Un camarade pour l’étrange
@Basile DuflotMonsieur Duflot revint habillé. Quelle tristesse. Et moi qui pensait que j’allais devoir traîner avec un homme nu à mes côtés, un homme qui aurait pu désamorcer un bandit. Monsieur s’habillait correctement. Mince, moi qui aurait cru voir un excentrique, voilà que je me trouvais avec un civil tout à fait lambda.
Je regardais le chien.
« As-tu donc bien regardé ton maître ? Il préfère se vêtir au lieu de rester comme toi. C’est toi qui a tout compris. » lui dis-je en français.
De toutes façons ils ne comprendraient ni l’un, ni l’autre la langue français. Je ne me fais pas trop de soucis là-dessus.
Duflot décida de se présenter avec une identité que je ne connaissais que trop bien. Je restais de marbre pendant un très long moment. J’hésitais entre différentes attitudes. Cette ordure voulait se jouer de moi ! Alors que je venais vers lui pour qu’il puisse s’assurer avec moi de ce fait journalistique ! Il ne perd rien pour attendre.
« Bartel Murphy… Je connais bien ce nom... » murmurais-je.
Je ne sais vraiment quoi dire. Je suis sur le coup de l’émotion. Je le regarde pendant un long moment, le dévisage afin de vérifier qu’il mentait éhontément. Sa figure de trentenaire m’indiquait que cet homme devait bien s’amuser de moi. Dommage. Je sais de source sûre que mon frère n’avait pas six ans lorsqu’il a abattu mon père. Il devait avoir au moins une quinzaine d’années de plus que moi. Ce Duflot me pense bien bête. Néanmoins ceci démontre que j’ai en ma main une information qu’il ne possède pas.
Je décide tout de même de me présenter.
« Erin Martin. Je suis la femme de monsieur Martin, le retardataire. Nous ne nous sommes jamais croisés mais vous reconnaîtrez mon mari entre mille. Il est un peu fragile, tousse beaucoup surtout en ce moment. Mon très cher homme est un écrivain qui a vendu quelques livres dont certains sont assez appréciés du public. J’accompagne désormais mon mari dans son nouveau travail qu’est celui de journaliste. Vous me verrez assez souvent à ses côtés. Et certainement aux vôtres comme nous sommes collègues.»ajoutais-je un sourire en coin.
Je n’aime pas qu’on se paye de ma tête surtout avec cet ignoble individu. Dommage, il se serait pris pour la reine d’Angleterre, j’aurai bien marché. Quoique… Je peux lui montrer qu’il s’est joué de la mauvaise personne.
Oh oui, faisons cela. Il verra que je suis la meilleure à ce jeu. Cher Duflot, vous ne vous êtes pas rendu compte mais vous avez déployé une mauvaise tactique avec moi. Vous allez en payer le prix cher.
« Si vous êtes Bartel Murphy, ceci signifie que...que vous êtes mon frère ! Nous devons donc célébrer ces retrouvailles. Nous qui ne nous sommes pas croisés depuis plus de vingt ans ! Nous devons absolument rattraper le temps perdu ! » m’exclamais-je avec une certaine émotion.
Je me dirige prestement vers lui pour le prendre dans mes bras. Je le serre un peu, feignant des retrouvailles. L’intérêt est qu’il n’y voit que du feu. Je renifle un peu et me force pour obtenir une larmichette. Très bien, il ne pourra que croire en mon émotion de femme. Les hommes nous pensent si sensibles, si faibles face à nos sentiments, il faut bien leur laisser croire que nous sommes de pauvres êtres si fragiles afin de servir nos objectifs.
Ce qui est dommage c’est que je ne pourrais pas me comporter ainsi devant le vrai Bartel Murphy. Ceci me brise quelque peu le coeur. Je dois m’y faire. C’est certainement pour cette raison que cette étreinte dure un peu plus longtemps que ce que j’avais initialement prévu.
J’effectue un pas en arrière, l’observe de partout et lève mes yeux noisettes vers son visage. Je feins la surprise en osant pratiquer ma bouche en forme de o tout en émettant le même son.
« Mais, mon frère. Mon dieu votre visage ! Vous êtes bien plus âgé que moi et pourtant j’ai l’impression que vous avez mon âge ! Ceci est singulier. Pitié, confiez-moi votre secret. Accordez-moi cette faveur à votre petite sœur pour avoir une peau aussi ferme. » je m’attarde sur son visage que je touche sans aucune gêne, après tout, je suis sa sœur.
Je prends ses joues dans mes mains et je les malaxe bien comme il faut. Et oui mon cher. Lorsqu’on fait semblant d’être mon frère on le fait jusqu’au bout. On ne peut geindre. Sauf s'il souhaite risquer de mettre en danger l'identité qu'il vient de dérober à mon parricide de frère.
