The lady and the tramp

@Rosario Pugliese & Leonora

Un verre de pétillant, intact, comme toujours, en main, la pseudo Elizabeth Kensington venait de prendre place sur l’un des fauteuils richement garnis du vaste salon. Elle avait beau s’adonner à la mithridatisation depuis longtemps maintenant, l’empoisonneuse en elle ne tenait pas à tenter sa chance. Personne ne le remarquerait si elle ne touchait pas à sa boisson. Certes, son rôle de veuve bourgeoise n’était pas le plus risqué qu’elle ait endossé, mais l’on n’était jamais à l’abri d’une vengeance un peu trop bien menée. La jeune femme était particulièrement rayonnante. Après son apparition au bal et sa danse aux enchères avec Thomas Rosenbach, elle avait été invitée dans des cercles plus restreints et ne se contentait plus de vivoter et apparaître de temps à autre parmi la classe bourgeoise locale. Certes, les intentions derrière ces sollicitations tenaient plus de la curiosité et de l’envie de la garder à l’œil que d’un réel intérêt, mais toute entrée dans les parties les plus confidentielles du milieu était bonne à prendre. Ce soir-là, par exemple, son hôte avait convié un comité de quelques dizaines de personnes pour une collation. Leonora n’était pas encore familière des filles Rosenbach ou de la benjamine Oakley, contrairement au plan qu’elle avait fomenté avec Cole, mais une occasion se rapprochait un peu plus à chacune de ses apparitions publiques. Pour l’instant, le Serpent se contentait de faire croitre sa cote de popularité en tolérant le gentleman à ses côtés, gâté du double de son âge et qui avait visiblement unilatéralement pris la décision d’être sa compagnie pour l’évènement.

Un mouvement dans l’un des couloirs qui entourait la pièce capta son attention et, toute espionne qu’elle était, elle ne put s’empêcher de détailler la scène, à travers les portes grandes ouvertes. Vraisemblablement un simple coursier, en livraison. Mais dans ce cas, pourquoi était-il accueilli par la maîtresse de maison elle-même ? La gangster fut surprise dans son étude lorsque les iris de l’individu croisèrent les siens. Elle dut se retenir pour ne pas physiquement sursauter et choisit plutôt de descendre son regard sur son verre, puis de décocher un sourire à son interlocuteur qui lui parlait avec ardeur de ses affaires. Elle le connaissait. En tant qu’Elizabeth, elle n’avait encore jamais eu affaire à quelqu’un qui ait été suffisamment proche de Leonora pour la reconnaître dans son rôle. Lui, si. Il était l’informateur des italiens des environs et elle avait marchandé avec lui à l’arrivée des Borden à Silverstone. Entre autres, elle l’avait grassement payé pour l’orienter vers la personne qu’ils recherchaient à l’époque. Certes, l’américaine d’adoption avait pour habitude de conclure ses transactions encapuchonnée, pour parer à cette éventualité, mais cela laissait quand même son langage corporel, sa voix et quasiment toute la moitié basse de son visage. Les personnes pouvant être confondues avec elle n’était pas légion à Silverstone. Non, son plan reposait bien plus sur la division de ces deux cercles sociaux que sur son anonymat. Enfin, les chances pour qu’il s’attarde demeuraient minces et elle pourrait poursuivre son œuvre sans avoir à s’inquiéter d’un grain de sable dans sa machine parfaitement huilée.

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