Accroupis au bord du lac, caché par l’ombre de sa tente, c’est la froideur de l’eau sur son visage qui le ramène à la réalité. Il se concentre sur les bruits du campement : ses camardes qui s’amusent, le crépitement du feu de joie, les voix qui s’entremêlent. Mais rien n’arrive totalement à lui faire oublier le supplice entre ses côtes, celui qui s’accentue un peu plus à chacun de ses mouvements. À nouveau, il se passe un peu d’eau froide sur le visage, puis prends enfin une profonde inspiration - qui lui arrache une grimace. Passant doucement sa main sur la pointe douloureuse de sa chair meurtrie, là où une tache de sang commence à s’élargir sur son veston, il ne peut plus nier l’évidence : ce n’est pas qu’une petite coupure.

Ses doigts lui reviennent humides – ensanglantées. Il reste dubitatif quelques instants, ne voulant pas faire le lien entre la quantité de liquide rougeâtre et son état. Mais son corps ne lui laisse pas le temps de s’interroger davantage, et ses genoux cèdent sous son poids, l’enfonçant dans le sable mouillé. Un halètement pénible franchit ses lèvres, râle de frustration autant que de souffrance.

Il n’avait pas réalisé. L’adrénaline avait atténué la douleur, l’alcool peut-être un peu aussi. Il avait bien senti la lame glisser sur son flanc, mais ne s’en était pas inquiété : une égratignure, une cicatrice de plus. Mais pas de quoi l’abattre ainsi. Sur le moment, ce n’était pas assez grave pour qu’il le signale aux autres – pour qu’il leur fasse perdre du temps. Non, il avait tenu le coup, il avait continué, et le résultat était là : l’argent des Rosenbach était maintenant le leur. Mais combien de litres de sang avait-il perdu pendant ce temps-là ?

Se relevant avec difficulté, sa main gauche faisant pression sur la plaie, il se glisse dans sa tente pour attraper une bouteille de gin et de quoi se faire un pansement. Ça va passer, se dit-il. Les aléas du métier, rien de plus. Clyde s’est déjà pris des balles, en quoi cette blessure pourrait être pire ? En tous cas, s’il recroise un jour l’enfoiré qui lui avait fait ça, il se souviendra de lui faire un petit cadeau en retour.

Après quelques enjambées difficiles, il ressort enfin de ses quartiers et trouve un arbre contre lequel s’adosser. La tête posée contre le tronc, il contemple quelques instants le ciel étoilé au-dessus de Moonstone, en quête de calme. Mais les astres lumineux vacillent étrangement, et Clyde sait que ce n’est pas à cause de la boisson : il est sobre depuis plusieurs heures. Il s’apprête alors à remédier à cela, lorsqu’une voix s’élève dans son dos. Et pas n’importe laquelle : celle de Matthews.

L’écossais n’est pas d’humeur à jouer à celui qui mordra le plus fort avec la jeune femme. A vrai dire, il n’est pas certain d’être capable d’articuler quoi que ce soit sans trahir son état. Il se contente alors de l’ignorer, feignant d’être trop ivre pour pouvoir lui répondre – dans l’espoir qu’elle le laisse tranquille. Malheureusement, Mae ne semble pas du même avis. Elle lui reproche alors de faire la gueule, venant même mettre Hannah sur la table. Clyde est alors satisfait de voir son éloignement avoir de l’effet sur la lieutenante, mais celle-ci ne lui laisse pas le temps de savourer quoi que ce soit.

Il sent soudain la main de la brune venir attraper son bras, le forçant à se tourner vers elle. Il n’a pas d’autre choix que de lui faire face, et le visage qu’il lui offre est crispé par la douleur. Il serre la mâchoire pour retenir ses gémissements, mais Mae semble bien vite comprendre. Sans ménagement, elle vient attraper la main qu’il gardait jusque là appuyée sur la plaie, constatant à voix haute qu’il perd beaucoup de sang. Ce a quoi Clyde s’empresse de répondre avec une nonchalance feinte et un agacement bien réel : « No, there’s not… ».