« Oh oui, quelle élasticité après toutes ces années! Vendez-moi le produit miracle que vous vous mettez ! A votre âge, vous qui devez approcher les cinquante ans. Oh mon dieu. J’aimerai tellement avoir une peau aussi fraîche à votre âge !» m’exclamais-je d’un air qui paraissait envieux.
Je suis sûre que je peux pousser le bouchon un peu plus loin. Et peut-être même obtenir certaines choses. De quoi ai-je vraiment envie ? De nourriture ? De robes ? Oh non... pourquoi pas lui donner cette capacité, celle d'exercer tel un musicien ?
« Ne vous rappelez-vous que vous m’aviez promis tant de choses avant votre départ de la Nouvelle-Orléans ? Mais vous êtes parti bien vite lorsque j’étais enfant. Je pensais ne plus jamais vous revoir. Heureusement, je vous ais enfin retrouvé. Oh, mon frère ! Il faut absolument rattraper ces années passées loin de l’autre! Vous allez enfin pouvoir me montrer comment jouer de l’harmonica. Rappelez-vous, une promesse ne peut être défaite ! Surtout celle faite avec l’auriculaire.» finis-je mon propos en articulant le doigt gauche en question.
Je le serre à nouveau dans mes bras. Je me retiens de rire. C’est extrêmement difficile, il faut le dire. La situation est vraiment comique. Nous jouons tous les deux un double rôle. Je lui tapote les épaules et lui sourit.
Dois-je faire durer encore un peu plus longtemps le suspense ? Annoncer que je sais qu’il me prend pour une imbécile ? Oh non, donnons-lui une belle leçon dont j’ai le secret.
« Je suis d’ailleurs assez confuse...» je marque une pause dans mes propos, paraissant embêtée.
Je réalise que je n’ai cessé de le vouvoyer depuis le début. Je devrais le tutoyer. Il va trouver ça bizarre. Comment puis-je justifier cette erreur ? Après tout, nous ne nous sommes pas vu depuis des années. Cependant, j’imagine qu’une fratrie ne se vouvoie pas même après des années de séparation.
Oh, je sais !
« Oh, permets-moi de te tutoyer. J’ai la tête toute à l’envers avec toutes ces émotions ! Ne m’en veux pas Bartel. Je suis toute émue de te revoir après… tout ce temps. »
J’essaye de faire une petite larme. Non, pas assez triste. Dommage. Une petite larme c'était déjà bien tout à l'heure. Ce sera pour la prochaine fois.
Je peine déjà à garder mon sang-froid face à cette situation. Il faut que je garde le contrôle de la situation. Ce serait vraiment bête si j’éclatais dans des éclats de rire. Il faut faire durer un petit peu plus longtemps cette scène théâtrale. Mais pas trop. Je n’aimerai pas laisser s’étendre cette comédie pendant plusieurs jours. Quelques minutes, tout au plus.
« Où en étais-je ? Oh oui. Je croyais que tu étais allergique aux chiens. Je suis assez étonnée que tu en ai un actuellement. » lui exprimais-je mon interrogation.
Je me demande comment celui-ci va se dépatouiller avec cette information. Comment va-t-il pouvoir justifier cette soudaine absence d’allergies ? J’espère qu’il n’est pas assez lâche pour sauter d’une fenêtre. Ce serait bête. Mon futur compagnon clownesque ne pourrait plus se mouvoir ni m’accompagne dans cette zone fantôme.
« Je peux lui donner quelque chose ? J’ai de la viande séchée dans mon sac. Dis-moi oui. Permets le-moi, moi qui ait toujours voulu avoir un chien. » le supplias-je tel un petit enfant quémandait une friandise à son père ou sa mère.
J’attends sa réponse afin de pouvoir agir en conséquence. Puis, je m’assoies à nouveau là où je peux poser mes fesses.
«Ne devais-tu pas m’offrir du thé comme tu me l’avais si gentiment proposé très cher ? » tentais-je.
Non. La comédie devait se terminer maintenant, je risquerais de prendre un trop goût à ce petit jeu. La récréation doit finir sous peu.
Comment dois-je montrer à mon camarade que j’ai compris son petit manège ? Je me lève et me place vers la porte, seule entrée et sortie de ce lieu je suppose.
« Bartel Murphy, je te demanderais de m’attendre bien sagement ici pendant quelques minutes. Ensuite, je reviendrais avec un fusil et je te tuerais sans aucun remord. Je pense que tu sais très bien pourquoi je dois mettre fin à ta vie, n’est-ce pas ? » annonçais-je.
Je marque une pause assez considérable. Je le laisse mouliner, réfléchir intensément. Il doit se faire du mouron. Après tout, la première fois que je croiserais mon véritable frère; lui ce n'est qu'un acteur; il ne méritera que la mort. Dommage que je ne puisse avoir un frère aussi rigolo que ce Duflot.
« Ou bien, tu peux avouer que tu n’es pas mon frère. On en reste là, tu prends tes affaires et nous partons après le thé à Gosht Town. lui proposais-je avec un sourire malicieux.