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Guns & WhiskyFORUM WESTERN · NOUS SOMME EN ÉTÉ

1889. À la lisière de l'Etat de New Hanover, la petite ville forestière d'Imogen compte un peu plus de 500 habitants. Plus connue pour ses ranchs que pour ses pépites, elle est l’exacte représentation des espoirs et des échecs de tous ceux qui ont pu croire au rêve américain. Son seul lien avec la civilisation est le chemin de terre creusé par le passage des diligences, droit vers la station de gare de l'autre côté de la frontière qui mène vers l'Etat de West Esperanza. Cette route est connue pour ses braquages incessants, causés par le gang des O’Reilly. En plus de terroriser la population - leurs méfaits sont racontés dans tous les journaux de la région ; ils rendent périlleux les voyages vers la grande ville : Silverstone. Cité minière dirigée par la respectable famille des Rosenbach, prospère et moderne ; on pourrait presque croire que c’est un lieu où il fait bon vivre. Mais, derrière la bonhomie de son shérif, les sourires de ses prostituées et les façades fraîchement repeintes, l'influence criminelle du Silver Gang grandit de jour en jour. Lire la suite

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Clyde King est la fondatrice du forum ! Elle se genre au féminin et ses autres comptes sont : Isaac, Mila, Amitola et Cole. PROFIL + MP
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On ne cherche pas de nouveau Shérif pour l'instant, mais qui sait, un jour tu feras peut-être régner l'ordre et la lois sur ce forum ?
FAIT DIVERSDepuis l'attaque de la banque, Mr le maire, Henry Rosenbach, invite les citoyens à redoubler de prudence - il craint que cet acte n'inspire d'autres scélérats, et met en garde ses concitoyens quant au danger qui rôde dans les grandes plaines. Ainsi, il préconnise les voitures de poste, ou encore le train pour se déplacer.
BONNES AFFAIRESN'oubliez pas de passez par le quartier commerçant de Silverstone pour faire vos emplettes dans l'épicerie des Rinaldi ! Vous y trouverez moultes boîtes de conserve, ainsi que quelques plats tout chaud, tout droit sortis de la cuisine et parfois même servi par la petite fille des propriétaires.
RUMEURUn prisonnier se serait échappé du Fort de Silverstone. Les rumeurs les plus folles circulent : certains s'imaginent qu'il s'agit encore d'un coup des bandits qui ont attaqué la banque, d'autres, un peu moins terre-à-terre, parlent d'une attaque d'anciens confédérés. La justice, quant à elle, ne commente aucune e ces hypothèses.
PETITE ANNONCEDepuis la fonte des neiges, le village d'Imogen est fière d'annoncer la réouverture de son marché agricole ! Chaque mercredi, les producteurs de New Hanover sont invités à monter leur stand dans la rue principale et faire commerce de leur légumes, viandes, poules et autres peaux ! Troc autorisé.
RUMEURDes histoires de Dame Blanche circulent dans la région de West Esperanza : certains habitants de Silverstone et des alentours jurent avoir apperçu un fantôme ! Les plus jeunes s'amusent même à invoquer l'ectoplasme dans un nouveau jeu ridicule - mais qui passera bientôt de mode : celui du ouija. Le temple prie pour leur salut.
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Nel blu dipinto di blu | ft. Pearl Hennessy
Filippa Rinaldi
Filippa Rinaldi
Since : 30/11/2020
Messages : 318
Name : Cendre
Faceclaim : Oona Chaplin
Crédits : I-rain (gifs) | Wanderlust (avatar)
DC : Irina | Blair
Nel blu dipinto di blu | ft. Pearl Hennessy Boeq
Age : 29 ans
Statut : La revanche a fait d'elle son épouse, personne ne sait qui des deux deviendra veuve
Job : Cuisinière officiellement | Nouvelle comptable des Hennessy en compagnie de Wyatt Smith | Réalise des petits boulots illégaux avec un groupe d'italiens de Silverstone | Ancienne contaiuola de la famille Rinaldi
Habitation : Petit étage en piteux état au-dessus de l'épicerie de ses grands-parents, Silverstone
Disponibilité : Dispo [1/3]
Dim 19 Déc - 20:46


Nel blu dipinto di blu

@Pearl Hennessy

Le soleil tapait sur toutes les têtes couvertes, sauf sur celle du macchabée. Sans vent, l’air était brûlant. Il laissait dans les gorges un sillage semblable à ceux que la lave avait tracés sur les flancs du Vésuve. Un pauvre arbre étirait ses maigres branches à peines feuillues au-dessus de la tombe creusée sans parvenir à créer la moindre sensation de fraicheur. Les pierres tombales se découpaient dans la poussière orangée comme des ombres chinoises. L’après-midi était à peine entamée.
On se serait cru dans une étuve.
De l’éventail ou d’une main gantée de noir, on brassait de l’air comme on pouvait dans l’espoir de faire sécher la sueur qui auréolait les fronts. Sous les aisselles, derrière les genoux, les tissus sombres s’amollissaient de sueur. On soupirait, parfois, en se dandinant d’une jambe à l’autre, fatigués de rester trop longtemps dans la même position. Et ce simple mouvement arrachait des claquements de langue désagréables des voisins - personne n’aimait qu’on les effleure alors que l’on était poisseux -.
En rang d’oignons, les invités prétendaient écouter le long sermon du pasteur de passage - quel heureux hasard, ça, un religieux itinérant séjournant à Silverstone pile au moment où le leur mourrait, de pasteur -. En réalité, ils dodelinaient de la tête et acquiesçaient parfois vivement lorsque le pasteur posait une question, sans réellement savoir quelle en était la teneur - tant que l’on montrait de la ferveur alors, tout irait bien.
Et les pires d’entre eux étaient les italiens.
Ni là pour l’homme, ni là pour la religion, ils s’étaient tassés au fond des rangs, en écoliers un peu cancres, le regard plutôt attiré par les vautours qui voltigeaient et par les filles qui, parfois, passaient derrière les grilles, que par le cercueil de pin qui l’on descendait dans son dernier lit. Ils étaient là pour la forme, voilà tout.

Un vent âpre souleva la terre rouge et vint sécher leurs yeux ouverts. Filippa protégea son visage de son coude et se retint de toussoter. Les larmes aux cils, elle les essuya d’un revers de gant.

« Che ? Lo amavi così tanto, pastore ?* » se moqua Alessio en chuchotant dans son oreille.

La napolitaine lui décrocha un sourire froid en réajustant sa voilette - un prêt de la part d’une des cousine Tomazzi -.

« Sapevi che la tua ragazza irlandese ha posato con il corpo del nostro amico Fraser ? Lo tolsero dalle strade, lo ripulirono, lo fecero sembrare bello come se fosse vivo. E poi hanno portato i suoi ammiratori per le foto. Un vero fenomeno da fiera.** »

Elle ne répondait pas à sa question, pour la simple et bonne raison qu’elle n’avait que faire de William. Ils travaillaient bien ensemble, c’était tout. En revanche, elle s’interrogeait un peu plus sur le supposé caractère intouchable des Hennessy. « Pas si puissants que ça, finalement, » s’était-elle dit lorsqu’on s’était rendu compte que le cadavre du pasteur bloquait la route au petit matin. Tout le monde était faillible. Peu importaient les belles maisons, peu importait le statut, peu importait l’assurance.
Elle l’avait appris à ses dépens. Tout le monde pouvait être tué.

Alessio soupira. Quelqu’un lisait un poème dont Filippa ne comprit que quelques mots. Temps. Gris. Jardin. Fleurs. Espoir. Elle n’écoutait pas.

« Lo so... Hanno anche aggiunto una sostanza strana lì... Per mettere un po' di rosa sulle guance del morto nel sorteggio... È disgustoso.*** »

L’ancienne mafieuse acquiesça, une légère grimace sur le visage. Il y avait une superstition - elle n’aurait su dire si elle était italienne ou bien catholique - qui disait que prendre en photo des morts portait malheur. Mais les américains n’éprouvaient vraisemblablement aucune crainte de subir la damnation éternelle ; les journaux étaient pleins de cadavres et comme si ça ne suffisait pas, ils en rajoutaient sur leurs cheminées.

Une goutte de sueur glissa dans son dos.

Devant eux, la marée noire se mit en marche. On piétina alors tout doucement pendant que le soleil continuait de les tabasser. Certains se sentirent mal, mais il n’y en eut qu’une pour s’écrouler lorsque ce fut son tour de lâcher sa poignée de terre en disant quelques mots de réconfort. On ne sut si ce fut la vision du cercueil ou bien la chaleur qui lui fit lâcher les jambes et à dire vrai, tout le monde s’en contreficha. On l’adossa contre l’arbre malade et une autre femme lui tapota les joues dans l’indifférence générale.

Filippa attrapa sa motte de terre sèche. Elle se brisa contre le bois en une multitudes d’étoiles ternes. Elle imagina que le coeur de Fraser avait éclaté pareil alors qu’on le criblait de coups de couteau. Que bientôt, son corps se fendrait de toute part tandis qu’il gonflerait comme un noyé avant d’être dévoré par ses propres asticots.
Elle pensa à sa famille que l’on avait jetée dans des tombes sans nom, débraillés, les membres en vrac, la face contre la terre et la terre dans la bouche.
La mort était quelque chose que l’on tentait de rendre belle. On nettoyait les plaies. On rajoutait du rose sur les joues. On garnissait la bière de fleurs. On se racontait des poèmes sur l’espoir et l’amour. On chantait en se tenant la main.
Filippa savait à quoi elle ressemblait véritablement. Ce qu’elle sentait aussi. Ce parfum entêtant qui vous retournait le coeur. Pas de fleurs, pas de cantiques et pas de cheveux peignés.

Puis, elle laissa sa place sans dire un mot.


