“Ah ! I knew you were there.”

Penelope se permet de rentrer dans la roulotte de Cole d'un petit pas sautillant. Le pauvre infortuné avait l’habitude de voir sa femme s’inviter chez lui, quelque chose que personne d’autres n’osait faire. Il ne l’avait jamais viré manu militari, au pire juste lever les yeux au ciel, et quand elle pensait outrepasser sa visite -probablement un peu plus tard que quand c’était vraiment le cas- s’excusait poliment et débarrassait le plancher. Ça la dépassait elle-même, de se voir insister à conserver une proximité avec son mystérieux époux. Mais par résignation ou devoir, il la laissait faire, alors elle en profitait sans la moindre gêne. Et parfois, elle essayait même de faire preuve de bonne foi, et de faire un timide pas. Comme en déduit le petit présent dans sa main.

Son mari ne répondit pas, mais dès qu’il lève les yeux vers elle, elle ferme doucement la porte de la roulotte. Une roulotte reconnaissable entre toutes les autres du clan : c’est la seule qui est noire et austère, au milieu des couleurs. Avec le recul, ça aurait dû lui mettre la puce à l'oreille. à l’époque.

“Sorry to barge in” Non, elle n’était pas désolée. “Pretty sure the boys wanted to talk to you about something, but I figured you needed some time out, since they couldn’t find you. Nothing much, fret not, Jasper is taking care of it. Plus, the girls had some ideas for tonight’s party so I worked with them and…”

Penelope parle, et Cole ne dit… rien. D’ailleurs il n’y avait même pas cette espèce de distance habituelle dans son regard. Le fait qu’il prenne un soin particulier aux affaires du clan, outre les arnaques, n’était pas nouveau, mais qu’il l’écoute jacasser pendant plusieurs minutes sans intervenir d’une quelconque façon, même pas un soupire ou un mouvement d’humeur, voilà qui était curieux. Mais la jeune blonde ne semble pas le réaliser pour le moment, avant de finalement se souvenir de l’objet singulier qu’elle avait entre les mains.

“Oh. By the way.” Elle s'éclaircit la gorge avant de désigner l’espèce de poupée de chiffon qu’elle tenait entre les mains. Faite de façon très amatrice, la peau grise et les cheveux bruns faits en laine, une robe noire en guise de vêtements. “I have… found this.” Non, elle l’avait fabriqué ce matin, avec des tisserandes du clan qui avaient envie de faire plaisir aux enfants, en utilisant des chutes de tissus et quelques restes de cotons d'un dernier cambriolages. Le genre de chose que personne n'utilise jamais. “She’s quite sinister, isn’t she ? She doesn’t even have a mouth, just two buttons for the eyes. With dark colors and austere… So I figure she will absolutely belong in your trailer. No way I give her to a child, that would be too cruel. But I always told you this place really need some…” Elle jette un œil, au milieu des partitions, et autres papiers volants et livres ouverts, absolument rien sur les murs, même pas un joli rideau ou une literie digne de ce nom. “... anything, really.”

Cole tendit la main vers la dite poupée, devant le regard ahuri de sa femme, et elle cligna brievement des yeux avant de la lui tendre, perplexe, évitant un contact physique avec sa main, quand il la saisit. “Her name is Isabeau.” Précise-t-elle, se gardant bien de dire que dans sa tête, la petite poupée avait sa vie, son caractère, ses envies, de l’ambition et la tête pleine de rêve.

Maintenant qu’il est en train de la regarder, elle sent ses joues qui s’enflamment. C’était une idée parfaitement ridicule. Cole est un seigneur de guerre, un leader, sans foi ni loi, il lui a fait la cour pour lui prendre son argent. Qu’est-ce qu’une ridicule poupée mal faite pourrait l’intéresser.
Mais c’est précisément quand Cole a l’air étrangement satisfait du cadeau que Penny sent que quelque chose n’est pas vraiment normal. Ses yeux se plissent, alors qu’elle se penche instinctivement vers l’avant, la voix plus basse.
“... Are you ill, my love?”

