White avait passé les derniers jours craignant entendre une voix familière derrière elle à chaque instant. Mais le cirque avait fini par quitter la ville. Pour le maître, rester sur place plus longtemps juste pour retrouver la demoiselle devenait une perte d'argent. Elle était retournée dans le champ ou les chapiteaux avaient été dressés comme pour s'assurer qu'elle ne risquait plus rien. Elle avait du mal à réaliser la chose.

Pour la première fois de sa vie, White était libre de ses faits et gestes, d'aller et venir comme bon lui semblait et de ne plus être restreinte. Ivre de liberté, elle se mit à courire face au vent pour mieux sentir ses cheveux s'envoler, ouvrit ses bras pour mieux goûter la caresse des hautes herbes. Elle ne se retenait pas de rire et danser sous les étoiles et remerciait le ciel pour le cadeau qu'il lui faisait. Elle ne s'était jamais sentie aussi heureuse que ce soir-là. L'insouciante jeune femme s'éloignait de la ville, mais elle s'en inquiétait pas. Elle débordait de curiosité et avait une furieuse envie de découvrir le monde par ses propres yeux et non par des histoires.

Soudain, elle se figea, quelques notes égrenées dans les airs lui parvenait. Elle dressa l'oreille et se rapprocha prudemment de la source. Dans le calme de la nuit, les sons portaient loin. En se rapprochant, sa joie se transforma petit à petit en mélancolie. Elle connaissait bien ce genre de complainte pour avoir en avoir elle-même entonnée des airs similaires.

Elle se revoyait dans le grenier à chantonner en regardant par la lucarne avant que son père ne finisse invariablement à faire irruption dans la pièce pour lui sommer de se taire, et même par moment la battre afin de s'assurer qu'elle ne recommence pas. Dans les chariots du cirque, aussi, elle se surprenait à siffler ces mêmes rythmes. C'était un requiem à la liberté. Il y avait quelqu'un qui rêvait de liberté dans le grand bâtiment qui s'élevait devant elle.

White n'était pas stupide, mais n'avait jamais rien vu d'autres que la caravane du cirque et ses chapiteaux. Elle ne savait pas à quoi pouvait ressembler une prison ou un fort. Prudente, elle se rapprocha du musicien, jusqu'à l'apercevoir. Il était à une fenêtre condamnée par des barreaux, jouant sa mélodie pour le ciel nocturne. Pour elle à qui les différences étaient son quotidien, elle ne fut pas surprise par les origines du jeune homme. Il ressemblait un peu à ses prostituées permanentes officiant pour son ancien maître.

Elle avit entendue parler de ces cirques permanents dans certaines grandes villes ; des animaux participaient aux spectacles et on pouvait y travailler contre un vrai salaire. White se demandait si cet étrange bâtiment était l'un de ces cirques et si elle pourrait s'y faire employer. Elle était douée et ne savait faire que ça ; elle pourrait gagner honnêtement sa vie.

Capricieuse, la lune jouant à cache-cache derrière les nuages vint soudainement éclairer de ses pâles rayons la chevelure laiteuse de White tel un phare dans la nuit. La musique s’arrêtât et la demoiselle sortit de cette douce torpeur dont elle avait été plongée. Elle disparut dans u n buisson espérant ne pas avoir été remarqué. Si elle pouvait accepter de travailler librement, elle ne souhaitait plus être enfermée et privée de liberté.

Si White avait voulu se rapprocher sans se faire remarquer, elle n’avait pas voulut l’effrayer. Le « Qui-est »là ?! » la cloua sur place. Elle s’imaginait déjà qu’un garde ou ancien membre du cirque, lui mettent la main dessus. Tous muscles tendus, son instinct la poussait à fuir cet endroit le plus rapidement possible. La boule au ventre, le silence environnant la poussait à combattre ses craintes.

La demoiselle savait pertinemment ce qu’il pouvait être en train de ressentir en dehors de sa peur infondé. Elle aussi avait été enfermée et elle avait toujours aimé les rares interactions et distractions extérieur qu’elle pouvait avoir, qu’on vienne lui parler à travers la porte ou simplement voir un animal quelconque à travers la lucarne.