*


Après des semaines, il semblait que Filippa avait emporté la puanteur du cimetière jusqu’à chez elle. Les températures ne cessaient de grimper au fond de ce maudit désert et le violent orage d’été d’il y avait deux jours avait poissé les murs d’une humidité rance. Des grosses auréoles décoraient le bois de taches noirâtres. Elle avait eu beau frotter jusqu’à faire grincer ses épaules, les salissures demeuraient.

D’un petit mouchoir brodé d’un tournesol - un cadeau de sa grand-mère - elle s’essuya la moustache dégoulinante. Elle avait la désagréable impression de cuir à l’étouffée.
Assise à la table à manger, elle se hissa jusqu’à la seule fenêtre de l’appartement pour l’ouvrir. Aucun air frais ne se glissa à l’intérieur.
À Naples, elle se souvenait des bourrasques fraîches qui s’engouffraient derrière les persiennes. Du goût salé qu’elles avaient. Comment ils tiraient la langue, plus jeunes, en prétendant avaler des morceaux de mer. Et quand elle regardait à l’horizon, elle était là. Parfois grise les soirs de tempête, parfois verte, parfois bleue, parfois parsemée de paillettes de soleil, parfois mate, hermétique à toute lumière. Indifférente à toute forme de beauté. Ne reflétant rien si ce n’était elle-même, s’étirant pour toujours jusqu’à l’horizon.
Encore maintenant, lorsqu’elle regardait par la fenêtre, elle se surprenait à espérer la voir, après ses longues années d’exil.
Aujourd’hui, pourtant, les mêmes montagnes. Les mêmes arbres. Les mêmes herbes sèches. Les mêmes trous béants des mines. Les mêmes collines. Les collines. Les collines.
L’horizon tranché brutalement. Le ciel blanc délavé par la chaleur. Sa vision réduite à une cuvette sauvage. L’impression d’étouffer.

Elle n’avait pas remarqué que sa misérable contemplation s’était accompagnée de grosses taches d’encre noire sur ses papiers.

« Guardate questo lavoro ! » s’agaça-t-elle en épongeant avec un buvard. « Già. Che sciocca, eh ?**** »

Mais il y avait plus de tristesse, plus de frustration dans sa voix que de véritable colère.

Sa tête reposa dans le creux de ses bras croisés sur la table. Elle observa le mur de bois abimé en s’imaginant celui couvert d’une multitude d’assiettes de toutes les couleurs et de toutes les formes de la maison familiale. De loin, on l’aurait dit fait de mosaïques. Les mêmes que celles de leurs ancêtres. Et que restait-il, maintenant, de ses ancêtres ? Elle. Elle dans un monde qui ne voulait pas d’elle. Elle dans un monde qu’elle ne voulait pas non plus.

« Cosa ho fatto di sbagliato ? » se murmura-t-elle pour elle-même ou pour quiconque voulait l’entendre. « Cosa ho fatto di sbagliato ?***** »

Et pourtant, elle se surprenait à avoir une routine. Des amis. Une vie. Une vie différente de celle d’avant. Mais une vie tout de même. Depuis tout ce temps, elle s’acharnait à s’enterrer, s’engloutissant elle-même motte de terre sous motte de terre avec l’habitude froide d’un fossoyeur. Elle était au fond du trou - c’était le cas de le dire - et se contentait d’attendre le prochain bloc de terre avec un fatalisme tout catholique. Mais aujourd’hui, elle avait levé la tête.

Il y avait un ciel. Bleu, comme chez elle.  

Et pourtant, elle avait peur. Si elle s'accoutumait à ici, cela signifierait-il qu'elle n'appartiendrait plus à ailleurs ? Plus à Naples ? Elle trancherait le dernier lien qu'il lui restait avec eux. « Pas maintenant. Pas encore. » Comme si elle essayait de les retenir alors que c'était elle qui était partie.

Dans la rue, il y eut un bruissement imperceptible. Un silence qui précédait les attaques. La napolitaine releva le nez. On ne pouvait plus se lamenter tranquillement.

Des pas dans les escaliers.

On toqua à la porte.

Sur le bureau, son dernier beretta à portée de main.

« Puoi entrare, è aperto ! » héla-t-elle d’une voix forte.



*Bah quoi ? Tu l’aimais tant que ça, le pasteur ?
**Tu savais que ta copine l’irlandaise avait posé avec le corps de notre ami Fraser ? Ils l’ont sorti de la rue, nettoyé, rendu tout beau comme s’il était vivant. Et ensuite, ils ont fait rentrer ses admirateurs pour les photos. Un vrai phénomène de foire.
***Je sais… Ils ont même ajouté une substance bizarre là… Pour rajouter du rose sur les joues du mort au tirage… C’est dégueu.
****Non mais regardez-moi ce travail ! Quelle imbécile, hein ?
*****Qu’est-ce que j’ai fait de travers ? Qu’est-ce que j’ai fait de travers ?


Filippa Rinaldi
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Pearl Hennessy
Pearl Hennessy
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Job : Membre de la society, femme de notable et chef de gang
Habitation : La maison Hennessy se situe à proximité de l'usine d'armement, sortie ouest de Silverstone.
Disponibilité : Toujours !
Mar 21 Déc - 4:36


Nel blu dipinto di blu

@Filippa Rinaldi

Tandis ce que ces braillards remuants d’italiens faisaient la fine bouche sur les derniers bancs de l’église, le clan Hennessy jouaient aux premiers de la classe. Au plus près du cercueil, Pearl en mater dolorosa dissimulait ses yeux secs sous les mouches de son voile. La numéro deux du gang portait le deuil comme une princesse troyenne, l’air si affligée quand son mouchoir disparaissait sous sa coiffe, les mains délicatement gantées qu’elle tendait aux lèvres de ces gentleman. Le bras de son mari ne quittait pas ses épaules, peut-être plus pour gagner de la place sur le prie-dieu que pour vraiment jouer le couple uni dans la douleur. D’une tape sur le genou, elle lui intima sèchement de décroiser les jambes, on est à pas à la foire ! Wyatt regardait ses chaussures, l’esprit probablement moins aux cantiques qu’à la comptabilité qu’il lui incombait de remettre en ordre. James et Dante prenaient le deuxième rang, Richard était resté debout contre une poutre et baissait à peine le chapeau.
Tout le panier de crabes en quinconce d’une belle photo de famille n’envoyait qu’un seul signal à l’assemblée : le meurtre de l’un des leurs ne resterait pas impuni.

William n’avait pas de famille, pas ce qu'on appellerait des amis et, sur les dernières années, sa gestion des affaires avait divisée la pègre de Silverstone. Pourtant, quand bien-même aurait il été cannibale et hérétique, il appartenait à un cercle d’intouchables unis par le secret. Aucun d’eux, en dehors du théâtre de circonstance, ne prétendait regretter celui qui les avait trahi. Ce crime concernait quelque chose de plus important que la vengeance, il concernait l'honneur et la crédibilité.

“Regardez les qui jacassent” maugréa Daniel en traînant la patte dans le cortège de tête “quelqu'un a pensé que ça serait eux qui l'ont fait ?”
“On dit que l’assassin aime venir aux funérailles” renchérit Wyatt avec un sourire en coin. Personne n’y croyait, évidemment.
Pearl jeta un regard par-dessus son épaule, chargeant sa petite fille ingrate de la trop grosse gerbe de fleurs qu’ils allaient jeter sur la dépouille. L’artisan avait parfaitement respecté ses consignes : le bouquet était à l’image de William, touffu, débordant de grosses fleurs vulgaires avec des fioritures exotiques, tellement lourd qu’il écraserait tous les autres.
En effet, les italiens étaient venus servir leur présence circonstanciée comme on l’attendait d’eux. Il n’y avait bien qu’un rabat-joie comme le chef de gare pour s’imaginer qu’on rendrait au pasteur des hommages respectueux.
-C'est devant l'Open Purse qu'on devrait le faire parader.
-Bouclez-la devant le pasteur” pesta la dévote. Les deux vauriens étouffèrent dans son dos un fou rire malvenu.  

La respectable épouse porta encore son mouchoir sous les dentelles noires de sa voilette pour éponger son front dégoulinant et non ses larmes.

Il fallait admettre que l’annonce du brutal décès de William Fraser avait aussitôt été engloutie par l’affaire de ses lettres. Ce vieux rapace s’en était donné à cœur joie pour les décevoir et, alors que les hommes de main retournaient son appartement afin de mettre la main sur d’autres documents compromettants, Pearl avait eu besoin de voir le cadavre pour admettre qu’il était bien mort et qu’il n’avait pas seulement mis en scène son évasion vers les Bermudes.

Ces terres arides ne pardonnaient pas. La cérémonie honorée selon les règles du jeu, histoire de faire taire le qu’en dira-t-on, l’heure viendrait pour le gang de mener sa propre enquête et de se reconstruire à l’occasion d’un petit ménage de printemps tout à fait à-propos. Tout le monde suait à grosses gouttes et heureusement, si une petite imbécile ne s’était pas évanouie au-dessus de la fosse, on n'aurait pas vu beaucoup de catharsis convaincante. “Vas au diable” songea Pearl en balançant la première poignée de terre sur le cercueil d’un traître qu’elle avait tant aimé éconduire.
Nul doute que son ancien notaire aurait adoré les voir tous alignés-là, prêts pour le poteau d’exécution, à suer sang et eau pour avoir l'air sincère
.

