Nuttah était plutôt satisfaite de leur passage au marché. Elle avait pu vendre davantage qu’elle ne l’espérait, ce qui leur permettrait de survivre un peu plus longtemps, d’autant plus qu’elle avait de nouvelles bouches à nourrir. Elle ne parlait jamais de la situation financière de la ferme devant qui que ce soit, bien qu’il fut évident que celle-ci n’était pas au beau fixe. Cette victoire lui donnait néanmoins du baume au coeur, et il ne restait que quelques cageots qui étaient transportés  par Caballo. Elle souriait, se sentant plus sereine, également soulagée de voir que les températures hivernales semblaient s’adoucir. La route du retour lui paraissait du même coup plus rapide, plus agréable également. Elle se sentait même pleine de sympathie envers Chuy, qui l’avait bien aidée, elle devait le reconnaitre.

Du moins, jusqu’au moment où un écureuil déboula sous les sabots du cheval. Celui-ci réagit immédiatement en prenant peur, projetant au sol les victuailles restantes d’une ruade avant de partir au galop dans la forêt. « Ramasse tout ça ! » eut-elle à peine le temps de crier au jeune Mexicain avant de poursuivre Caballo.

Elle avait bien peu d’espoir de le rattraper en vérité, mais elle espérait qu’il décide à un moment ou un autre d’arrêter sa course folle avant qu’elle perde totalement sa trace. Malheureusement, elle n’eut le temps que de parcourir quelques mètres avant que le sol ne se dérobe sous ses pieds.

Paniquée et surprise, elle poussa un cri tandis que son corps ne rencontrait que le vide et l’obscurité. La chute dura à peine quelques instants mais elle lui sembla être infinie. Puis, elle heurta durement le sol. Le choc fut douloureux, mais sa situation l’était plus encore. Par chance, elle n’avait pas perdu connaissance, mais se sentait malgré tout étourdie. Elle ouvrit les yeux péniblement, malheureusement son regard ne rencontra que l’obscurité la plus profonde.

Au prix d’un effort presque surhumain, elle parvint à rouler sur le dos, déchirant au passage sa manche au niveau de l’épaule. Son corps entier lui faisait mal, et elle espérait ne rien avoir de cassé. Elle prit une profonde inspiration et mit toute sa force et sa volonté dans le cri d’appel à l’aide qu’elle poussa. « CHUY ! »

Pourquoi mettait-il autant de temps ? Il avait bien dû voir qu’elle était tombée, il n’était tout de même pas idiot à ce point ! Elle soupira, prenant peu à peu conscience qu’elle était dans de sales draps alors que ses yeux commençaient doucement à s’adapter à l’obscurité. Elle ne voyait pas comment remonter et si jamais Chuy n’avait pas assisté à sa chute et décidait de rentrer sans elle… elle aimait mieux ne pas y penser.

Elle crut l’entendre crier à son tour, mais elle ne le voyait pas et elle était bien incapable de distinguer ses paroles. « CHUY ! » Son cri mourut dans une quinte de toux, et elle entreprit de se redresser péniblement. Jusqu’à ce qu’un énorme poids tombe sur elle et manque de l’écraser complètement. Elle poussa une exclamation de douleur et tenta de se dégager, le garçon étant loin d’être assez rapide à son goût. Avec son aide, elle parvint à se relever et constata avec soulagement que malgré les douleurs elle n’avait aucun mal à bouger. Plus de peur que de mal.

Mais même dans cette situation désespérée, il fallait encore que le jeune Mexicain trouve le moyen de l’agacer. « Moi ? Et toi alors, je te rappelle que tu m’es tombé dessus, et tu pèses une tonne ! On est coincés là tout les deux maintenant, c’est malin ! »

Est-ce qu’il l’écoutait ? Elle n’en était pas certaine, et le scruta du regard - autant que possible dans cette obscurité -, bien incapable de pouvoir deviner ce qu’il pensait. Il la regardait, mais semblait presque perdu dans sa propre tête. Et soudain, sans prévenir, il lui attrapa la main et l’entraina dans les ténèbres.

