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Guns & WhiskyFORUM WESTERN · NOUS SOMME EN ÉTÉ

1889. À la lisière de l'Etat de New Hanover, la petite ville forestière d'Imogen compte un peu plus de 500 habitants. Plus connue pour ses ranchs que pour ses pépites, elle est l’exacte représentation des espoirs et des échecs de tous ceux qui ont pu croire au rêve américain. Son seul lien avec la civilisation est le chemin de terre creusé par le passage des diligences, droit vers la station de gare de l'autre côté de la frontière qui mène vers l'Etat de West Esperanza. Cette route est connue pour ses braquages incessants, causés par le gang des O’Reilly. En plus de terroriser la population - leurs méfaits sont racontés dans tous les journaux de la région ; ils rendent périlleux les voyages vers la grande ville : Silverstone. Cité minière dirigée par la respectable famille des Rosenbach, prospère et moderne ; on pourrait presque croire que c’est un lieu où il fait bon vivre. Mais, derrière la bonhomie de son shérif, les sourires de ses prostituées et les façades fraîchement repeintes, l'influence criminelle du Silver Gang grandit de jour en jour. Lire la suite

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On ne cherche pas de nouveau Shérif pour l'instant, mais qui sait, un jour tu feras peut-être régner l'ordre et la lois sur ce forum ?
FAIT DIVERSDepuis l'attaque de la banque, Mr le maire, Henry Rosenbach, invite les citoyens à redoubler de prudence - il craint que cet acte n'inspire d'autres scélérats, et met en garde ses concitoyens quant au danger qui rôde dans les grandes plaines. Ainsi, il préconnise les voitures de poste, ou encore le train pour se déplacer.
BONNES AFFAIRESN'oubliez pas de passez par le quartier commerçant de Silverstone pour faire vos emplettes dans l'épicerie des Rinaldi ! Vous y trouverez moultes boîtes de conserve, ainsi que quelques plats tout chaud, tout droit sortis de la cuisine et parfois même servi par la petite fille des propriétaires.
RUMEURUn prisonnier se serait échappé du Fort de Silverstone. Les rumeurs les plus folles circulent : certains s'imaginent qu'il s'agit encore d'un coup des bandits qui ont attaqué la banque, d'autres, un peu moins terre-à-terre, parlent d'une attaque d'anciens confédérés. La justice, quant à elle, ne commente aucune e ces hypothèses.
PETITE ANNONCEDepuis la fonte des neiges, le village d'Imogen est fière d'annoncer la réouverture de son marché agricole ! Chaque mercredi, les producteurs de New Hanover sont invités à monter leur stand dans la rue principale et faire commerce de leur légumes, viandes, poules et autres peaux ! Troc autorisé.
RUMEURDes histoires de Dame Blanche circulent dans la région de West Esperanza : certains habitants de Silverstone et des alentours jurent avoir apperçu un fantôme ! Les plus jeunes s'amusent même à invoquer l'ectoplasme dans un nouveau jeu ridicule - mais qui passera bientôt de mode : celui du ouija. Le temple prie pour leur salut.
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(dino) rendre au crépuscule la beauté des aurores.
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Mer 31 Mai - 0:05


rendre au crépuscule,
la beauté des aurores.