***


“Relis, parle plus fort !” s’agaça Pearl, penchée sur les carnets de compte que décortiquait Smith. Pour l’aider dans sa tâche ardue, qui consistait à faire le point sur tout l’argent volé et dilapidé par Will ces dernières années, on avait flanqué le notaire de la pauvre petite Rose. Il s'en plaignait déjà, même si elle avait été à l’école pendant un temps, ce n'’était pas la meilleure assistante. “Atte-sta-tion, idiote ! Pas détestation !” Pearl lisait moins bien que sa progéniture mais elle prenait avant tout le monde l'ampleur du gouffre. Il les avait entubé jusqu'à l'os, eux comme d’autres. C’est un de ces autres qui avait dû lui trouer la peau. A cet instant, Pearl n’en voulait à l’assassin de son ancien ami que pour une chose : ne pas lui avoir laissé l’opportunité de faire sauter le caisson de ce salopard elle-même.

Enragée, elle frappa un coup sur la table. Il faisait toujours une chaleur abominable dans les grandes plaines, aussi ils avaient fermés soigneusement chaque volet de la chambre du mort. Chaque tiroir était renversé, chaque coffre était descellé et on avait essayé de détacher toutes les lattes. Rose était assise au bureau tandis ce que Wyatt se rapprochait du sol à mesure qu'il remplissait ses doléances, à quatre pattes sur le plancher, les lunettes qui glissaient sur son nez comme sur la piste verte.

-Tout ce qui concerne le Purse doit être noté dans les relevés de la Fiels, soupira Wyatt en fermant un énième cahier où s’étirait l’écriture en patte de mouche du défunt proxénète. Il manque un paquet d'argent si la banque se trompe pas.
-Ce crapaud préférait donner sa comptabilité à la gérante du bordel plutôt qu’à nous ? explosa-t-elle encore, à en faire sursauter sa pauvre fille qui décidément ne passait pas une heureuse journée. Mais depuis quand ça dure ce manège ?

-J’imagine que je ne portais pas aussi bien la jarretelle, ironisa Wyatt sans chercher à se dédouaner. A l’époque, tout le monde faisait confiance au jugement du petit homme véreux. Pearl se jura qu’ils ne referaient plus cette erreur.

Ils devaient retrouver toutes ses planques et tous ses anciens actionnaires pour essayer de récupérer les pertes et de rembourser la dette. Au diable son testament ! Il leur devait au moins tout, après ce déballage de mauvaises surprises. La partie était perdue d'avance car ce cochon savait effacer ses traces, mais ils se jurèrent de la mener à bien et de remettre la main sur ses créances et ses biens, jusqu'au dernier précisa Pearl.  


***


“Puis-je vous emprunter Miss Rinaldi une petite minute ?” demanda poliment Pearl à la matriarche italienne qui l’accueillit à l’étal de son épicerie.

A sa demande toute rhétorique, on la laissa entrer comme un vampire dans la demeure. Le rouge flamboyant de sa toilette criait dans l’austérité de cet intérieur. En montant les escaliers, elle bouscula un crucifix qui pointa vers l’étage comme un écriteau du divin.
L’autorisation donnée, il fallait admettre que c’était un ordre qu’on comprenait dans une langue ou une autre, la femme de l’industriel tourna la poignée et apparut, seule, dans l’encadrement de la porte.

“Filippa, vous-voilà. J’ai à vous parler.”

Ses arrangements avec les italiens lui inspirait, contrairement à d’autres éminences grises du gang, un début de confiance en leur besogne. Contrairement à Fraser, la communauté migrante savait que le gang n’était pas un feu avec lequel jouer. Ils avaient su se montrer utile jusqu'à maintenant et l'heure des preuves concrètes était peut-être venue.

L’éventail qu’elle agitait devant son visage lui fatiguait le poignet mais c’était ça ou les boucles sur son front s’écrasaient mollement dans ses yeux. A ses oreilles brillait l’or de deux boucles, son col défait révélait sa clavicule osseuse et la sueur qui luisait sur sa peau brune. La sécheresse à Silverstone ne souffrait ni les manches ni les chapeaux. La seule façon de se rafraîchir était de lancer un cheval au galop à la tombée du soir en espérant récolter la brise chaude de sa course sur son visage.

“Eh bien, ça n’est que moi…” grommela Pearl en se rendant compte que l’épine italienne restait près de la fenêtre. “Inutile de chercher le vent, on en aura pas avant l’ascension.”

La vénéneuse s’éventa encore en agitant sa main moite.

“Prenez une ombrelle et faîtes préparer un cheval. J’ai une affaire à discuter, mais pas ici.”

Un soupir lui souleva la poitrine, plissant son corsage blanc. Même si elle avait connu l’enfer des étés texans, et pire encore, elle était obligé d’admettre qu’on ne se faisait pas à ces impitoyables mois de juin sur la terre minière.

“...mais avant, est ce qu’on ne peut pas aussi nous servir -elle haussa les sourcils en remarquant les mains noircies de Filippa- ne m’en parlez pas, toute ma comptabilité bave comme un forain au bal, ...un rafraîchissement, par pitié, quelque chose pour ne pas que ma langue tombe avant que j'ai fini d'aligner trois mots...”

Pearl Hennessy
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Filippa Rinaldi
Filippa Rinaldi
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Nel blu dipinto di blu | ft. Pearl Hennessy Boeq
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Statut : La revanche a fait d'elle son épouse, personne ne sait qui des deux deviendra veuve
Job : Cuisinière officiellement | Nouvelle comptable des Hennessy en compagnie de Wyatt Smith | Réalise des petits boulots illégaux avec un groupe d'italiens de Silverstone | Ancienne contaiuola de la famille Rinaldi
Habitation : Petit étage en piteux état au-dessus de l'épicerie de ses grands-parents, Silverstone
Disponibilité : Dispo [1/3]
Mar 21 Déc - 22:48


Nel blu dipinto di blu

@Pearl Hennessy

Pearl ne se glissa pas dans l’appartement ; elle l’inonda.

D’abord, sa voix forte. Sans bonjour ni politesse, comme si elle eut quitté Filippa il y avait à peine quelques minutes. Comme si elles avaient été de bonnes amies. Il y avait dans ce ton ferme, un brin d’empressement, des accents ténus qui donnait à son arrivée une urgence que l’italienne ne comprit pas.
Ensuite sa robe. Rouge, brûlante, comme la sable qui recouvrait tout dans le désert. Dans la pièce sombre et miteuse, elle n’en était que plus flamboyante, parée d’or et de lumière comme un soleil. Elle n’était pas à sa place. Comme un morceau de dentelle dans la boue. Comme une tache d’huile jaune dans de l’eau croupie.
Sa présence, enfin. En dépit de toute cela, elle occupait l’espace et se mouvait comme si elle avait passé le pas de cette porte tous les jours de sa vie. Sa peau brune souillée de sueur brillait sous les rais de chaleur. Elle aussi sentait le sel.

Tout cela mit ensemble donna à la napolitaine l’envie de rire d’un rire moqueur. Voir la Hennessy ici, c’était absurde. Elle se l’imagina un instant traverser tout le quartier italien, chacun de ses pas soulevant des kilos de poussière et autant de paires d’yeux invisibles découpés par les lames des volets. Et au moins autant de murmures.

Plutôt que de faire risette, elle fronça les sourcils - une habitude chez elle -. Que pouvait-elle bien vouloir, la matriarche ?
Méfiante, toujours - chat échaudé craint l’eau froide -, Filippa resta à côté de la fenêtre ouverte, le pistolet à portée de main. Elle imaginait sans mal quelques oreilles indiscrètes en-dessous (de la fenêtre, pas du pistolet).

Elle songea un instant aux chevaux des Rinaldi. Aux étalons napolitains dont les sabots luisants remuaient la terre. À son regard déjà trop sérieux tandis qu’elle observait leurs muscles rouler sous leur course. Il nous rapportera gros. Misons. À leur trot allongé. À leur profil élancé. À leur fierté. Tu t’appelles Filippa. Un prénom évident.

« Nous n’avons pas de cheval, » répondit-elle d’une voix blanche.

Une vieille mule tout au plus. Et elle battait actuellement le pays pour aller chercher des tomates, des asperges et peut-être, si Dieu le leur permettait, des pastèques chez un fermier non loin de Silverstone.

« Je vais vous chercher à boire, » lui accorda-t-elle en essuyant ses doigts noirs dans le revers de sa robe grise. « Assetede’.* »

Elle désigna une des trois chaises bancales du menton.

Elle la dépassa sans lui accorder un regard. Filippa n’aimait pas apparaître surprise - elle n’aimait pas afficher la moindre émotion en réalité si ce n’était d’être constamment excédée par tout et tout le monde - aussi lui présenta-t-elle un visage neutre, ne reflétant absolument pas les milles questions qui fusaient dans sa tête.

Apparement, ses grands-parents se les posaient aussi.

« Cosa vuole l’americana ? Ci sta prendendo in giro ?** » lui sauta dessus son grand-père une fois parvenue en bas des marches.

Il s’était interrompu dans son labeur de nettoyer les poivrons rouges, mais tenait toujours fermement le couteau à lame courte dans son énorme pogne.

« Cosa ti ha detto ? » enchaîna nonna en s’épongeant le front avant de lui tapoter l’avant-bras. « Devi dircelo.*** »

« Dico, un bel colpo grosso tra i due occhi e ne parliamo di più. Puoi anche riavere il suo vestito. Lo laveremo bene. E anche gli orecchini.**** » rempila nonno sans lui laisser le temps de répondre.

Il ricana et l’aïeule lui colla un coup derrière la nuque.

« Stolto ! E dopo cosa, eh ? Ci sparano ? Non corriamo veloci come prima !***** »

« Non hai mai corso veloce con le gambe corte ! » se moqua nonno.

« Mi ha chiesto qualcosa da bere, » coupa leur petite-fille en se hissant sur la table pour attraper une bouteille de jus d’abricot pressé du matin - quelle idée de toujours ranger les choses utiles aussi haut -.

Ses mains trempées de sueur glissait contre le verre. Elle les essuya dans ses manches avant de se laisser tomber au sol avec un « ouf ».

