There's a faster gun coming over yonder

1880. Il charge ses deux dernières balles dans le fusil encore fumant. Derrière, ça canarde fort - les projectiles sifflent et, parfois, soufflent le tronc d’un arbre maigrelet. Caché derrière la carriole fraîchement retournée, il ne fait pas vraiment le malin, faut dire qu’il n’a pas l’avantage du nombre. Il en a compté un, deux, trois, quatre - non, trois, le plus courageux a déjà les tripes au vent ( ça lui apprendra a vouloir voler son cheval ). Quoiqu’il en soit, c’est beaucoup trop d’ennemis pour un seul homme. Parfois, makoyepuk se surprend à penser qu’il ferait mieux de voyager avec quelqu’un d’autre que Numees. Mais ainsi va la vie : quand on est chasseur de prime, on apprend vite que y a pas beaucoup de copains dans le circuit.

Les balles commencent à bien manger le bois de son abri de fortune, comptant les secondes jusqu’à son exécution. Le front perlé de sueur, il s’apprête à répondre avec la poudre à ceux qui ont voulu lui voler sa prime. Autant mourir avec les honneurs.
Il se lève, raide comme le bâton de la justice, prêt à tirer dans le tas avec ses deux coups restants - mais trois “BANG” le surprennent avant même qu’il puisse tenter sa chance : les ennemis tombent comme des mouches. Makoyepuk n’a pas besoin d’en voir plus pour retourner se cacher dans son coin.

Il respire un bon coup, calculant mentalement toutes les probabilités qui s’offrent à lui : est-ce qu’un maniaque a décidé de le venger ou est-ce que la cavalerie vient d’arriver ? Dans le doute, il déchire un bout de sa chemise qu’il accroche à une planche et brandit bien haut, ne laissant que sa main et le drapeau de fortune dépasser des décombres.  — Hey, l’ami, arrête de tirer, je ne suis pas avec eux ! “ Il espère juste qu’il ne s’agit pas du vieux Harrington dont il espère récupérer la tête : ça l’emmerderait bien. — Il me reste deux balles dans mon fusil. Je n’aimerais pas les utiliser contre quelqu’un qui vient de me sauver la peau : qu’est-ce que tu dis qu’on sorte chacun de notre cachette sans se canarder ? “ Ce n’est pas franchement convaincant, mais ça a le mérite d’être franc - et puis, dans tous les cas, Makoyepuk ne compte pas lâcher son fusil.

There's a faster gun coming over yonder

1880. L’ange qui lui est tombé du ciel a un sacré accent. Makoyepuk a dû mal à comprendre tout ce qui sort de sa bouche en échos : il s’imagine seulement qu’il n’y a pas de mal à sortir de sa cachette, puisque l’inconnu n’a pas l’air de vouloir gâcher plus de plomb.
Il abandonne son drapeau blanc et sa cachette, regardant avec une curiosité inquiète le type à la mine patibulaire. Penché sur les cadavres, il a l’air de faire un état des lieux de la crapule tombée au combat. — Des amis à toi ? “ L’autochtone file un petit coup de pied dans l’un des corps par encore inspecté par le pèlerin écossais. Puis, à son tour, il s'accroupit, fouillant les poches du macabé dont il tire quelques munitions et un laissé passer du Marshall : figure sur le petit papier le nom d’un brigand dont la chasse n’a été que trop retardée ( il a appris à retenir les caractères qui épellent “Bautzmann”. Enfin, seulement certains ).

La pique du bon samaritain le fait presque abandonner ses activités de charognard .Il lève un peu les sourcils, regardant l’autre cul terreux comme s’il lui avait demandé de lui décrocher la lune. Faut dire que les types de leur trempe sont rarement à cheval sur les manières. — Ah. Oui. Merci. “ Vexé par ce rappelle de politesse, l’empressement ( [/i]plutôt que la gratitude[/i] ) fait descendre sa voix d’un octave.
Pourtant, il est ravi de cette intervention que les protestants qualifieraient de divine. L’étranger n’a pas l’air de vouloir lui montrer les crocs. A vrai dire, le sauvetage qu’il a mené à son insu le rendrait presque sympathique aux yeux du vagabond. Mais ici bas, il ne faut se fier à rien : ces contrées encore sauvages ( n’en déplaise aux investisseurs ) n’offrent que rarement le luxe d’une bonne rencontre. Makoyepuk ne sait pas si la chance va continuer de lui sourire, tout simplement parce qu’il a entendu trop d’histoires sordides pour croire aux amitiés nouées sur les routes.