- année 1882 -

Quelque part sur l’onde du temps, entre l’incertitude et l’envie, entre les crépitements des braises et l’odeur chaude de la terre arrosée de pluie, elle surnage, Zilpha, elle s’enfonce dans des rêves aux nuances de rouge. Elle a l’impression qu’un poids énorme et constant repose sur sa poitrine, oppresse ses côtes et enferme les palpitations irrégulières de son cœur dans un scaphandre de chairs et d’os, de nerfs et de sang. Ses mains moites froissent les draps rêches sur lesquels elle repose, tentent de saisir quelque chose, n’importe quoi. Mais cela glisse à chaque fois, se fait sable trop fin qui s’exfiltre entre les doigts. Le vide l’étreint, se répand jusqu’à la fêlure de son âme, en filigrane de la douleur qu’elle éprouve. Il naît au creux du ventre, s’épanouit en corole, jusqu’aux détours de ses formes amaigries. Elle ne sait pas exactement où cela commence, où cela se termine. C’est diffus, presque doux. C’est insupportable, et en même temps, elle a l’impression que si cela devait s’interrompre, il n’y aurait plus rien derrière. Juste le vide, glacé et glauque, venu étreindre ses rêves de petite fille, se conjuguant aux souvenirs qui enlacent l’onirisme de sa conscience, se glissent dans ses failles, et les déchire de l’intérieur.  Tout cela ensemble, dans une valse ininterrompue, qui la fait passer de la réalité à l’imaginaire, de la conscience à la folie. Sous les strates de l’angoisse, il y a cette voix qui se fait entendre, qu’elle ne reconnaît pas, qu’elle distingue à peine. Cette voix tantôt de velours, tantôt irritante, qu’elle s’imagine faire taire, avant de l’implorer qu’elle poursuive. Cette voix étrange et insensée, qu’elle perçoit davantage comme un murmure, qui revêt les intonations plurielles de celles et ceux qu’elle a connus au passé, au présent, et même au futur. Elle est la tendresse de sa mère un jour, celle de l’amant malhabile le lendemain. Elle est la prévenance paternelle, puis l’arrogance placide du bourreau incertain. Elle est tout. Elle n’est rien. Le début et la fin, comme extirpée du fond des âges et roulant sur une langue entièrement étrangère.

Ses paupières balbutient sous les attraits du jour qui se lève. La première aube dont elle a véritablement conscience depuis un moment, dont les rayons encore pâles viennent réchauffer sa peau devenue pâle. La bouche sèche, presque pâteuse, Zilpha entrouvre les lèvres, respire la fragrance de l’air avec difficulté, parce que se mouvoir éveille des brûlures à des endroits insoupçonnés. Son visage surtout, la tiraille terriblement. Ses phalanges se replient avec lenteur, renouent avec les rouages des articulations. Il lui faut une volonté presque impérieuse pour réussir à soulever le bras et porter lentement la pulpe de ses doigts à sa joue, qui la démange, qui la gratte, dans laquelle elle voudrait presque planter ses ongles. Elle gémit, grimace, sent ses yeux qui peinent à supporter l’éclat de l’aurore. Pourtant, celle-ci la happe de façon irrépressible. C’est un souffle délicat qui l’enserre, noue un lien invisible autour de ses côtes et la tire vers le haut. Elle croit percevoir des voix à l’extérieur, dans cette langue qu’elle reconnaît, mais qu’elle ne saisit pas. Elle n’a aucune idée de l’endroit où elle se trouve, a oublié, pour l’heure, l’intervalle entre l’enfer et la résurgence. Il n’y que cet élan qui compte, celui qui, malgré la faiblesse de ses membres, la fait se redresser dans le couchage, se lever avec lenteur. Ses pieds nus s’ancrent dans le sol, redécouvrent les substances de cette réalité encore confuse. Elle se hisse sur ses jambes qui tremblent sous le poids du haut de son corps, retient sa respiration, en se disant que cela lui permettra de tenir, d’avancer jusqu’à cette aube qui l’appelle, au-dehors. Elle suit l’éclat du jour comme s’il s’agissait d’une ligne tracée, d’une direction à emprunter. Ses pieds nus se traînent, ses mains s’apposent, se retiennent, sur ce qui l’entoure. Enfin elle parvient à l’extérieur de l’habitacle, se tient sur le seuil, dans la chemise qui la recouvre, les cheveux emmêlés, certainement salis de terre, de larmes et de sang séché, sur ses épaules qui s’affaissent, laissent s’échapper les tensions qui s’y étaient accumulées. Sa main s’interpose, entre l’éclat aveuglant des rayons du soleil et ses pupilles qui brûlent, qui peinent à s’habituer à une telle clarté, mais qui en même temps, ne peuvent s’empêcher d’en désirer davantage. C’est une sorte de candeur alors, qui s’émane de sa silhouette ravagée et fragile. Elle reste là, immobile, les paupières résolument closes, sous les rayons qui viennent réchauffer ses traits, nimber d’une lumière caressante les larmes asséchées sur ses joues creuses. Elle se laisse bercer par cet éclat qui, lentement, se fraie un chemin jusqu’à sa conscience. Sent des larmes qui ne sont plus de tristesse, venir rouler sur la joue encore intacte. Le désespoir la quitte, balayé par cette lumière évanescente, qu’elle perçoit comme une sorte de symbole absolu de sa renaissance. Parce que c’est de soulagement qu’elle pleure, Zilpha, dans le secret de cette aube nouvelle qui se lève. L’enfer n’est pas ici, et elle, elle est toujours là, quelque part, dans cet entre-deux encore inconnu, qui se déploie, presque candide, sous l’incertitude de ses regards. Il est encore tôt, qu’elle se dit. Il n’est pas trop tard. Et ses bras retombent le long de son corps, alors que, dans une forme de béatitude, elle regarde sans comprendre la silhouette qui se découpe en contre-jour, s’interpose entre elle, et ce soleil  encore délicat.

