Qu'est-ce qu'y se passe ici...?
La nuit est avancée et toutes allées intérieures du fort que je longe sont jalonnées de soldats presque ivres morts...

C'est quoi cette merde?

Cette profonde réflexion est davantage pour moi-même... Je suis un simple civil malgré mon étoile de marshall. Mais j'ai passé plus de temps à être militaire. L'ancien capitaine en moi gronde... mais je ferme ma gueule.

Les camps milliaires ont été ma maison presque tout ma vie... alors je sais quand quelque chose va de travers.... et je ne parle pas  de la démarche tremblante de la majorité de la garnison.

Je n'ai rien contre l'alcool... mais la présence de tant de bouteilles vides et de civils étrangers au camps est largement... dérangeante.

A cette heure avancée, Fort Randall ressemble d'avantage à l'arrière cours d'un saloon

Je recherche un type avec un semblant d'autorité. Je ne vois rien qui ressemble à un officier... Et puis je renonce. Mais je ne suis pas prés de me perdre dans un camps militaire... malgré une certain anarchie ambiante.

Les baraquements dédiés à la prison sont facilement identifiables. Ils sont particulièrement sommaires avec leurs murs lépreux. Ils sont là pour des prisonniers en transit vers un pénitencier ou la corde. Leurs séjours dépassent rarement une ou deux nuits.

Un soldat garde l'entrée ...  

J'ai un prisonnier à voir.

Il sursaute comme  si il ne m'avait pas vu venir. Suis-je si discret?

"Pas possible.  Les ordres sont les ordres."

Il a peur. C'est tellement criant que cela m'inquiète. Il a peur, mais pas de moi... Je me rapproche.

Je suis marshall fédéral... Tu as peur de quoi? Que je fasse évader le prisonnier...?

Je suis comme tous les flics... j'ai le tutoiement facile quand je méprise.

Son front garde la marque d'un coup récent et brutal. Beaucoup trop d'indices inquiétants dans le coin...
J'en ai marre d'attendre la permission d'un troufion...  Je le repousse d'une main pour entrer. Je m’arrête un instant. L'odeur des cellules pourrait réveiller un mort.... Et puis j'avance... Le soldat me menace d'appeler son supérieur.
Il ne le ferra pas. Il a visiblement merder cette nuit...

Ou est Clyde King? Fais moi gagner du temps...

Je n'attends pas vraiment de réponse. Je n'ai pas besoin d'aide. C'est un simple couloir avec très peu de cellules. C'est la dernière.
J'interpelle le soldat une fois devant la porte de la cellule...

Ouvre la porte. Maintenant!

Certains hommes sont comme des chiens. Il suffit de parler plus fort qu'eux pour qu'ils se mettent à plat ventre... Ce type fait parti de cette catégorie.

Je fais un pas à l’intérieur. Les lanternes du couloirs éclairent à peine la cellule. Mais ça reste suffisant...

Je distingue la silhouette du truand par terre. Et sans me retourner, je m'adresse au soldat.

Qui a fait ça...?

Je refuse de regarder cette tête de menteur présumé...

"C'est un cinglé... il s'est précipité la tête la première sur les barreaux de sa cellule... surement pour échapper à la corde..."

De l'imagination... et c'est crédible.

Pas mal comme mensonge...

Évidement, ce n'est pas comme si j'étais incapable de reconnaitre les signes d'un passage à tabac dans les règles de l'art de la brutalité.

Va me chercher une bouteille de whisky et deux verres...

J'entends un hoquet de surprise derrière moi. Je me décide à me retourner pour fixer le gars.

Ne me dis pas que ce soir, tu ne sais  pas ou trouver de l'alcool...?

Je me retourne vers Clyde.... enfin... ce qui y ressemble... Je m'avance  à nouveau d'un pas.

J'ignore ce que l'on t'a demandé avec cette véhémence... J’espère que tu n'as rien dit... ou des mensonges. Le contraire serait décevant

« Que me vaut l’honneur… de cette visite… Marshall ? »

Je ne peux m’empêcher de sourire. Il a beau avoir été tabassé, cette voix pâteuse évoque celle d'un homme en mal d'alcool... et puis il crèvera sans doute insolent.

Je fais quelques pas dans la pièce. Je jette un regard circulaire sur ce lieu idyllique.

Je ne sais pas... Je me demande peut être si c'est aussi facile d'en sortir que d'y entrer...

Le gardien revient. Son odeur est plus rapide que lui... Je cherche de quoi m'assoir. Je repère une caisse oubliée et renversée dans un angle. Je la saisis pour la ramener vers le centre de la pièce et m'assoir.
Le gardien m'agite impuissant une bouteille de bourbon et deux verres...

Je fais quoi avec?

Je fixe le gars.

Je sais pas... Tu nous verses à boire, tu laisses la bouteille et tu vas voir ailleurs...

Il grogne, mais il le fait. J'attrape la bouteille que je place à mes pieds. Nos verres sont pleins. Pas longtemps, je vide le mien d'un trait.

Je comprends qu'avec un gardien pareil, on entre ici sans trop d'opposition...

Je remplis mon verre moi-même et je place la bouteille à mi-chemin de Clyde. Il n'aura qu'à faire un petit effort...

Je penche légèrement la tête de coté, signe chez moi d'un minimum de réflexion...

On t'a refait la gueule... mais je suis certain que ce ne sera pas suffisant pour t’empêcher de continuer à l'ouvrir...

Je devine ses yeux bleus délavés dans l'obscurité.

