Un, deux, trois… Six, sept, huit. Clyde comptait les cadavres de bouteilles de Whisky et de Gin traînant dans sa tente, dont les fonds de liqueurs sucrées n’allaient pas tarder à attirer les bestioles. Il lui faudrait les enterrer vite ou s’en servir de cible pour que Matthews apprenne enfin à tirer. Ça pourrait lui servir, en tant que lieutenante.

Cette dernière s’agitait autour et dans ses quartiers telle une furie enragée. Il attendait qu’elle se calme pour lui dire que les bouteilles pleines étaient à quelques pas de là en train de barboter dans l’eau du lac, au frais. Bloquées par une grosse pierre et plantées dans le sable, il fallait en connaitre l’emplacement pour en apercevoir les reflets chatoyants sur la rive, et Clyde se gardait bien de dévoiler ses provisions. Les bras croisés, le cul posé sur une malle lui servant de banc et de rangement pour garder ses armes au sec, il la regardait s’exténuer autour de lui telle une mouche autour du cul d’une vache. Elle finit par se lasser de sa fouille, revenant vers lui le temps de s’allumer une clope. Le hors-la-loi hocha la tête pour toute réponse concernant le braquage. Max et Kilian avaient fait les plans avec lui, il n’avait pas vraiment eu besoin d’invitation, mais il gardait se détail pour lui-même – il n’avait pas envie d’irriter encore plus Mattews et que sa colère se retourne contre lui.

La brune semblait enfin se calmer, alors Clyde se releva en prenant appui sur ses genoux, direction le lac et sa planque à bouteilles. C’est ce moment que choisit Mae pour parler d’une putain qu’ils vont devoir se coltiner. Arquant un sourcil, soucieux de savoir si Sally allait réellement se joindre à eux le temps de la soirée, il se retourna vers la lieutenante en demandant : « Une catin… hm. C’est quoi son p’tit nom ? », un sourire malicieux sur les lèvres. Puis, levant les yeux au ciel face à l’expression de la jeune femme, il posa une autre question, toute aussi importante : « Bon, en clair… C’est une situation qui requière plus du whisky ou du Gin ? ». Étrange, aucun des Irlandais n’avait mentionné qu’une personne extérieure à leur petite bande ne devait se joindre à eux. Mais ça s’était peut-être décidé seulement quelques heures plus tôt. De toute façon, l’avis de Clyde sur ce genre de choses comptait peu : on ne lui demandait pas de faire les équipes, juste de sauver le cul de celles-ci. Mais quand même, la Fiels ne risquait pas de laisser une de ses filles partir aussi longtemps et surtout sans une bonne raison. Figé, attendant une réponse, il se gratta le menton, avant d’ajouter : « J’reformule : tu veux t’souvenir de cette conversation demain ou pas ? ».

Clyde n’était pas un grand bavard, mais il avait le sens des priorités quand on lui demandait de jouer les fournisseurs de liqueur.

Whiskey, donc. Clyde plongea ses mains dans l’eau glacée, décalant la lourde pierre qui empêchait les bouteilles de prendre le large, et tira hors de la vase un litre de Tennessee Whiskey, dérangeant quelques tritons ayant trouvé refuge là. « Foutez l’camp », grogna t’il en remuant l’eau du bout des doigts pour faire fuir les bestioles. Levant la bouteille devant lui pour jauger la quantité restante, il finit par conclure que ça ferait parfaitement l’affaire, replaçant la roche à sa place. La qualité de cet alcool laissait à désirer lorsqu’on avait pris goût aux liqueurs écossaises plus raffinées, mais Matthews ne lui semblait pas du genre à faire la difficile. Elle piquait déjà dans sa réserve, ô combien précieuse, et le fait que Clyde la laisse faire sans rechigner était gage de sa complicité nouvelle avec la jeune femme.