« Che, è tutto ? » s’étonna nonna en tentant de coiffer les mèches trempées de Filippa derrière ses oreilles. « È arrivata così lontano per un succo di albicocca ? ******* »

« No, per il succo di albicocca ! » se vanta le grand-père en ironisant. « Di cosa sono lusingato, dillo. Il mio succo di albicocca !******** »

« Oh, statt’ zitt’ con il tuo succo ! » grommela nonna en lui collant sa main dans le visage pour le faire taire. « Lei non lo vuole, dici ? È serio ? Pensano che abbiamo ucciso il piccolo grasso ?********* »

Cette fois, Filippa éclata d’un petit rire sec. Elle versa le jus orange et épais dans un verre pas encore ébréché.

« Perché l'avremmo ucciso ?********** » demanda-t-elle.

Nonna haussa les épaules.

« Oh per niente ! Non lo so ! È stato Alessio a dirmi che al funerale ti guardavano in modo strano... E siccome pensano poco con amarezza, sai…*********** »

La brune lissa les rides d’inquiétude de sa grand-mère d’un baiser sur la joue. Elle était moite.

« Non preoccuparti.************ »

Une parole en l’air. Inutile. Bien sûr qu’ils s’inquiéteraient. Il ne suffisait pas de le dire pour arrêter le sentiment. Autrefois, ils l’auraient laissée aller sans un mot. Intouchables.

De sa main libre, elle tapota l’épaule de son grand-père. Malgré leur carrure encore imposante, elles étaient devenue osseuses avec le temps et le besoin. Elle fit mine de ne pas s’en être rendue compte.

Ses pas grincèrent dans l’escalier et elle reparut dans l’appartement.

Pearl était toujours là, éclatante et extravagante comme une fleur sauvage. La terne et rembrunie Filippa la gratifia d’un regard signifiant qu’elle n’approuvait pas. Même lorsque l’or reposait tranquillement dans leurs coffres, elle ne s’autorisait pas l’originalité. Des tissus nobles, peut-être. Mais jamais de couleurs criardes. En plus d’avoir une âme de catholique doublée de napolitaine - ce qui était déjà pas mal -, l’italienne rajoutait à cela une personnalité ascétique. Un trio qui expliquait son manque de coquetterie et sa modestie proche de l’austérité.

« Du jus de - hum - d’abricot ? » Elle n’était pas certaine du terme.

Elle déposa le verre plein devant la poule de luxe et se débarrassa du sien - vide - et de la bouteille qu’elle avait coincés son sous aisselle poisseuse - certainement pas la meilleure idée qu’elle ait eue -.

« Tout d’abord, benvenuto, » souligna-t-elle en faisant tinter les deux verres de jus entre eux.

L’étonnement passé, elle était agacée par les manières de l’américaine. Ils ne faisaient pas les choses ainsi, ici. D’abord, il fallait parler, s’enquérir de la famille, demander des nouvelles, entamer un deuxième café, complimenter la vaisselle. Des hypocrisies italiennes auxquelles Filippa était attachées. Bien que sa personnalité les répugne, elle avait été élevée ainsi et y manquer établissait de facto un terrible faux-pas. Pearl devait se souvenir. Personne n’était intouchable.

Le jus d’abricot était pâteux, mais doux.

« Et poi, vous faites des mystères. Est-ce que je devrais m'inquiéter ? Ça doit être grave si vous êtes ici. »

Elle eut un sourire froid.

« Comment est le jus ? »



*Asseyez-vous (patois napolitain)
**Qu’est-ce qu’elle veut l’américaine ? Elle nous cherche des noises ?
***Qu’est ce qu’elle t’a raconté ? Il faut nous dire.
****Moi je dis, un bon coup entre les deux yeux et on en parle plus. Tu pourras même récupérer sa robe. On la lavera bien. Et les boucles d’oreilles aussi.
*****Imbécile ! Et après quoi, hein ? On se fait canarder ? On ne court plus aussi vite qu’avant !
******Tu n’as jamais couru vite avec tes jambes courtes.
*******Quoi, c’est tout ? Elle est venue de si loin pour un jus d’abricot ?
********Non, pour le jus d’abricot ! Qu’est-ce que je suis flatté, dites donc. Mon jus d’abricot !
*********Oh tais toi avec ton jus ! Elle ne veut pas que ça dis ? C’est grave ? Ils pensent qu’on a tué le petit gros ?
**********Pourquoi est-ce qu’on l’aurait tué ?
***********Oh pour rien ! Je sais pas moi ! C'est Alessio qui m'a dit qu'ils vous regardaient bizarrement à l'enterrement... Et comme ils ne réfléchissent pas beaucoup les amerloques tu sais…
************Ne vous en faites pas.


Filippa Rinaldi
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Pearl Hennessy
Pearl Hennessy
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Ven 24 Déc - 2:19


Nel blu dipinto di blu

@Filippa Rinaldi

Le frappé que lui servait son italienne (Filippa n’était pas sa domestique mais Pearl avait tendance à considérer tous les agrégés du gang comme cela) était délicieusement rafraîchissant. Une légèreté inédite qui caractérisait les boissons sans alcool dont elle usait si rarement. Pearl concevait plutôt l’hydratation comme un des avantage de l'ivresse. Depuis qu’elle était femme au foyer, ivre, elle l’était la plupart du temps. Ce petit jus de fruit inoffensif lui redonna vingt ans.
Le doigt levé, elle intima à Filippa d’attendre qu’elle finisse de boire. D’un “ah” de soulagement, elle indiqua que la conversation pouvait reprendre et reposa le cul du verre sur la table.

“Très bon, merci, j’en avais besoin. -Au Texas, je me rappelle pas d’avoir souffert autant en été.” Enfin, elle déplia encore son éventail avec un soupir d’exaspération. “Mais non vous ne devez pas vous inquiéter ! Nous sommes amies, non ?” Bien-sûr que non mais le dominant a le droit de le dire. “C’est du temps que j’ai besoin de vous acheter.”

L’art de la conversation ne la préoccupait effectivement pas autant que le peuple latin. Pearl n’était pas “une grande fan” des discussions. En général, elle était plus favorable à des discours d’efficacité qu’on pourrait autrement appeler des ordres. Le sentiment d’impunité qui l’habillait en faisait la personne la moins regardante de la ville. En dehors d’un cercle restreints d’individus proches, les gens ne l’intéressaient pas, ils lui servaient. Intouchable, certainement pas, mais elle y croyait. Du moins jusqu’à la mort de William Fraser.

Que les Rinaldi n’aient pas de cheval la surprenait. Pearl avait toujours considéré cette famille comme appartenant à la catégorie des gens qui possède quelques chevaux. Leur pauvreté la fit sourire.
Néanmoins ça n’arrangeait pas son affaire. “Pas de cheval, c’est embêtant. Et bien disons qu’avec l’argent, vous pourrez en louer un. Venez, accompagnez-moi un peu.”

Il était normal de considérer que si Liam était le seul leader du gang, Pearl n’était jamais que son épouse. Pourtant, les proches de la cellule familiale n’ignoraient pas que Madame Hennessy contribuait bien plus qu’une docile mégère à influencer les décisions et prendre en main les actions à mener. De son vivant, William disait qu’il devait “l’affronter” pour faire pencher l’avis de Liam de son côté. Leur rivalité lui manquera, c’est certainement le seul regret qu’elle emporte de lui. Être adoubé par Pearl était une condition nécessaire à l’ascension dans la pyramide. Sa sympathie plaçait bien des garçons sous sa protection, comme James.
Elle se leva, souriante, et invita Filippa à la suivre. Reprenant les escaliers qu’elle avait grimpé jusqu’à l’étage, elle descendit la première et déposa une pièce sur le comptoir des honnêtes et sans histoire vendeurs de poivrons écrasés.
Le soleil dans les rues était aveuglant. Pearl pris Filippa par le bras comme cela se faisait entre femmes pour qu’elle l’accompagne en remontant la rue.

“Je voulais vous remercier d’être venue aux obsèques de Fraser.” A formalité, remerciement formel. “Il nous était précieux, ce brave type. Un homme très riche, plein de qualités, un ami fidèle…” Quelques enfants décrépissaient sur les marches devant les maisons, collés aux mur pour récolter un peu d’ombre. Un homme à qui Pearl n’a pas besoin de s’adresser emmène déjà sa monture pour la ramener à l’écurie. Madame rentre à pied.  
L’avenue principale succède bientôt au petit ghetto italien. Un territoire glisse sur l’autre.
“Ce que j’aime bien avec vous, c’est que vous êtes intelligente. On s’est très bien entendu avec cette histoire de Wyatt Smith. La plupart de mes hommes ne savent même pas compter jusqu’à dix, vous voyez ce que je veux dire ? Mais vous, vous savez compter au-delà de ça, et ça me va bien.” Sur leur chemin, les frontons des saloons et des échoppes se font face. Quelques têtes se tournent, avachies dans les transats ou épaulées à la charpente.
“Vous êtes maligne. J’ai besoin de ça.” Les regards qui les accompagnent brièvement sont la première étape d’un rituel d’initiation dont Pearl est très consciente. Bientôt, ces nigauds colporteront la nouvelle que Rinaldi et Hennessy se fréquentent et marchent côte à côte. Les chapeaux se lèvent sans qu’elle se donne la peine d’y répondre.
“La mort de Fraser nous a permis de constater quelques petites manoeuvres et j’ai besoin d’un recompte. Une petit service de comptabilité, vous allez faire ça parfaitement ! Après tout vous tenez les bourses de toute la ville, ça devrait être un jeu d’enfant.”

Pearl n’avait plus vraiment confiance en Wyatt pour le moment. Cet abruti n’avait pas l’air très au courant des petits emprunts de Will sur la cagnotte du gang. Elle l’avait menacé pour qu’il avoue mais cette fouine n’en savait apparemment rien. Sa fidélité était sauve mais sa fiabilité, beaucoup moins. Pour s’assurer que le compte soit bien fait, la sage contrebandière avait choisit de faire appel à un tiers neutre. Filippa, en l’occurrence.

