Avec grande précaution, Chuy passait la brosse en des cercles réguliers sur le pelage de Tonalamatl. En même temps il le grondait avec la même ferveur qu’il aurait grondé un chaton : il fronçait les sourcils, faisait claquer sa langue contre son palais de temps en temps et répétait des phrases entendus trop de fois dans la bouche de Nuttah. « Je suis très, très, très déçu. Regarde toi ! Estas todo sucio otra vez, Toto. » Pour être certain que Tonalamatl ne prenne pas trop au sérieux ses remontrances, Chuy lui embrassa le front avant de se prendre un coup de museau dans le menton qui fit claquer sa mâchoire. « Ay. Toto, no hagas eso por favor. » Le petit âne gris s’impatientait. « Oye, espera un momento. Tu es tout sale, encore. » Sa main était joliment enrubannée dans un linge presque propre. En tout cas il faisait des efforts importants pour ne pas oublier de la garder éloigner de Toto, de ne pas laisser traîner son petit moignon infecté dans des crinières sales de petits ânons crapou. « Creo que está curando bien. » Toto souffla bruyamment de ses naseaux, agita son long cou de haut en bas et frappa le sol de son petit sabot d’âne. Il n’était pas très patient et encore tout poussiéreux. Ce fut au tour de Chuy de souffler. « Vale. Ven a comer. »

Toto ne faisait pas exception au caractère entêté qui caractérisait les ânes. Il n’en faisait souvent qu’à sa tête, c’est-à-dire pas grand-chose quand on lui demandait de travailler et se montrait plus docile à la promesse de nourriture. Et c’était peut-être pour ça que Chuy et lui s’entendait si bien au final. Au moins aujourd’hui il n’y avait pas besoin de faire l’aller et retour jusqu’à Imogen. Toto n’avait qu’à profiter du grand air en défrichant le pré ou quelques biquettes gambadaient. Il donna quelques coups de museau dans les reins de Chuy, puis dans les côtes pour essayer d’attraper des carottes que le mexicain voulait garder hors de portée. « Ten paciencia, burro. » Chuy pressait le pas et était suivit de très près par Tonalamatl (nom qui n’avait d’ailleurs jamais été approuvé par Nuttah puisque Chuy ne lui en avait pas parlé), pour une fois qu’il ne rechignait pas.

Assit sur la barrière pour ne pas être par terre, Chuy essayait de donner une par une ses friandises à l’âne dont la patience n’était pas le point fort. Un exercice qui se révélait plus délicat que prévu mais qui en amusait un plus que l’autre. « No te vayas rodando por el polvo, ¿ si ? » Le gamin leva le nez du joyeux spectacle quand on l’apostropha pour regarder l’homme à cheval. « Hein ? » La question le fit s’esclaffer. « Oui, oui. Il parle comme les gringos, même. » Pour prouver ses dires, Chuy éloigna les quelques carottes survivantes des dents de la bestiole qui se mit à braire. Il gloussa et pour le récompenser lui donna son dû avant de caresser le bout de ses oreilles poilues. Chuy se réintéressa à l’étranger. « Si tu veux à boire, le puits il est là-bas. » Il pointa la direction en question à l’homme après que Toto ait dévoré la dernière des carottes.

Toto croquait le vide, caressant la paume tendue de Chuy avec ses lèvres poilues. Le garçon en profita pour lui chatouiller le bout du museau qu’il avait tout blanc, et cacha ses naseaux avec sa main pour jouer avec lui. L'animal souffla en signe de protestation et agita ses longues oreilles. L’autre bonhomme était revenu et apparemment ce n’était pas lui le grand assoiffé. Probablement un rôdeur qui venait chercher des noises à Nuttah plutôt qu’un vagabond égaré alors. Où un type un peu trop seul qui voulait faire la parlote. « C’est normal, c’est pas le Sud, ici. » Alors évidemment que ça n’allait pas ressembler à une plantation de là-bas ! Chuy ricana alors que Toto essayait de lui grignoter les doigts. « C’est petit, aussi. » Ceci dit, il n’était pas un grand connaisseur des plantations du Sud. Mais celle de Fritz était, selon lui, plutôt au sud et aussi plutôt très (très) grande. Des hectares entiers, une armée de travailleurs et beaucoup trop de choses à faire pour se rappeler comment on s’appelle à la fin de la journée. Heureusement, lui, son prénom il ne l’utilisait déjà plus beaucoup à ce moment là. Une ruche ou il n’y avait pas que les chiens qui mordent et aboient. Ça ne lui manquait pas. Le Sud pouvait bien se garder ses plantations et ses ranchs.

