On ne parlait pas de silence dans un Saloon mais plutôt d'un volume ambiant bas. De très vagues éclats de rires sur des discussions qui parfois se font presque murmures, ou alors se font muettes quand l'esprit est concentré sur les cartes à abattre pour rafler la mise. Une ambiance qui s'auto régule, et où Abigail n'a pas à rester alerte au moindre bruit de trop. Du moins les règlements de compte ne se feraient certainement pas aujourd'hui ni en plein milieu de journée. Moins il y a de clients et moins il y a de potentielles bagarres, ce qui ainsi lui permet de laisser le Saloon a ses employés afin qu'elle puisse se concentrer sur d'autres tâches. Le bar est astiqué d'un chiffon alors qu'Axel s'occupe quand il ne sert pas des verres, pour lui aussi c'est plus reposant. Il garde un œil sur l'escalier, au cas où sa patronne passe voir comment ça se passe. Il n'est pas mal loti ici, elle le paye, le laisse manger à sa faim, il rentre chez lui toujours avec ses pourboires. Abigail a besoin de personnes fiables ici et dans son entourage, ne sait on jamais ce qu'il peut arriver. Le niveau supérieur du bâtiment est accessible depuis derrière le comptoir, interdit au public, sauf invités. Un endroit qu'elle a fait aménager comme une habitation, avec une chambre quand elle reste tard et que Charlie est avec elle, au moins il peut dormir ici confortablement. Il y a également une salle d'eau avec une large vasque pour se laver, un salon privé ainsi que son bureau qui est d'ailleurs la première pièce accessible une fois l'étage monté.

Les papiers s'entassent, l'administratif n'est pas une tâche passionnante mais elle s'y colle, c'est dans ces moments là qu'elle sait qu'elle prend soin du Saloon et qu'elle ne sent pas le regard du portrait de son père se faire sévère sur elle. Il lui avait dit de toute façon, il regarderait ses moindres faits et gestes et depuis qu'elle a sauvé sa famille et son héritage des mains crochues de son dernier époux, elle a l'impression que son regard s'est apaisé, à croire que le statut de veuve noire était ce qu'il fallait pour ça. Taxes, commandes, comptes, archives, journaux, elle est assez bien organisée quand elle travaille dans cette quiétude là. La fenêtre ouverte donne sur la rue, l'odeur de l'extérieur lui indique que le temps est toujours dégagée. On entend les sabots chevaux, les diligences, les coups de marteau du forgeron, les bavardages des passants dans Imogen. Et l'odeur de la viande de la rôtisserie en train de cuir se mêle à celle fumée du tanneur, le tout embaumée par des fragrances aromatiques des hauts pins et de la terre dérangée par le passage des roues dans la rue. Malgré le soleil de ce jour, il a plu la veille, le sol reste meuble.

Le bois grince sous les bruits de pas d'une personne qui vient à l'étage, la porte ouverte, de son bureau elle entrevoit la silhouette familière s'avancer et sortir de l'ombre. Aussitôt qu'elle le reconnaît, un sourire étire ses lèvres.  « Tu me sauves, merci.» Elle se lève de son bureau, pour venir saluer Clyde et le débarrasser de ces encres qu'elle lui a demandé d'aller lui chercher en ville. Amis de longue date, se rendre service est tout à fait naturel, elle peut compter sur lui tout autant qu'il sait qu'il peut compter sur elle. « J'allais finir par diluer la mienne avec de l'alcool.» Elle les range ainsi soigneusement dans un placard de son bureau puis se redresse. Ses doigts glissent sur le cahier de comptes qu'elle referme puis ouvre son tiroir pour se saisir de pièces et  lui rembourser l'achat comme cela avait été convenu. Elle les glisse dans ses mains, l'autre se posant sur son avant bras, elle l'invite à se diriger dans son salon privatif, lieu moins ennuyant que son bureau et surtout les assises bien plus confortables.

Assez naturellement, geste habituel, elle sort deux verres qu'elle remplit de Whisky, termine la bouteille et la laisse dans un coin avec les autres cadavres à renvoyer en bas. Elle le laisse prendre place, elle-même prenant place sur le fauteuil qui bascule où son père avait l'habitude de s'affaler pour fumer ses cigares et se laisser noyer dans sa nostalgie. C'est ici même qu'elle prend place, désormais c'est la sienne, c'est là où elle berce Charlie, quand il s'endort dans ses bras et ce  depuis qu'il est tout petit. Elle pose les verres sur la petite table basse et trinque avec lui « Cest calme aujourd'hui, presque reposant. » Son regard se pose sur Clyde tandis qu'elle porte son verre à ses lèvres, laisse l'alcool couler dans son œsophage. En bons écossais, les meilleures bouteilles leur sont toujours réservées, bien qu'elle se sente moins écossaise que lui certainement. Elle s'inquiète toujours pour lui, a vu sa personnalité s'assombrir et changer sur les derniers mois, aimerait pouvoir lui offrir de quoi l'apaiser mais ne peut que lui donner sa compagnie et sa bienveillance. Ca la frustre un peu de ne pas pouvoir l'aider comme il l'a fait avec elle, par le passé, alors qu'elle était dans une situation très particulière. Ses doigts jouent avec l'usure du bois de sa chaise, au niveau du bras de celui-ci. « Comment vas tu ? Je ne t'ai pas vu cette semaine. » Elle pioche dans le petit bol de raisins secs pour en manger quelques uns, mais son attention toujours vers lui.

