Il jouait du piano debout, la pipe entre les dents, un air joyeusement ivre, là où ses cheveux roux ne détonnaient pas dans le paysage. Si vous cherchez Maxence, frappez chez le médecin ou essayez de parler à sa mère. Elle vous dira qu’il est là où tout le monde sait qu’il est, dans le stupre, à l’Open Purse. Malgré les notes de bas de page d’une Madame, il serait faux d’affirmer que Maxence vient aussi souvent au lupanar uniquement pour Seonaid. Ce qui l’enivre, depuis toujours, depuis le bateau, depuis l’Irlande, c’est l’alcool, c’est l’ivresse, c’est la fumée, et le luxe, et les cartes, et Seonaid aussi, c’est vrai. Aller au bordel, c’est son oxygène, sa parenthèse entraînante. Tant pis s’il fallait payer pour ce bonheur, c’est dans les lupanars d’Amérique qu’il est un prince.
La veste est tombée, roulée en boule sur un canapé, il a la chemise ouverte et les cheveux décoiffés, le pas dansant pour rejoindre sa bière. L’Open Purse a tout juste le droit de servir de l’alcool mais on sait que ses petites collaborations avec un certain gang lui permettent de débiter bien plus. Certains autres services clandestins sont réservés aux abonnés, et Maxence en fait partie. Il n’a pas besoin de demander ce qu’il cherche, la froide « Darling » lui désigne l’arrière boutique du menton, là où la matrone cache sa table de jeu. Prestement, le croque-mort saute sur ses pieds pour rejoindre la partie secrète. Il se glisse derrière la toile qui voile l’entrée d’une petite pièce déjà totalement enfumée.
« Tonight, we begin at two hundreds » annonce ce perdant assidu de Wyatt Smith, ses petites lunettes et sa moustache clairsemée, qui trie les cartes. Deux autres hommes sont attablés avec lui, le boucher et un type du ranch de James Hennessy. Maxence palpe ses poches avec une expression contrite. La partie est excitante, les enjeux de départ sont très élevés.
« Sorry, ‘ello thar ! - sorry, -il compte deux-cents dollars qu’il donne à Ella, bien-sûr présente pour surveiller la partie qui se joue sous son toit. La tension est toujours palpable dans cette pièce car les hommes ne sont pas là pour simplement jouer leur dîner.
« -Sorry, so, Wyatt, you feelin’ some luck tonight ? »
La rivalité entre les deux pires endettés de la ville va de soit.
« -Sure Maxence, do you think your mom will appreciate to leave in plein-air ? »
« -Yer men italians, they’re not goin to lend ’you anymore » ricane l’irlandais dont l’accent acéré rivalise avec le pincé britannique de Smith.
Les couteaux sont tirés, les manches sont distribuées. Le cigare d’Ella emplit la pièce d’une fumée lourde, relevée par les petites bouffées que Max tire sur sa pipe et la cigarette de Wyatt. Leurs yeux brûlent et les jetons changent de main.  

Absorbé dans son jeu, Maxence est à milles lieux de se figurer qu’une prime à son nom circule à Imogen. Pourtant, lors de son dernier voyage en septembre, il est devenu connu comme celui qui a triché et abusé ses partenaires de poker à la table du Snip Saloon. Pris la main dans le sac à subtiliser une carte de la pioche, il a pu s’enfuir avec son cousin avant de devoir rendre des comptes (il y a eu un peu de bousculade, c’est vrai…) mais les types ont avertis le shérif.
Pas spécialement préoccupé par cette énième anecdote dans son parcours dissolu, il n’imagine pas une seconde que le shérif a mis à son cul les chasseurs de tête. Jusqu'à présent, il a toujours été en bon terme avec ces citoyens d'un autre genre.

Un rire éclate dans la petite salle sombre, celui mauvais et victorieux de Maxence Burke.
« -Hey, hey Wyatt ! Restituire i soldi ! Get it my guy ? Restituire, italy, la mafia ! Yer’ a dead maaan !”
Il serait impoli de quitter la table de jeu maintenant même s’il adorerait se tailler avec le pactole. On redistribue un nouveau tour de cartes.