En se penchant davantage, Chuy flatta l’encolure de Toto qui essayait de fouiller ses poches en lui donnait des coups de tête dans le flanc. « Sé bueno, Toto. » Il le poussa du bras pour glisser au sol, abandonnant la clôture, et se réintéressa à l’homme qui réclamait cette fois son avis. Les gringos avaient toujours des idées cassées qui leur passaient par le crâne. Et s’il fallait s’en méfier comme les tumeurs qu’ils étaient, Chuy était trop curieux et flatté pour y penser à deux fois. Le garçon se pencha sur l’objet qu’on lui présentait. Il ne prit pas beaucoup de temps pour l’observer, n’en ayant de toute façon pas la patience. La question le fit rire. « Pourquoi c’est ton problème ? » Il haussa les épaules et repoussa encore une fois Toto en le rouspétant rapidement. « No tengo nada, tonto. Tout peut se faire voler, hein. Même un âne ça se vole. Même une maison tu peux la voler aussi. » Chuy désigna la tête de l'homme du menton sans se départager de sa bonne humeur. « Ton chapeau tu peux le faire voler tu sais. »

Ce n’était pas bien de se moquer de la misère des autres, mais Chuy peinait à retenir un sourire goguenard devant la bêtise de l'homme. En plus il n’avait pas l’air méchant. Enfin… s’il avait été plus malin peut être qu’il ne l’aurait pas trouvé spécialement avenant non plus. Et pour ce qui était du trésor qu’il ignorait, Chuy avait parfaitement oublié (tout du moins pour l’instant) qu'il l'avait subtilisé quelques jours plus tôt. Sa mémoire n’avait jamais été sa plus fidèle camarade.

L’homme ne s’arrêtait plus de parler. Un bras croisé sur la barrière contre laquelle il s’appuyait de tout son poids, Chuy observait la pipelette avec de grands yeux noirs. La curiosité avait quitté ses traits tout naturellement, comme l’écume vient laver le sable pour laisser un canevas intacte. Les commissures de ses lèvres qui tout à l’heure tentaient d’embrasser le coin de ses yeux se reposaient maintenant. Chuy soutenait ses regards mais ne s’embarrassait plus de sourires à rendre. Il faisait un effort pour écouter la tirade du rodeur et décortiquait son flot de paroles pour essayer de deviner ce qu’il fallait comprendre. Il lui faisait penser à la putain irlandaise, à ses insultes soupoudrés de sourire et de minauderies de débile. Les battements de son cœur s’intensifiaient et il se mit à gratter machinalement son bras avec ses doigts libres.

C’était frustrant. Parce que l’autre parlait tant qu’il ne savait pas si c’était lui qui devait se sentir menacer ou alors le ranch et sa propriétaire. Comme il préférait aller au plus simple et évident il finit par tirer la conclusion que c’était ce que la ferme pouvait représenter (une insulte pour les blancs et la virilité, quelque chose comme ça) qui alimentait le monologue intarissable de son interlocuteur qui s’écoutait en réalité parler. Un rictus se dessina sur les lèvres sèches de Chuy. Toto avait finit par les abandonner pour se rouler dans la poussière voyant qu’il n’y avait pas de carottes dissimulé au fond du pantalon de son copain.

« Toi t’as rien ? Tu viens me dire ça avec tes habits et tes cheveux comme ça ? Ah ! » Chuy éclata de rire, présentant son nez et le fond de sa gorge au ciel. Son corps entier était secoué par l’hilarité que la colère croissante qui montait dans sa tête exagérait. Il n’avait pas besoin de s’attarder sur le type et le détailler pour en arriver à la conclusion que la survie n’était probablement pas le premier de ses soucis à la minute actuelle. Elle était écrasante et ne réclamait pas beaucoup de réflexion. Tenir une conversation compréhensible allait devenir de plus en plus difficile pour lui s’il n’y mettait pas de la bonne volonté. « T’as cru que c'est l’église ici ? Si tu veux la charité c’est le prêtre que tu dois sucer. »

Chuy se redressa, se décollant de la barrière qui les séparait. « Avec ta vieille gueule de pot de lait qu’à tourné tu me traites de voleur, hein ? T’es drôle, toi. » Son rire se perdit cette fois plus profond dans sa gorge. Ses yeux ne riaient pas beaucoup, eux. « Moi aussi je te donne un conseil. Faut la fermer, tu parles beaucoup et c'est très chiant. Si tu veux causer dans rien tu vas voir ton cheval. » Il en avait assez de ses putains de gringos qui distribuaient des conseils de merde que personne ne leur avait demandé, ça s’pensait autant touché par la grâce divine que le fils de Dieu. Qu’ils se donnent des conseils entre eux et arrêtent de faire chier.

