Il court, comme un dératé qui poursuit l’amour, sans savoir qu’il l’attend au bout de ce wagon. Le souffle court, le front constellée de gouttelettes de sueur, son torse se gonfle d’un air qui lui manque, trahissant les contours d’un corps que la jeunesse et l’aventure ont sculpté. Il est beau sous ce soleil de plomb ( qui l’inquiète à peine en ce mois de Février ), perdu et fou, le frisson du danger rendant ses yeux un peu plus bleu ( ce qui est, comme tout le monde le sait, tout à fait possible ).
Il fuit ses assaillants, pénétrant dans le dernier wagon dont il ferme la porte. Derrière lui, un concerto de pas se presse pour défaire les gonds du petit vestibule, s’acharnant sur l’ouvrage de fer comme s’ils tapaient dans le fond d’une cuve. Mais Kilian les a déjà oublié, car quand il s’est glissé dans le trou de la porte, c’est la beauté d’une inconnue qui l’a transcendé :   Forte et fragile, elle est  tout à la fois. Il ne sait d'où elle vient, ni pourquoi, mais elle l’anime, ce diamant en lui. Les mains levée, une question sur ses lèvres sublimes, la beauté de cette passagère lui inspire quelques rêves - il se ferait volontier poinçonneur rien que pour effleurer un instant les doigts d'albâtre de cette créature quand elle lui tendrait son ticket.

Mais il n’est pas tant de rêver : derrière eux gronde la furie d’une poignée d’hommes - et une réponse attend la balle.  — Le meilleur des O’reilly, miss, s’tout c’que vous avez b’soin d’savoir ! “ Sans perdre une seconde, et peut-être pour changer ses rêves en réalité, il tire la demoiselle de son siège, la faisant virevolté d’une pirouette habile pour que son dos viennent se presser contre son corps encore agité par une course folle. — Par contre, j’adorerais connaitre vot’nom. “ Lui souffle-t-il, comme une confession à l’église. Le canon de son pistolet est plaqué contre sa la tempe de la magnifique brune, métal froid qui doit lécher la brûlure de la surprise. — Craignez rien, j’vous ferais pas d’mal, j’ai juste besoin de dissuader la justice. “ Alors entrent les hommes de lois, dans le fracas d’une porte qui s’affaisse. — Bougez pas où j’tire ! “ Il recule, entraînant la demoiselle avec lui comme un fantôme qui ravirait sa belle ( Dans tous ses rêves, elle a certainement toujours su que cet homme et ce mystère étaient tous deux en elle ).

Ouvrant une nouvelle porte, le vent s'engoufe dans l’habitacle, faisant voler comme les voiles d’un bateau le tissu d’une robe sombre. Le paysage défile à grande vitesse derrière eux, mais Kilian n’a pas peur. — Est-ce que vous me faites confiance ? “ Chuchote-t-il de nouveau au creux d’une oreille rosie.