ft. Rufus Sewell
#1. Si beaucoup s’imaginent qu’Ichabod est encore un des ces parvenus nés avec une cuillère en argent dans la bouche, eh bien ils n’ont pas tort - à quelques détails près bien sûr : fils unique d’un armateur de renom, Benjamin (
car c’est ainsi qu’il fut baptisé ) a effectivement grandi dans le luxe et l’opulence, bénéficiant d’une éducation anglaise de qualité - tout du moins jusqu’à ses 17 ans. Après cela, les choses se compliquent - et c’est d’ailleurs tout ce qui nous intéresse dans cette histoire que même la curiosité des mondains n’a jamais réussi à déterrer. Les secrets d’une identité factice et d’une vie rapiécée ne méritent pas de rester plus longtemps intactes. Ainsi, vous saurez tout.
#2. l’héritier Wilmore n’a jamais apprécié son père - et même plus : il l’a toujours détesté. Il faut dire que le patriarche de cette auguste famille n’a jamais été un homme tendre. Certes, il n’était ni violent, ni insultant et pas même agressif : il n’avait, à vrai dire, aux yeux du monde extérieur, que des qualités - mais monsieur Wilmore était quelqu’un de cruellement distant et froid. Fait du même sel que ces océans sur lesquels naviguent encore ses bateaux, il n’avait d’un père que le nom. Ichabod se rappelle d’ailleurs encore de ses yeux sévères qui si rarement se posaient sur lui, mais le terrifiaient toujours. Comme un rapace, il semblait pouvoir lire dans le cœur des gens alors que le sien restait interdit. C’est peut-être parce qu’il ne comprenait pas la pudeur d’un homme tout à fait dévoué à ses affaires que le jeune garçon préférait détester son dédain et le craindre plutôt que de se risquer à aimer le peu d’attention qu’il lui offrait et, ainsi, toujours tomber de haut quand la porte du bureau de son père se fermait devant son nez. Aujourd’hui, enterré sous des montagnes d’administration, il ne comprend que trop bien celui qui le précéda (
quoique, il critiquera toujours son manque d’implication ) - mais cela n’a plus d’importance et ne changera certainement pas le passé.
#3. Benjamin n’a donc jamais fait mystère de toute la rancœur qu’il éprouvait envers son géniteur - colère que certains décrivaient comme irrationnelle, voire ridicule. Il faut dire que la jeunesse a ce don de souligner tous vos défauts, et trop souvent ceux de caractère - si son père était d’un calme parfois terrifiant, Benjamin, quant à lui, souffrait de n’être qu’un gamin odieux. Sa nourrice avait même pour habitude de dire que malgré son baptême, il finirait tout de même en enfer. Autant dire que la croisade qu’il menait contre celui qui lui offrait un toit et à manger (
ainsi qu’une vie luxueuse ) avait des allures de caprice d’adolescent. Mais malgré toute la haine qui habitait ce jeune cœur et les frasques publiques qui prouvèrent maintes fois son ingratitude, monsieur Wilmore comptait tout de même faire de sa colérique progéniture son héritier et futur remplaçant. La compagnie maritime serait à lui, tout comme la maison familiale.
#4. Bien évidemment, certains se disaient que la chose était injuste et que de cette chamaillerie ridicule pouvaient être tirés grands intérêts : Samuel Wilmore, frère de l’illustre
Monsieur Wilmore, était de cet avis. Lui qui était déjà sur la corde raide depuis que son aîné avait découvert les magouilles qu’il organisait avec le nom de sa compagnie, et après avoir perdu ses parts et n’être officieusement devenu qu’un pauvre employé (
à peine un associé ), il savait qu’il ne tirerait de cette affaire que des clopinettes s’ils laissait sa chance passer et l’héritier hériter. Grand amateur de romans, Samuel décida que seul un meurtre pouvait venir à bout de son malheur.
#6. Pas même majeur, à peine âgé de dix sept ans, Benjamin vit sa vie basculer quand son oncle décida de mener à bien son plan : une balade en famille sur les chemins de la propriété de Southport comme excuse et un fusil de chasse en guise de bourreau firent l’affaire pour tromper la société anglaise. Une fois débarrassé de son frère, accuser le garçon de parricide ne serait pas chose difficile étant donné sa réputation - de toute façon, c’était sa parole contre la sienne (
et ça, Benjamin le savait bien ). Samuel avait même eu le bon goût de s’acheter quelques témoins qu’il prit d’ailleurs le temps de présenter à son neveu avant d’aller porter l’affaire devant les autorités compétentes - histoire de lui faire comprendre que sa défense était déjà obsolète. Grand prince, il laissa alors le garçon choisir son sort : il avait trente minutes (
le temps de faire la route entre la demeure Wilmore et le commissariat de police le plus proche ) pour se décider ; Il pouvait aller faire sa valise et prendre tout l’argent qu’il pouvait pour fuir loin d’ici ou attendre bien sagement que la police viennent le cueillir et l’envoyer en cellule où il finirait probablement ses jours, si on ne le pendait pas. Du haut de ses jeunes années, trop impressionnable pour imaginer qu’il pourrait s’en sortir, Benjamin décida de lever le camp. En plus du meurtre de son père, il fut donc accusé du vol d’une bonne centaine de livres sterlings.