C’était la propriété qui l’intéressait, et faire tourner l’imbécile qui se trouvait au mauvais moment au mauvais endroit en bourrique était un bonus qui devait l’amuser. Chuy ne voyait que ça. Alors il n’avait qu’à rentrer dans son jeu. Il souffla par le nez pour se calmer et agita brièvement la tête pour essayer de chasser la colère qui rongeait son esprit. Il attrapa brusquement le fétiche, si cher aux yeux de son nouveau camarade de jeu, pour l’observer d’un peu plus près. « C’est quoi alors ? C’est ça que j’aurai volé, eh ? » Il leva les yeux vers lui. « Tiens, un autre conseil. Puisque t'aime bien ça ! Quand t’as un truc à dire, dit le. » Il retourna la pièce entre ses doigts se montrant peu impressionné par l’objet. Il ne cherchait pas à le restitué dans son crâne, bien trop irrité pour ça. « Tu l’as trouvé, non ? Pourquoi tu viens faire chier, alors ? Sois heureux et laisse-moi la paix. » Il parlait rapidement en avalant les mots. Il n’avait jamais été doué pour prendre son temps de toute façon.

Chuy ne prit pas la peine de viser. Il lança simplement le petit crocodile de perles avec toute la force de son bras. Le petit trésor inestimable alla s’échouer dans la boue, à quelques mètres de l’inconnu. « Vale, dégage ! » Pour ponctuer sa phrase il cracha à ses pieds.

Avec une aisance qui manquait de charme, mettons cela sur sa difficulté à mobiliser comme il l’entendait sa main droite, Chuy passa de l’autre côté de la barrière pour qu’aucun obstacle ne le sépare plus de l’opportun. Il était furieux et très certainement inquiet pour la ferme et ce qu’elle représentait mais tout cela était noyé dans la colère qui s’accumulait depuis longtemps maintenant. Evidemment que ce grand imbécile n’allait pas partir, on opportune pas le grand homme blanc. Chuy allait le houspiller d’insultes une nouvelle fois mais il n’eut que le temps d’ouvrir la bouche. Aucun son n’en sortit.

Le craquement retentit dans son nez et se réverbéra dans les os de son crânes, comme un grouillement insupportable. La douleur sourde explosa moins d’une seconde après. Des ondes oscillantes et brûlantes s’accroissaient pour chatouiller sa mâchoire et ses tempes et les envelopper complètement. Ça palpitait à tout rompre. Chuy était étalé par terre, présentant au ciel grisonnant un visage barbouillé de sang jusqu’au menton. Il battit des cils, bêtement. Un raz de marée embrumé lui noyait la tête. Sa première pensée cohérente fut pour les articulations du type qu’il espérait au moins endolories. Chuy n’eut pas l’occasion d’approfondir son idée, alors qu’il commençait à se redresser une ombre vint se pencher sur lui.

C’était le sous-estimer amplement que de penser qu’il n’avait pas fait plus stupide que ça dans sa vie. Chuy fut incapable de retenir un sourire et un gloussement à la déclaration bien trop péremptoire et arrogante de son camarade de jeu. Son scalp criait lui aussi de douleur et Chuy gigotait pour essayer de trouver un peu de lest. Sa respiration était erratique et lui resonnait dans les oreilles, elle réveillait les picotements pinçant dans son nez. Finalement il se calma sous les déclarations de celui qui, apparemment, était un homme de loi. Peut-être le marshal, comme il le disait. Chuy n’avait toujours aucune idée de ce qu’il bavait, il avait d’autres préoccupations à l’heure actuelle que celle de se plonger dans le passé. Plaider son innocence, puisqu’il ne se savait pas coupable, serait inutile. Il n’était pas de ceux qui valent suffisamment pour être écouté. Ce n’était plus la douleur dans son visage qui lui brûlait les yeux mais la corde qui se resserrait autour de son cou.