L’appartement qu’habitait William Fraser de son vivant se situait juste en face de l’Open Purse. Un poète dit qu’on sonde l’âme d’un homme en regardant à sa fenêtre.
“Laissez-moi vous montrer ce sera sûrement plus clair.”
Détachant de son trousseau les clés de la porte d’entrée, elle se tourna vers Filippa pour l’inviter à la suivre.

“Bienvenue chez William Fraser, Miss Rinaldi.”

Les lieux n’étaient guère différents de lorsqu’elle les avait quitté. Wyatt griffonnait encore au sol, les meubles étaient renversés, chaque recoin fouillé avec véhémence.

“Smith. Explique.” Sa hanche la faisait souffrir, une des raisons pour lesquelles elle avait tenu sa compagne par le bras. Pearl se laissa tomber dans un fauteuil en s’éventant le visage à nouveau.

Pearl Hennessy
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Filippa Rinaldi
Filippa Rinaldi
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Job : Cuisinière officiellement | Nouvelle comptable des Hennessy en compagnie de Wyatt Smith | Réalise des petits boulots illégaux avec un groupe d'italiens de Silverstone | Ancienne contaiuola de la famille Rinaldi
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Dim 26 Déc - 21:55


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@Pearl Hennessy

Voler était aisé. De l’argent, une bague, un coeur, une ville, une famille - et plus récemment, une barre de chocolat -. On pouvait tout prendre. Le secret se cachait dans la fin et les moyens. Il suffisait de tendre sa main, d’étouffer les remords de son coeur - si par malheur on en avait - et de saisir. D’arracher.
De prendre.
Filippa ne s’estimait pas avoir revêtu un jour l’habit d’une voleuse. Ce qu’elle prenait, elle ne faisait que le récupérer. Cela avait toujours été à elle - ou à sa famille -. Elle ne faisait que remettre un peu d’ordre dans leurs possessions. Tout était une question de point de vue.
En tant que volée, en revanche, il lui était beaucoup plus facile de compléter les lignes de son curriculum vitae. Et là, il n’y avait bien que son point du vue qui comptait.

Lorsque Pearl - de par sa main levée et de sa bouche pincée autour du verre - lui intima de se taire, elle se sentit volée. Le coeur serré. La bouche luttant pour ne pas se tordre. Une pichenette donnée à un chien trop brave. Une référence de plus à rajouter à sa liste de doléances à elle-même qu’elle se repasserait le soir en boucle et qui l’empêcherait de dormir.
Dans le jardin de ses maux, les statues de tout ceux lui ayant causé du tort se dressaient au milieu des ronces et des épines. Elle les réduisaient en miettes chaque nuit. Et elles se relevaient chaque matin, le marbre aussi lisse que de la peau de bébé. On ne pouvait pas changer le passé.

Volée de sa maison, tout d’abord. Pearl était à son aise, même au milieu du dénuement le plus total. Son regard s’accaparait l’espace, le rétrécissant et l’agrandissait à l’envi. Elle pouvait le réduire à néant d’un clignement d’yeux, le tout sans même émettre le moindre jugement ni soumettre son visage à la moindre grimace. Ses yeux se posait sur la table, une chaise, le jus d’abricot, Filippa même, et il était aisé d’y lire « à moi ». Pas à la manière d’un enfant capricieux qui grifferait ses biens en les serrant contre lui, défiant quiconque du regard d’essayer de s’en saisir, mais à celle de ces reines orgueilleuses dont tout est acquis d’office, le regard glissant avec un flegme naturel sur chaque objet durement obtenu, sur chaque couverture, sur chaque napperon. L’appartement se dépouillait au rythme de ses battements de cils. « Ai-je été comme ça, un jour ? » se demanda la napolitaine en observant la hors-la-loi. « Le suis-je toujours ? » Elle ne se rappelait plus si, en regardant Pearl, elle se regardait dans un miroir, espérait redevenir celle du reflet ou ne regardait que son image déformée et boueuse découpée dans la flaque qu’était les États-Unis. Et peut-être n’avaient-elles rien à voir. Dans son arrogance européenne, Filippa s’estimait meilleure que ceux façonnés dans l’argile de ce pays poussiéreux.

Volée de son autorité, ensuite. Et peut-être était-ce cela qui l’humiliait et la contrariait le plus. L’italienne avait l’habitude de suivre des ordres. Elle s’y était pliée toute sa vie avec une rigueur toute catholique. Néanmoins, les commandements devaient être donnés par des personnes qu’elle estimait et qu’elle savait supérieures à elle.

En dépit de ses - trop - nombreuses années à Silverstone, elle n’estimait toujours pas les Hennessy. Qu’étaient-ils, si ce n’était des petits chefs vicieux, gouvernant un empire construit sur le tas de bouse qu’était cette ville miteuse ? Des Rois et des Reines de pacotille. Des Rois et des Reines de rien du tout. Entre Smith, le comptable doublé d’un parieur constamment hagard et battu, Fraser, le notaire six pieds sous terre qui avait fait des trous gros comme la Yougoslavie dans les livres de comptes et Liam et Pearl, aveugles à tout cela jusqu’à aujourd’hui, le gang Hennessy avait des allures de kermesse pour enfants. Il ne manquait plus qu’un clown.

Et Filippa qui avait encore moins que ces gros poissons dans une petite marre se laissait donc dicter sa loi. Bien qu’observer le visage étroit de Pearl savourer avec satisfaction le jus d’abricot de son grand-père l’agaçait, elle se tut, donc, toute à un recueillement presque religieux. Car elle avait appris sa leçon. L’obéissance valait mieux que d’être tuée.

Elle resta interdite devant la carte de l’amitié que la matriarche sortit de son deck en reposant son verre sur la table. Elle se contenta de cligner des yeux en guise d’acceptation. Peut-être avait-elle eu tort à propos de Pearl. Elle aussi était capable d’hypocrisie.

La deuxième tête de l’hydre ouvrit la marche, encore toute enveloppée de mystères. Le verre vide de Pearl, la pulpe encore accrochée sur la surface, et celui à moitié plein de Filippa abandonnés sur la petite table, l’italienne claqua la porte.
Les deux comparses descendirent l’escalier sombre avec une lenteur mesurée. Pearl étant plus grande que la comptable, elle devait courber un peu l’échine pour éviter de se cogner. Ses épaules frottaient contre les murs étroits et Filippa craignait qu’elle ne renverse les photos abimées accrochées là. Il faisait trop sombre pour qu’elle les regarde - et ce n’était pas vraiment le moment  - et elle ne préférait de toute façon plus les observer depuis longtemps. Elles sentaient la tristesse des exilés.

L’argent tinta sur le comptoir sous le regard étonné de ses grands-parents. Dans le dos de Pearl, ils froncèrent les sourcils, leurs bouches remuant sans émettre le moindre son. La napolitaine répondit par un visage similaire en levant les paumes au ciel. Nonno tendit sa main devant lui. « Aspet’,* » articula-t-il. Nonna se saisit de l’aumône laissée par l’âme charitable, à la fois blessée et contente.

Mais déjà, les deux femmes se trouvaient dehors, balayées par les rayons cuisants. La cloche tinta dans leur dos. Tout lui parut blanc.

Filippa mit sa main devant ses yeux et papillonna des paupières pour en chasser les larmes. Le soleil la brûlait, même à travers ses vêtements. Les ombres courtes peinaient à lécher la rue. L’après-midi était encore à son aurore. La rue terreuse avait des allures de cimetière.
Pearl en profita pour lui attraper le bras. La brune eut presque la même réaction que les invités lors de l’enterrement de Fraser. Elle n’aimait certainement pas être touchée alors qu’elle suait comme une catin à l’église. Elle se laissa faire néanmoins, attrapant sa robe de coton au niveau de la poitrine pour la décoller de sa peau moite.

À leur passage, les rares italiens profitant de l’ombre de leur porche ouvrirent leurs lourdes paupières fatiguées. Au fond des yeux torves, une petite lueur de curiosité. Leurs regards les suivaient avec une lenteur mesurée avant qu’ils ne se referment, prétextant une sieste écrasante. Pourtant, Filippa pouvait encore sentir leur attention brûlante sur sa nuque. Il ne faudrait que quelques instants avant que le mot ne passe de maison en maison comme la peste.

L’italienne n’avait jamais évolué en pleine lumière. Elle préférait de loin l’ombre des magouilles que le devant de la scène. Plus sûr. Plus prudent. Elle n’était pas de celles à prendre des risques inconsidéré.
Pearl la poussait hors de sa zone de sécurité, la présentant sous le regard de tous en sa compagnie. « Autant m’accrocher une cible sur le dos, » songea-t-elle amèrement en s’épongeant le front. Il était de notoriété commune que le gang des italiens trempait dans les mêmes histoires que les Hennessy. Aujourd’hui, l’accord était officiel. Et Filippa savait comment avait fini le dernier associé de Pearl.

Elle ne prit pas la peine de tourner son visage vers Pearl lorsqu’elle la remercia. Elle hocha simplement la tête ; ce n’avait pas été comme si elle avait eut le choix.

Dans la rue principale, il n’y avait guère plus de monde. Quelques outres pleines de bières qui dormaient collés contre les murs. Trois dames pressées agitant leurs éventails colorés devant la boutique de tissus. Alors, lorsque les deux nouvelles actrices apparurent sur cette immense scène vide, les quelques regards se tournèrent à nouveau vers elles. La napolitaine leva légèrement le menton. Quant à Pearl, elle s’appuyait de plus en plus sur elle. Filippa n’avait qu’une envie : déguerpir.

