Le soir tombe sur la petite cabane. Accoudée au perron branlant de celle-ci, Amitola fume une cigarette en observant le ciel qui décline. Un jeune chien-coyote est allongé à ses pieds, une patte arrière enveloppée dans un cataplasme nauséabond. Par chance, le parfum des plantes aromatiques qu’elle cultive embaume les environs, comme toujours à cette heure si particulière entre le jour et la nuit. Quelques lucioles virevoltent aux alentours, butinant çà et là pour trouver des vers et des escargots ; au grand désespoir du chiot qui ne peut plus leur courir après. Enroulant son châle de laine autour de ses épaules, la fausse chamane constate avec curiosité qu’une masse de détache soudain de l’horizon, se dirigeant droit vers la petite habitation. L’animal aussi semble l’avoir aperçu, car soudain il se redresse, les oreilles en alerte.

« Shhh, kîyâmastew wihchekan* », lui intime alors la jeune femme tout en calant sa clope entre ses dents. Tous deux restent alors silencieux, observant cette ombre s’approcher toujours un peu plus. Lorsqu’elle a finalement la confirmation qu’il s’agit bien d’un être humain, Amitola s’autorise un long soupir avant de prendre la bête estropiée dans ses bras, pour retourner à l’intérieur préparer ses affaires.

La jeune femme avait quitté Silverstone sans demander son reste ; le vieil apothicaire était mort, et son repreneur n’avait pas souhaité garder l’autochtone comme employée – allez savoir pourquoi. Celle-ci était donc montée vers le nord, où elle savait que vivait maintenant son amie Nadie. La Wawetseka lui avait parlé du village d’Imogen comme d’un lieu où il faisait bon vivre, loin de l’agitation de la ville et entouré d’une immense forêt. Il n’en avait pas fallu plus pour que la jeune Cree se mette en route vers cette destination – mais cette fois, il n’était plus question qu’elle bosse pour qui que ce soit. Après avoir campé dehors pendant la belle saison, elle s’était finalement trouvé un abri ; une ancienne cabane de pêcheur au bord d’un étang, qui semblait abandonnée depuis plus d’une décennie. Tant bien que mal, elle avait réussi à aménager l’endroit pour qu’il soit vivable, et même assez correcte pour y recevoir de la visite en tant que guérisseuse. Evidemment, Amitola n’avait rien d’une chamane, elle connaissait seulement bien les plantes… mais ça, les blancs n’en savaient rien.

Lorsqu’on frappe enfin à la porte, Amitola se fait prier. Lentement, elle entrouvre la porte… avant d’écarquiller les yeux face au visage qu’elle découvre. « Is that you? », s’exclame-t-elle en ouvrant grand la porte pour la laisser entrer. Malgré le ton suspicieux de sa voix, elle est ravie de retrouver cette femme à qui elle avait dit aurevoir il y a presque une vie de cela. Mais sa présence n’est pas de pure courtoisie malheureusement, et la jeune Cree s’enquit aussitôt de trouver quel est son problème. Découvrant la chemise poisseuse que la chasseuse de primes lui dévoile, Amitola soupire et lui indique une chaise où s’assoir. « Undress yourself », lui ordonne-t-elle en se dirigeant vers la table qui trône au milieu de la pièce, pour venir verser du vinaigre blanc dans une soupière jaunie par le temps. Wihchekan quant à lui, observe la scène depuis sa couverture devant l’âtre, silencieux.

« You know I’m no healer, right? », précise-t-elle en s’approchant pour venir observer la plaie. S’accroupissant devant Dolores, elle touche délicatement sa peau pour essayer de saisir la profondeur de la coupure. « I know herbs and the art of bullshit, that’s all », avoue-t-elle en se redressant. « It’s clean, I guess I can patch you up, but it won’t be pretty », précise la jeune femme en s’éloignant pour chercher son kit de couture. Tandis qu’elle fouille dans l’unique commode qu’elle possède, Amitola demande : « Can I know the backstory of this? ».

*« Shhh, bouge pas, toi qui pue » (« toi qui pue » est le nom du chiot)

Amitola fronce du nez en entendant que son nom s’est avéré trop difficile à prononcer pour les habitants d’Imogen. Comme si « A-mi-to-la » était plus difficile à dire que Nathaniel ou Jebediah – l’idée même lui fait lever les yeux au ciel. Mais son exaspération passe bien vite, et déjà elle s’approche de la blonde avec tout son nécessaire de couture.

Calme, elle laisse Dolores se déshabiller et s’installer, pendant qu’elle craque une allumette et fait chauffer l’aiguille pour la désinfecter ; si elle n’est pas médecin, Amitola a bien retenu quelques petites choses de Nimis et de ses enseignements. Par chance, Dolores est prête, et la jeune Cree peut chasser la traitresse de ses pensées.