Witt ne pouvait raisonnablement refuser sa demande. Prudente, elle scruta les alentours avant de sortir timidement de sa cachette. L’adolescente n’émit aucune émotion quant au physique du jeune homme ; ça ne le rendait que plus sympathique à ses yeux. Ce n’était pas elle et ce qu’elle était qui allait émettre le moindre jugement.

Elle avança prudente sous le couvert de la lune, jetant des regards alertes dans toutes le directions. Dans la nuit, sa peau contrastait nettement avec l’obscurité nocturne ; elle semblait attirer à elle toute lumières.

Moins de bruit, on va nous entendre !

White n’avait pas envie de se retrouver enfermé à nouveau. Si on les surprenait ainsi, elle finirait à coup sûr et à tort suspecter d’avoir essayé de le libérer. Elle ne voulait pas prendre ce risque, maintenant qu’elle y avait goûter.

Moi, c’est White, et toi ?

Si l’instant d’avant l’adolescente était on ne peut plus joyeuse, elle se sentait affligé d’une profonde tristesse pour ce jeune homme. Bien qu’elle ne l’avait jamais vu auparavant, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine culpabilité envers lui d’être enfin libérée de ses chaînes.

C’est quoi cet endroit ?

Si la naïve jeune femme découvrait tout juste son monde et ne savait pas quel était cet intimidant bâtiment, elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’une personne aussi jeune et typé était enfermé pour de bonnes raisons ou de son plein gré.

Des hommes ivres, voilà qui ne rassurait la jeune adolescente. White en avait déjà fait plusieurs fois les frais durant sa courte vie. Sous l'influence de la boisson, ils étaient capables du meilleur, mais bien plus souvent du pire. Elle était au aboi craignant d'autant plus qu'on la remarque. Le jeune homme était bien parti pour écourter leurs rencontres.

La demoiselle était choquée. Déshumaniser un homme ou femme par un numéro arbitraire lui semblait bien plus terrible que tout ce qu'elle avait pu vivre jusqu'ici ; bien pire qu'être réduite à un simple handicap. Elle n'avait jamais apprécié la chose et refusait désormais de répondre à un tel sobriquet. Elle ne pouvait décemment l'appeler par autre chose que son prénom.

Enchanté damoiseau Hiro.

Par jeu où habitude de la scène, elle fit une révérence. Malgré ses angoisses infondées, White était ravie. Pas de ricanement, moquerie, sarcasme ou compliment dont elle n'arrivait pas à desceller l'ironie du vrai. Tout comme elle, il avait dû connaître insultes et autres bassesses humaines. Elle au contraire était fascinée et parfois envieuse des étrangers et de leurs teintes de peau si diverses et particulières.

Une prison...

Son grenier avait été une prison pour elle, mais jamais White n'avait eu à mettre de vêtements aussi ridicules. Quand au cirque bien qu'elle était privé de certaines libertés, elle n'en était pas entièrement dépourvu. Bien qu'elle n'avait pas été épargnée par une tenue de scène destinée à faire ressortir sa blancheur de peau ainsi que des surnoms plus ridicules les uns que les autres, elle s'estimait chanceuse. Elle ne se voyait pas enfermée pour le restant de ses jours dans un tel bâtiment comme ce pauvre bougre.

Et pourquoi donc ? Aurais-tu fait quelque chose de mal ? Moi aussi, j'ai été prisonnière.

White était offusqué qu'il puisse croire qu'elle jugeait une personne au physique, au nom ou bien ses habits. Elle était bien placée pour savoir que la réalité allait au-delà de ce genre de choses. Elle n’avait pas souvent la chance de rencontrer un jeune de son âge qui acceptait de lui parler sans se gausser d’elle et voilà qu’il la repoussait déjà.

Et moi, j’aurais préféré être comme toi !

White avait parlé sans même réfléchir. Les sourcils froncés, elle était offusquée qu’on puisse vouloir lui ressembler. Après tout ce qu’elle avait vécu, après tout ce qu’elle avait subi, elle ne souhaitait à personne de vivre une vie semblable à la sienne. Il n’imaginait pas la chance qu’il avait malgré sa différence de peau.

Je suis américaine !.. Ça n’a rien changé.