#7. C’est en Amérique, loin du vieux continent, que le garçon choisit de passer son exil. Avec le peu d’argent qui lui restait, il s’acheta une petite cabane perdue au milieu de nul part et en fit son humble demeure. Mais lui qui s’imaginait vivre bien paisiblement à la campagne, loin des accusations de son oncle, il comprit très vite que le nouveau monde n’avait pas de pitié pour les fainéants : Benjamin n’était ni travailleur, ni débrouillard, et ne supportait pas l’autorité, alors, les seuls postes qu’il pouvait dégoter dans les ranchs voisins ne l’occupaient pas bien longtemps - plus d’une fois, on le mis à la porte. Ne pouvant compter que sur lui même, et pas sur ses maigres économies qui, chaque mois, fondaient comme neige au soleil, il se résolu à la vie d’Hermite (
Dieu merci, son père avait eu le bon goût de l’initier à la chasse ).
#8. Après six mois passés dans la solitude la plus totale, le désespoir s’installa dans leur cœur du jeune exilé. Il voulait en finir, et il comptait bien passer à l’acte : il avait même repéré un arbre dont les branches semblaient assez solides pour y accrocher une corde au bout de laquelle se balancerait son corps. Alors, un beau jour, il prit la route pour mourir - s’enfonçant dans les bois comme un homme qui part en guerre, il n’imaginait pas tomber sur une jeune fille à la robe maculée de sang.
#9. Sans vraiment savoir ce qu’il faisait, il prit soin d’elle, invitant l’inconnue dans sa demeure. Lui qui avait perdu l’habitude des autres et de leur présence, celle de la demoiselle semblait lui faire le plus grand bien : sa guérison était son but, son bien être, sa seule raison de vivre. Sans le savoir, elle venait de lui redonner le statut d’être humain et pas seulement celui de fantôme. Tous deux perdus dans un monde qui visiblement n’était pas le leur - il avait cru entendre un petit accent français dans sa voix - ils parvinrent à survivre de la plus douce des façons. Parce qu’elle avait des airs de comtesse avec son menton toujours levé si haut, il décida de l’appeler Milady - et parce qu’elle était tout ce qu’il y avait de plus beau et de plus précieux dans sa courte vie, il tomba amoureux.
#10. Mais la petite demoiselle qui lui avait tant appris un jour partit. Pourquoi ? Il ne comprenait pas, du moins, pas à l’époque. Les mots qu’elle avait griffonné sur du papier n’était pas un motif suffisant pour un départ si prompt. Ainsi, la seule chose qu’il retint, c’est que la branche la plus solide de l’arbre qu’il avait repéré avait rompu un soir d’orage et qu’il ne lui restait plus que ses yeux pour pleurer. De colère, il jeta le mot et ne garda que la bague.
#11. Il lui fallut bien deux ans pour comprendre la leçon : la vie qu’il menait n’avait rien de seine. Il avait beau s’être bercé d’espoir en flânant des mois durant aux côtés de Milady, cachant sa misère sous un manteau d’oisiveté, il était grand temps pour lui de réaliser l'impensable : quelques chose d’autre l’attendait, un destin plus grand et plus glorieux encore que celui auquel son oncle l’avait condamné - s’il le voulait, lui aussi pouvait mettre les voiles et reconquérir sa propre vie. Un petit changement de nom inspiré de ses lectures marqua au fer rouge ce tournant dans la vie et l’esprit du tout fraîchement renommé Ichabod (
sait-on jamais, peut-être que la police le cherchait encore ). Alors il quitta à son tour la petite cabane de bois et fila pour la ville. Deux mois d’errance lui suffirent pour trouver un travail, et, une fois quelques vêtements neufs achetés, il décida même de taper aux portes des plus grosses entreprises de la région. Fort de son éducation bourgeoise, Ichabod présentait bien et, en plus de cela, savait écrire, lire, compter et même dresser des comptes rendus (
comme il avait pu le faire pour son père par le passé ). En plus de ses talents, son bagou et son audace semblèrent plaire à l’American Line qui l'engagea d’abord comme secrétaire pour l’un de ses armateurs.