Concentrée sur sa tâche, elle écoute son amie lui raconter ce qu’elle est devenue. Amitola arque un sourcil en entendant le mot « bounty hunter », mais plus par inquiétude que par réel jugement : c’est un monde dangereux, et les criminels pullulent dans l’ouest tels les moustiques au bord de l’eau. Amitola elle-même, selon les lois de cet état, est une criminelle – tuer des religieuses doit être au moins passible de la pendaison (même si ces dernières ont maltraité des enfants pendant presque dix ans). Et si on y ajoute les croyances superstitieuses des badauds du coin, elle finirait surement au bucher ses quelques connaissances d’herboriste. Pourtant, elle ne dit rien, et laisse simplement s’échapper un : « hmm hmm », invitant la blonde à continuer. Alors que celle-ci plaisante en mentionnant une vie plus calme d’épouse à la campagne, Amitola se surprends à rire. Un simple soufflement par le nez, mais qui lui vaut quand même d’ordonner : « Don’t make me laugh, I could hurt you… ».

Finalement, c’est maintenant à son tour de passer à l’interrogatoire. Peu bavarde, Amitola ne s’embarrasse pas de détails non plus : « I got sick. Wandered for miles and miles, halucinating… the Wawetseka found me, helped me get better. She got married, so I worked in Silverstone. The old men died, so I left. They have no healer here, I saw it as an opportunity make a little bit of money. » Elle avait vécu une drôle de vie ces dernières années, mais rien qu’elle ne considère aujourd’hui comme dramatique – elle est à Imogen maintenant, et sera peut-être ailleurs dans six mois : cela lui importe peu, elle ne fait plus de plans depuis longtemps déjà.

Alors que Dolores s’excuse d’être venue à l’improviste, Amitola coupe le fil qui rassemble maintenant les deux pendants de la plaie. Elle agite une main dans l’air, lui faisant signe que ce n’est rien avant de se relever, et d’essuyer ses doigts sur son tablier. « You owe me nothing, and neither do I ». La jeune femme s’était longuement répété cette même phrase lorsque Dolores était partie. Si elle avait développé une certainement affection pour blonde, cette dernière ne lui appartenait pas ; elle l’avait donc laissée partir comme on rends sa liberté à un animal après l’avoir soigné : avec douleur, mais en sachant pertinemment que c’est la meilleure chose à faire.

« Don’t move », lui ordonne-t-elle sans douceur avant de se diriger vers une étagère, « I’ll make a cataplams, so i doesn’t get infected. You’ll stay here tonight ». Ce n’était pas une question, et elle espérait que Dolores aurait assez de bon sens pour le comprendre. Sans lui laisser une seule chance, la jeune Cree attrape une bouteille de vin de groseille sur l’étagère, et en sert une pinte à Dolores. « First, drink », ordonne-t-elle en se retournant à nouveau, pour aller attraper différentes choses : de l’eau, de l’argile, et de quoi alimenter le feu dans l’âtre. « Will you stay in Imogen for long? », demande-t-elle, autant par curiosité que par intérêt.

« No, no, I don’t want your money », proteste immédiatement Amitola en balayant l'idée de la main, même si elle aurait a bien besoin. A la place, elle se concentre sur sa préparation en écoutant son amie, la mixture devenant peu à peu une pâte homogène.

« You? Born here? », la jeune regarde autour d’elle, comme si elle pouvait voir la petite ville miséreuse aux travers des murs de la cabane. Elle imagine une seconde la blonde, plus jeune mais toujours aussi grande, déhanbuler dans les rues boueuses et ternes de la ville en bois. Puis c'est dans la pinède qu'elle se la représente, où les hauts pins et les séquoias se fichent bien de sa stature, rivalisant avec elle quant à l'épaisseur de leurs écorses.

Lorsque Dolores précise qu’Amitola pourrait ne pas avoir envie d’étre vue à ses côtés, la jeune femme sort de ses pensées. Elle tourne doucement, et se redresse lentement. Les sourcils froncés, elle place une main sur ses hanches, l'autre venant s'auto-désigner du bout de sa spatule en bois. « Since when do I care about what people think, hn? ». Sa question, aussi sincère soit-elle, est tintée du timbre particulier d'un ego blessé. « Have you seen me? You may be tall and stong which is unique for a these days women, but you’re one of them. », avec le dernier mot prononcé, la spatule vient désigner la ville derrière les murs en bois. Avec un sourire compatissant, Amitola ajoute, plus tendrement cette fois : « I know what you feel. I'm not even better than a dog for some folks. » Elle n’a pas besoin de pousser sa réflexion pour loin – son amie sait. Elle fini par hausser les épaules : « And that’s good for me. I’d rather walk barefoots on sharp stones than to be part of them. » Et comme pour ponctuer sa réflexion, elle pose sa spatule et se sert un verre du vin de groseille. « To the stupide folks and the women that worth less than dogs », dit-elle avant de finir son verre d'une traite.