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Dino Ricci
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Jeu 8 Juin - 17:18
RENDRE AU CRÉPUSCULE,
LA BEAUTÉ DES AURORES

La ville s’était éveillée en même temps que le soleil et bien avant que les laudes soient dites, le quartier italien est déjà le plus animés (certains auraient dit bruyant). Si le quartier ne grandissait pas, il semblait qu’on y entassait de plus en plus d’immigrés venus se perdre en Amérique, à la recherche de ces fameux billets verts poussant sur les arbres. Au pays, à la frontière, on disait qu’il valait mieux mourir de l’autre côté du monde que dans les Alpes. Mais on disait aussi qu’il valait mieux quitter son village natal pour la montagne française, parait qu’il y avait autre chose que des cailloux et du bois à grignoter, là-bas. Dino avait vu les Alpes et la misère de ses congénères qui lui avait été jusqu’alors étrangère. Il les avaient trouvées plus belles que les montagnes de poussière orange qui offraient l’unique relief du désert aride autour de Silverstone. Tout ce qu’il avait une fois eu et vu lui semblait plus beau que ce qu’il avait à présent. Les amis avec qui il riait à la devanture d’un cordonnier mainte fois vandalisé ne seraient jamais ses cousins de Naples.

Le soleil s’étirait doucement sur Silverstone et la rue vivait depuis plusieurs heures maintenant. Il faisait déjà très chaud. Dino se ralluma une cigarette, une tasse de café callée dans une main pour ne pas la faire tomber. Aujourd’hui il n’y avait pas de travail pour lui à l’usine. On lui avait dit de plutôt revenir demain. Ça n’arrangeait pas vraiment ses affaires ; en plus du loyer il avait un médecin à rembourser et une gamine à garder. Sa sœur participait comme elle pouvait, mais le salaire de la mine permettait seulement difficilement de se nourrir. Il devrait chercher de quoi gagner quelques sous sans trop tarder. Il y aurait peut-être des livraisons à faire. Celles jusqu’à Imogen et au-delà étaient celles qui payaient le moins mal. Mais elles étaient prisées et on préférait les confier à des connaisseurs des régions.

Dino tapa dans le cul de sa cigarette qui alla rouler dans la poussière rougeâtre remuée par les allés et venus des gens dans la ville. Elle voletait autour d’eux, se collait aux vêtements et aux joues et à la fin de la journée on en était barbouillé. Comme une seconde peau sale qu’on ne pouvait jamais tout à fait s’arracher. Deux petites grands-mères toutes drapées de noir pour un mari ou des enfants perdus écoutait le dernier arrivé du quartier parler de Grenoble et de Lyon, elle riait à ses frasques parce qu’il savait bien parler. En même temps qu’elles lui prêtait une oreille attentive, elles ciraient des chaussures réparées au moindre coût. Le bout de leurs doigts brillaient et collaient, elles gardaient le rythme tout en se laissant distraire par Dino qui comptait ses aventures. Un peu plus loin ça s’agitait devant l’épicerie qui avait ouvert moins d’un an de cela. Des gamins américains collaient leur pattes et leur museau à la vitrine, certains allaient même jusqu’à la lécher. Difficile de dire si c’était le citoyen américain moyen qui ne savait pas se tenir ou si Dino avait oublié ce que c’était d’être un enfant. Il glissa quelques moqueries à ses deux complices qui se mirent à glousser avec lui. Parfois la belle Filippa sortait pour les menacer sans prendre la peine de parler leur langue. Mais agiter une ceinture ou un balais ça parlait à tout le monde. Dino rendit son salut au grand-père Rinaldi quand il passa à côté avec un cagot remplis de cactus découpé en morceaux dans les bras. « C’est pour leur pesto américain» chuchota-t-il à son duo de grand-mères.