En revenant, il lui tendit la bouteille et lui offrit un sourire reconnaissant lorsqu’elle le complimenta sur son ingéniosité. « …ça garde au frais et à l’abri d’la lumière », précisa-t-il, fier de sa cave improvisée dont elle partageait maintenant le secret. Il espérait seulement qu’elle ne lui vide pas tout à chaque coup de nerf, ou alors qu’elle remplace la marchandise en échange, de bonne guerre.

Il posa son cul à côté d’elle sur un tronc, et l’écouta attentivement. Le nom d’Hannah lui fit l’effet de la baffe, et ses joues prirent feu. La suite de la réflexion, concernant le fait qu’elle se faisait baiser par Kilian, eut l’effet inverse, le rendant livide. Alors comme ça, Baxter se tapait son boss. Bien, lui qui commençait à avoir des remords. Attrapant son étui à cigarettes, Clyde s’alluma une clope pour se détendre ; et surtout pour se concentrer sur sa respiration, et ne pas trahir devant Mae qu’il était plus touché par cette information qu’il ne voulait bien l’admettre. À ce moment-là, il n’écoutait plus vraiment la lieutenante, hochant malgré tout la tête lorsqu’elle commença à traiter son amie d’enfance de truite, engloutissant l’alcool comme si elle était en train de boire de l’eau.

Elle finit par interpeller Clyde, lui rendant la bouteille en insistant sur la tronche qu’il tirait. « Hm, merci », lui dit en attrapant le whiskey, autorisant une longue rasade à lui couler dans la gorge, laissant la traînée brûlante de celle-ci emplir ses sens. Il se rassura en pensant que, contrairement à Hannah, l’alcool n’irait jamais baiser son boss après avoir joué avec ses sentiments. Après avoir cherché ses mots pendant quelques secondes, les yeux perdus dans le vide, il déclara : « Oh, je la connais bien. Très bien même. » Une clope dans la main, la bouteille dans l’autre, il alternait les gorgées de liqueur et les tafs de fumée, comme s’il ne savait pas respirer autrement : « On était proches, gamins. Quand j'avais environ douze ans, je passais presque toutes mes journées au ranch des Baxter, mon père y travaillait quand il n'était pas... »

Il s’arrêta. Il n’avait jamais raconté à qui que ce soit que son père était un connard de Pinkerton, et n’était pas convaincu que cette information lui apporte la sympathie de Mae. « Bref, on s’en fout », coupa-t-il en battant l’air d’une main, comme s’il effaçait ces informations. « Comment tu sais ça, toi ? », lui demanda-t-il en lui donnant la bouteille, comme si chaque tour de parole était désigné par cette dernière. Il était curieux de savoir le fond de cette histoire, Kilian n’étant pas du genre à parler de ses conquêtes.

Clyde se racla la gorge, grattant son menton qu’il allait être temps de raser. « Ses parents sont plus d’ce monde depuis bien longtemps », se contenta-t-il de dire, haussant les épaules en tirant sur sa clope. Presque toute leur petite bande était orpheline, le gens dépassant rarement un âge avancé dans ce bas monde. Il aurait même parié que Matthews aussi avait perdu ses parents, et si ce n’est pas les deux, au moins un. Sa mère peut-être ? Maladie ou brigands ? Il secoua la tête pour chasser cette idée : ça ne le regardait pas. Il n’avait aucune idée du passé de la jeune femme, et s’il devait admettre être un peu curieux, il ne l’était pas au point de prendre le risque de lui poser la question de vive voix. Après tout, il n'avait jamais rencontré de personne forte avec un passé facile. Ça lui en disait déjà beaucoup sur Matthews.

Elle lui avoua enfin que c’était Maxence qui détenait toutes ses informations dorées, et l’écossais haussa un sourcil, surpris que son camarade ne lui en ait pas parlé avant. Mais bon, il devait penser – à juste titre ; que les histoires de cul de Kilian l’intéressaient en général que peu.  Lorsqu’elle parla de la mère du rouquin, Clyde grimaça. Il n’avait jamais demandé les détails à son ami. Pour lui, sa génitrice était la même que celle d’Aoibheann, avec qui la petite vivait à Silverstone. Mais en effet, il n’avait peut-être pas tous les détails de l’histoire, ce qui ne l’étonnait pas vraiment : Burke était plus secret qu’il n’en avait l’air.

