Ses petites lunettes noires vissées sur le bout de son nez reflètent l’humble maison des Hennessy. Le porche est bien propre, même si la peinture de la façade est un peu écaillée - en même temps, avec le soleil qui tape, la brique aurait été de meilleure usage, plus élégante, aussi. Mais Vincent ne blâmera jamais les fortunes qui se cachent et ne dépensent pas dans d’inutiles glamourisations l’argent qui devrait être investi dans de plus nobles causes ( ou en tout cas, le PIB de la ville ). Sans même les avoir rencontré - et à en juger par la propreté de leur vitres - l’adjoint aime déjà ce petit couple qui a réussi et n’en fait pas étalage - en plus de venir en aide à la veuve et l’orphelin.

Et oui, de tous les rapports qu’à feuilleté Vincent, un seul nom devrait être employé de paire avec le mot “courage” et peut-être même celui de “héros” : Liam Hennessy, patriarche de cette belle famille. Il faut dire que ses exploits, perdus dans une mer d'amateurisme, n’ont pu que briller - même Mathilda en fut impressionnée.
Mais il faut aussi mentionner le sacrifice et le danger qu’a affronté cette pauvre Pearl, momentanément victime du laxisme de la justice ( Dieu que Coleman a honte ! ). La pauvre femme a dû subir les brimandes d’une bande d’assassins mal peignés.
L’avocat ne veut même pas imaginer la peur qu’a dû saisir les tourtereaux en voyant que leurs efforts auraient pu coûter le prix du sang. Si sa douce venait un jour à être jetée sur le cul d’un cheval et emmenée au loin, Vincent en mourrait - c’est dire s’il admire la réaction du fabriquant d’arme qui, en bon cowboy, s’est jeté dans l’action pour sauver sa moitié.
Tout cela est bien romanesque.

Mais tout cela est aussi bien triste, et surtout, vexant quand on connaît les projets de modernité du gouvernement : la justice ne devrait être faite que par ceux qui ont été appointés pour la faire régner. Cet échec n’est que le reflet d’une nostalgie passéiste et de l’archaïsme des campagnes américaines - le shérif du coin a l’air d’être un incapable fini, si ce n’est l’idiot du village ; Et les hommes du Fort Randall ? La honte de la nation. Voilà une chose dont il veut s’assurer, en plus de remercier ceux qui ont fait leur travail.

Un panier de confiture et autres douceurs au bras, fraîchement achetées dans une boutique qui sent le basilic ( les italiens sont décidément partout ), Vincent monte les marches qui mène vers la porte d’entrée et, avec beaucoup de détente dans le poignet, toque deux fois.  “ Excusez moi pour cette visite impromptue - je me présente, Vincent Coleman, adjoint au procureur général du Nevada - est-ce que madame et monsieur Hennessy sont chez eux et disposés à me recevoir ? “ L’oreille tendue, le sourire aux lèvres, il attend sagement la réponse d’un enfant ou, peut-être, une bonne.
“ Mathilda, je sens que ces gens vont te plaire. “ Il pense déjà à sa prochaine lettre, chargée d’histoires fantastiques comme l’ouest sauvage n’en fait plus.

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