Tu ne me diras rien je présume...
Et si je secouais ton gardien ou les quelques abrutis en uniforme qui font de la figuration à l’extérieur. Tu crois qu'ils seraient plus dures que toi? Tu veux parier si tu veux perdre...?

Je contemple mon verre un instant...

Je vais te dire mes hypothèses... On va oublier tes potes O'reilly... si ils pouvaient arriver jusque là, ce serait pour te faire évader, pas te rendre plus beau.
Je pense que tu as mis en colère quelqu'un... très en colère.

Je vide mon verre.

.... quelqu'un d'assez puissant pour entrer ici et en sortir comme si il se sentait chez lui...

Je laisse un instant de silence

... Il aurait suffit de te tuer ou de te regarder t'agiter au bout d'une corde pour être satisfait... C'est facile ça... Qu'est-ce que tu as bien pu faire en plus de tout le reste pour qu'on vienne jusqu'ici te refaire une beauté? Simplement pour le plaisir

Je me fige en baissant les yeux vers le bout de ma botte. Je grimace. je ne pense pas que me cracher dessus soit délibéré de sa part, mais il l'aurait certainement fait si il avait été dans un meilleur état.
Je me penche pour récupérer la bouteille. Je verse une partie du contenu pour évacuer la glaire sanglante.

Putain... Quel gâchis

Je le regarde et ses paroles me reviennent

Ce ne sont pas mes gars...

J'appuie sur le "MES".
J'assume mes conneries et celles de ceux sous mes ordres. Mais j'ai divorcé de l'armée. Alors, chacun sa merde aujourd'hui...
Quant aux troufions du coin, ils l'ont certainement persécuté depuis son incarcération. Mais ce ne sont pas eux qui lui ont refait une nouvelle gueule.

C'est quelque chose de plus personnel...

Je n'ai pas de "gars" ici... Et pour parler d'innocence... Seuls les animaux et les enfants le sont.
Parce que toi et moi, on est clairement des enfants de salauds...

J'agite avec tristesse la bouteille devant le nez du soldat.

Va m'en chercher une autre.

Le soldat me regarde les yeux ronds. Je lui épargne une question.

Parce que tu es debout et pas moi

Je le laisse quitter la cellule et méditer sur la répartition de l'autorité parmi les hommes qui peuvent s'assoir et ceux qui doivent rester debout.

Je regarde de nouveau la silhouette effondrée dans l'ombre.

Rassure-toi... je compte te laisser te bourrer la gueule... je ne suis pas si rancunier...

Je prends le temps de m'allumer une cigarette.

On va dire qu'après le bal, je t'aurais volontiers écrasé le crane en te piétinant. Pourtant, on va dire que si j'avais une liste de personnes à tuer... tu ne ferrais pas parti du peloton de tête.... même à l'époque...

J'observe les ronds de fumée que je fais avec soin au-dessous de ma tête.

Je crois que je suis juste curieux...

Je le regarde de nouveau et je pourrais presque en rire... Il est méconnaissable à chacune de nos rencontres. Je me demande si je le reconnaitrais si un train ne lui passe pas dessus avant.

.... ou compatissant...

Mon sourire s'étire.

Je peux mettre fin à leurs paris stupides d'une balle dans ta tête de bouffeur de panses de brebis... C'est l'avantage d'avoir mon étoile. Personne ne me demandera des comptes.
Alors...
T'en penses quoi?

Je le croyais totalement désespéré... Mais ce n'est pas le cas. Si je devais être pendu, je ferais ce qu'il faut pour choisir moi-même ma fin... Je n'aurais pas cette désinvolture. Je serais enragé... Personne ne décide pour moi...

Je ne crois pas au courage. Ce type n'est ni idiot, ni désespéré... La volonté de me provoquer ne peut suffire à tenir.

Je te demande pardon pour ses paroles... C'était assez minable de ma part... Je le reconnais.

Je me surprends moi-même. Mais je n'ai pas un ego si fort pour m’empêcher de reconnaitre mes erreurs....

Je me comporte trop souvent comme un connard. Ça m'évite sans doute de courir le risque de m’intéresser aux sorts des autres.

Je continue à tirer sur ce qui reste de ma cigarette. Rien ne doit se perdre...
Je le regarde avec attention derrière les fumerolles que je recrache. Je n'ai pas d'amis. Ça ne me manque pas vraiment... Pourtant je m'attarde ici encore un peu.

Si je devais attendre la mort, je serais tenaillé par des regrets.... pas par des remords, j'en ai aucun... c'est une perte de temps
....mais beaucoup de regrets.

C'est étrange comme c'est facile de parler finalement...

Comme ceux d'avoir un fils qui me hait et un autre dont j'ignore si il est vivant ou mort... Y penser peut me rendre cingler certains soirs.
Ça doit me rendre encore plus en colère...
Je réalise mon impuissance à les protéger.

Je distingue clairement son regard dans le clair-obscur de la cellule.

C'est la seule chose au monde capable de m'atteindre.... qu'on touche à mes fils et ma famille. Je me fous du reste...

Je ne me suis jamais interrogé sur cet homme, ses motivations, sa raison d'avancer... Je ne sais pas pourquoi ça m’intéresse maintenant. Alors qu'il y a quelques heures, je l'avais relégué dans les caves de ma mémoire...

Tu as des enfants?
Je parle de quelqu'un de plus important que ta propre vie?

Si j'étais lui, je creuserais la terre avec mes ongles pour sortir de là et retrouver mes enfants. Je serais absolument prêt à tout pour ça...

Vers qui ira ta dernière pensée...?

Moi, je sais...