Mathews enchaîna sur l’échange de livres qui se tramait entre Baxter et le cadet des O’Reilly, précisant que selon les mots de la brune, le nabot embrasserait bien. Clyde aurait préféré ne jamais être au courant de cette information, et regretta de ne pas pouvoir mieux la faire couler avec un peu de whisky. Mais la lieutenante ne semblait pas décidée à lui rendre sa bouteille. Tandis qu’elle se levait, dangereusement près des flammes, le hors-la-loi l’observa. Il y avait quelque chose dans son regard, alors qu’elle parlait de favorites et d’un temps de roi…. C’est qu’elle met vraiment sur un piédestal ces deux bougres, ma parole, se surprend à penser Clyde. Ou alors, il y aurait un sens caché à tout cela ?

Mae l’interpelle, et Clyde tend la main pour récupérer la bouteille. Il aimerait bien cuver un peu lui aussi avant qu’elle ne siffle tout le liquide entre deux insultes à l’encontre de son amie. Alors qu’elle lui demande de lui faire passer comme message qu’elle ferait mieux éviter de la chercher, il récupère enfin le Whisky, un sourire satisfait naissant sur son visage. « hmm, si ça t’fait plaisir », se contente-t-il de répondre, nonchalamment, alors qu’il allait surtout incendier Hannah de morale sur le fait qu’elle pouvait bien lui reprocher de s’éloigner par sentiment, alors qu’elle semblait ne pas prendre en considération ces derniers.

Tournant son visage vers la jeune femme, observant les reflets du feu jouer dans sa chevelure aux accents dorés, il cherche à savoir le fond de toute cette petite crise. Sean et Kilian avaient bien eu des conquêtes depuis toutes ses années où la jeune femme vivait à leurs côtés ? Elle-même avait certainement eu des coups d’un soir, si ce n’est pas des aventures un peu plus longues ? Pourquoi donc s’énervait-elle pour Hannah Baxter, aussi jolie soit-elle ?

Sans prendre de pincettes, il demande : « Tu s’rais pas jalouse, Mae ? ». Son regard croise celui de la jeune femme avant de se perdre dans le fond de la bouteille. Peu importe sa réaction, il était déjà convaincu de la vraie réponse.

Elle n’était pas jalouse, donc. Comme s’il allait la croire. Elle avait une drôle de réaction pour une jeune femme qui se souciait peu des histoires de cul de son leader, si ce n’est pour le « bien du groupe ». Hm, il pouvait comprendre, après tout elle était jolie, et Kil…

Et elle ramenait Alice sur la table. Bien, grommela Clyde en tirant sur sa cigarette : il l’avait peut-être cherché en se mêlant de ce qui ne le concernait pas. Mais il aurait tout de même apprécié que la lieutenante ne lui rappelle pas le bon souvenir de la blonde : parler des deux femmes qui hantaient ses nuits dans la même conversation allait commencer à vite peser lourd sur ses épaules d’ivrogne. Surtout qu’ils étaient entrain de parler des coucheries de l’une avec le fameux leader en question.

