today. Her brothers are not really happy that I suddenly decided to reclaim my title of father of the year. They might come after ye. »