Surprise, il lui fallut quelques instants pour se décider à réagir, de manière bien moins affirmée cette fois. « Attends Chuy, où est-ce qu’on va là ? » Elle n’osait pas montrer qu’elle n’était pas vraiment rassurée, bien que l’intonation de sa voix puisse aisément le laisser deviner. Elle regardait autour d’elle, mais ne voyait pas grand chose. Quelle tête de mule, pourquoi n’écoutait-il jamais rien ?

Elle finit par lui lâcher la main et se précipiter pour le dépasser avant de se placer juste devant lui. « STOP ! Où est-ce que tu nous emmènes ? Il vaut mieux rester là où on est tombés, quelqu’un va forcément voir les cageots par terre et venir nous chercher. » Elle efforçait de le convaincre, et de s’en convaincre elle-même. Mais en vérité elle n’en savait absolument rien. Ce qu’elle savait en revanche, c’est qu’elle n’avait pas envie de s’enfoncer dans ces tunnels et de se perdre complètement dans le noir sans connaitre leur destination. Elle songea que c’était peut-être un peu comme ça, être enterré vivant. Cette pensée la fit frissonner.

Elle fronça les sourcils et le fusilla du regard - bien qu’il ne puisse sans doute pas le voir dans la pénombre -. Il avait décidément bien du culot de s’adresser à elle de cette façon, alors qu’elle était supposée être sa patronne. Par lassitude, elle avait renoncé depuis longtemps à essayer de le lui faire comprendre, mais elle était quand même excédée. En plus, c’était en partie de sa faute s’ils se retrouvaient dans cette situation. Il aurait pu aller chercher de l’aide, s’il n’était pas tombé stupidement à son tour. Elle croisa les bras, refusant d’admettre sa défaite. « C’est toi qui es bête ! Mon père saura nous retrouver, il sait très bien pister les gens. Et Caballo alors, quelqu’un va forcément le trouver aussi et se demander pourquoi il est tout seul. »

Mais il avait réussi à insinuer un doute dans sa tête… Et si c’était vrai ? Et si on ne les retrouvait jamais ? Elle regarda vers le haut, ne pouvant voir que le ciel. Elle ne voyait pas comment ils pourraient arriver à remonter seuls. Cela lui faisait bien mal de l’admettre mais il avait peut-être raison. Peut-être auraient-ils en effet plus de chances en poursuivant leur route dans la galerie sombre, même si l’idée ne lui plaisait absolument pas.

Elle n’avait cependant pas l’intention de l’admettre directement à voix haute, ça aurait fait bien trop plaisir à Chuy. A la place, elle le jaugea d’un air sceptique. « T’es vraiment sûr de toi ? Parce que si on se perd… » Elle ne termina pas sa phrase, ne voulant ni lui faire peur, ni se faire peur. Elle avait du mal à cacher qu’elle n’était pas vraiment rassurée. Elle avait entendu des histoires de personnes qui s’égaraient de cette façon dans d’anciens souterrains et qu’on ne revoyait plus jamais. Elle ignorait si c’était vrai, et n’avait aucune envie de le découvrir.

Elle soupira. Il n’avait pas l’air de vouloir renoncer à son projet, alors autant le suivre. Et puis elle était persuadée que sans elle il allait forcément réussir à se perdre ou se faire tuer. « Bon d’accord, on y va. » Elle pria dans sa tête pour ne pas être en train de faire une très grosse bêtise, tandis qu’ils commençaient à s’avancer dans les ténèbres.

Nuttah s’efforçait d’avancer prudemment, de peur de trébucher sur une pierre ou une racine qu’elle n’aurait pas vue. Elle avait l’impression que plus ils avançaient, plus son champ de vision se rétrécissait. Elle entendait du bruit aussi - mais peut-être que ce n’était que son imagination -. « Tu… tu crois qu’il peut y avoir des animaux là-dedans ? » Comme des bêtes sauvages, qui les auraient dévorés sans le moindre scrupule. Cette pensée la fit frissonner.