Le marshal avait tort.

Des idées bien plus mauvaises que de le voler, Chuy en avait pleins.

Il planta dans les gros yeux débile du gringo le moignon de son pouce et son index nu de tout ongle. Il les y enfonça avec toute la bonne volonté de ne pas crever comme un chien qu’il possédait. L’adrénaline qui battait ses tempes l’aidait à se sentir léger. Nuttah allait l’étrangler en voyant l’état déplorable de son beau pansement. Enchainant ce premier geste bien stupide à un second, il attrapa la crosse du pistolet qui dépassait de l’étui à la ceinture de l’homme et le frappa à la tempe avec le canon après avoir prit un bref élan. L’arme lui échappa toutefois des mains une fois son piteux destin accomplit. Chuy vint planter son front dans le nez de son charmant interlocuteur et sans le voir encore il savait que celui-ci devait avoir gardé entre ses doigts une touffe de ses cheveux. Tant bien que mal le gamin chercha à le repousser pour qu’il perde l’équilibre et que lui puisse aller récupérer l’arme perdue tant convoitée.

Si Nuttah était dans le coin, elle se planquait bien. Peut être avait-elle filé troquer quelques choux à la fermer voisine contre un peu de sucre. La petite blanche qui l’habitait n’était pas méchante et même un peu trop stupide tant elle était gentille. Trop bon trop con. Du genre à offrir un peu de sucre contre trois choux.
Les vieilles couvertures qui recouvraient le corps agité de spasmes du marshal puaient la mort. Chuy n’était pas aller les chercher bien loin, toujours de mauvaise volonté quand il s’agissait d’aider un apôtre de la loi (qui de surcroit lui avait cassé des dents plus tôt et pour ajouter à sa peine était blanc comme du lait frais). Il avait pioché dans le petit tas de linge à repriser oublié dans un coin humide et qui servait souvent de nid pour Maya quand elle était fatiguée de courir après Philip. Le marshal puait le chien mouillé et ça lui allait plutôt bien.

Perché sur une caisse (apparue avec d'autres pendant l’hiver et dont une maigre partie de son contenu avait ravi Chuy et aidé à réchauffer quelques soirées trop rudes) le garçon de ferme fumait sa merde, comme à son habitude. Mais cette fois il causait moins. Plus pensif et donc forcément moins bavard. Il avait fait profil bas devant la colère inquiète de Mako parce qu’il savait qu’il avait raison. Pourtant il lui aurait bien mis quelques balles dans le crâne à défaut de lui remettre les idées en place au marshal. A bout portant ce n’est pas difficile de viser juste. Les armes à feu reposaient dans la mangeoire de Toto et les cartouches avaient été éparpillées ici et là.

« Eh eh ! Il veut pas me mettre derrière les barreaux cette grosse vache. » Il sourit à Mako, se penchant brièvement pour mieux accrocher son regard courroucé ou soucieux. Chuy n’est pas le meilleur quand il s’agit de lire autrui. « Il veut me pendre ! » Le garçon passa une main autour de sa gorge avant de la tirer en l’air pour mimer son tragique futur. Comme il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire, il se mit à ricaner comme un idiot. Son visage était encore brûlant de douleur mais c’était son nez barbouillé de sang séché qui le mettait le plus à mal. Rien qui ne soit insurmontable. Étonnement l’échange avec le père de Nuttah l’apaisait. Les choses semblaient plus construites et moins brouillonnes.
Mais il était perché sur cette caisse et ne pouvait pas s'imaginer la suite.

« Je vais partir comme ça il saura pas. Et toi et Nuttah vous êtes tranquille avec lui. » Il haussa les épaules, peut-être pour montrer que la décision l’atteignait peu au final.
Voir ce grand corps se tordre sous des coups invisibles avait quelque chose de très satisfaisant.

Chuy fouilla dans sa poche, son chichon coincé entre les lèvres, et en tira le fétiche encore boueux du vieux cinglé. Il le jeta à Makoyepuk, le loupant malgré leur proximité. « Je crois qu’il dit que je l’ai volé mais ça m’étonnerait. Je vole pas des trucs comme ça, moi. Il est juste fou et voulait des problèmes. » mais au final c’était lui qui les avait trouvé. C’était toujours comme ça, qu’on cherche ou pas. Alors autant s'amuser.