Le bruit du metal qui tombe abruptement sur le sol arrache un sursautement a la jeune femme qui sent immediatement son adrenaline bondir. Mais la vraie confusion a lieu quand elle se retourne. Bouche bee, rose aux joues, yeux immenses qui ont doubles de volume, la jeune femme est, pour bien la premiere fois de sa vie, completement muette devant la situation aussi absurde qu’irrelle. Ses grandes prunelles marrons passent d’un spectre à l'autre, alors que son cœur s'agite dans sa gorge, envahie par une angoisse qu’elle n’a que très rarement ressentie dans sa vie.
Le second crache son prénom comme une vipère jette son venin, et au moins, cela permet a la jeune femme d’etre certaine de quelque chose. C’est bel et bien l’homme qu’elle a épousé, aucun doute n’est possible. Elle n’a pas le temps de se demander à qui elle vient d’offrir une bien piteuse poupée, avant qu’elle ne sente ses serres s’enfoncer dans la chair de son poignet. Elle se laisse tirer hors de la roulotte, comme totalement dépourvue de toute volonté, avant de se faire gourmander comme une petite fille. La douleur qui électrise son bras finit de la réveiller de sa torpeur: la dernière fois qu’un homme a levé la main sur elle, cela a laissé une marque indélébile dans sa chair, et elle sent une sueur froide désagréable parcourir sa nuque.

“Let me go.” Tente-t-elle à mi-voix avant qu’elle aussi, la colère commence à gronder dans sa petite gorge serrée par l'émotion. “Let me go!” Siffle-t-elle en retirant son bras dans un mouvement beaucoup trop brusque pour être totalement dans le caractère de Penelope.

Elle s’en veut immédiatement cependant : elle connaît peu Cole, mais elle sait qu’il ne la frappera pas -il ne veut même pas la toucher. Penelope ignore ce qui se passe, mais c'était visiblement assez grave pour qu’il rompt cette règle implicite. Mais c'était plus fort qu’elle. Une alerte immédiate qui a pris possession de tous ses sens.

Elle écoute cependant la diatribe, assez passionnée ainsi dire, de son époux qui semble extrêmement agité par… par… what the hell is happening here.

Penny reprend son meilleur air digne en inspirant profondément, tentant de remettre ses idées en place avant de reprendre la parole. “I… apologize." Admet-elle, même si c’est douloureux pour elle. “I already said that to… the gentleman in your trailer, but I'm saying this to you as well. So I guess I made a fool of myself to talk to a man who I didn’t even make any proper introduction. He must think I'm a very rude stranger.”La jeune femme resserre son petit foulard autour de sa robe surtout pour cacher ses poignets. Une tentative de cacher que le geste l'a vraiment blessé. Elle plisse les yeux, essayant de décoder cette colère sourde chez sa moitié. “I… I don’t believe in witchcraft, Cole. Nor in any kind of fantasy. That’s something for books and boogiemen stories. That wouldn’t explain who I saw here.”

Et soudain, cela la frappe comme une gifle, et ses épaules se lèvent et s’abaissent lourdement, en secouant la tête, mais le regard toujours digne. “ You don’t trust me.” Ses bras se croisent alors que son visage se meut en incompréhension : “Goodness Cole! What on earth would you think I would have done ?! To… him? I would never do anything to harm anyone in this community! And the low voice, you pulling me out… What’s happening ?! Are there also three other wives in your trailer that you didn’t tell me about ?! ” La question semblait sortir de nul part, mais à ce stade là, elle ignore si elle serait vraiment surprise d’une supercherie pareille.