Sans délicatesse, elle replace sa main et vient attraper la bouteille de Gin. Clyde lève les yeux au ciel – il se passe bien de soupirer. Il n’a pas besoin qu’on le materne, ou qu’on joue aux infirmières avec lui. Et il compte bien le lui faire comprendre. « It’s nothing, go back with the others », lui dit-il en restant aussi stoïque que possible, dans l’espoir qu’elle lui obéisse. Mais Mae, insistante, lui demande de se laisser faire, avant de lui ordonner de retirer sa chemise. Clyde n’est pas d’humeur, mais plus les minutes passent, et moins il se sent capable refuser son aide – surtout lorsqu’il se souvient qu’il a bien failli s’écrouler au bord du lac. « I know you’ve always wanted to see me naked, but you could a least say please…», se contente-t-il de protester.

Avec un regard las qui en dit long sur son état, il vient éloigner sa main de la blessure. Il sent alors le sang s’écouler sur sa peau, le liquide chaud et âpre coller au tissus, la sensation insupportable de tous ces éléments réunis contre la plaie. « If you have to help me, I have one request… », commence le brun en essayant de paraitre en meilleur forme qu’il ne l’est. Il déboutonne ensuite son veston - toujours en essayant d’être le plus calme possible. « …I want you to be honest with me… », précise-t-il sans s’arrêter. Chaque couche de tissus révèle un peu plus l’ampleur des dégâts, mais Clyde n’ose pas baisser les yeux sur son flanc et faire état de sa blessure. Il fait alors glisser ses bretelles sans quitter la lieutenante du regard, puis retire sa chemise, et enfin son marcel ; avant d’ajouter : « …Mae-Anne. »

Sa petite ruse fonctionne. Mae s’énerve bien vite, allant jusqu’à le menacer si quelqu’un d’autre apprends un jour son petit secret. Clyde reste de marbre face à ses vociférations. Il verra, une fois qu’il aura entendu sa version des choses, et non celles rapportées par Hannah. Il veut l’entendre lui avouer qu’elle n’est plus une petite bourgeoise, et qu’elle n’est pas là par hasard – parcequ’il a l’impression de s’être fait avoir, King, à découvrir qu’ils se font tous mener à la baguette par une femme qui représente exactement ce contre quoi ils jurent se battre.

Retrouvant son calme, la jeune femme se penche à nouveau sur la plaie, lui avouant qu’elle veut bien essayer mais que l’honnêteté n’est pas son fort. Clyde ne bronche toujours pas, concentré sur la brulure du gin contre sa plaie, essayant de ne pas hurler. Elle appuie ensuite un linge imbibé de l’alcool sur son flanc, et il ne peut s’empêcher lâcher un juron, serrant les poings et les dents. Choisissant ce moment pour l’inviter à poursuivre avec ses questions, Mae lui donne l’occasion de penser à autre chose, et Clyde ne se fait pas prier.

Amer, il baisse les yeux vers la jeune femme, et prends un ton qui se veut neutre mais qui trahis néanmoins ce qu’il pense de tout cela : « You had everything. Wealth, a roof over your head, a family. » Il marque une pause, cette fois pour venir attraper la bouteille, et noyer sa douleur dans le goulot. Après quelques gorgées maladroites, il reprends enfin : « And your daddy dies, so what? You leave everything, vexed, to live like a pauper? What a rebellion! It’s not a Mark Twain story ; it’s real life, where a lot of people don’t have the choice to be poor. » Il faut croire que la douleur délie mieux les langues que l’alcool, car Clyde ne s’est pas vu avoir de tel monologue depuis bien longtemps. Sur sa lancée, il continu, son ton empreint de sarcasme : « And you, you run into that life, laughing at the misery of others, knowing that if your new lifestyle is too hard you can run back home... ». Cherchant une cigarette dans sa poche, maladroitement, il ajoute : «So here is my question: what’s that?  » Par ça, il désigne le camp de sa main libre, l’autre venant extirper son étui de sa poche.