L’écossais attrapa la bouteille qu’elle daignait lui redonner, et l’écouta poser des questions sur Baxter : depuis quand est-ce qu’elle s’intéressait à elle ? Clyde fronça les sourcils, tentant vainement de réfléchir ; mais n’arrivait pas à voir le mal dans son interrogative, et se contenta donc de répondre en sirotant un peu du liquide ambré : « Hmm, non c’est un peu plus compliqué que ça… ». De ce qui avait été la famille d’Hannah, le brun en restait le plus proche représentant – il avait fait partie de ce cercle, à une autre époque ; il avait même longtemps pensé qu’a force de passer ses journées avec elle, il finirait par l’épouser, évidente suite à leur amitié dont les sentiments n’étaient pourtant que naissants en ces temps. Mais non. La vie en avait décidé autrement. Hannah Baxter en avait décidé autrement, le repoussant comme s’il n’avait jamais rien été pour elle. Et maintenant qu'elle l'acceptait à nouveau dans son cercle, elle jouait avec lui comme s’il n’était qu’un brave chien, clébard trop loyal pour son propre bien.  « Ses parents... sa famille, est morte immolée. On sait pas par qui, ni pourquoi. J'devais pas avoir plus de treize ou quatorze ans, et Baxter était à peine plus vieille. », précisa alors Clyde pour répondre à la question de Mae, essuyant le whisky sur ses lèvres avec le revers de sa manche.

Les questions de la jeune femme s’enchainaient, et King se prêtait au jeu de l’interrogatoire, l’alcool aidant à délier sa langue pourtant bien souvent réticente à le laisser bavasser de la sorte. « On s’est connu quand on était gosses… Mon père à bossé pour les Baxter pendant dans guerre. » Il lui épargne le fait qu’il a passé presque toutes les journées suivantes chez eux, devenant comme une extension de la jeune femme, un drôle de duo où là où l’un était appelé, l’autre apparaissait également. Clyde hoche la tête lorsque Matthews devine de la splendeur passée du domaine, et se surprends même à grimacer lorsqu’elle parle de leur richesse. « Ils en avaient. Des bêtes magnifiques surtout, t’aurais aimé. Mais ça’a pas duré longtemps… M’enfin, c’est bien loin tout ça. »

Il boit une autre gorgée, comme pour noyer le gout amer qui lui monte à la gorge lorsqu’il pense à son enfance et son adolescence. Puis Mae change de sujet – dieu, merci ; et Clyde laisse s’échapper un rire presque trop bruyant lorsqu’elle lui demande le secret derrière son alcoolisme pourtant flagrant. Il se penche alors vers elle, malicieux, et lui tends la bouteille avant de dire : « Vous êtes plus habitués à me voir sobre, c’est tout. Vous savez plus faire la différence… ». L’écossais s’autorisa à donner un petit coup d’épaule à la jeune lieutenante, avec une complicité nouvelle.

Il finit par se redresser à son tour, avant de jeter son mégot dans feu : « T’en fait pas pour Baxter. J’peux te dire qu’elle ne mélange pas boulot et baise, t’as pas à t’inquiéter. » Oh, il l’espérait surtout. Avec lui en tous cas, à l’Open Purse, elle avait parfaitement fait la différence. « Et puis, vous pouvez toujours trouver quelqu’un d’autre pour le coup, non ? ». La question de l’écossais n’était pas anodine. Malgré ses propres histoires de sexe avec la jeune femme (et de cœur, mais seul le diable savait ce qu’il n’osait pas s’avouer), il aurait aimé lui éviter les risques possibles lié au braquage. Elle n’était pas une demoiselle à protéger, il en avait conscience, mais il n’aurait pas supporté qu’il lui arrive quelque chose en sa présence, aussi suffisante et mauvaise était-elle avec lui. C’était d’ailleurs pour cette même raison qu’il s’était éloigné : pour ne pas la faire souffrir sans raison. « J’peux trouver quelqu’un… pour le job », dit-il en relevant ses yeux clairs vers la lieutenante, cherchant à voir si cette offre pourrait l’intéresser.

Mae lui demanda si son père était garçon de ferme, et Clyde se surprit à répondre un peu trop vite : « Non, mais c’était la guerre, tu sais… ». Il ne s’étala pas davantage sur son paternel, espérant secrètement que ce dernier avait fini de pourrir dans un fossé depuis bien longtemps, et continua sa conversation sans y revenir.