Elle se laisse aller à un mouvement de faiblesse en massant sa tempe avec fatigue, non sans un léger soupir abattu. Dieu qu’elle aimait les Borden. Mais si tout le monde avait un squelette dans son placard, Cole semblait avoir un cimetière indien complet. Elle eut une brève pensée envers son roman prefere, Le Prométhée moderne. Comme le docteur Frankenstein, son imagination se demanda si Cole avait aussi cree un être humain a partir des bouts de cadavres qu’il dissimulait ça et là. Elle efface cette pensée sotte avant que son esprit vagabonde vers une question plus terre à terre : Est-ce que c’est ainsi qu’elle va rencontrer son trépas ? Réduite au silence pour avoir vu un doppelganger  ?

“Just… tell him he can keep Isabeau, really, the pleasure is all mine. He already seems quite fond of her.”

Au moins, que cette histoire serve à faire un heureux.

“I apologize, my dear beloved, but your words mean very little to me.” Annonce Penny avec les yeux plissés et sans la moindre trace de sarcasme dans la voix, toujours profondément heurtée, malgré elle, du traitement qu’elle a reçu. Est-ce qu’elle était totalement rassurée sur le fait d’être la seule épouse avec laquelle il s’encombre ? Non. Mais elle n’était pas non plus certaine de ne pas promise à une mort aussi rapide que lente dans les plus brefs délais -histoire de retirer un témoin gênant, ou tout simplement pour laisser la place à une nouvelle abrutie prête à l'épouser. D’ailleurs il n’est même pas clair : si ça se trouve les anciennes épouses sont déjà mortes. Ou alors elle lit beaucoup trop de Lord Byron, mais qu’est-ce qu’elle y pouvait si les poèmes gothiques étaient incroyablement envoûtants ?

Mais l’ire de son époux semble s’être dissipée, relativement rapidement souligne-t-elle avec un certain soulagement, et sans vraiment savoir à quoi elle s’expose, elle le suit au sein de sa roulotte pour obtenir la réalité absolument ennuyeuse qu’il lui a promit.
Le double est là, elle n'interrompt pas quand ils discutent entre eux, et offre juste un sourire poli quand il cite son nom, enfin une introduction pour que correct pour cet homme dont elle n’avait pas la moindre idée de son existence auparavant, mais qui visiblement la connait déjà, d’après Cole.
Son frère. Cela semblait couler de source, une copie conforme ne tombe pas du sien, et pourtant, la révélation arrive a la prendre par surprise. “Jack…” Elle murmure, cligne des yeux quelques secondes, sa main sous le menton en observant le jeune homme qui sourit aux anges. A le voir comme ça, difficile d’imaginer qu’elle ait pu le confondre avec son époux.
A bien y réfléchir, ce nom n’est pas totalement inconnu, il lui semble avoir entendu Wendy le citer plusieurs fois. Difficile de faire le tri dans tout ce que peut lui dire sa belle mère, et encore plus la relation avec son fils, celui que Penelope a épousé. Mais si la gémellité est bien présente, la différence s’arrête définitivement au regard. Même à l'époque où Cole lui souriait, dans ce qui lui semble être une vie auparavant, jamais il n’a eu un regard aussi franc, aussi clair. Aussi… aussi enfantin.
Voilà, voici le mot. Jack… Penelope était bien incapable de décrire ce qu’elle voyait autrement que la sensation qu’elle avait face à un enfant.

Doucement, elle s’approche du lit, s'assit doucement à ses côtés. Elle n’avait pas voulu le déranger mais il lui semble que Jack sursaute légèrement, surpris.
“I’m very happy to meet you, Jack.” Penelope lui offre un sourire sincère, écartant un moment la confusion d’une telle situation d’avoir fait la connaissance de ce jeune homme dont elle ne connaissait rien. Elle se sentait même privilégiée, d’avoir un peu plus pénétré les entrailles de la famille dont elle voulait désespérément être acceptée.

Après lui avoir renvoyé son sourire, Jack replace ses yeux vers le plafond, où trône une superbe œuvre de sa belle-mère, représentant le ciel étoilé avec une perfection délicieuse.
“Do you have a favorite?” Demande Penelope, sans trop espérer grand-chose. Mais Jack n’hésite même pas, et lève un long doigt pour montrer une d’entre elles. “Oh ! That’s Pollux. I love that one too. See the one juuust above it ? That’s Castor. They are twins too.”