« All of that. Is it your way to rebel for your daddy’s death? Hm? Or is it charity work for the lady you are, redistributing money from the rich to the poor? Robin hood, is that you? » ajoute-t-il, moqueur, parcequ’il sait bien que c’est a Matthews qu’il parle, qu’il n’y pas de faux semblants entre eux. En tous cas, il aime le croire. « I’m sorry Mae, but I don’t understand your fucking choice. You’ve seen the streets, don’t you? You’ve seen how many kids dies in the winter, just from the cold? How many little girls get raped on those streets? How many of them would have killed for your life? ». Ses yeux pales viennent chercher ceux de la brune, en quête d’une réponse honnête, alors qu’il place une cigarette entre ses lèvres. « And don’t give me the sad backstory trope, hm. I’m an orphan too, I know the deal. » Dans l’attente de sa réponse, il se met en quête de ses allumettes.

La gifle qui vient s’abattre sur sa joue le fige. Sa cigarette vole pour venir s’écraser contre le sol, tout comme sa boite d’allumettes. Une injure s’échappe de ses lèvres, aussi naturelle qu’une expiration, et le brun de redresse en entendant Matthews lui hurler dessus. Si la jeune femme n’était pas ce qu’elle était, il lui aurait certainement rendu la pareille – mais il semble bien trop souvent se retrouver dans cette même situation, sans s’exécuter.

Lorsqu’elle s’approche de lui pour attraper son visage entre ses doigts ensanglantés, Clyde se débat et s’apprête à lui dire d’aller se faire foutre. Il ne veut pas qu’elle le touche, il ne veut pas de son aide si elle n’est pas capable d’entendre ce qu’il a à dire. Mais la jeune femme ne lui laisse pas le choix. Leurs visages bien plus près que d’accoutumée, Mae l’empêche d’échapper à ses paroles.

Et étrangement, il l’écoute avec attention. Si certains de ses mots ne lui font ni chaud, ni froid, une phrase précisément fait écho à ses propos : « They have everything to solve the problem and they do nothing ! ». Alors il comprend. Il comprend en quoi il a tort, bien que l’avouer lui soit particulièrement difficile. Il comprend que, contrairement à lui qui se complaît dans ce que la vie lui a donné et pris, elle, essaye de faire changer les choses. Qu’elle porte l’âme de la bande dont il n’est membre que pour les mauvaises raisons - plus par facilitée que par conviction.

Quand elle se recule et s’éloigne en lui jetant ses allumettes, l’écossait ne peut s’empêcher de ressentir une pointe de culpabilité face à son manque de jugement et sa réaction.

En se penchant avec difficulté, il ramasse alors sa chemise et l’enfile, puis sa clope pilée et enfin ses allumettes maintenant humides. Puis, avec un élan incertain, s’approche de la lieutenante, au bord du lac. Il préfère rester debout le temps d’allumer sa cigarette. Il fini éventuellement par tendre la petite boite à Mae, tout en disant : « Thanks ». L’écossais s’abstient bien de préciser s’il la remercie pour le feu ou pour son aide, mais il s’empresse d’ajouter : « You’re right, I’m a piece of shit. I’ve no right to judge you. » Trop peu habitué à une telle sincérité, surtout après une telle conversation, il tire longuement sur le tabac roulé, en évitant soigneusement de baisser les yeux. Son regard est dirigé vers le lac.  « … and I shouldn't question your beliefs, no matter what. Especially because of my own doubts. »

Aprés une longue pause de plusieurs secondes, il ajoute : « You wanna drink? ». Enfin, il se tourne vers la lieutenante : « … that’s my way to say that I’m sorry. »

« Fuck it, Mae! What do you want me to do other than offer you a drink? », lui dit-il en écartant les bras, désemparé, alors qu’elle le dévisage comme le vulgaire ivrogne qu’il est. Il peut lire l’amertume sur ses traits, et sait que son visage reflète les mêmes émotions. Alors que la colère de la lieutenante éclate sur lui comme un orage estival, il ne semble plus comprendre ce qu’elle lui reproche. «…to kill you? About what truth? What the fuck do you mean, Matthews? », essaye-t-il de demander, ses mots se perdant dans la nuit.

La jeune femme semble inarrêtable, déversant son flot de reproches incompréhensible sur le pauvre homme qui reste planté là, dépassé par la situation. Elle mentionne soudain un évènement dont Clyde ne se souvient pas, et il s’empresse alors de lui couper la parole, en vain : «Wait… wait a damn minute. Killian did what? ». La jeune femme ne semble pas l’entendre tandis qu’elle lui arrache la bouteille des mains pour venir se rincer la gorge. La cigarette de l’écossais qui se consumait toute seule jusque-là fini par lui bruler les doigts, et ce dernier ne peut s’empêcher de lâcher un râle de douleur en lâchant le mégot dans la boue.