En faisant preuve de franchise, si on lui avait laissé le choix d’un compagnon d’infortune avec qui partager cette sinistre mésaventure, Chuy n’aurait probablement pas été sa première option. Oui, elle s’y était attachée avec le temps - à sa plus grande surprise - mais à ses yeux il passait surtout son temps à faire le malin et à l’enquiquiner. Donc pas le partenaire idéal pour les situations de crise. Et pourtant, elle ne pouvait nier qu’il s’en sortait vraiment bien. Soit il savait parfaitement ce qu’il faisait, soit il était totalement inconscient - chose qu’elle n’espérait vraiment pas -, soit il avait au moins aussi peur qu’elle mais ne le montrait pas.

Elle le fusilla du regard, avant de se rappeler qu’il ne pourrait pas le voir. « Tu parles, je suis sûre que tu pèses rien du tout ! » Il portait des vêtements tellement informes que c’était difficile à deviner, mais elle était à peu près certaine qu’il ne pouvait pas être bien épais. Néanmoins, elle ne put s’empêcher de rire face aux pitreries du garçon et elle devait reconnaitre que cela allégea un peu ses angoisses, à défaut de pouvoir les faire disparaitre complètement.


Elle tressaillit en sentant une pression sur son bras, avant de se détendre, intriguée. Elle sentit ensuite quelque chose de dur et froid sous ses doigts, dont il ne tarda pas à lui expliquer la nature. Elle sourit, à la fois touchée et surprise par ce geste. Chuy ne l’avait pas vraiment habituée à se montrer si gentil. « D’accord. Et je te défendrai si elles t’attaquent. » En espérant bien sûr que cela ne se produise pas. Elle avait appris à chasser, mais dans le noir et sous la terre, c’était une autre affaire.
Lorsqu’il l’attrapa par la manche, elle faillit tomber elle aussi, ses réflexes diminués par l’obscurité. « Ca va ? » Elle lui attrapa le bras, puis la main. Pour l’empêcher de trébucher à nouveau, aussi et surtout pour sentir sa présence et se rassurer elle-même. Mais ça, elle ne le lui dit pas.

Nuttah commençait à sentir son inquiétude revenir à la charge. Ils continuaient d’avancer et elle avait l’impression que tout ça ne les menait nulle-part. « Tu… tu es sûr qu’on va dans le bon sens ? Il fait toujours aussi noir, ça ne doit pas être normal… » En vérité elle n’en avait pas la moindre idée. Elle avait seulement espéré qu’après un temps ils commenceraient enfin à percevoir la lumière du jour. « A ton avis, ils servaient à quoi ces tunnels ? » C’était une manière comme une autre de se distraire. Quelqu’un avait bien dû les construire pour une raison. « Tu crois qu’on pourrait tomber sur un trésor, quelque chose comme ça ? » C’était absurde, mais toujours préférable aux bêtes sauvages amatrices de chair fraiche.

Malgré les hormones de la jeunesse qui tambourinent dans vos corps idéalisés de jeunes gens, vous avez su résister à l'isolement et à l'obscurité. Poussés par un authentique instinct de survie, Chuy et Nuttah ont été plus forts que le péché. Le shérif essuie une petite larme, il n'en attendait pas autant de vous. Parce que vous avez été bons, la PM veut vous récompenser.

Suivez les lumières, contemplez le chemin...une surprise de taille vous attend dans les boyaux de la terre.  

Il avait beau tenter de la rassurer, elle commençait à se demander à quel point il savait où il les menait. Elle sentait qu’elle perdait peu à peu toute notion du temps, incapable de déterminer s’ils marchaient depuis un quart d’heure ou une heure et demi. Elle le regarda d’un air sceptique, pratiquement certaine qu’il venait d’inventer ce nom là. Elle commençait à regretter de ne pas avoir réussi à le convaincre de rester à l’endroit où ils étaient tombés un peu plus tôt. Au moins là-bas, il y avait de la lumière…

Les histoires de trésors avaient l’avantage d’être distrayantes. Elle commença même à se sentir emballée par le récit de Chuy, qui avait plus d’imagination qu’elle ne l’aurait cru. « Oui, il doit être là depuis longtemps. Peut-être même que c’est un trésor perdu et qu’on sera riches. » Les paroles du garçon la rassuraient: c’est vrai, elle n’avait jamais été attaquée sur cette route, ni aucun de ses employés d’ailleurs. Au moins elle pouvait écarter ce danger de sa tête.