Lorsque Mae s’exclama sur le fait qu’elle venait de la ville et qu’elle n’était pas une « pécore » comme eux, Clyde lui adressa un air faussement outré. « C’est vrai qu’t’as une gueule de p’tite bourgeoise, hein ? », lui dit-il alors en buvant une lampée de whisky, en lui adressant en coin presque moqueur. Il se demandait bien quelle vie elle avait pu avoir dans cette fameuse ville : gamine des rues ou orpheline assez chanceuse pour avoir droit à un toit ?

Évidemment, elle ne précisa rien de plus sur sa jeunesse, et s’exclama vivement en l’entendant expliquer que son ivresse était devenue plus commune que sa sobriété. Clyde aimait bien l’entendre rire : Matthews avait ainsi soudain l’air plus jeune. Et lui aussi, se sentait moins vieux qu’il ne pensait parfois l’être. Mais trop vite, elle lui fit la morale sur sa consommation de boisson. « Qu’est-ce que ça peut bien t’faire, hein ? », lui dit-il du tac au tac. Il l’écouta parler des ivrognes dans les villes, des patrons bien contents de les voir incapable de réfléchir, et commença à froncer les sourcils avant de dire : « J’ferme ma gueule, tout le monde y gagne ». Il ne réalisa pas, qu’en prononçant ces mots, il confirmait exactement ce que Mae vennait de dire et de comprendre. Il ne faisait pas le parallèle entre sa situation et celle de ces travailleurs dont elle lui parlait : car contrairement à eux, il n’avait pas besoin de ses patrons pour le biberonner à grandes lampées de Gin – il se détruisait le crâne assez efficacement par lui-même.

La brune lui arracha soudain la bouteille des mains, lui ordonnant avec un air trop sérieux d’arrêter au moins la journée. Il fixa cet index étonnamment propre qui le pointait, avant de relever les yeux pour venir croiser le regard de Mae. Le croassement des grenouilles et autres amphibiens dans le lac lui semblait soudain bien assourdissant dans ce moment de silence. Mais Mae ne sembla pas le remarquer et tandis qu’elle lui parlait alors des O’Reilly, il prit soin de ne pas lui rendre son sourire.

Clyde était maintenant plus froid, mais continua à répondre à ses questions concernant Hannah, lui proposant même de recruter quelqu’un. Il l’écouta geindre concernant « la merveilleuse Hannah Baxter qui fait tout comme moi, mais en mieux apparemment ! », et leva les yeux au ciel en prenant une grande inspiration.

« Si j’dois encore longtemps t’écouter raconter des conneries comme ça, j’vais pas pouvoir me passer d’alcool. », lui dit-il en se relevant, et en se dirigeant vers sa petite réserve personnelle cachée dans l’eau. Qu’elle garde le whisky, pensa-t-il en soulevant la grosse pierre avant d’attraper une bouteille de Moonshine. Il loucha à nouveau sur les tritons, qui n’avaient visiblement pas pris au sérieux ses avertissements, avant de relâcher la pierre sur eux dans l’espoir d’en écraser un ou deux. Ce fut un échec. Puis il retourna auprès de la lieutenante, se laissant tomber lourdement sur le tronc coupé lui servant de tabouret, la bouteille en main sans pour autant l’ouvrir.

Elle pouvait bien lui dire ce qu’elle voulait, Clyde avait trop de fois vu la mort pour se passer de cet état d’ébriété. Il n’y avait pas qu’Alice qui comptait parmi les démons qu’il essayait de noyer a grand coup de spiritueux. Il comptait également les gueules béantes et sans vie de ses anciens camarades, gisant dans leur propre sang pendant qu’il se retournait sans même prendre le temps de les enterrer. Mais également tous ces gens qu’il avait tués juste parce qu’on le lui avait ordonné, sans même se poser de questions. Ceux qu’il avait fait souffrir, juste pour le plaisir de venger son ego parfois surdimensionné. Les cris et les supplices qu’il avait ignorés, et ceux dont il s’était délecté. L’alcool lavait ce sang qui tachait sa peau, mais que seul l’écossais pouvait voir. La boisson atténuait sa rage, sa violence, qu’il n’était plus certain de bien maîtriser une fois sobre. Elle faisait taire cette voix dans sa tête qui lui rappelait constamment qu’il faisait les mauvais choix. La sienne. Sa putain de voix – celle de celui qu’il avait été et qu’il ne serait plus jamais.