Les compliments de la Hennessy lui hérissèrent les poils. Elle n’aimait pas cela, la flatterie. D’abord parce que cela ne présageait rien de bon - en particulier lorsque l’on connaissait la bouche qui les prononçait - et ensuite parce que quoiqu’elle en dise, cela l’atteignait. Pour éviter le rouge de lui monter aux joues, elle se pinça l’oreille gauche en prétextant réajuster une mèche de cheveux. Elle haussa les épaules, son unique parade lorsqu’elle se trouvait embarrassée. Un tic dont elle ne parvenait à se défaire.

Enfin, les flagorneries furent mises de côté pour pointer du doigt le vrai sujet de tout ceci. « Nous y sommes, » pensa-t-elle lorsque Pearl remit la mort de Fraser sur le tapis. Le tout saupoudré d’une nouvelle cajolerie. Filippa se retint de rouler des yeux. Tenir les bourses de toute la ville, la bonne blague ! Si cela était réellement le cas, elle ne laisserait pas ses grands-parents vivre dans ce taudis. Elle se débattait avec l’épicerie, des emprunts obscurs de quelques allemands perdus, Smith et ceux assez fous - ou assez désespérés - pour demander quelques sous.
Elle se tut, cependant. Pearl ne croyait pas ce qu’elle disait et Filippa n’avait ni envie de la contredire ni de rentrer dans son jeu.

Leurs pas les menèrent devant l’Open Purse - tranquille à cette heure de la journée -. Enfin plutôt, de l’autre côté de la rue, en face du lupanar.

L’appartement de Fraser ne ressemblait plus à rien. Pas qu’elle ait eu vent de ce à quoi il ressemblait avant sa mort, mais Filippa s’imaginait bien qu’il n’était certainement pas agencé ainsi. La pièce était sombre. À travers les persiennes, quelques rais de lumière laissaient apercevoir la poussière qui voletait de partout dans l’appartement. Le soleil incendiaire tachait l’épais tapis de papier de fines lamelles aveuglantes.
Tous les tiroirs avaient été tirés des meubles. Certains reposaient au milieu des couvertures, d’autres pendaient dans le vide, tenant en lévitation par la force du Saint-Esprit. Papiers, documents, chaussettes, tout débordait de toute part. Le lit avait été retourné dans la pièce principale, le matelas éventré et les lattes arrachées, tout comme le plancher. Quelques plumes jonchaient le sol et voletaient dès que l’on bougeait un peu trop vivement. Malgré le salon qui était visiblement grand, le capharnaüm ambiant donnait une impression d’étroitesse. De la vie ordonnée du pasteur, il ne restait rien si ce n’était son écriture minuscule que Filippa arrivait à distinguer sur le papier qu’elle avait machinalement ramassé pour ne pas marcher dessus.

Au milieu de tout cela, comme un sacrifice au coeur d'un pentacle païen, Smith était agenouillé, à quatre pattes et les yeux rivés sur une note. Lorsqu’elles ouvrirent la porte, il leva la tête et remonta ses lunettes qui glissaient sur son nez. Son visage ahuri luisait de sueur.

« Signore Smith, » le salua-t-elle d’un sourire sans chaleur.

Ni l’un, ni l’autre n’avait oublié leur précédente rencontre. Le petit matin frisquet, le poing contre les narines et l’argent qui manquait.

« Qu’est-ce-que… » maugréa-t-il, entre surprise et frustration.

Dans un craquement de genoux, il entreprit de se mettre debout. Mais la position avait laissé des séquelles. Il se tint les reins, la moue pincée. Il y avait sûrement des heures qu’il répétait la posture de l’enfant. La poussière brassée le fit éternuer.
Filippa ne manqua pas le regard qu’il lança à sa patronne, mais voyait qu’il ne récolterait rien d’autre de Pearl qu’un bruissement d’éventail, il reporta son attention sur l’italienne.
Cette dernière croisa les bras et haussa les sourcils.

« Bon, euh… Regardez ça… Où est ce que j’ai mis ce fichu… Ah, le voilà ! »

Il farfouilla dans son porte-document en cuir en en sortit une feuille blanche qui tendit à regret à Filippa. Elle la saisit si rapidement qu’il se coupa avec le rebord.

« Aïe ! » s’exclama-t-il en pressant son doigt. Mais la présence de Pearl l’empêcha d’aller plus loin. « Ici. »

Il tapota une ligne de son doigt non coupé. L’autre rejoignit sa bouche.

« Et là, et là, et là. »

Il sortit autant de feuilles qu’il présenta à la comptable. Certains chiffres étaient entourés en rouge. D’autres étaient annotés. Parfois, une série de « ????? » suivait un résultat comptable visiblement déséquilibré.
Filippa enjamba une chaise renversée et s’installa au bureau. Elle déploya les papiers devant elle.

« Le bon père Fraser piquait dans la caisse. Amen, » avoua enfin Smith, un brin sardonique.

Elle sentait la présence du notaire - lui non plus ne sentait pas très bon - peser au-dessus de son épaule. Comme un maître d’école s’assurant qu’elle ne tachait pas ses devoirs d’encre. Sa nuque la piquait. Tout comme l’envie de lui dire de dégager.

« Je vois ça, » répondit-elle en observant les carnets. « Un brave type, hein ? Un ami fidèle ? » demanda-t-elle sans regarder Pearl. « Évidemment qu’il était très riche. Grazie a te. »

Les papiers se froissèrent sous ses doigts. Le trou dans la barque des Hennessy était conséquent. Elle n’avait pas besoin d’éplucher tous les livrets comptables pour le savoir. Les quelques morceaux choisis par Smith suffisait amplement. À chaque entrée d’argent, Fraser en prélevait une petite partie qu’il dissimulait sous diverses appellations. Peinture pour les murs de l’Open Purse. Nouvelles nappes pour l’Open Purse. Matelas pour l’Open Purse. Filippa avait eu l’occasion d’y aller en février - quel bonheur que cette soirée - et donc après ces hypothétiques achats. L’endroit puait toujours autant la pisse et la débauche et pas de nappes, peinture ou nouveaux matelas pour égayer cet endroit sordide. D’ailleurs, cette fameuse nuit Versaillaise n’avait certainement pas coûté autant que ce que Fraser déclarait dans ses notes. Cinq-cent dollars pour des serviettes en tissu, tout de même.

Elle se renversa sur sa chaise pour regarder Pearl.

« Molto bene, » admit-elle. « Fraser vous volait, vous étiez au courant avant de venir me chercher et vous voulez un recompte. Vous ne faites pas confiance al signore Smith ? »

Sous sa petite moustache taillée, la bouche du comptable forma un petit « o » indigné.

Filippa ne savait si elle devait se sentir heureuse d’être entrée dans le secret. Les Hennessy n’étaient pas aussi riches que le monde le pensait - qu’eux-mêmes le pensaient, d’ailleurs -. Ils avaient été volés avec une facilité déconcertante. Par un ami, qui plus était. « Quelle petite entreprise ridicule, » se moqua-t-elle en attrapant une feuille blanche pour y noter ses résultats. Cela n’empêchait. Maintenant qu’elle savait, elle ne serait plus aussi tranquille qu’avant. Pire, elle devenait un nouveau danger pour les Hennessy et donc potentiellement une nouvelle tombe à creuser.  

« Il n’y avait personne pour jouer au salvaguardia ? » demanda la napolitaine tandis que l’encre noircissait le papier de colonnes, de lignes et de chiffres. « Quelqu’un pour le surveiller ? »

Elle jeta un regard en coin à Smith. « Trop bête. » Il remonta une énième fois ses lunettes, déterminées à se faire la malle. Filippa s’essuya le front. Elle aurait tué pour un bain.
À Naples, son oncle Andrea travaillait avec elle. Non pas que la Morue ne leur faisait pas confiance. Au contraire. Mais d’avoir un binôme pouvait couper les quelques désirs inhérents à la nature humaine provoqués par le brassage de tant de richesses. Une précaution. Un filet de sauvetage. Il était dangereux d’accorder trop de pouvoir à un seul homme. Fraser avait profité de leur manque de sagesse.

« Reculez, » ordonna-t-elle sèchement lorsque l’homme de main se pencha pour regarder ses notes.

Elle était étonnée par les fiches tenues par Fraser. Aucune ne comportait la moindre zone d’ombre. Son oncle lui avait apprit le code des Rinaldi pour tenir leurs véritables carnets - des papiers incompréhensibles pour qui ne savait pas les déchiffrer - et le code légal pour tenir les papiers destinés aux autorités - bien qu’il ne fallait pas se leurrer, les autorités n’avaient jamais véritablement farfouillé dans leurs affaires -. Ici, le marshall se montrait parfois bien curieux, mais cela n’avait pas inquiété Fraser outre-mesure. Il suffisait d’observer les tableaux comptables pour voir que quelque chose ne tournait pas rond. « Au moins, j’irai plus vite, » se consola-t-elle, désireuse d’échapper à la fournaise de l’appartement.

Elle termina de poser sa dernière addition avant de tendre ses calculs à Pearl. Tout était nettement rangé dans les colonnes précédemment dessinées.

« C’est uniquement pour les mois d’avril et de mai, » lui indiqua-t-elle d’une voix neutre. « 2 678 dollars. C’était ce que vous aviez trouvé, signore Smith ? »

Il s’agissait d’une petite fortune. Assez pour rénover toute la salle de réception de l’Open Purse, tiens. Puisque Fraser y tenait tant.

« Il manque certains carnets comptables. Et même uniquement avec ceux à disposition, cela prendrait plusieurs jours, diverse settimane, anche, de tout recompter. »

Elle reposa le stylo gravé aux initiales du pasteur proxénète et réajusta son chignon. Ses cheveux étaient poisseux.