La boue se soulevait en bulles épaisses pour éclater paresseusement et laborieusement. Avec le poids conséquent qui écrasait ses poumons contre la terre battue et la douleur qui avait implosé dans son visage en même temps qu’il s’était éclaté au sol, Chuy s’était vidé de son air. Les menaces aux odeurs d’exécutions sommaires il ne les entendait pas. Son visage était en feu, le sang était aussi brûlant que la lave qui dévorait ses os et se glissait dans son crâne. Les spasmes n’étaient que dans sa tête, il lui semblait que sous sa peau ses muscles et ses tendons pulsaient de douleurs à s’en déchirer. Dans un reflexe bien stupide Chuy tenta de prendre une longue goulée d’air alors qu’il lutait encore contre les mains qui le maintenaient fermement au sol. Il avala de la boue en plus de son air qui lui incendia les cavités nasales dans une remontée acide. Le gamin s’agitait et luttait avec la grâce d’un poisson abandonné hors de l’eau.

Toujours aussi peu désireux de se laisser crever, en même temps qu’il suffoquait en avalant et vomissant des gerbes de gadoue, Chuy attrapa la main qui lui maintenant le visage au sol. Il y planta ses ongles sans ménagement et sans y réfléchir à deux fois. Ils glissaient difficilement, les tendons et les os faisant obstacle en même temps que la peau qui s’accumulait sous ses griffes de fortune. Un des ongles se cassa, à moitié retourné après s’être fait malmené. Trop occupé à s’essayer à la respiration dans la boue et avec le visage cassé, Chuy restait parfaitement hermétique aux demandes de son assaillant. Au moins le bourdonnement dans son crâne qui tapait par vague dans sa tête prenait le pas sur les deux mains de feu qui enserrait son cerveau pour le faire éclater.

Dès que la prise sembla plus lâche sur sa tête Chuy abandonna tout (non sans difficulté) pour ramper hors de portée de l’homme de loi. Il vomit d’abord la crasse épaisse qu’il avait ingurgité, éclaboussant au passage son pantalon qui n’avait pas besoin de ça pour être sale. Chuy s’était imaginé en avaler des litres alors qu’il luttait pour un peu d’air. Au final il n’y avait pas grand-chose au sol. Il balbutiait sans réussir à former un seul mot convenable. Le sang, impossible à discerner sur son visage dégoûtant de crasse, coulait de nouveau de son nez déformé. Au final l’altercation n’avait pas duré si longtemps, pourtant Chuy s’était vu mourir alors le temps c’était étiré.

« ¡¿Por qué no hiciste nada?! » La rage et la douleur frappait dans son crâne à l’en rendre sourd. Il ne pointait pas vraiment Makoyepuk du doigt, agitant ses mains qui tremblaient sans qu’il ne puisse rien y faire. Ses yeux étaient rouges et gonflés, marrons de boue et crachant des larmes. Il battait des cils comme un fou furieux, vaine tentative d’éloigner les aiguilles qui s’enfonçaient dans sa cornée. Makoyepuk n’était coupable de rien, il ne lui était redevable de rien après tout. Mais tout le monde était coupable, c’était plus facile comme ça. « Lo voy a matar, ese cerdo leproso. » Avec son nez en morceau la voix de Chuy sonnait mal, comme un canard enrhumé. Chaque mot le lançait, alors il ne les gueulait pas trop. Il s’était relevé en même temps qu’il injuriait le gringo. Sa main couvrait la moitié de son visage et ses yeux toujours larmoyant s’agitaient autour de lui à la recherche de quelque chose. Il ne lui fallut pas longtemps pour se jeter sur le couteau d’abattage, inutilisé depuis une semaine maintenant mais qu’il n’avait pas prit la peine de ranger. Pourquoi faire ?

Il en menaça le marshal, le pointant avec la lame tout en gardant une distance raisonnable pour éviter les mains baladeuses. « Tu approches je t’ouvre comme le sale porc que toi tu es. » Chuy faisait un effort commensurable pour ne pas mettre ses menaces à exécution à la minute. Par politesse envers son employeur. « je te saigne, la tête en bas par le crochet. Si tu me touche c’est moi je te découpe, je te fais bouffer à tes amis, l’enfileur de chiens. » Dans l’immédiat il s’en sentait plutôt capable. La fureur qui l’incendiait avait levé toute trace d’inhibition. Makoyepuk était le seul obstacle de bon sens pour l’instant.