Ben n’était pas ignorant de ce qu’il se passait. Il cherchait des excuses pour traîner dans les parages. La piste de Rogers était froide, son instinct lui dictait de partir pour le traquer encore plus au sud, mais il n’arrivait pas à le faire. Alors il tuait le temps entre Imogen et Silverstone, ramassant quelques primes lorsque cela était nécessaire, soit pour arrondir ses poches, soit pour pouvoir penser à autre chose. Celle du jour appartenait plus à la deuxième catégorie. L’irlandais n’avait qu’une prime mineure, mais semblait assez facile à appréhender. Après une rapide enquête, il prit la direction d’un des pires endroits des États Unis: le bordel. L’Open Purse déversait ses travailleuses sur sa terrasse et jusque dans la rue, si bien qu’il n’eut pas besoin de demander son chemin.

« Hey, pretty boy! Wanna have a ride? »

Il dût réprimer une grimace avant de se dire que se faire passer pour un client était une bonne façon de rentrer sans attirer l’attention. Il hocha simplement la tête et suivit la fille à l’intérieur.

Ça sentait un mélange de cigares, d’alcool, de cire et de différents fluides corporels qu’il ne reconnaissait que trop. Plutôt que de se laisser aller au dégoût qui lui retournait le ventre, il releva la tête, serra la mâchoire et fit taire la douleur de sa jambe pour marcher presque sans boiter. Le rouquin qu’il cherchait ne passait pas vraiment inaperçu. Entre sa chevelure de feu et son accent portant, il facilitait grandement la tâche au chasseur. C’est presque avec regret qu’il alla s’asseoir en compagnie de celle qui l’avait aguiché, à une table ou il avait vue sur le duo bruyant. Le côté le plus intéressant de son travail était la traque... L’historique du recherché ne semblait pas déranger son partenaire qui commença une partie à la mise exorbitante. Ben voulut observer, trouver le tour de main du tricheur, mais la travailleuse à ses côtés lui caressait la joue, le cou… Il lui prit le poignet lorsqu’elle s’approcha du médaillon qui pendait sous sa chemise et secoua la tête. La fille minauda, mais trouva rapidement d’autres endroits à explorer. Ce n’est que lorsqu’elle commençait à jouer avec sa ceinture, et que la mains des deux lascars se termina que Benjamin en eut assez. Il se leva d’un coup, posa un billet sur la table et s’avança vers celle de Burke.

« Care if I join? »

Sans attendre de réponse, il prit une des chaises et s’assit face au rouquin.

« How much? » demanda-t-il en pointant le pot du menton.

Le montant importait peu, et dès qu’on le lui annonça, il grimaça en se grattant le menton. Après avoir passé une main dans ses cheveux, il se pencha vers eux.

« I can’t afford that… Let me check. » Il palpa ses poches, fouilla son veston, et sortit l’avis de recherche roulé qu’il tendit à Burke. « Would that be enough? »

Il leva un sourcil en regardant l’intéressé droit dans les yeux.

« Care if he joins ? » répète Maxence en questionnant ses partenaires de table du regard.

Le type a presque bondit au bord de la table, droit comme un i et l’air mal à l’aise, ou trop. Dans un mouvement commun, l’irlandais, l’angliche, le boucher et la brute penche la tête sur le côté pour apercevoir, derrière le nouveau, la jeune femme délaissée sur son bout de canapé. Tous leurs regards se posent ensuite sur Benjamin, aussi peu accueillants qu’une tablée au saloon d'un western. Au terme d’un silence plutôt long, Maxence ouvre la bouche pour remercier le gominé qui s'installe mais le boucher se lève de sa chaise, cédant son siège et sa main au minet tout propre qui siège donc entre les deux rivaux. Le brave homme sent déjà que les enjeux sur table dépassent ce qu’il a dans les poches.

« Please, mate, have a sit. » Il est déjà assit. Spontanément, Maxence ne l’aime pas. Il n’est pas du coin (personne ne l’est) et il est tout propre sur lui avec ses boutons de manchette qui reflète la lueur des chandelles, son rasage incroyablement bien exécuté. Nerveux, Maxence écrase son mégot odorant en dépréciant leur nouvel adversaire. « Well, it depends, how much could ya- Oh, right, alright, lemme see... »

Wyatt Smith regarde la feuille jaunie passer des mains du chasseur de prime à celles de Maxence Burke avec un air dubitatif. L’irlandais déplie le papier en haussant les sourcils et découvre les conséquences de sa dernière cavale en même temps que son portrait. Peu flatteur mais qui donne les bons indices.
Sa main se pose sur le paquet de jetons qui s’amoncelle près de lui. Ses traits sont tendus quand il regarde à nouveau, et mieux, le mystérieux challenger.