Et puis soudain, elle oublia tout, même son ami. Elle s’avança également de son côté, hypnotisée par le spectacle qui se dévoilait sous ses yeux. Des milliers de petites lumières bleues éclairaient l’intérieur de la grotte et donnaient au lieu une atmosphère enchanteresse. Elle ne croyait plus aux histoires de fées depuis longtemps, mais elle songea que si ces créatures existaient, elles n’auraient pas vécu ailleurs. Il lui sembla qu’elle n’avait jamais rien vu de plus beau de toute sa vie. Elle regretta de ne savoir ni peindre ni dessiner, pour garder une image de ce lieu le restant de ses jours.
Elle fut distraite de cette vision par le bruit peu gracieux d’une chute dans l’eau. Elle se retourna vivement et se précipita vers l’origine du son. « Chuy ! Chuy, ça va ? » Les lumières se mirent soudain à bouger dans tous les sens, lui permettant de réaliser qu’il ne s’agissait pas de lueurs magiques, mais de lucioles. Pour autant, les voir se mouvoir soudainement, si vite, avait quelque chose d’impressionnant, de surnaturel même.

Elle lui tendit la main pour l’aider à s’extirper de cette eau qu’elle devinait glacée. Par chance, il n’y avait pas été plongé tout entier, elle n’avait pas à craindre les effets de ce contact gelé sur son coeur. Elle craignait malgré tout qu’il finisse par tomber sérieusement malade, surtout s’ils restaient trop longtemps ici.

C’est en baissant les yeux sur la surface de l'eau redevenue lisse qu’elle vit le message, qu’elle pointa du doigt. « Regarde ! » Plissant les yeux, elle commença à lire la première ligne à voix haute. « av-és-és-nod-a » Puis elle s’arrêta et fronça les sourcils. « Ca veut rien dire du tout ! Tu comprends quelque chose toi ? » Tout ceci était de plus en plus mystérieux. D’un coup, elle eut l’impression d’être projetée dans l’un des romans d’aventures qu’elle aimait lire autrefois. Mais dans la réalité, c’était un peu plus effrayant, car au fond de sa tête, elle n’oubliait pas le sort qui les attendait s’ils ne parvenaient pas à sortir d’ici…

Elle l’aida à sortir de l’eau gelée, manquant de tomber à ton tour au passage. Elle le regarda avec une certaine inquiétude: ils avaient grand intérêt à sortir rapidement avant qu’il meure de froid. Pourtant, il ne cessait de sourire, et elle ne pouvait pas vraiment lui en vouloir, elle était dans le même état, hypnotisée par le spectacle enchanté qui se déroulait sous leurs yeux. Jamais elle n’aurait pu imaginé un pareil endroit, et le fait qu’un message se soit inscrit dans l’eau rendait le tout encore plus mystérieux. Dommage que les mots eux-mêmes ne veuillent rien dire du tout…

« Tu crois ? » Pas de chance, elle ne connaissait absolument pas l’Irlandais. Le garçon avait davantage eu l’occasion de voyager, peut-être qu’il en savait plus. Ou alors il était en train d’inventer, ce qui n’était pas impossible non plus.

« Un trésor d’Irlandais ? Je me demande à quoi ça peut ressembler… » Le seul Irlandais qu’elle ait vraiment connu était Clyde et elle n’était pas sûre qu’il ait jamais eu un trésor. Elle savait également qu’un gang de ces contrées sévissait dans la région, mais elle avait oublié leur nom. Si trésor il y avait, elle espérait qu’il ne leur appartenait pas, elle n’avait aucune envie qu’ils les retrouvent et les égorgent dans leur sommeil.