Jack sourit, et offre à la jeune femme un regard qui brille. Penelope en tire une certaine fierté : en voilà un qui aime les histoires. Elle soupçonnait vaguement son frère de faire de même, du moins il ne l'interrompit jamais quand elle lisait à voix haute ou quand elle le baignait de détail sur ses dernières lectures. Plus jeune, Penny avait dévoré les livres d’astronomie, même si c’était loin d’être ses lectures préférées.

“Do you want to see my favorite one ?” Jack hoche la tête, ravi, et la blonde se hisse sur ses jambes pour faire quelques pas et désigne un endroit. “Betelgeuse! It’s related to a famous warrior, but I think it’s quite lovely anyway. What do you think? ”

Elle jette un regard à son mari, auquel elle adresse également un sourire “Actually… the skies are pretty clear tonight, maybe we can go outside to see them all more accurately ?...”
En temps normal, il sait qu’elle aurait prit le bras de Jack pour l’emmener, mais dans le cas présent, si elle ne comprend pas grand chose sur la relation que Cole a avec son frère, a commencé la raison pour laquelle le pauvre garçon est enfermé a la vu de tous -il n’était même pas à leur mariage, le pauvre chéri!, elle a bien compris que Jack était un sujet plus que sensible, et pour une fois, elle s’en remettait à lui au lieu d’exiger et bouder. Mais elle voulait vraiment apprendre a connaitre un peu plus ce charmant garçon qui avait l'air aussi curieux que ses petits frères.

Son regard passe de Cole à Jack, de Jack à Cole. Penelope observe les deux hommes qui semblent se comprendre et avoir leurs règles bien établies. La situation est tellement absurde que Penny a décidé de ne pas s’y pencher pour le moment, quand bien même que tout son épiderme la démange furieusement d’être éclairée. Mais si par malheur elle commence à essayer d’en savoir plus, elle savait qu’elle serait incapable de s’arrêter, exploserait, et manquerait de les noyer sous les questions, avec sa petite voix fluette qui peut monter de plusieurs octaves. Et il est impensable pour elle d’effrayer le pauvre Jack qui est encore en train de serrer Isabeau contre lui. La jeune femme ne connait rien de la situation, mais il ne semble pas avoir les épaules de son jumeau, et elle refuse de lui faire subir son ire. Ceci dit, si il est a moitié aussi manipulateur que l’époux de la jeune femme…

Lequel doit visiblement être fatigué pour avoir osé lui sortir une excuse aussi désespérément mauvaise qu’elle en ait proprement insultante. Penelope remonte ses mains sur ses hanches, et malgré ses sourcils froncés, elle ne peut s’empêcher un sourire perplexe. “Papers. Of course. Papers.” Elle était une des rares qui savaient déchiffrer cette chose abstraite qu’on appelle l’écriture, et il ne faisait absolument pas parti du club.

“Oh come on, my love. We just went outside and there was nobody there! “ Et avant qu’il n’argumente, elle renchérit. “Oh and you know what? We can just be a little bit far from you, a few steps! Please come with us, it will be fun. Plus if Jack knows how to behave I'm sure everything will be alright ? Isn’t it ?” Fit-elle en se tournant vers le jumeau qui hocha la tête avec enthousiasme en affichant un sourire ravi, ce qui serait proprement troublant pour Penelope si l’idée de faire du stargazing avec sa petite famille n’obsédait pas ses pensées à cet instant précis.

“See ! We will all be on our best behavior ! Surely you can’t refuse that to us. It’s so much more interesting than... papers.” Conclue-t-elle en accentuant sur ce dernier mot avec une ironie mordante. Ça lui apprendra à douter de son intelligence.