-I can tell you where his mother lives, happy to help, déclare Wyatt au chasseur de prime en reconnaissant immédiatement le verso d'un avis de recherche.
« I...already paid that » dit calmement Maxence. « Anoth’r guy came, took the whole thing, get out, don’t know where he went. » Le raclement de gorge qui ponctue son mensonge est à peine audible qu’il envoie déjà une chaise en direction de Wyatt. L’incident de trajectoire n’en fait pas moins une diversion et Maxence se jette vers la sortie à travers les rideaux de perles, dans des éclats de verre renversés et de voix courroucées. « Not armed, don’t have a gun ! » s’écrie-t-il sur sa course en espérant que ça dissuade le chasseur d’ouvrir le feu sur la foule (ça fonctionne rarement mais ça s’appelle être civique).

Les raisons d’un geste aussi stupide lui paraissent évidentes. Il ne peut pas laisser sa mère et sa sœur survivre à un autre été sans lui parce qu’il doit purger une peine de prison dans le comté voisin. Bien-sûr ses cousins auraient pu intervenir… Trop tard, il se faufile déjà par la porte d’entrée du Purse en entendant derrière lui les meubles se renverser sur le passage du pitbull encravaté. Maxence s’élance dans la rue et dérape dans la poussière pour vite prendre la tangente et espérer semer son créancier dans les rues de Silverstone.

Tous les clients du Lounge le voit arriver à grandes enjambées, la tête renversée en arrière dans sa course folle. Les portes du deuxième établissement s’ouvrent à l’impact quand il se propulse à l’intérieur comme un boulet de canon. Seulement une fois caché derrière les volets battants, il s’autorise un regard en arrière. Ne voyant pas (encore) son poursuivant, il prête vaguement une oreille aux commérages de Jezabel qui lui demande probablement ce qu’il fout là, en chemise débraillée et dressé comme un sanglier traqué.

« I’ll have two of those... » répond-il sans avoir aucunement écouté la question. « Maybe...maybe... » Il scrute l’avenue, avantagé par sa hauteur qui lui permet de regarder par-dessus les chapeaux agglutinés sur le perron. Tout à coup, il le voit encore, ce sale type beaucoup trop en forme physiquement. « Nope, nope, nope » Maxence recule d’abord puis fait volte face et s’élance dans les escaliers de Jezabel, bousculant à nouveau d’autres cocottes sur le perchoir. « Ah, evenin’ Phyllis, don’t mind I hide in y... » Le bruit que fait Benjamin en franchissant les portes du saloon est à peu près semblable à celui qui l’a précédé. La course poursuite reprend, Maxence est déjà à l’étage et cavalcade dans la première pièce ouverte qu’il peut trouver, enjambe le lit et ceux qui y dorment pour se jeter par la fenêtre. Il tombe et se réceptionne douloureusement, mais entier.
Pour s’effacer dans la nuit, il longe le mur jusqu’à l’enclos voisin où plusieurs paires d’yeux curieux suivent son manège. Les chevaux s’écartent à peine sur son passage. Alors qu’il se dirige vers la sortie, Maxence rencontre un autre visage humain qui l’arrête sur place.

« Oh, man... » Dans ces petites villes, on tombe toujours sur quelqu’un qu’on connaît. Il chuchote « you should cover for me, there’s, wah, a psycho of you people runnin’ the hell out after me and he… the guy got a good cardio... » Il entend des voix s’élever dans le saloon. « No time, yer guy should run, please do somethin’ ! » malgré son essoufflement déjà certain, le fugitif convoque un nouveau sursaut d’énergie pour s’échapper à travers les jardins, direction le cimetière. « Shoot him ! » ajoute-t-il par-dessus son épaule à Makoyepuk qu’il abandonne au bout de la longe de son cheval.

Passer les murs du cimetière est un jeu d’enfant pour son gardien. Il tombe de l’autre côté et grogne mais clopine entre les tombe jusqu’à une assez large pour qu’il puisse s’effondrer derrière.