Elle soupira d’exaspération lorsqu’il ne trouva rien de mieux à faire que lancer un caillou sur les lucioles. Jusqu’à ce qu’il lui fasse remarquer la paroi. Elle se sentit particulièrement idiote d’avoir cru que le message était inscrit dans l’eau, alors que bien sûr il ne s’agissait que d’un reflet. Dire que c’était Chuy qui l’avait remarqué en premier… Elle ne fit pas de commentaire et commença à lire à voix haute la première ligne, en espérant que ça aurait davantage de sens de cette façon. « A done-dee see vai… » Elle secoua la tête, commençant à ressentir une pointe de désespoir. « Ca sert à rien, ça veut rien dire non plus. »

Le bruit de claquement des dents du Mexicain commençait à devenir agaçant, si bien qu’elle finit par retirer son propre manteau et le placer sur les épaules du garçon. « Mets ça, tu vas vraiment tomber malade sinon. » Découragée, elle s’assit sur l’un des rocher. Certes, l’endroit était splendide et en d’autres circonstances elle aurait pu y rester durant des heures. Mais elle n’avait pas non plus envie de mourir, pas de cette façon alors que personne ne savait où ils étaient. « Bon, on fait quoi maintenant ? T’as une idée ? »

Elle le regarda une fois de plus d’un air sceptique, prête à parier qu’il allait devoir être alité - et par conséquent ne pourrait plus travailler -. Elle pouvait voir tous les efforts qu’il faisait pour ne pas lui montrer qu’il était frigorifié, ne sachant si elle trouvait ça courageux ou stupide.

Si elle avait su ce qu’il allait lui infliger, elle l’aurait peut-être laissé croupir dans son eau gelée. Il lui fit répéter des dizaines et des dizaines de fois les mêmes mots. Parfois elle dut s’arrêter à certains passages pour insister, puis recommencer avec des rapidités et intonations différentes. Ses yeux lui lançaient des éclairs, et plus d’une fois elle eut envie de l’envoyer paitre, mais si vraiment Chuy pouvait leur donner la clef de l’énigme ce ne serait pas très malin de provoquer une dispute. Elle prit sur elle, ce qui lui demanda un effort presque surhumain, mais plus les répétitions s’effectuaient, plus elle montrait son agacement, crachant les mots d’un ton rageur. Elle espérait fortement qu’il n’était pas en train de la faire tourner en bourrique exprès.

Mais il fallait croire que non, puisque le garçon finit par en tirer une conclusion d’un air triomphant. « Euh… tu es sûr de toi ? » Elle se méfiait des idées farfelues de Chuy. Surtout que cette fois-ci, si jamais il se trompait, il allait les noyer tous les deux. Face à son enthousiasme, elle soupira et céda. « Bon d’accord. On a pas le choix de toute façon. » C’était soit ça, soit rester coincé dans cette grotte et aussi magnifique soit-elle, Nuttah n’avait pas particulièrement envie d’y mourir.

Par contre, ne pas réfléchir n’était pas si simple. Son esprit tournait même à plein régime. Ayant grandi près d’un lac, elle avait appris à nager mais suffisamment pour se rafraichir dans l’eau durant les chaleurs d’été ou ne pas se noyer. Là, c’était une toute autre affaire. Prenant une profonde inspiration, elle s’avança dans l’eau et poussa une exclamation de stupeur au contact du liquide gelé contre sa peau. Elle avançait timidement, avec prudence, contemplant l’eau qui semblait de plus en plus profonde, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus en voir le fond. Elle attendait qu’il la guide, et suivait, s’enfonçant petit à petit malgré la boule d’angoisse qui se formait dans le creux de son estomac. « Tu es vraiment sûr de là où tu vas ? » Elle avait conscience d’avoir déjà posé la question, mais elle avait un besoin désespéré d’être rassurée.

Nuttah avait tout simplement cru ne pas y arriver. Elle dut se concentrer pour ne surtout pas ouvrir la bouche dans l’espoir d’inspirer de l’air là où il n’y avait que du liquide. La température de l’eau lui donnait l’impression que mille aiguilles se plantaient dans sa peau. Quand enfin elle regagna la surface, elle sentit tout le bonheur de respirer, pleine d’espoir qu’enfin ce cauchemar se termine.

