Je suis un homme d'habitudes et de rituels. C'est à la fois une force et une grande faiblesse. Mon esprit est trop souvent au bord de l'implosion. J'ai besoin de cadres puissants pour l’empêcher de basculer. Et me sentir plus en sécurité...

Le Passager Obscur dans mon esprit doit être tenu en laisse par une foule de petites et grandes choses. L'armée, la discipline, la hiérarchie m'ont étonnamment discipliné et rassuré à une époque. Ma propre violence ne semblait pas déplacée dans ce monde.

Aujourd'hui, je me condamne à des gestes répétitifs pour me rassurer, me dompter. Descendre tous les matins dans cette salle de billard et pratiquer cette activité sans émotion en fait parti...

La faiblesse d'avoir des habitudes, c'est qu'on sait la plupart du temps ou je suis et ce que je fais.

Tous les matins, je tourne autour de cette table pour la vider de ses billes. J'ai appris ce jeu encore adolescent. Ma mère l'avait importé dans son bordel. Elle voulait donner à sa Maison Close un vernis européen et moindain.
Cela m'a servit à West Point. Le pratiquer assidument m'a permis  de vider les poches de bien des élèves-officiers Nordistes.
Les dépouiller de l'argent envoyé par leurs familles était assez jouissif après qu'ils se soient moqués de mon accent et mes origines sudistes. Les ruiner n'était pas une vengeance bien méchante....

Je débute à peine une partie contre moi-même. J'installe les quinze billes en triangle grâce à une figure creuse et rigide. J'aime l'idée que mon corps se souvienne de tous les gestes. Une activité aussi mécanique soulage mon esprit.
Armer de ma queue de billard, j'entreprends de casser cette parfaite figure géométrique. je suis assez fier du carambolage provoqué par ma boule blanche. Le bruit des multiples chocs se répercute. On  pourrait penser aux déflagrations d'une arme à feu.

Je ne perds pas le coup de main. Et je ne peux me défendre d'un certain sentiment d'autosatisfaction. Je n'ai jamais prétendu avoir un ego totalement sous contrôle. Et loin de là...
Je ne sais pas bien le temps qu'il m'aura fallu pour vider cette table de toutes ces billes...

Une fois la partie terminée, je vais ranger avec soin la queue de billard avec les autres. Ainsi alignées, elles ressemblent à un alignement parfait de fusils installés contre un mur.
Je suis en train de remettre ma veste. Pourtant, je suspend mon geste et puis je continue plus lentement. Un parfum féminin flotte dans l'air.
Quelque chose de léger et que n'oserait jamais porter une cocotte du coin...