Faisant sauter le bouchon de la bouteille, il ferma les yeux en buvant une longue gorgée de Gin, prenant le temps de sentir le liquide brûlant lui couler dans la gorge. Lorsque les images qui s’étaient imposées à son esprit retrouvèrent enfin l’état de brume épaisse dans sa psyché, il s’autorisa à ouvrir les yeux pour venir fixer les flammes, avant de dire simplement : « Vous voulez pas me voir sobre, crois moi. » Lui-même ne voulait pas se voir dans cet état.

Mae lui demande s’il croit encore à leur cause, et Clyde déglutit. Stoïque, il ne laisse rien paraître, son regard toujours perdu dans les flammes. La cause, comme elle l’appelait de temps à autre, n’avait jamais tant été sa motivation : du moins pas de la même façon que Matthews. Évidemment, il était contre l’oppression, avait en dégoût les excès de richesses de ceux à la tête de cette société, mais… il n’aurait pas daigné se ranger. Il n’aurait pas dit non au rêve américain, à un business florissant et à l’argent. Encore aujourd’hui, si l’occasion se présentait, il ne cracherait pas sur l’idée de jouer selon les règles de ceux qu’ils s’acharnent tant à provoquer, plutôt que de simplement rester dans l’ombre. Mais cette idée ne plairait pas à la jeune femme, du moins c’est ce qu’il croit. Alors il se contente de soupirer et d’écouter le reste de ses reproches, en sirotant le Gin… sans pour autant s’ôter de la tête cette vision qui vient de le parcourir, celle où sa vie de criminelle et un avenir plus radieux ne seraient pas incompatible.

Matthews le tire de sa songerie en parlant de sa future gueule de bois. Clyde se met alors à ricaner, le regard toujours perdu dans le lointain, avant de finalement s’en détacher pour venir le poser sur elle. « J’ai jamais dit que j’étais un gars sérieux », précise-t-il en trinquant avec elle. Mais déjà, la brune est ailleurs, un sourire béat se dessinant sur ses lèvres alors que Sean passe au loin. Mais… ce n’était pas pour le cadet qu’elle semblait avoir un faible quelques instants plus tôt ? Clyde n’y comprend plus rien. À moins qu’elle regarde tous les hommes du camp avec cet air idiot, ce qui étonnerait franchement l’écossait, car il serait bien le seul à ne pas y avoir droit – et à surtout ne jamais l’avoir remarqué.

« …faudrait p’t’étre songer à choisir ? », se permet-il de dire en lui adressant un regard malicieux, alors que Sean se dirige droit vers eux. Bols en mains, le gunslinger est à la fois ravi et dépité de comprendre que le repas est servi – et préparé par l’irlandais. Le remerciant d’un hochement de tête, il attrape la plâtrée après avoir posé sa bouteille, sans cesser d’observer les réactions de la lieutenante. Affamé – comme toujours ; il s’empresse d’engloutir une grosse portion du plat encore fumant.

Il relève la tête lorsque le O’Reilly mentionne qu’il a parié sur la qualité du repas, et ne peut qu’acquiescer d’un rire et d’une grimace, ne souhaitant pas enfoncer le couteau dans la plaie. Sean les questionne alors sur leur sujet de conversation, et Clyde se tourne légèrement vers Mae, haussant les sourcils de façon presque moqueuse. Puis, après un silence presque trop long, il répond : « On parlait d’ces pauvres types dans les usines là-bas qu’ils font boire pour les faire taire. On buvait à leur santé… ». Attrapant du bout des doigts la bouteille qu’il vient à peine de poser, il se rince la bouche pour faire passer le goût insipide du repas. « Mais si vous êtes deux à vous servir dans ma réserve, va falloir payer les gars. J’suis pas un saloon ambulant, merde. »