Mais lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle déchanta immédiatement. Alors qu’elle s’attendait à se trouver aveuglée par la lumière du soleil, elle réalisa, dépitée, qu’ils étaient toujours bel et bien dans une caverne. Et parce qu’il fallait un responsable, elle lança un regard furieux à Chuy. « Non ça va pas ! Elle est où la sortie ? » Soit le message mentait, soit il s’était trompé - elle penchait plutôt pour cette dernière option -. Mais le pire était qu’il ne semblait même pas l’écouter. C’est alors qu’elle se rendit compte qu’elle avait beaucoup moins froid, et qu’il faisait beaucoup plus clair entre les parois de la grotte. Que se passait-il encore ?

Par réflexe, Nuttah se blottit contre Chuy lorsqu’il l’attrapa. Quelle était donc cette diablerie ? Soudain, un homme à la bouclette capillaire audacieuse, qui sortait d’on ne sait où se mit à prononcer un discours totalement incompréhensible, mentionnant des équipe de différentes couleurs. Mais c’est vrai qu’il avait dit trésor, peut-être que participer à son étrange manège en valait la peine. « Bien sûr que non, je l’ai jamais vu. Et toi ? » Elle ne put s’empêcher de le regarder d’un air suspicieux. Elle n’aurait pas été surprise qu’il lui ait joué une mauvaise farce. Mais non, à la réflexion ça aurait été trop élaboré pour le jeune mexicain. Cela dit, ce mystérieux inconnu connaissait leurs prénoms. Ce devait forcément être un sorcier ! Elle en avait déjà entendu parler mais n’aurait jamais pensé qu’ils puissent exister.

L’homme inconnu plongea soudainement avec grâce dans l’eau pour réapparaître un peu plus loin. Les paroles de Chuy la glacèrent. Et s’il avait raison ? C’est ce qui semblait le plus probable. « Mais tais-toi enfin, tu vas l’énerver avec tes questions ! » Etre malpoli avec un potentiel assassin était rarement une bonne idée. Elle s’efforça de rattraper les paroles malheureuses de son ami comme elle le pouvait. « Pardonnez-nous Monsieur, nous passions simplement par là, nous ne voulons surtout pas vous déranger. Si vous pouviez nous indiquer la sortie… »

Mais le sorcier ne semblait pas l’avoir entendue et prononçait des mots qu’elle comprenait encore moins. Elle n’avait aucune idée de ce que pouvait être un pesos, ni l’intérêt d’en avoir autant. Est-ce que cet homme leur offrait à manger ? Elle aurait été ravie de picorer un morceau, mais n’avait pas franchement envie de monter sur ses poteaux. Plus ça allait, plus elle pensait qu’il était fou et qu’ils étaient en grand danger. Peut-être valait-il mieux faire ce qu’il disait, en attendant ? Elle se préparait donc à monter sur son poteau, lorsque le sorcier - ou l’assassin fou - fondit sur elle en parlant d’intrusion et de plomb. Persuadée qu’il était sur le point de l’attaquer, elle hurla et par réflexe le poussa de toutes ses forces. L’homme, déséquilibré, glissa du rocher sur lequel il se tenait et tomba dans l’eau la tête la première…

« J’ai pas fait exprès ! » hurla-t-elle d’un ton aussi rageur que terrifié. Etait-il mort ? Mais non, il bougeait ! Ce fut Chuy qui lui sauta dessus, essayant de le maitriser, mais pour le moment sans grand succès. Nuttah, qui était restée pétrifiée face à la scène, sembla soudainement retrouver possession de ses moyens et regarda autour d’elle paniquée, à la recherche de quelque chose qui puisse venir en aide au jeune homme. En plus il commençait à délirer. Le planter ? Elle ne voyait pas trop comment faire ni à quoi ça pourrait bien leur être utile, et de toute façon il n’y avait pas de terre dans cette grotte.

Mais elle finit par se rappeler comme un éclair qui lui illumina l’esprit que Chuy lui avait confié son couteau de chasse un peu plus tôt. Elle fourra sa main dans sa poche et en sortit l’arme, puis se précipita dans l’eau comme elle le pouvait pour les rejoindre, malgré ses jupons qui la ralentissaient et l’attiraient vers le fond.