« Je peux le faire, se lo desideri. Mais je vais être honnête, je ne vois pas à quoi cela pourrait bien vous servir. Vous n’en reverrez jamais la totalité, il a dû sperperare - hum - dépenser les sommes au fur et à mesure. »

Oui, voler était aisé. Fraser venait d’en faire la superbe démonstration.



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Dim 23 Jan - 22:10


Nel blu dipinto di blu

@Filippa Rinaldi

Entre ses doigts maigres, Pearl fait tourner la fiche comptable où s’entassent les petits chiffres griffonnées dans l’écriture serrée de Miss Rinaldi. Le chiffre lui pèse sur l’estomac. D’un regard assassin, elle indique à Smith son courroux glacial car, Filippa a vu juste, il n’en avait pas découvert autant. Avachie dans son fauteuil, les bras enfoncés dans le mou des accoudoirs, elle grogne entre ses dents.

“Ce maudit fils de pute…”

D’un poing rageur, elle frappe le bras de l’assise. S’abat sur la pièce en désordre le silence pesant que sa rage diffuse toujours parmi les sbires.
Cela fait plusieurs mois qu’elle soupçonne son ancien comptable de planifier sa disparition. Les relations entre le couple et leur collaborateur de toujours s’étaient considérablement dégradées avec les années. William insistait de plus en plus pour travailler avec ses propres hommes, il multipliait les accrochages avec ses associés et semblait un peu trop amouraché d’une jeunette imbécile dans la ville voisine. Toutefois, Pearl, qui connaissait son sinistre vautour depuis plus de quatorze ans, avait refusé de le croire assez imbécile pour retourner sa veste. Le risque était trop grand, il avait tout à perdre.

“Wyatt. Tirez-vous d’ici” ordonne-t-elle d’un ton sec.

Au bout de son nez, elle fait glisser sa petite paire de lunettes grossissantes, un luxe de plus en plus nécessaire à sa lecture.
Le notaire ne se fait pas prier. Il rassemble hâtivement les feuillets qu’il doit encore étudier et, veste sur le bras, agite ses salutations sans un regard de Pearl avant de dégringoler les petits escaliers de l’immeuble et de prendre la porte. De la feuille, la patronne lève les yeux sur Filippa et son regard est aussi tranchant que le fil d’un rasoir.

“Pour les doléances de mai et d’avril, donc, je ferais déterrer sa dépouille pourrie pour qu’on la suspende à l’entrée de la ville et que les corbeaux bouffent ses yeux.”

Les inflexions de sa voix ne laissent aucun doute sur la sincérité de cette promesse. La haine prenait chez Pearl la parure d’un calme féroce. Du clan, elle est souvent la tête froide.
Un rat trotte sur le plancher, imprimant l’empreinte de ses petites pattes crasseuses sur les feuillets répandus au sol. Elle suit du regard sa petite course jusqu’au buffet, songeant à l’autre rat, le gros, qui a grignoté le fruit de son labeur en l’endormant.
Par expérience, elle sait que traiter avec un gang, fusse-t-il asservi, n’est pas confortable. D’un geste, elle l’invite à s’asseoir sur la méridienne donc un emplacement n’est pas encore éventré.

“Vous savez, Filippa, vous et moi nous avons peut-être plus en commun que ce que vous voulez admettre.” En parlant, elle attire à elle la boîte de cigare à laquelle William tenait tant et en choisit un. “Oh, j’ai entendu parler de là d’où vous venez. “Napoli !” j’imagine que ça doit vous manquer. C’est vous le peuple romain, vous avez conquit le monde entier… J’essaie d’imaginer à quoi ça devait ressembler.” L’allumette craque, elle éclaire un rond incandescent au bout du cigare. Fraser lui-même lui a appris à apprécier leur consommation. “Moi, je suis née dans les champs, vous voyez ce que ça veut dire ? La seule odeur de mon enfance, c’est mon haleine, quand j’avais faim. C’est un truc qui rend fou.”

Les italiens, dans ce pays, ne sont que des parias de plus. Personne n’aime traiter avec des bouffeurs de spaghettis, des basanés à la langue trop pendue. Le gang se montre généreux en acceptant sur son territoire leur cohabitation bruyante. Pearl ressent la rancoeur de Filippa, elle s’en nourrit même. Parfois, elle a l’impression de la tenir dans sa main, sa petite silhouette noire et son air si sévère pour son âge.
La légende de l’ouest veut qu’un jour, deux gangs se partagent la ville de Kansas City : les juifs et les irlandais. Pour sceller leur pacte, le baron de chaque pègre envoya son plus jeune fils vivre auprès de son rival. Malgré ce sacrifice, les irlandais massacrèrent les juifs. Quelques années plus tard, ils étaient massacrés dans le même procédé par l’arrivée d’un gang d’italiens. La leçon que Pearl retenait de cette mythologie, c’est qu’on ne peut pas faire confiance aux italiens et que la famille ne résoud rien. Les vrais alliances se scellent par la domination, celle du porte-monnaie.

“Pour les gens d’ici, il n’y a pas de différence. On peut être née dans un château en Europe ou dans l’écurie d’un vendeur d’esclaves, on est pas les bienvenues, peu importe que vous sachiez jouer de la mandoline. Ils ne voudront jamais de vous ou de moi, au moindre signe de faiblesse, ils nous dévorent.”

D’une main lasse, elle désigne l’immense flaque de sang séchée sous la fenêtre obstruée. Le corps pétrifié de William Fraser avait été trouvé là, gisant dans un rayon de lumière, la bouche ouverte et lardé d'entailles.

“Tout ce qui compte, c’est de garder le pouvoir. Will l'a perdu, il s'est vidé comme un porc...” Elle sourit. “Enfin ça, vous le savez très bien.”

La chaleur est à peine plus supportable derrière les volets rabattus. Pearl regarde Filippa dans les yeux, l’air conciliante, presque confidente. L’odeur qui s’installe est celle, poivrée, du cigare de bonne facture. Bien-sûr, elle omet de rappeler que ce ne sont pas eux qui ont tués ce bon vieux Will.

“Je veux vous faire confiance” annonce-t-elle. Sa voix grince un peu, les rouages rouillés d'une américaine qui s'aggravent quand elle devient sérieuse. “Je me fiche de qui vous êtes, je veux juste récupérer mon argent.” Se saisissant d’un document en haut d’une pile proche d’elle, elle tend à Filippa ce qui ressemble à une liste de localités dans les alentours de Silverstone. Baxter Ranch, Redgrave Stead, Golden Cat, … “William cachait sa comptabilité pour mieux brouiller les pistes. Je pense qu’il nous a trahit il y a plusieurs années et qu’il organisait sa fuite. Après sa mort, on a rattrapé ses hommes et ils nous ont donnés une liste des lieux où il avait l’habitude d’entreposer de l’argent. Je pense que les carnets manquants sont quelque part à ces adresses.”

Les quatre hommes, mis en compétition, avait chacun rédigé leur liste dans des lieux séparés. Il ne fut pas difficile de trouver lesquels mentaient et ceux qui étaient bons élèves. Par souci d’équité, c’est l’ordre dans lequel on les avait exécuté, au bord du même trou.

“Trouvez moi cette comptabilité, trouvez mon argent. Un de mes hommes vous accompagnera. Si vous réussissez, et je sais que vous réussirez, ...que diriez-vous de 30% sur les cinq prochaines livraisons ? Le chef de gare a réceptionné seize caissons d’armes et Fort Randall nous les rachète dans quelques jours.”

Une volute opaque de fumée s’échappe de ses narines, elle étire un petit sourire.

“Je vous laisse calculer les taux vous-mêmes quand vous consulterez les vrais carnets de comptabilité à l’usine.” Impliquant qu’il en existait des faux. “Vous et votre famille pourrez bénéficier de cet argent.”  

En attendant ce renflouement, le gang leur prêtera un cheval.

Pearl Hennessy
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Filippa Rinaldi
Filippa Rinaldi
Since : 30/11/2020
Messages : 318
Name : Cendre
Faceclaim : Oona Chaplin
Crédits : I-rain (gifs) | Wanderlust (avatar)
DC : Irina | Blair
Nel blu dipinto di blu | ft. Pearl Hennessy Boeq
Age : 29 ans
Statut : La revanche a fait d'elle son épouse, personne ne sait qui des deux deviendra veuve
Job : Cuisinière officiellement | Nouvelle comptable des Hennessy en compagnie de Wyatt Smith | Réalise des petits boulots illégaux avec un groupe d'italiens de Silverstone | Ancienne contaiuola de la famille Rinaldi
Habitation : Petit étage en piteux état au-dessus de l'épicerie de ses grands-parents, Silverstone
Disponibilité : Dispo [1/3]
Jeu 3 Fév - 20:57


Nel blu dipinto di blu

@Pearl Hennessy

L’appartement dévasté était rongé par la fureur de Pearl. Là où La Morue - après un silence pesant - aurait éclaté comme une baudruche s’acoquinant avec une aiguille, l’américaine se terrait dans une colère silencieuse, trahie sur son visage par l’éclat mauvais de ses yeux et la commissure tordue de ses lèvres. Sa face se tordait en une grimace qui creusait les sillons de ses narines. Ses airs d’ordinaire si plein d’une vilaine complaisance auréolée d’un sourire vicieux se perdaient désormais dans les affres d’une vérité qu’elle connaissait sans oser se l’avouer.
Filippa connaissait ce genre de comportement. Elle agissait pareil.
Aussi, sut-elle se taire lorsque la cheffe de gang congédia sèchement son associé. Son regard furieux continuait de scruter chaque recoin qui n’avait pas encore été éventré par le poignard rageur de la vengeance.
Wyatt obéit sans mot dire. La napolitaine devina dans son empressement une hâte soulagée de quitter les lieux et surtout, de quitter l’humeur plus que maussade de la Hennessy. Ses papiers rassemblés en fouillis dans sa pochette cartonné, il rabattit une mèche moite de devant son front et adressa un petit rictus provocateur à Filippa de-dessous sa moustache. « Bonne chance, » crut-elle lire dans son signe de main avant qu’il ne disparaisse dans la fournaise de la rue. La vive lumière qui signa son départ disparut rapidement lorsque la porte fut claquée.