A vrai dire, Penelope, terriblement plongée dans les moult mystères qui entouraient son mari, ignorait qu’il lui suffisait de pas grand-chose pour qu’il finisse à lui obéir. Si elle prendrait le temps d’y réfléchir, elle compterait probablement sur les doigts d’une main les fois ou elle s’est vu refusé une doléance de sa part. Le sentant perdre patience, elle finit sa plaidoirie : “I know : him and I will go first, and then you can join us in a bit. It will be easier this way. Let’s do this! Come with me, brother.” Fit-elle en saisissant gentiment le bras de son beau frère avant de l’aider à descendre de la roulotte.

Jack n’était guère bavard, mais ses yeux brillants parlaient pour lui. Devant les cendres du feu de camp, Penelope prit un plaisir non dissimulé à lui expliquer les différentes constellations, s’amusant à parler des contes et légendes qui entouraient la plupart d’entre elles. Pendant un instant, elle eut l’impression de redevenir la grande sœur qu’elle fut il y a un temps. Celle qui faisait sortir ses petits frères les nuits d’été pour leur raconter des histoires sur les bancs du jardin. Elle lui raconta le sort des dioscures Castor et Pollux, ce dernier qui demanda au roi des dieux d’immortaliser son frère a ses côtés pour qu’ils brillent ensemble pour toujours. Elle s’enthousiasma de la façon si claire avec laquelle Antares de la constellation du Scorpion était si brillante ce soir. Sa passion reprit de plus belle quand elle vit au loin, le très attendu Cole qui avait fait finalement grâce de sa très sainte présence dans leur petite réunion improvisée. Elle acheva de parler du géant Orion quand Jack était assis, les yeux dans les étoiles, Isabeau sur ses genoux, regardant le ciel avec une sérénité qui était proprement touchante. L’observant avec une certaine tendresse pendant un petit moment, Penny finit par reculer pour revenir auprès de sa moitié, les bras croisés dans son petit châle. Elle prit le temps de s’allumer une cigarette à ses côtés, rangeant sa boite d’allumette dans la poche de sa robe, avant de souffler doucement. “He’s a very good listener too.” Elle laisse la raison de ce dernier mot flotter dans l’air.

“But that’s probably when the resemblance ends. Your eyes are different. So are the eyebrows. And the expressions. And he lacks your frown.” Elle hausse une épaule en expirant la fumée : “That’s quite a lot actually…”

Elle a mille questions qui lui brûlent les lèvres, et elle sait très bien qu’il ne lui fera pas l’honneur de lui offrir les réponses sur un plateau d’argent. Qu’il garde ses secrets pour les autres, soit, elle ne peut pas l’empêcher de se protéger comme il peut, lui ou Jack d’ailleurs… Mais elle ne pouvait s’empêcher de s’en trouver toujours blessée. Des mois de ce régime à se briser le dos pour montrer patte blanche, et elle n’était à ses yeux qu’une pauvre abrutie de seconde zone. C’était honnêtement dur à digérer.
Alors elle décide de faire comme lui : Tourner autour du pot. Et également le prendre pour un con : “Did you clear out your papers or do you need some help with that ? Like, you know, read them?” Elle tire sur sa cigarette, éclairant son visage impassible une seconde, surveillant son beau frère qui est encore à regarder les étoiles sagement.

De son côté, Jack regarde toujours le ciel avec le calme olympien d’un petit garçon sage. Il doit sentir qu’on parle de lui quand il se tourne furtivement vers les deux époux pour leur offrir un regard curieux. Quand Penny répond par un geste de la main, il sourit et reprend son observation des étoiles. Elle le surprend même à reproduire des lignes de constellation qu’elle lui a apprit un peu plus tôt. Voir un avatar de son mari faire preuve d’une candeur pareille aurait plus être parfaitement déstabilisant. Mais honnêtement, maintenant elle ne voyait pas comment elle pouvait les confondre. Encore plus maintenant qu’elle énumère les différences entre les deux. Si depuis leur mariage Cole avait joue a cache cache avec elle, Penny l’avait suffisament observe pendant leur periode de cours pour qu’elle puisse reconnaitre les details de son visage meme dans le noir. Elle aurait également pu parler des courbes de leurs lèvres quand ils sourient, qui sont a des années lumières, et éventuellement l’air complètement différent quand ils l'écoutent parler.

