L’investisseur sortit de son étude, en massant ses paupières. Il avait passé la matinée à éplucher ses livres de comptes, préparant avec soin ses prochaines opérations, prenant également le temps de s’informer de l’actualité dans les journaux et en correspondant avec nombre de connaissances. Il était en passe de faire ses preuves, du moins professionnellement, auprès de son oncle, il n’était pas l’heure pour lui de faire une erreur en choisissant d’investir dans un cours destiné à s’effondrer. La concurrence avec son cousin était rude et ce dernier avait une longueur d’avance, détenant les faveurs de toute la famille Oakley. Peter était le dernier arrivé, le mouton noir, celui qui causait toutes ces nouvelles animosités. La réalité était tout autre, mais il voyait bien que c’était là la réputation qu’il se forgeait auprès des siens. Il devrait redoubler d’efforts s’il voulait protéger sa place dans la pratique familiale. Néanmoins, mener de front une carrière florissante dans l’investissement en bourse et la recherche de l’épouse idéale, du mariage qui solidifierait sa position d’héritier indiscutable, n’avait rien d’aisé. Il se surprenait de plus en plus souvent à rêver de grand air et de légèreté, d’une époque révolue où rien de tout cela n’était une préoccupation à ses yeux. L’homme jeta un regard par l’une des fenêtres du manoir, pour découvrir que ce qu’il croyait être midi était en fait une heure bien plus avancée de l’après-midi. Avec un soupir d’épuisement, il avança avec hâte dans les couloirs lourdement décorés de la demeure.

Un éclair coloré attira son attention et il s’interrompit, revenant sur ses pas pour regarder dans le petit salon qu’il venait de dépasser. Joséphine était assise là, plongée dans un ouvrage qui la passionnait visiblement. Peter eut un sourire pour lui-même. Sa cousine adoptive, devenue sa sœur, était probablement la moins ostensiblement hostile à son égard. Elle semblait le blâmer pour son rapport agressif envers son frère, mais sa douceur naturelle l’empêchait d’être dépourvue de toute empathie à son encontre. Il toqua légèrement contre la porte entrouverte de la pièce, adressant une expression polie à son interlocutrice. « Tu risques de ne bientôt plus avoir de temps à consacrer à tes lectures… » Il faisait référence à la quête d’un époux de la brune. Il était assez réconfortant qu’ils soient tous les deux dans des démarches similaires, au même moment. Certes, courtiser n’avait rien de comparable pour une femme et pour un homme, mais cela ne les empêchait pas de partager certaines de leurs circonstances. Peter se racla la gorge avant de poursuivre. « Souhaites-tu que je nous fasse préparer le thé ? » Il n’ignorait pas que cette cérémonie bourgeoise était plutôt féminine. Il avait bien souvent vu son père, puis son oncle, se passer de participer à ces occasions. Toutefois, pour sa part, il était très régulier qu’il prenne le thé avec sa mère, avant sa disparition, et il s’agissait d’une opportunité d’échange qu’il avait appris à apprécier. Il était assez ironique que l’un des moments les plus superficiels et codifiés de ses journées soit aussi celui qu’il chérissait le plus.

Les journées avançaient et se déroulaient presque toute de la même façon. Joséphine se levait à la même heure, enfilait la toilette de la journée, toujours dans les tons roses comme elle les appréciait. La brune voyait son père au petit déjeuner avant qu’il ne parte pour affaire. Josie n’avait aucune idée de ce dont à quoi il passait ses journées et si parfois, elle se risquait à poser la question, son père la rassurait sur le fait qu’il s’occupait à faire prospérer leur nom. Puis le début de la matinée s’était déroulé avec sa mère, une balade dans le centre de Silverstone, quelques emplettes frivoles pour consoler son cœur qui avait toujours du mal à se faire à cette nouvelle vie. La jeune femme avait jeté son dévolu sur un ruban pour ses cheveux tandis que sa mère s’était offert une nouvelle toilette. C’était de cette manière qu’elle noyait son mal-être, bien que Jo’ essayait toujours de trouver le bon côté de cette nouvelle vie. La balade s’était soldée par une visite à l’église, prière dans laquelle la benjamine des Oakley implorait pour le bonheur de chacun des membres de sa famille. Comme à chaque fois qu’elle s’adressait au seigneur.

La suite de la journée avait été plutôt simple, un repas plutôt silencieux pendant le midi et du temps libre pour elle le reste de l’après-midi. Comme chaque fois qu’elle en avait l’occasion, la brune se laissait prendre à la lecture d’un ouvrage d’aventure lui permettant d’échapper à sa vie quelque peu monotone. Si elle ne le montrait pas, son inquiétude devenait de plus en plus forte quant à son manque de rencontre avec de possibles prétendants. Si le déménagement à Silverstone avait eut l’avantage de renouer avec certaines familles de la région, il était évident que le nombre de prétendants pour elle et de prétendantes pour son frère et son cousin avait nettement diminué. « Alors autant en profiter tant que j’en ai encore le droit… » Levant la tête, Joséphine adressa un sourire à son cousin avant de refermer son livre après y avoir placé son marque-page. S’il venait dans le petit salon, c’était sûrement avec une idée derrière la tête ou juste un besoin de briser la solitude qui semblait éreinter les héritiers de la maison. « Avec plaisir. Les chiffres ont fini par te donner mal à la tête ? » Bien que les tensions entre son cousin et son frère l’ennuyaient au plus haut point, Josie appréciait les deux et chaque moment avec Peter ou son frère était toujours un bon moment à ses yeux. « Comment se passe ta journée ? »