— Chasseur de prime ? “ Il oublie un instant qu’il n’a pas besoin de jouer aux idiots, puisque le desperado l’a déjà entendu cracher quelques phrases trop bien articulées. mais tant pis, cela poussera peut-être cet européen à parler un anglais qu’il ne défigurera pas au moindre mot. “ Remarque, si tu es seulement là pour te venger, ça ne me regarde pas. “ Il n’existe pas de grandes différences entre un bandit et un tueur commandité par le sheriff : entre chiens du même pedigree, les règlements de compte sont toujours sanglant.

Se relevant enfin, il soupire en constatant qu’aucune des balles ne sont au calibre de son fusil. — Tu ne voudrais pas faire un peu de troc, par hasard ? “ Sans vraiment attendre de réponse, Makoyepuk se met à siffler, regardant autour de lui avec empressement, comme si ses questions, au final, ne servait qu’à couvrir un vide gênant.

Le poney gris finit par retrouver sa route jusqu’à lui, avançant d’un pas lent avec ses grands yeux effrayés. Numees ne fait pourtant pas grand cas des corps entre lesquels elle zigzag, écrasant ça et là une main, un fusil, ou un manteau ( son chemin trop droit lui rougit les sabots ).
Ce sont les coups de pétard qui la rendent soucieuse : elle connaît le son d’un fusil, mais la musique tonitruante des colts qui tirent trop vite la font galoper au loin comme une pouliche jamais sortie du boxe. — Tsimáá kitsítapoohpa? “ Il tapote l’encolure de la bête dans cet échange aussi rapide que bas. Son attention s’en retourne très vite vers le justicier sans morale. — Soit dit en passant, tu n’aurais pas vu un type cavaler dans les bois ? Il doit être un peu plus grand que toi, plus épais aussi - c’est un allemand avec quatre dents en or. J’espère que tu ne l’as pas descendu celui-là aussi. “

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1880. Lui qui était prêt à lui racheter quelques cigarettes contre de la viande, il saute plutôt sur la dernière proposition du type ( décidément envoyé par de hautes instances. ). — Dix dollars chacun, est-ce que ça te va ? “ Mieux vaut partager que de se faire doubler. Sa très récente valse avec la mort l’a dissuadé de jouer la carte de la compétitivité. ‘ Et tu ouvres la marche. “ Tourner le dos au danger, c’est l’inviter à vous poignarder. Makoyepuk veut bien faire équipe, mais faire confiance, c’est autre chose.
Il lui tend tout de même la main, histoire de faire bonne figure, et de convenablement sceller leur nouvel accord.

— On va prendre les chevaux - tu as dit qu’il partait vers la rivière, c’est ça ? “ Il n’attend ni son accord ni une réponse pour sauter sur le dos de la petite jument grise.” Ah ! Surtout, quoiqu’il arrive, il le faut vivant - la prime risque de baisser de moitié, sinon. “ A vrai dire, ce n’est pas toute la vérité. S’il verrait avec plaisir la tête de ce chien éclater en confettis, il veut s’assurer d’être celui qui lui portera le dernier coup. Et peut-être même qu’avant cela, il le gardera un peu en vie, pour lui faire regretter de n’être mort plus tôt. Car pour ce déserteur d’une armée qui a autant de morale que les monstres qu’elle produit, il y a deux sortes de justice qui réclament vengeance pour ses crimes : celle des Etat-Unis, et une autre bien plus personnelle.
— Tu sais utiliser un lasso, j’espère ? “ Avec ses allures de cowboy ( si on oublie l’accent ), bien sûr qu’il a dû courir après d’autres vachettes récalcitrantes. Et puis, ce n’est pas un bandit presque crevé qui va faire peur à un type qui vient d’en achever trois autres de sang froid. Il suffit juste de mieux viser, peut-être moins précisément encore qu’avec un colt.  ” Il est blessé, de toute façon, il n’ira pas loin. “

Une fois remonté cadavre de sa monture, il n’est plus très difficile de pister William Abbing : le sang a perdu sur la route ne laisse pas de doute quant à la réussite de leur entreprise. Il espère seulement que ce bon vieux bourreau n’aura pas assez de balles pour les emmener avec lui dans l’au-delà.