Le monde était vraiment petit. Retrouver des Rinaldi ici, à l’autre bout du monde, à des milliers de kilomètres de Naples. Bien évidemment, Dino avait pensé à les tuer pour clôturer en beauté sa vengeance relativement moyenne (mais efficace). Pour se venger de son exil forcé, de sa femme et ses filles qu’il avait pressé de se dissimuler derrière les remparts de Bonifacio. Bonifacio qu’il ne verrait pas de ci-tôt malgré toutes ses promesses.
Puis finalement, il valait mieux que Filippa et ses grands-parents vivent. Il n’y avait pas plus douce revanche que de les voir subir cette nouvelle vie et de savoir que le nom Rinaldi s’éteindrait à la mort de Filippa, dans l’indifférence générale d’une Amérique dans lesquels aucun italiens ne valaient grand-chose. Chaque jour était une plaie pour les trois reliques Napolitaines. Et Dino s’en réjouissait. Il n’y avait rien de plus doux que d’écouter le vieux Nonno regretter le bon vieux temps autour d’un verre de limoncello. Tout du moins, il n’y avait rien de plus doux à faire dans ce secteur-ci.

« Dino ! » L’intéressé releva le nez de sa tasse de café en entendant son prénom à moitié crié dans la rue. Une toute petite fille de tout juste trois ans à la peau mate et à la robe reprisée faisait de son mieux pour le rejoindre. Elle était pieds nus et ses jambes se coloraient un peu plus de rouge à chaque pas qui remuait la poussière de la route. « Se despierta ! La señora se despierta. Elle se réveille ! » Arrivé à ses côtés, la gosse s’arrêta pour reprendre un peu de souffle. Elle dégluti difficilement et offrit un sourire timide aux deux grands-mères en guise de salut. « Che cosa ? » La communication entre un italien et une gosse cubaine n’était pas de toute évidence, mais Araceli était pleine de ressources et il ne lui que d’un froncement de nez et deux secondes de réflexion avant de reprendre « Se svegliati ! » Elle pointa du doigt la porte de la petite barraque que louait Dino. Les grands-mères s’amusèrent de cette tentative mignonne. Elles posèrent leur chaussures et s’époussetèrent les mains. « Come sei carino ! Ma che gentile ! » Araceli fut noyée sous des louanges alors qu’on lui tirait affectueusement la joue et qu’on lui recoiffait ses nattes. « Lei sta facendo progressi ! » La petite se retrouva vite prisonnière de ces mains d’ancêtres aux doigts longs et fins comme des pates d’araignées. Des ancêtres qui avait tout l’amour des petits-enfants disparus à distribuer. Elle s’accommoda bien de cette peine et lança à peine un regard à Dino maintenant que son message avait été distribué. Celui-ci terminé en une gorgée son café et abandonna sa tasse sur le petit banc en bois qui était contre le mur du même acabit. « Tornero' presto. » Et ce fut à son tour de traverser la route alors qu’une silhouette frêle s’extirpait de chez lui en tanguant.

« Fai attenzione… Non avete mangiato per più giorni. » Le médecin avait bien tenté de lui faire passer de force ce tube dans la bouche jusqu’à l’estomac pour la nourrir, mais ça n’avait pas été franchement efficace. Elle avait surtout manqué de s’étouffer et de vomir partout. « Dovresti stare a letto. » Se doutant qu’elle ne parlait probablement pas italien, il indiqua d’un signe de tête l’intérieur de sa modeste maison. On ne voyait pas le lit qu’il mentionnait de très loin, situé dans la seconde pièce. Dino s'était bien rapproché de la jeune femme, près à l'aider à ne pas s'écrouler au sol si jamais l'idée lui venait en tête. La pauvre était encore bien faible. C'était un miracle qu'elle ait pu faire autant de mètres sans vaciller plus. « Je m’appelle Dino. » Il claqua à plusieurs reprises sa main sur son torse, son accent était à coupé au couteau et il ne semblait pas faire plus d’effort que cela pour passer outre. Il souriait tranquillement, comme s'il était parfaitement habituel qu'il voit se réveiller des gosses sauvés de la mort et laissé à s'en remettre chez lui. On s'occupait comme on pouvait. « C’est ma maison ici. Mi capisci ? D’accord ? » En réalité ce n'était pas suffisamment récurrent pour qu'il sache véritablement quelle posture adoptée. D'un geste de la main il lui signifia une nouvelle fois de retourner sur ses pas.