Abigail sait, elle le connait depuis longtemps, elle sait qu'il ne mettra pas forcément de mots sur ce qu'il ressent. Un regard silencieux suffit a ce qu'elle comprenne qu'il ne soit pas enclin aujourd'hui à ce que le sujet soit centralisé sur lui. Alors il contourne, elle pose son coude sur le bras de son fauteuil pour poser son menton dans la paume de sa main, un instant son regard se fige un peu plus sur lui, doux, comme si elle avait souhaité lui transmettre par la pensé quelques mots gentils pour le rassurer, c'est pas grave s'il n'a pas envie de lui répondre. Elle l'a vu changer, s'entourer d'une aura sombre, dans son attitude également et pas pour le meilleur, mais elle sait qu'il passe par beaucoup d'évènements  compliqués, elle n'est personne pour juger, veut juste lui faire comprendre qu'elle est là et que quoi qu'il arrive il pourra toujours compter sur elle. Elle lui sourit, ses lèvres s'étirent doucement, Charlie est la plus classique des manières de changer de sujet. « Ca se passe bien, Charlie me demande parfois à te voir, Ce petit bonhomme n'a pas la même notion du temps que nous, pour lui ça fait une éternité qu'il ne t'a pas vu. » Attendrie, Charlie n'a pas son père, n'a ni tante ni oncle, mais il y a tellement de personnes autour de lui, dont Clyde qui est son parrain adoré. Il n'est pas réellement en manque d'un père, même si elle aimerait se trouver quelqu'un pour former une petite famille ainsi qu'elle l'a toujours désiré. Elle est heureuse de voir qu'il se fait plein d'amis, il se pourrait même qu'à Imogen il ait bien plus de popularité qu'elle.

Abigail termine son verre d'une traite, une idée en tête, pour le requiquer un peu, incapable de le laisser dans ce brouhaha. Elle se lève alors, s'approche de lui et lui tend les deux mains pour l'aider à se lever. « Viens, allons nous aérer un peu. » Elle décide, sa réponse en conséquence de ses actions, s'il ne lui dit pas qu'il se porte bien alors elle fera en sorte de lui coller plus de réels sourires que ceux qu'il peut lui donner par apparence. La veuve noire se dirige vers cette caisse remplie de bouteilles vides afin de la porter entre ses bras et lui fait signe de la suivre. Alors le décor change, passe de l'étage tranquille a une salle un peu plus animée, les regards comme souvent braqués sur les personnes qui descendent quand le pas résonne dans le bois. Elle fait signe à Axel qu'elle sort, puis elle les fait passer derrière le bar afin de finir sur la cour extérieur. Il y a là, un box où son cheval se repose et sa petite calèche entreposée, très pratique quand elle transporte du matériel, sinon elle ne s'encombre pas. Elle pose la caisse à l'intérieur et propose à son ami d'enfance de monter pendant qu'elle va chercher Jackson, son cheval. Très proche de sa maitresse, l'apaloosa est en confiance, bien soigné, brossé, heureux. Elle veille de près à son bien être et il semble très content de sortir un peu. Elle lui dédie une grande partie de son terrain à la maison, mais ici elle n'a pas réellement de place et lui a quand même aménagé un grand box avec de quoi boire et de quoi se substenter, parfois même quelques gourmandises. Abigail flatte son encolure, l'équipe et le fait sortir pour l'atteler. Il observe Clyde, il le connait bien entendu, ses oreilles droites alors qu'il reconnaît après avoir reniflé dans sa direction, le farceur essaye de tendre le museau vers Clyde comme pour lui dire bonjour, empêche sa maitresse de sangler correctement mais se laisse finalement mettre en position.

Abigail monte alors sur la calèche, en main les renes, elle les fait quitter l'arrière cour du Saloon. Le doux trot de ses sabots se mélange aux quelques uns qu'ils croisent en chemin, la ville est plutôt calme mais elle prend garde à choisir l'itinéraire qui leur permettra de ne pas tomber sur des Beaver. Dans le saloon elle fait la loi, mais en dehors elle n'est pas certaine d'avoir la carrure assez impressionante pour tenir tête à un groupe de personne en conflit. Le temps est doux, agréable, en quelques minutes les batiments se font moins nombreux jusqu'à disparaître à mesure qu'ils s'enfoncent dans le bois. Alors l'ombre des structures est remplacé par le feuillage qui parfois laisse passer quelques rayons de soleil, projetant des ombres tachetées sur eux. L'odeur de la nature revient, et le silence les recouvre. « Viens souper à la maison ce soir, Charlie sera content de te voir. » Elle l'invite, ça fera une belle surprise à Charlie et ses bavardages aideront peut être un tant soit peu à couvrir le bruit de la tempête qui semble résonner dans sa tête. « Tu es dans un traquenard, maintenant que t'es là tu es condamné à passer l'après midi et la soirée avec moi » Elle plaisante de bon cœur, peut être qu'il avait plus important à faire, elle n'en doute pas, mais elle a envie de lui changer un peu les idées, comme elle le fait parfois. Tout est prétexte à lui accaparer son attention, la réparation de sa grange, lui rapporter quelques fournitures, un souper chez elle, une balade en forêt, une danse, et quelques tirs sur des bouteilles vides.