Dans la pièce délabrée, il semblait faire plus sombre encore désormais qu’un bras de soleil vif s’y était engouffré. L’italienne cligna des yeux pour se réhabituer à la luminosité. Préoccupée par ses manoeuvres, Pearl s’était enfoncée dans son assise, les griffes plantées dans les accoudoirs et l’oeil toujours aussi noir.

Sa proposition - non, sa décision - sur l’avenir de la dépouille du pasteur manque d’arracher une moue dubitative et un haussement d’épaules à Filippa. Autrefois, elle aurait été la première à encourager ce genre d’actions. Il n’y avait rien de plus cathartique que de laisser pourrir ses ennemis hors de terre. Que d’observer la crainte dans les yeux de ceux assez courageux pour affronter la dépouille sur les murs de la ville.  
Néanmoins, elle avait dû revoir son jugement.
En effet, la dernière fois que quelqu’un s’était escrimé à ce genre de joyeux événement, cela avait été pour la mort de l’entièreté des Rinaldi. Et malgré les traumatismes et les cauchemars que lui avaient apportés la tête de La Morue suspendue aux portes de Naples et les corps tordus de sa famille épinglés sur des statues de Saints aux quatre coins de leur quartier, cette maladresse avait eu le mérite de lui sauver la vie.
Car, que se serait-il passé si elle n’avait pas été avertie du carnage avant de pénétrer dans la ville ? Elle ne doutait pas qu’elle y serait rentrée - comme d’ordinaire - en conquérante, sûre de son pas et de ses habitudes. Elle aurait été tuée sur le pas de sa porte sans avoir eu le temps de comprendre ce qu’il était en train de se passer. La confiance endormissait. La confiance laissait baisser sa garde. En étalant leur vengeance aux yeux de tous, les Mazzarella avaient, eux aussi, pêchés par l’orgueil. Filippa avait été aux abois et les survivants s’étaient échappés, laissant leur vendetta incomplète. Frustrée.

En imitant ses ennemis d’autrefois, Pearl avouait qu’ils avaient été trahis. Pire, elle attirerait l’attention des habitants de Silverstone qui se demanderaient qui avait bien pu infliger pareille abomination au bon père Fraser. Et Filippa ne voyait guère l’intérêt de s’attaquer à un cadavre.
Ses doigts pianotèrent légèrement contre le bureau auquel elle était assise. Il y avait quelques heures, elle n’aurait eu que faire des décisions de Pearl Hennessy et du gang en général. Désormais qu’elle avait été affichée en leur compagnie, elle s’en souciait un peu plus.

« Laissez-le être mort, » finit-elle par dire. « Il n’a plus rien à perdre et vous, tout. Stai attenta. Croyez-moi, l’utiliser comme épouvantail ti metterà solo nei guai. »

D’exaspération, elle fit claquer sa langue derrière ses dents. Son anglais la limitait. Elle peinait à exprimer le fond de sa pensée et les mots qu’elle avait en tête mourraient dans sa bouche avant même d’avoir pu être formés. Elle se frustrait de parler simplement et se croyait souvent retombée en enfance, balbutiant un mélange de paroles sans queue ni tête.

Les sourcils froncés, elle balaya sa tentative de conseil d’un revers de main sec avant de lui obéir et de changer d’assise. Plus confortable que la chaise rendue bancale par le saccage de la pièce, elle ne s’y sentait pourtant pas mieux désormais qu’elle s’était rapprochée de Pearl. Un trop plein de méfiance.

Sa remarque manqua de la faire s’esclaffer. Avoir des choses en commun ? Toutes les deux ? Filippa était aussi différente d’elle que Murphy l’était d’Alessio.
Sa condescendance la hissait au-delà de Pearl. Elle était issue d’une famille illustre, portant le crime en drapeau depuis des décennies. L’américaine, elle, venait de nulle part, elle l’avouait elle-même.

Et pourtant.

Et pourtant, aujourd’hui, Pearl avait tout et Filippa n’avait plus rien. Certes, le « tout » de Silverstone n’égalait pas le « tout » de Naples - on ne pouvait même pas comparer les deux -, mais aujourd’hui, tout comme lors du jour de leur rencontre, c’était l’américaine qui dictait son bon vouloir et l’italienne qui hochait la tête. Elle avait l’ascendant et l’arrogance blessée de Filippa ne pouvait rien y faire.

Elles n’avaient rien en commun.

La napolitaine ne s’escrima même pas à la corriger lorsque la troisième tête de l’hydre (qui n’avait plus que deux têtes) fit le grand écart pour attraper les romains au vol et les agiter dans la conversation. Filippa ne savait pas vraiment si c’était « eux » le peuple romain, mais ils n’avaient certainement pas conquis le monde entier. L’Amérique n’aurait pas été si désolée si cela avait été le cas. Elle avait au moins le mérité d’avoir raison sur une chose ; Naples lui manquait et plus que Naples, sa famille. Il lui avait fallu près de six longues années pour le comprendre ; elle ne reverrait probablement jamais ni l’un, ni l’autre.
Elle avait pleuré à chaudes larmes quelques jours après Pâques, lorsque sa prise de conscience l’avait empêchée de s’endormir, une nuit. Sa rancoeur et son chagrin l’avaient longtemps maintenue dans une froide léthargie, repoussant une réalité qu’elle s’évertuait à vider de son sens. Filippa était si en colère, tout le temps, si focalisée sur sa haine qu’elle s’était persuadée que c’était cela qui faisait encore vivre les siens. Si elle tournait la page, alors quoi ? Elle les oubliait ? Cela n’avait-il plus d’importance ?

« Ils ne voudront jamais de vous ou de moi, hein… » songea-t-elle en observant l’exubérante robe rouge de Pearl. Pour l’instant, les américains donnaient bien le change avec les Hennessy, en tout cas.

« Ils peuvent essayer, » renifla-t-elle. « Ils n’ont jamais eu aucun goût en ce qui concerne leur nourriture, allora ils ne risquent pas de nous regarder la figure… »

Ils préféraient les petits bandits tapageurs qui hurlaient leurs méfaits sur les toits dans l’espoir d’attirer l’attention sur eux. Ils ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez, de toute façon.

Will n’était guère différent. Si Filippa avait d’abord salué son intellect, elle était vite revenue sur ses positions lorsqu’elle s’était rendue compte de son caractère frivole et de ses lubies excentriques. Lui aussi attirait trop l’attention. Et voilà ce qu’il restait de lui, une flaque de sang brun et la menace d’exposer son corps grassouillet aux corbeaux. La belle affaire.

Pearl lui faisait confiance et Filippa ne savait pas si elle en voulait, de cette foi qu’elle n’avait pas demandé. Elle en était presque embarrassée, comme si elle avait enfilé un manteau trop étroit qui lui serrait les côtes. Et comme un manteau trop étroit, une fois enfilé, il était difficile de s’en débarrasser.
Certes, cette association nouvelle lui ouvrait de nouvelles perspectives et des opportunités que seul, le maigre gang de ressortissants italiens n’aurait pas pu rêver d’atteindre en si peu de temps. Ils étaient implanté depuis peu, étaient peu nombreux et se heurteraient tôt ou tard au mur bien plus solide des Hennessy et des autres gangs qui gangrenaient cette région désolée du globe.
Mais encore fallait-il réussir. La napolitaine ne doutait pas de ses capacités ; mais il suffisait de donner un peu pour qu’on vous en demande plus et surtout, une fois que l’on était affilié, il était difficile de faire machine arrière. S’il y avait quelques temps elle avait touché du doigt l’engrenage, signer ce contrat signifiait y mettre la main. Et ne pas le signer et bien… Elle n’y songeait même pas. Désormais qu’elle était au courant de toutes les saletés cachées sous le tapis du gang, elle devenait un élément trop instable si elle était laissée libre. Ce n’était pas sa main qu’elle perdrait, mais sa tête.

Elle était coincée.

L’italienne rendit à Pearl son regard, à la fois amère d’avoir été piégée, mais également déterminée à accomplir cette nouvelle mission. Car cet argent, elle en avait besoin. Ses grands-parents et elle ne pouvaient plus continuer à vivre dans leur bicoque délabrée. L’humidité faisait tousser nonno et nonna et l’âge les rendait fragiles… Elle ferait ce qu’elle avait à faire. Son orgueil pouvait bien en souffrir, mieux valait cela… Oui, mieux valait cela.
Elle récupéra la liste offerte par Pearl et la plia dans son petit carnet de cuir abimé.

« Pourrais-je regarder les carnets comptables avant de discuter du pourcentage ? » demanda-t-elle en se relevant. « Mais nous en discuterons lorsque je vous aurais rapporté les affaires du pasteur. »

Elle préférait être certaine de ce sur quoi elle s’engageait. Et d’expérience, elle savait également que les patrons satisfaits avaient tendance à être plus généreux. Et pour l’instant, Pearl était loin d’être satisfaite.

La mention d’un inconnu dans l’équation la turlupinait, néanmoins. Elle aurait préféré y aller avec Dino ou Vitale. Alessio n’était pas fait pour ce genre d’escapades. Il s’attirait trop de problèmes.

« En fin de semaine, nous pourrons partir. Sabato - Samedi. Aux portes de la ville. Qui sera votre homme ? »

Elle se voyait très mal aborder un marchand local avec des airs mystérieux et une liste douteuse en songeant qu’il pouvait s’agir de l’homme affilié au gang. Filippa aimait se préparer et ne laisser aucune place au questionnement.




Filippa Rinaldi
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