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Sam 15 Juil - 18:42


rendre au crépuscule,
la beauté des aurores.


Les rayons du soleil écrasent ses paupières, les laissent balbutiantes, dans ce temps qui se suspend, entre la léthargie et la résurgence. Un fil ténu et fragile, tendu entre deux mondes. Il y a des formes de vie qui pulsent à l’extérieur, qui se façonnent sous des timbres inconnus d’enfants, de femmes et d’hommes, tous ensemble, dans ce quotidien que sa présence ne dérange pas, parce qu’ils sont rompus par l’habitude. L’existence, elle est comme ça, se déroulant quoiqu’il arrive, quoiqu’il se passe, quelles que soient les silhouettes perdues qui viennent y trouver refuge. Elle se déploie en corolle, appose des touches de couleurs sur une toile qui a déjà vu passer bien des images. Les unes sur les autres, en quinconce. Un camaïeu de couleurs et de caractères, dont elle sait tout, et ignore en même temps chaque détail. Elle n’est pas capable de dire avec exactitude quelle est leur langue ; lui trouve des atours chantants, toutefois, à ce phrasé qui résonne en échos dans sa tête, la berce, la réconforte presque. Cela pourrait être la même que la sienne, qu’elle ne la reconnaîtrait pas vraiment, les réflexes mécaniques de son cerveau encore engourdis par une fièvre qui a dû la quitter récemment. Elle se sent légèrement moite, la peau recouverte d’un voile d’une texture qui trahit les heures à se débattre dans le noir, contre des forces invisibles, qui naissaient au-dedans, s’épanouissaient au-dehors. Des informations qui remontent les strates d’une conscience un peu exsangue, et peinent à façonner un ensemble qui aurait du sens. Ses notions de la réalité sont entièrement fragmentaires. Le lieu. Le jour. L’heure. La saison. Même sa propre identité est confuse, dans ce temps où elle essaie de tout rassembler pour former une unité. C’est qu’il y a eu tant de jours à retenir son souffle dans l’obscurité, à espérer être quelqu’un d’autre. Vaguement, le visage de Caleb s’imprime au-devant de sa rétine, fait battre son cœur plus vite sous ses côtes douloureuses. L’odeur du bois qui brûle, le goût du sang et des larmes, sur sa langue désormais âpre. Elle perd un peu l’équilibre, tâche de se rattraper sur quelque chose, n’importe quoi : c’est l’encadrement d’une porte qui la reçoit, ou bien un meuble. Elle n’est pas sûre.