Abigail est heureuse de savoir qu'il viendra rendre visite à son fils, et qu'il accepte également de venir souper chez eux ce soir. De quoi ravir le garçon et elle l'espère mettra un peu de baume au cœur à Clyde. Elle ne le materne pas, mais elle voudrait pouvoir lui rendre un peu de son sourire, bien qu'elle sache qu'il ne sera plus jamais comme avant et malgré les circonstances, il a droit au bonheur. La vie ne peut pas s'arrêter quand quelqu'un cesse de marcher à nos côtés, chacun a son propre chemin de tracé, aussi douloureux la perte d'un être cher puisse t-elle être. Il est temps de commencer à le guérir, à l'aider à se relever sur sa route. Pour ça une activité de tir saura détendre les nerfs, aussi bien à lui qu'à elle. Ces derniers temps elle se sent aussi tendue. Clyde positionne les bouteilles, ayant bien évidemment compris ce qu'ils font par ici. Elle n'a pas besoin de lui dire, souvent ils communiquent silencieusement, depuis le temps qu'ils se connaissent, c'est assez naturel. L'endroit est calme, propice à ce qu'ils soient tranquilles un moment. Elle détache son cheval de la charrette, pour qu'il puisse à son aise avoir accès a de la bonne herbe fraiche et éviter de trop l'effrayer avec les coups de feu.  

Quand elle revient, elle observe son ami, adversaire plutôt. Elle sait que Clyde est bon tireur, sans doute est il meilleur qu'elle, mais elle a aussi un très bon niveau, ayant été formée par son père qui de réputation était l'un des meilleurs, de quoi lui donner un peu de souci a se faire. Elle a tout appris de lui, s'entraine bien assez régulièrement pour ne pas perdre ce don qui se fera héréditaire chez eux. Elle apprendra à Charlie à tirer aussitôt qu'il sera assez grand pour que ses gestes soient assez assurés, lui sera encore meilleur. La petite provocation de Clyde a tout de même don de lui arracher un petit rire franc, elle sait qu'il a plus de chance de gagner mais ça ne veut pas dire qu'il gagnera cette partie là et il le sait, il essaye juste de l'embêter et ça fonctionne très bien. Toutefois elle fait mine de garder son air fier et confiant. Elle place aussi les bouteilles, il y a de quoi faire, de quoi les occuper un moment et il y a bien assez de réserve pour faire d'autres rounds si cela leur dit. Elle dépose la caisse remplie au sol, en attendant, le nombre qu'ils ont placé est assez suffisant pour un premier tour.

« Méfiez vous jeune homme, n'oubliez pas que j'ai le compas dans l'œil. » Elle lui répond, lui adresse un petit clin d'œil avant de sortir de derrière la charrette son fusil. Au sol elle trace un trait qui sera la ligne devant laquelle ils tireront, a quelques mètres, suffisamment près pour tout voir pour le moment mais suffisamment loin pour montrer qu'ils ne sont point débutants. Elle le remercie d'un petit hochement de tête quand il lui propose de commencer tel un gentleman galant, Abigail retire son châle pour se mettre à l'aise, fait passer ses longues boucles noires dans son dos et se positionne. Ils enchaineront la difficulté en s'éloignant de plus en plus. Pour le moment pour commencer c'est assez facile. « Celui qui loupe devra exécuter des défis ou aura une contrainte. » Elle rajoute une règle du jeu, de quoi rendre tout ceci un peu plus amusant, et en matière de gage elle est sans aucun doute très créative et il devrait donc se méfier un peu plus de l'avoir comme adversaire. Sur ces mots laissant un brin de mystère pour la suite, elle se positionne, le dos bien droit, le canon dans la ligne de son regard, la poigne ferme, le vent même le plus violent ne la ferait pas trembler. Elle inspire, souffle et cela ne dure qu'une demi seconde avant qu'elle appuie sur la gâchette. La première bouteille de la rangé vole en éclat quelques secondes après, sans faire bouger sa voisine. Le bruit de verre fait écho dans la forêt,  elle détend la pose avec un petit sourire satisfait, bien qu'il n'y ait pas la moindre difficulté. Ca risque d'être beaucoup trop facile, alors elle rajoute une règle. « Et si l'un ou l'autre en fait tomber une dans le tir, même chose, un défi ou une contrainte. » Elle se tourne vers lui, lui propose son fusil ou s'il préfère peut tirer avec sa propre arme à feu. « A ton tour gentleman. » Elle lui sourit, vient se positionner sur le côté pour admirer l'habile King à l'œuvre, se demande s'il aura l'audace d'y aller sans viser au préalable.