#12. Vieux loup de mer british que la noblesse semblait avoir rejeté sur le pont d’un bateau, Augustin Bardwell était un homme caractériel, mais pas inhumain : les deux hommes ne tardèrent pas à s’entendre, unis par leur haine commune des américains. Ils voguèrent de livraison en livraison des années durant, tant et si bien que l’amour que le marin éprouvait pour l’océan et ses mystères ne tarda pas à déteindre sur Ichabod. Cela n’étonna donc personne quand, après dix ans de loyaux et bon service, Augustin, emporté par la mort à un âge on ne peut plus raisonnable, légua ses biens et quelques une de ses parts dans la compagnie à son très cher secrétaire et ami, monsieur Walsh (
d’après les rumeurs, c’était pourtant plus que de la camaraderie qui avait poussé le vieil homme à faire un tel testament ).
#13. Avec beaucoup d’argent, on peut faire beaucoup de choses. L’audace, elle aussi, ne fait que grandir. Ichabod se dit qu’il était temps de retourner en Angleterre saluer son oncle. Sa soif de vengeance retrouvée, persuadé qu’un petit meurtre pourrait arranger ses affaires, il parti pour Londres à la recherche de celui qui avait ruiné sa vie. Afin de pouvoir approcher Samuel, il se fit passer pour un actionnaire désireux d’investir dans la Wilmore company, et, en effet, cracha quelques chèques pour enfin avoir le plaisir de rencontrer celui que son cœur méprisait. Mais il fut bien surpris d’apprendre que son oncle à présent dirigeait la (
toute nouvelle ) branche américaine de l’entreprise familiale pendant qu’un de ses amis se chargeait de chapoter les échanges anglais. Ironie du sort, ils avaient sûrement dû se croiser.
Tant pis. Sa vengeance prendrait plus de temps, mais il récupérerait l'entièreté de l’affaire : ne lui restait plus qu’à devenir l’ami de cet inconnu et, surtout, le nouveau fiancé de sa première fille. Ce qu’il fit.
#15. Ichabod épousa Olivia qui donna un an plus tard naissance à une superbe enfant. Il vécut paisiblement quelques années encore avant que le père de son épouse ne décède, lui léguant ses parts de l’affaire Wilmore. Enfin il allait pouvoir se venger et récupérer le reste de la compagnie… Ou peut-être pas. Une vilaine douleur à la jambe gauche le paralysa quelques semaines avant qu’un médecin ne vienne l'examiner, constatant la présence d’une grosseur bien inquiétante à sa cheville. Même si l’avis médical n’était pas encore tout à fait tranché quant à l’origine de ce mal, la souffrance d’Ichabod et la gravité de son cas ne permettait pas d’autre traitement que l’amputation. Alors, monsieur Walsh hérita d’une belle jambe de bois.
#15. En 1877, bien remis de son opération (
il a, dit on, bien peu pleuré cette perte ), Ichabod prit la décision de partir pour un voyage d’affaire en France - qui n’était autre qu’une excuse pour retourner en Amérique. Il n’eut pas beaucoup de mal à retrouver la trace de Samuel, mais eut plus de difficulté à le tuer et copier son écriture pour forger son testament (
le scalper afin de faire passer sa mort pour un massacre sioux fut aussi un grand moment de sa courte carrière d’assassin ). Le jeune armateur revint deux semaines plus tard dans sa demeure de Southport, comme si rien ne s’était passé. Cette nuit-là, il fit même le plus doux des songes, ravi de savoir sa vengeance complète.
#16. Presque dix années s'écoulent avant que la douleur ne le rattrape : ses articulations lui font de nouveau vivre un enfer et, chaque jour, il se sent devenir plus faible. Le médecin lui rend souvent visite, mais il n’arrive pas à établir de diagnostic - jusqu’à ce qu’un jeune diplômé lui révèle la nature de ses souffrances : un Ostéosarcome, voilà ce qui lui pourrit la vie. On lui parle de s’organiser pour l’avenir, mais pas le sien. Il préfère garder le silence. Cependant, l’ombre de la mort fait naître en lui une idée saugrenue, une envie presque revitalisante qui lui fait oublier sa peur : lui qui a vécu un mensonge durant toute ces années, l’audace que lui procure son trépas prochain le pousse enfin à faire quelque chose de bien, de juste (
vraiment juste, pas seulement égoïste ) - il veut retrouver Milady. Pas pour l’aimer, pas pour changer de vie - non, tout cela, c’est du passé. Ce qu’il veut, c’est partager un peu de sa victoire avec celle qui la lui a inspiré. Peu importe qu’elle soit mariée, veuve, nonne, voleuse… Il s'en contrefiche. Il a une bague à lui rendre et son bonheur à parfaire.
#16. Cela fait une semaine qu’Ichabod s’est installé à Silverstone, entre-autre pour affaires, mais aussi parce que c’est ici que ses pistes l'ont mené. Les enquêteurs qu'il a grassement payés ne sont pourtant pas certains qu’il trouvera dans cette ville une française dont il ignore le véritable nom, mais au vu de la population locale, une telle excentricité n’est possible qu’à West esperanza...