Proche de l'entrée de la petite maison, pas encore dehors, tandis qu’elle protège ses yeux fatigués de sa main qui tremble, elle croit distinguer la silhouette d’une gamine qui court. Ses traits ne lui sont pas entièrement inconnus, peut-être l’a-t-elle déjà vue. Elle la suit vaguement du regard, a envie de lui crier de rester-là, de ne pas s’en aller, de revenir, demeure mutique toutefois, comme si les sons étaient bloqués au fond de sa gorge sèche. Puis sa silhouette à lui se découpe dans le contre-jour, la fait reculer un peu par réflexe de sauvegarde, en adoptant une posture de repli, les épaules en-dedans, comme une bête qui s’apprête à recevoir un coup. Elle distingue ses lèvres qui bougent sous sa moustache, entend les sons, ne discerne pas le sens. Cette distance imposée par la langue la fait se reculer plus encore, envisager les options qui s’offrent à elle, l’intellect engourdi par la faiblesse de ses jambes sur lesquelles son attention se fixe pour les encourager à la maintenir debout. Il faut se rendre à l’évidence : les informations sont trop nombreuses, l’épuisement trop grand pour envisager une fuite, ou quoique ce soit d’autre. Elle l’observe plus attentivement alors, derrière ses cils épais et noirs, sous les mèches de cheveux qui collent encore partiellement à son visage. Les syllabes peinent à se frayer un chemin, à forger des mots. C’est d’abord un son qui s’éraille et s’étouffe de lui-même, l’amorce d’une interjection qui souffre et demeure mort-née. Elle toussote un peu, comme si cela pouvait aider à éclaircir la voix, parvient à articuler un vague : « Je … Je te connais. » qui, lorsque ses lèvres bougent pour le formuler, fait naître une brûlure sur sa joue qui était jusqu’à présent latente. Elle grimace, sent ses yeux qui brûlent, eux-aussi. A le réflexe de porter sa main à cette joue sans la toucher. La tension augmente, les nerfs se tendent. Une panique irrépressible, qui monte comme une vague, à l’unisson de la conscience. Elle se souvient de lui, oui. Et en même temps, tout se superpose, tout est confus. Chaque fois qu’il était là, sa voix était apaisante, ponctuait ses songes d’inflexions étrangement enivrantes et insensées. Mais chaque fois qu’il était là, la douleur était terrible aussi. Assez pour qu’elle l’ait supplié de la laisser tranquille. Assez pour le haïr de ne pas l’avoir abandonnée là-bas, toute seule, au fond de ce coupe-gorge où elle avait perdu connaissance. C’était le dernier souvenir à peu près distinct qu’elle avait. Lui, le noir, sa voix, la souffrance. De quoi la rendre sourde à son invitation à aller se rassoir.

« P … Pourquoi … Pourquoi tu m’as aidée ? » Peine à articuler, chaque son difficile à offrir. Le ton est faible, oscille entre l’incrédulité, le désespoir … Et le reproche. Une part d’elle associe le mal qu’elle éprouve dans son corps à ses bonnes intentions à lui, à ce sourire qu’il fige, sur son faciès très tranquille, et qu’elle a envie de griffer comme un animal sauvage. Insupportable sérénité, qui se fracasse contre sa propre confusion, qui est intolérable parce qu’aux antipodes de toute ce qui monte et grouille, et fond de son ventre, et qu’elle ne sait pas comment exprimer. Sans doute cela se lit-il sur ses traits, parce qu’elle a son souffle qui s’accélère, Zilpha. Son regard aussi, qui cherche à droite, puis à gauche, à capter quelque chose qui n’existe pas. « Je … Je veux sortir. » Respirer l’extérieur, ne plus avoir l’impression que les murs se rapprochent. Même si elle doit se traîner à la force des bras, juste respirer une seconde, dehors. « Laisse-moi sortir. » qu’elle répète dans un mouvement de panique très confus, rattrapée par la faiblesse de son corps qui ne la tient presque plus. Elle amorce un mouvement vers ce qu’elle croit être la porte qui donne sur l’extérieur, sent ses jambes qui se dérobent d’un seul coup, se rattrape dans un gémissement plaintif à ses avant-bras à lui, les doigts fermement plantés dans sa chair. Elle sait pas exactement quelle force intérieure la maintient, mais c’est là, et ça gronde. Ça fait battre son cœur si vite que sa respiration se bloque. « S … s’il te plaît. » qu’elle demande, à moitié sur les genoux, comme si elle le suppliait, l’implorait même. Un instant dehors, c’est tout ce qu’elle demande. Là où il n’y a rien, pour vous enfermer. Là où les limites se distendent. Là où la prison n’existe pas. Mais ce lieu-là, existe-t-il seulement ? Peut-être pas.
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Dino Ricci
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RENDRE AU CRÉPUSCULE,
LA BEAUTÉ DES AURORES

Bien évidemment, ni Dino ni l’inconnue n’étaient sur la même longueur d’onde. Ils avaient l’un et l’autre des problématiques bien différentes et pour ainsi dire drastiquement opposées. Dino cherchait sur quel pied danser, elle cherchait plutôt sur quel pied elle tiendrait le mieux. Les muscles engourdit par des semaines d’alitement étaient rarement cléments quand on cherchait à faire un footing dans la foulée. Le napolitain gardait les bras ouverts prêt à rattraper la demoiselle si elle décidait de se jeter au sol suite à une cheville fragile, mais hésitait sur la bonne distance à garder. Elle semblait aussi craintive qu’un oisillon tombé du nid et ce n’était pas dans ses intentions de laisser un petit moineau s’agiter et tourner en rond de panique dans sa maisonnette exigu. La dernière fois que Celi avait eut de a fièvre, elle avait renversé le pot de chambre dans sa grande confusion. On en avait entendu parler pendant deux semaines au moins.