— Là-bas. Tu le vois courir vers la rive ? “ Makoyepuk pointe du doigt une silhouette minuscule qui zigzague entre les arbres. Le bonhomme dévale la pente, sautant presque sur une jambe. Il chute pourtant à maintes reprises et s’accroche aux branches pour s’avancer, gibier mourant qui ne sait pas se résigner à son sort. ” Laisse le traverser, il ne pourra plus utiliser ses armes au milieu de la rivière. “ Au printemps, le lit de la rivière grandit : ceux qui s'acharnent à vouloir rejoindre l'autre rive trop souvent coulent sans leur chevaux pour les porter.
D’un claquement de langue, il lance sa monture au galop, ne quittant pas des yeux le fuyard qui, déjà, entame son combat contre le courant.

There's a faster gun coming over yonder

1880. Chacun a son rôle maintenant que le faux cowboy a choisis ses armes. Makoyepuk grimace un peu quand il se résigne, mais au final, mieux vaut voir le déserteur pris plutôt que perdu. Le lasso qu’il tire entre ses mains suffit à donner raison au plan de Clyde : pas la peine d'acquiescer, il n’est pas à l’armée. Il siffle seulement entre ses dents, peut-être pas tant pour se mettre au pas que de râler.

Le tir que décoche Clyde est effectivement précis. On ne tire pas comme ça, sans assurance, vers le front d’un inconnu qu’on veut vivant, encore moins quand le gaillard est dans l’eau. Il a décroché un sacré numéro, ça c’est sûr. Un qui peut lui rapporter sa part du gâteau, en plus d’une vengeance bien mérité - Enfin, ça, c’est sans compter sur le tronc d’arbre qui vient briser ses rêves.
Clyde couronne cette scène d’une nouvelle qui ne réjouit personne. Il n’imagine pas le destin lui voler un ennemi de la sorte, pas d’une façon aussi moqueuse ( si proche du but, la nature lui prendrait sa cible ? Ce ne serait pas la première fois ).

— Non ! “ Le cri vient du cœur, certes n’est pas suffisant pour annuler le sort et faire disparaître par magie la cascade ( sauf si les esprits avaient envie de lui concéder ce pouvoir, il ne dirait pas non ), mais parfait pour signifier sa détermination.
Il tape une nouvelle fois des talons contre le flanc grisonnant de Numees, partant au galop à la suite du bandit emporté par les flots. La corde qu’il secoue au-dessus de sa tête siffle en fouettant le vent. En cercle, elle voltige une fois, deux fois, puis trois, avant de s’élancer vers la tête qui dépasse de l’eau. Hélas, de sa cible, elle n’enlace que la gorge, donnant au couleur du presque-noyée une teinte plus rouge.

Le lasso file entre les doigts du chasseur et crache un peu de fumée. Une odeur de brûlé plus désagréable que celle du bois lui monte aux narines. Dans une insulte et un râle, il essaye d’oublier à quoi pourrait bien ressembler ses mains et la douleur que cette image lui procure, en plus de celle bien plus réelle qui lui scie la paume et les phalanges. Il va bientôt lâcher et le temps presse : leur prime s’étrangle et ne va pas tarder à retourner sous les flots. Avec les dix dollars qu’il va gagner, il se jure d’acheter une selle avec un pommot.
— Un coup de main ?! “ Cette question qu’il jappe sonne comme un ordre. Le visage rougit par l’effort ( le même que le déserteur à la dérive ), il souffle comme une femme en couche en essayant de ne pas non plus tomber de cheval, déjà à moitié avachi sur sa pauvre monture.