Arthur avait été prompt à s’imaginer que le pire réveil avait été son premier sur le campement. Il avait très largement devancé celui ou ses camarades de dortoir avaient flanqué sur son oreiller la tête d’un vieux cadavre pourtant fraîchement décapité (on rendait rarement honneur aux morts dans les écoles de médecine ou il ne faisait pas bon d’avoir encore un peu d’éthique). Puis, il s’était dit que c’était le suivant. Après réflexion, il avait fait grimper dans son palmarès le réveil au tir libre ou il avait cru sa dernière heure arrivée ; mais ce n’était que la russkof (cul nul et brillant dans ses atours de naissance) qui s’exerçait sur le soleil. Néanmoins, depuis tout ce temps, Arthur avait été bien loin du compte. Il n’y avait de pires réveils que celui qui portait la tête ravagée par l’imbécilité de ce consanguin de frère et cousin irlandais. Le médecin avait eut beau le toiser avec tout le mépris et le dégout dont il était capable, en bon anglais qu’il était, à moitié dissimulé sous son sac à viande, cela n’avait pas suffi ni à foudroyer le malappris (pour rester courtois), ni à lui faire tourner les talons. Il fallait en plus que le benjamin O’Reilly accentue la vision déjà insupportable de sa sale tête par sa voix de bœuf fraichement agonisant.

Toutefois, Arthur n’était pas suffisamment serein pour ignorer purement et simplement l’ordre qui avait été jeté à la volée par celui qui avait tenté de l’assassiner à deux reprises et avait, aux deux occasions, manqué de peu de réussir (mauvaise langue qu’il était, il oubliait quand bon lui semblait que la deuxième fois revenait au frère). Muet comme une carpe, car d’aussi bonne humeur qu’un ours lors des matins délicats, Arthur avait obtempéré. Il avait tout de même traîné pour s’emmitoufler dans des vêtements qui commençaient à flotter sur ses hanches.

On ne pouvait retirer à Kilian qu’il était soucieux et consciencieux de son rôle de gouvernante. Arthur prit la tasse entre ses mains sans un mot, craignant non pas de lui vomir un flot d’insultes, mais plutôt de lui renverser le café bouillant sur la tête. Il était bien tôt pour jouer avec les nerfs d’autrui quand les nuits étaient aussi rudes (surtout lorsqu’on était habitué au confort d’un lit et d’une maison bien chauffée). Il fallait bien qu’Arthur concentre toute sa bonne volonté pour ne pas déborder toute sa frustration des derniers jours (semaines ? Sûrement) sur ce petit macaque crétin.

La fourche tomba mollement sur la terre rendue humide par la rosée du matin. Arthur n’y accorda pas un seul regard, se contentant de tremper ses lèvres dans l’immondice qui servait de café par ici. Il fut subitement plus réactif, grimaçant et soufflant alors que le bout de sa langue brulée pulsait dans sa bouche. Sa fierté l’empêcha de se plaindre plus tandis que Kilian bavassait comme une oie. La qualité intellectuelle qui ressortait de ses cancans en était du même acabit. Arthur tendit une paume ouverte vers le petit truand (en taille à défaut de la réputation que le médecin ne connaissait pas bien). Avant de répondre quoi que ce soit, il attendit d’avoir une cigarette allumée à fumer entre deux gorgées de café. Peu enclin à apporter une quelconque aide, Arthur se contenta de suivre Kilian avec pour seule arme sa tasse et sa clope. La fourche était encore le nez dans l’herbe, là où il l’avait laissé plus tôt.

« Ce sont tes tâches habituelles, c’est ça ? Comment ça fonctionne, tu dois faire ça quotidiennement, car elles te sont assignées ? Ou alors vous tournez dans la répartition ? » Arthur se fichait comme de sa première chaussette de l’organisation au sein du campement. Il faisait juste la conversation puisqu'il s’imaginait le bandit trop stupide pour conjuguer discussion et réflexion. Ainsi sa paresse aux travaux physiques serait peut-être éclipsée. Avec un peu de chance. Puis ça ne ferait pas de mal au pauvre garçon de discuter avec autre chose que des bovidés. C’était un miracle qu’il réussisse encore à baragouiner (difficilement) anglais. « Au fait, est-ce que tu as vu la plaie de Sarah dernièrement ? Elle est dans un sale état à force de l’avoir laissé se creuser. J’essaie de rattraper le coup, mais j’ai peur que l’os ait été attaqué. Après, c’est tellement nécrosé et suintant de pu que c’est difficile à dire, je veux bien te l’accorder. » Arthur prenait son temps pour terminer son café qui commençait à devenir tiède. Il en était encore plus répugnant. « C’est tout de même une drôle d’idée que de se lancer dans la belle aventure du campement sauvage sans avoir un médecin dans ses rangs. »