Elle parvint enfin à leur hauteur et, tenant fermement le poignard dans sa main elle secoua les jambes sous l’eau pour se donner de l’élan et planta la lame dans le dos de leur assaillant.  Malheureusement, alors qu’elle allait le retirer, il fit un mouvement brusque et la bouscula, la précipitant dans l’eau. Elle espérait que ça avait été suffisant pour que son ami puisse se dégager et avoir le temps de s’enfuir.

Elle remonta à la surface comme elle le pouvait. Du rouge teintait l’eau de la grotte, qui semblait avoir cessé ses remous. Peut-être que le sorcier était vraiment mort cette fois ? Lorsqu’elle sortit la tête de l’eau, elle ne vit rien, dans un premier temps. Puis elle sentit une pression sur le haut de son crâne, tandis qu’une main maintenait ses cheveux. Elle tentait se dégager, de résister à la pression qu’il imposait sur elle, mais avec autant de succès que si elle avait été une mouche. « Les aventuriers de la tribu réunifiée ont décidé de vous éliminer, et leur sentence est irrévocable. » Furent les derniers mots qu’elle entendit, avant qu’il enfonce sa tête sous l’eau.

Elle voyait bien qu’il essayait de lui dire quelque chose, mais évidemment elle ne pouvait pas l’entendre puisqu’elle était à moitié sous l’eau. Quel idiot celui-là, pas capable de réfléchir plus loin que le bout de son nez ! C’était à se demander comment il avait passé l’épreuve de l’orientation pour arriver jusqu’ici.

Mais elle était occupée de son côté à essayer de se débattre, ce qui n’était pas chose aisée. Elle était habituellement plutôt bonne sur les épreuves physiques, mais l’eau n’était pas son point fort. Elle allait finir par vraiment se noyer s’il ne faisait rien. Dans un effort qui lui parut surhumain elle parvint à sortir la tête de l’eau « CHUY ! » Malheureusement, en guise d’aide, elle reçut une pierre sur la tête qui manqua de l’assommer. Mais n’importe quoi ! C’était vraiment un maillon faible pour son équipe, pour sûr il allait sauter au prochain conseil - de famille -.

Affaiblie par sa lutte incessante et le projectile, elle ne parvenait plus à voir où était le garçon, ni ce qu’il faisait. Jusqu’au moment où elle sentit la prise du sorcier faiblir et vit l’eau se teinter une fois de plus de rouge. Elle en profita pour se dégager et rejoindre Chuy. Denii’, lui, ne semblait toujours pas mort. C’était donc vraiment un sorcier ?

Se hissant sur le bord aux côtés du Mexicain, elle avisa avec terreur le géant qui, bien que faible, continuait d’avancer dans leur direction. Une fois de plus, Nuttah regarda partout autour d’elle et c’est alors qu’elle aperçut une lumière différente… Une lumière qui ressemblait à du soleil ! Elle tira Chuy par le bras. « Regarde, ça doit être la sortie ! » D’un pas rapide - ce qui n’était pas aidé avec l’eau qui pesait sur ses jupons -, elle l’entraina avec elle vers cette lueur.

Il y avait bien une ouverture sur une sorte de tunnel. Difficile de savoir si c’était vraiment une sortie ou si ça allait encore mener vers une grotte étrange, mais elle était prête à tenter sa chance. Elle avisa alors un gros rocher sur le côté. « On a qu’à le faire rouler pour boucher l’ouverture, comme ça il pourra plus nous suivre ! » Déjà, le sorcier s’apprêtait à sortir de l’eau. Ses mouvements semblaient saccadés, comme s’il était un pantin désarticulé. « Ah ! Ca veut dire que les femmes ne savent pas faire une cabane ! »

Bien sûr que si elle savait faire une cabane. Mais ce n’était pas le sujet. « Grouille toi enfin, il va nous rattraper ! » Elle entreprit de faire rouler le rocher pour bloquer le passage, ce qui était plus difficile qu’elle ne l’aurait pensé.