Et voilà qu’il commençait déjà à la dénigrer. Elle s'était trompée sur son compte, il était comme tous les autres. Piquée au vif, elle croisa les bras sur sa poitrine, ne cachant pas son mécontentement à l’égard d’Hiro. Elle prenait des risques à se dévoiler au clair de lune pour venir lui parler à sa demande et lui malgré sa condition et ses origines étrangère se moquait ouvertement d’elle.

Seuls les échos étouffés de rires et de musiques lui parvenant de l’intérieur de la bâtisse la retenaient encore en ces lieux. Boudeuse, elle alla s’asseoir hors de vue du prisonnier juste sous sa fenêtre barricadée. Le jeune homme avait réellement contrarié la susceptible adolescente qu’elle était, d’autant plus qu’elle ne comprenait pas pourquoi il refusait son aide pour sortir de sa cage.

White n’avait pas le cœur à le laisser seul pour le moment ; pas avant qu’il ai fini ses explications. Elle qui avait toujours vécu sous le joug d’un homme, elle ne pouvait concevoir qu’on pouvait se complaire en étant privé de liberté bien que cette dernière avait pu être effrayante au point de la faire hésiter.

Ne sachant pas si elle devait lui pardonner son insolence, ou attendre qu’il lui fasse part de ses excuses, White laissa planer un court silence avant de se décider à reprendre la parole sans toutefois se redresser restant hors de vue de son interlocuteur. Elle ne voulait pas perdre un potentiel ami, mais n’arrivais pas à accepter de se faire insulter et surtout pas par un étranger.

Payer ta dette ?

Réalisant qu’il était peut-être tout aussi esseulé qu’elle, White en oublia sa rancœur et sa tête penaude réapparu aux yeux d’Hiro.

N’y a-t-il personne pour rembourser ce que tu as mangé ?

White voyait bien que le jeune prisonnier n'avait jamais fait partie d'un cirque ; il n'en avait pas l'attitude ni les codes sociaux qu'elle avait toujours connus. Finalement plus amusée par ses maladroites excuses qu'outrer par ses gaucheries, elle finit par lui pardonner, un sourire un peu moqueur accroché à son visage.

Tu n'as donc aucun moyen de sortir d'ici ?

White ne souhaitait vraiment pas devoir attendre la fin de sa peine pour le voir sortir de prison. Habituée à côtoyer la différence et à la solidarité naturelle qui les reliait, elle avait la naïve certitude qu'il en serait de même avec lui. Désormais seule depuis son évasion, elle voulait pouvoir compter sur un véritable ami dont elle n'aurait pas à se méfier.

Tout ça par ce qu'on est différent des autres...

Et encore malgré ses origines étrangères, malgré le racisme évident avec lequel il devait vivre, on le considérait comme un humain. Elle, elle n'était qu'un monstre, un animal, une bête de foire qui n'avait aucun droit. Si elle ne s'était pas enfuie, elle aurait été condamnée à une vie de servitude alors même que l'esclavagisme avait été interdit et une fois trop vieille pour les représentations et la prostitution, on l'aurait jeté à la rue tel un déchet sans le moindre égard pour sa personne.

Regarde-moi ! Tu crois que je ne le sais pas ? Seulement, je pensais que pour toi, c'était différent.

Après tout, elle n'avait jamais vu de chinoises devoir faire de représentations. La plupart d'entre elles étaient des prostituées volontaires. White avait toujours pensé qu'elle restait avec le cirque pour la sécurité et le renouvellement de la clientèle attirée par la curiosité.

Oh, tu sais, je n'ai jamais eu à manger de pain rassis ou porter d'habits comme les tiens.

Si à bien des égards la vie qu'elle avait délaissée aurait pu paraitre tout à fait normal, il en était rien. Malgré des vêtements ordinaires, des repas chauds et consistants quand elle n'en était pas privée, elle avait subi toutes les humiliations possibles durant les représentations, jusqu'à être obligée de se montrer dans la tente des danses érotiques.

De moi ? heu.... je sais pas trop quoi dire...

De son point de vue, sa vie était inintéressante. Tout ce qu'elle avait pu faire, les compétences acquises et savoirs appris, n'avaient jamais été un choix délibéré de sa part, mais obligé sous la contrainte.