« Non capisco quello che dici. » Articula-t-il en parlant fort, comme si cela aiderait la jeune femme à mieux comprendre. Ce n’était jamais le cas, mais comme un réflexe reptilien Dino répétait toujours la même formule inutile.
Il présentait toujours la paume de ses mains dans une tentative maladroite et légèrement désespérée de la calmer sans savoir comme mieux s’y prendre. Dino lança un coup d’œil derrière son épaule, Celi n’était qu’une silhouette floue au loin, complètement désintéressée de la situation pour l’instant. Elle ne viendrait pas tout de suite à son aide pour jouer les traductrices. C’était à lui de faire un effort il semblait. Il soupira allégrement, car c’était bien là un langage parfaitement universel. La gamine avait une tasse de café dans les mains et profitait de ses deux grandes et vieilles copines. Dino n’essaya même pas de lui faire signe et il se désintéressa d’elle assez vite. Tout son intérêt se reporta sur la brune dont la respiration se faisait de plus en plus sifflante et saccadée. « Vuoi uscire di qui? Okay, pas de problème. Okay ! » Il insista sur le okay qui était un terme qu’il s’était rapidement approprié et sortait à toutes les sauces face aux américains. Et souvent il tapait juste. Il était parfaitement possible de tenir des conversations entières avec seulement un okay.

Mais ici la conversation fut vite abrégée lorsque la malade fraîchement éveillée vit ses pieds se dérober sous elle. Dino eut une seconde de retard dans sa précipitation pour la rattraper mais elle était parfaitement dans les temps. Il grimaça en sentant ses ongles se planter dans ses avant-bras pour le tenir fermement. Elle avait plus de force qu’elle n’en laissait paraître. Et de bons ongles également. L’italien se reprit rapidement, cherchant à la redresser sans trop de ménagement avant qu’elle ne lui glisse entre les mains. « Eh-eh ! Fai attenzione. » Il lui avait glissé un bras autour de la taille pour faire pivoter le poids à porter et mieux le répartir, son dos n’ayant pas bien supporté la charge un peu trop brusque et sans préparation.  « Oui, oui, oui. Tu sors si tu veux. D'accord, no problem. » Il n’était personne pour lui refuser cette simple demande, même s’il ne la trouvait pas très maline. La dernière chose dont Dino avait envie était d’avoir une femme nerveuse et déchaînée à devoir garder sous verrou. Loin d’être un fin psychologue, les choses les plus évidentes pouvaient aisément lui passer sous la moustache. Sans grand ménagement il l’aida à se traîner à l’extérieur. Un pas après l’autre et avec beaucoup d’aide pour ne pas perdre en motivation.

Dehors la ruelle vivait. La chaleur était écrasante maintenant que le soleil était haut dans le ciel. Dino se retint de faire remarquer que ce n’était peut être pas une bonne idée de s’y exposer comme ça alors qu’elle était tout juste convalescente, mais en réalité il n’en savait rien. La jeune femme était une adulte, à n’en pas douter. Elle avait encore le droit de faire ce qu’elle souhaitait, même si elle n’avait pas (encore) tout sa tête (?), Dino n’avait pas le courage de s’opposer à elle pour l’instant. Il l’aida à s’assoir par terre, sur le perron de bois qui surélevait de quelques pauvres centimètres le bâtiment que Dino et les trois (quatre maintenant) gamines partageaient avec une autre famille. « Voilà. » Il désigna la rue, ayant retrouvé un large sourire. Presque moqueur. Ce que Silverstone avait à offrir. Il haussa les sourcils en attendant une réaction de la part de la jeune femme puis, avant de l’avoir, il se mit à rire. Dino commençait déjà à suer sous les températures extrêmes du désert du Nevada. [color=#669900]« Café ? farò un po' di caffè. »a une tasse et pointa à plusieurs reprise la fille du doigt. « Okay ? »


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Dino Ricci
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