Sa pique n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd, et si Penny pouvait se plaindre du manque profond d’attention de son mari, elle retenait que l'asticoter innocemment faisait visiblement effet. Ses grands yeux glissent sur Cole quand il ricane, une réaction qui a le mérite de la surprendre légèrement. Elle n’a pas le temps de répondre avec un faux détachement avant de se voir sacrer avec un autre travail.

Penelope laisse passer un silence, mais ses lèvres autour de sa cigarette s’étirent dans un fin sourire satisfait. Plus de responsabilité au sein du clan est exactement ce qu’elle recherche avec insistance. Que ce soit pour satisfaire sa soif d’activité que de montrer patte blanche pour les Borden auxquels elle a donné sa loyauté. Penny en avait soupé de s’imposer pour des clopinettes, que Cole lui jette du travail sur la figure, même si c’est un mouvement d’humeur, c’est une victoire qu’elle s’empresse de savourer.

“Fine by me.” Elle expire la fumée en levant doucement la tête vers le ciel, ses lèvres délicates qui recrache la nicotine avec élégance. “I’ll be at your trolley at dawn. Ready or not.” Conclue-t-elle, elle-même du genre lève tôt. Penelope est une princesse certes, mais une travailleuse, qui est déjà bien apprêtée aux premières heures du jour. Un minimum si on veut du respect, aime-t-elle déclarer.

Elle retourne son attention vers le jumeau, toujours sagement assis près du feu. Les questions lui brûlent les lèvres depuis qu’elle l’a rencontré, certes, mais elle savait aussi que c’était un chemin très noueux a parcourir. Malgré sa virulence, la blonde n’avait nullement envie de provoquer une colère justifiée, et préférait commencer par une petite colline plutôt qu’une falaise.

“I don’t think I met him before…I think I  would have remembered…”

"He does certainly looks like a child." Commente sobrement la femme du gangster en l'écoutant avec attention. Pénélope savait à quel point les plus fragiles peuvent être les plus destructeurs, avec cette cruauté enfantine qui leur est propre. Cet espèce de naïveté a la fois tendre et effrayante qui les suit comme une ombre. Jack n'est pas un reflet de l'enfance perdu de Cole pourtant, cela Penny en est certaine. Elle n'aurait absolument pas l'outrecuidance d'affirmer connaître son époux, mais ce qu'elle a entrevu ne laisse pas de doute sur ce fait. Si Cole a pu être naïf pendant ses primes années, il a dû rapidement s'en défaire. Elle ignore pourquoi et comment, et même si la curiosité la dévorait, elle n'osait pas imaginer s'approcher de la vérité. Pas de soir en tout cas.

Pendant l'espace d'une minute, ses yeux noirs posés sur son mari, la blonde croit entrevoir un semblant d'affection de ce dernier envers son jumeau. Bien au-delà de la responsabilité du premier né de devoir protéger son propre sang. La même raison pour laquelle l'insupportable gamine se mit à défendre les poupons qui auraient dans le bec ce qu'elle ne pouvait même pas effleurer dans ses rêves les plus fous.

Elle expire la fumée entre ses lèvres, cachant un peu plus ses bras sous son châle -la nuit commence à être un peu fraîche. Ses yeux se ferment un instant le temps de digérer l'information. Certes, elle savait les rumeurs, les non dits, les yeux de Wendy qui l'observent sans le voir. Mais l'idée l'énerve, voire même la révulse. Tous les romans du monde ne lui feront pas digérer qu'elle a épousé un mort qui marche. Certes, impossible pour elle d'être certaine que son coeur bat, pas avec le peu de contact physique qu'ils ont. Mais c'est leur Sang qui a été versé lors de l'union. Son égocentrisme ne supporterait pas que l'immortel psaume "jusqu'à ce que la mort vous sépare" se retrouve déjà proscrit. Que nenni, il ne s'en sortira pas aussi facilement, elle compte bien lui coller aux bottes pour quelques décennies -si elle survit d'ici là.