Lorsqu’il relève la tête, Mae mentionne que tout le monde se fiche bien de son sort, ce à quoi il répond en levant les yeux au ciel : « Shut up, you know it’s not true. » Elle enchaine sur Sean, toujours énervée, l’accusant de ne rien avoir fait. « How could I know you needed my help? How can I be there for you, if that what you want, when I don’t know? », lui reproche-t-il alors, essayant tant bien que mal de se défendre face à toutes ces accusation. Alors qu’elle redevient plus calme, lui affirmant qu’il devrait qu’elle sait mieux que lui s’il est désolé ou non, s’allumant nonchalamment une cigarette comme si ce déversement de remontrances n'avait aucune conséquence, Clyde s’approche d’elle.

Il la contourne, pour qu’elle ne puisse pas échapper à son regard comme elle ne fait actuellement. Aussi calme que possible, il prend une grande inspiration, et lui dit : « Matthews… I can be your friend, as much as I can be your enemy, but you need to choose. » Soupirant malgré lui, il ajoute : « So, I’m sorry Matthews, but I won’t walk away after… after whatever was that. And yeah, I’m happy to know more about your past. » La pointant du doigt en la désignant, il précise : « I understand you better now. And I won’t turn things against you, if that’s what you’re afraid of. »

Se reculant pour lui laisser de l’air, les sourcils froncés, une main posée sur sa plaie, il demande : « So, what the hell about Kilian? Do you wanna talk about it? »

Si Clyde est bien souvent un idiot – et pas dans le sens qu’il manque d’intelligence non, il ne prend juste pas le temps d’analyser les autres ; il sait là qu’il a raison. Quelque chose ne va pas chez Matthews. Et elle a beau lui dire qu’elle n’a pas besoin d’en parler, que ce n’est rien, Clyde sait. Il sait, pour la fréquenter quotidiennement depuis trois ans, qu’elle n’est pas dans son état normal. Et pourtant Mae n’est pas de ces gens constants dont l’humeur ne change jamais, et qui restent généralement toujours les mêmes. « Well, it’s important enough for you to mention it », essaye-t-il de dire, mais déjà la lieutenante remet la faute sur Hannah.

« Fuck her! », s’empresse de gueuler Clyde, qui commence à en avoir marre de s’entendre dire que tous les malheurs du monde sont causés par Baxter. Et pourtant, à ce moment-là, il ne sait pas encore que cette dernière est déjà loin. Il n’a pas non plus conscience qu’il ne la reverra jamais, et que sa disparition marque la fin d’une époque de sa vie, enterrant définitivement sa jeunesse.  « I can understand she has flaws, as many as you want, but there’s no correlation there », s’exclame-t-il un peu trop fort.

Il reste pourtant désemparé lorsque Mae mentionne la raison pour laquelle elle a quitté Chicaco. Que veut-elle qu’il lui dise ? Que ça n’arrivera jamais aux oreilles des frères O’Reilly ? Ça, elle doit déjà s’en douter. Il se contente de prendre une grande inspiration, et de soupirer, en la regardant descendre sa bouteille de gin comme si c’était du petit lait. Clyde acquiesce alors que la lieutenante lui recommande de s’allonger. « You’re right », réponds-il simplement en réprimant un grognement de douleur,  « …you know where to find me if you want to talk about it. I’m not good at talking, but I can listen…». Il prononce ses mots en s’éloignant vers sa tente, mais se retourne soudainement pour ajouter : « And, your secrets are safe with me. » Il ne sait pas si ces derniers mots peuvent la rassurer, mais il essaye tout de même. « You don’t have to carry the whole world on your shoulders, Mae. And if the gang would fall without you, the earth on the contrary will still turn around the sun if you let go. Maybe I’m not the right fit to help you or whatever, maybe Irina’s better, or any other girl… but I don’t judge. I have my own secrets and flaws, my own ghosts I would like no one so see. »