Elle ne fait pas montre de son exaspération sur le sujet. Elle ne veut pas argumenter sur les démons de Wendy, et elle n'a pas envie d'élaborer sur le sujet. Elle laisse juste aller un long soupir qui sonne comme un léger grognement. De toute façon, le gitan semble peu intéressé à renchérir sur ce sujet, mais ce qu'il ajoute finit par anéantir les doutes de Pénélope sur l'humanité de son cher et tendre. Elle a dû mal à retenir un sourire nerveux en collant le pouce de sa main à la cigarette contre ses lèvres. Bien au fait que trouver cette réflexion amusante serait du pire effet.

"That's…" Commence-t-elle en cherchant ce qu'elle ressentait à cette annonce. Elle secoua la tête avec amusement et finit par dire dans un souffle. "That's… horrifically clever."

C'est la malheureuse vérité. Dès qu’il faut corrompre quelque chose ou le tourner à son avantage, il semble que son époux soit le champion toute catégorie. Elle laisse planer une seconde avant d’ajouter. “It’s a complicated matter… if you think it’s for his own safety I’ll guess I trust you.” Elle porte brièvement sa cigarette à ses lèvres. “After all, he’s my brother too. I need to make sure to keep him alive.” Ses yeux noirs glissent sur lui. “To keep everyone alive in this family.” Si il voulait savoir son avis sur la question : le voilà.

That’s enough.

Penny le regarde se lever sans se douter du regard insistant que lui a donné son mari juste avant. Sa main tient encore sa cigarette relevée, tapotant un peu pour le bâtonnet d’un coup sec de l’index. La jeune femme ne bouge pourtant pas. Elle le regarde aller chercher son frère sans intervenir, même si elle ne connaît pas vraiment les tenants et les aboutissements des règles qui régissent la vie de cette étrange famille. Ce qui doit se passer entre les deux hommes ne la regarde en rien à partir de cet instant. Autant que la blonde veut hurler sur tous les toits qu’elle est une Borden, elle a assez de respect pour comprendre ça. Ce n’est pas une place, ni même un langage, que d’autres âmes ne doivent comprendre. C’est une histoire de frère, et personne n’a sa place au milieu.

Penelope écrase sa cigarette à son tour sous son chausson, sans comprendre ce qui est en train de se passer. Elle pense avoir vu le regard de Jack glisser vers elle un instant, et si la curiosité qui lui dévore les entrailles, elle retient ses pas, force ses oreilles à ne pas chercher le moindre murmure porté par le vent. Elle ne sait pas vraiment ce qu’elle fait encore ici, pieds cloués au sol comme une idiot. C’était peut-être son signal pour retourner dans sa roulotte et ne pas parler de cette histoire à personne le lendemain. Peut-être. Mais Penny ne bouge pas. Il lui reste quelque chose à faire avant de partir d’ici.

C’est quand Jack est sur ses jambes et qu’il se dirigent vers elle que la jeune femme reprend son sourire. Tendant les bras vers lui comme une mère vers un poupon qui apprend péniblement à marcher, elle saisit son bras avec douceur pour attirer son attention. “I’m glad I met you Jack. I’m sure we’ll be friends in no time.”

Elle remarque immédiatement qu’elle lui parle comme si elle avait affaire à un jeune enfant. Mais ni Cole ni Jack n’a l’air d’y trouver outrage, surtout pas ce dernier dont le visage semble briller dès qu’elle lui parle.
“I bid you goodnight, brother.” Conclue-t-elle, alors qu’elle saisit son bras pour raccompagner les deux frères. Il n’y a plus âme qui vive pour observer l’étrange cortège dans le campement. C’est pourtant probablement un des rares moments, et peut-être même le seul, ou tous les trois ont l’air d’une famille.
Et de tout ce qui s’est passé ce soir, c’est probablement ceci le plus insolite.