C’est sans ménagement que Friedrich a -gentiment- poussé son frère vers l’extérieur à peine le soleil qui apparaît au loin. Un café sommairement avalé dans le système, tous les deux les yeux bouffis par la petite nuit passée après le ball organisé par leur père, mais qu’importe. Freddy veut absolument avoir son moment privilégié avec ce frère adoré qu'il n'a pas vu depuis des années. Alors tirer ses rideaux sans l'ombre d'une gêne pour lui offrir une balade à cheval comme au bon vieux temps, cela lui semble une évidence. Entre ses parents, ses obligations d'avocat, et ses sœurs, Freddy imaginait déjà Thomas bien trop occupé pour lui accorder de l'importance dès le petit déjeuner. A moins que ce ne soit une terreur de petit garçon qui angoisse d'être abandonné. Après tout, Thomas a déjà construit une vie bien remplie à New York, pendant que lui jouait à l'artiste à Paris. Comment pourrait-il rivaliser avec le destin d'un aîné Rosenbach?

A son grand soulagement, Thomas n'a pas vraiment bronché à cette sortie improvisée alors que le manoir dort encore à poings fermés. Si ce n'est des grommellements lui demandant d'attendre un peu et de parler moins fort. Freddy n'y prit pas ombrage : lui-même avait une sévère migraine après avoir un tantinet abusé du champagne entre deux danses. Mais soit, rien que le grand air ne pourra pas guérir n'est ce pas?

Voilà bientôt dix minutes que les jeunes gens sont élancé sur les canassons de leur père, a parcourir les plaines aux herbes folles jaunies par le soleil d'été. Un décor cruellement familial que les deux fils Rosenbach n'ont pourtant pas eu le plaisir de fréquenter tant que ça vu leur position géographique mutuelle.

“Je ne t'ai jamais connu prompt aux surprises, mais quand on m'a annoncé ton retour hier, j'en suis tombé de ma chaise !” Balance le plus jeune avec un franc ricanement qui cache un petit agacement : pourquoi ne pas avoir prévenu ? Il avait noyé Thomas de lettres ampoulées pendant son séjour et un pauvre télégramme semblait être bien trop demandé. “Mais détail mise à part, c'est bon de t'avoir a la maison de nouveau.” Son sourire s’affaisse légèrement quand il finit par demander, les chevaux trottant gentiment dans les fourrés : “est ce que c'est père qui t'as convoqué? Rien d'urgent n'est ce pas ?”

Freddy restait un jeune homme encore prompt au confort de sa petite vie paisible. Une vie qui peut très vite se retrouver basculée au premier coup de vent trop violent. Une angoisse qui ne le quitte jamais vraiment

Le vent matinal plaque les cheveux de Thomas sur son crâne, quelques mèches rebelles venant parfois perturber son champ de vision. La respiration agitée de sa monture fait trembler les jambes du jeune homme pendant leur course effrénée, tentant de rattraper Freddy, quelques foulées devant eux.
Il était désormais bien réveillé, les bribes de sommeil alcoolisé effacées par cette escapade impromptue mais salutaire. Au moins cela lui laissait le temps de rassembler ses esprits avant d’affronter la litanie de questions que Mila et ses sœurs allaient immanquablement lui poser.
Les garçons Rosenbach marquent enfin une pause lorsque les chevaux arrivent au bord de l’épuisement. Laissant échapper un rire sincère, Thomas en profite pour allonger son dos sur la croupe de son destrier et se laisser bercer par le rythme lent des sabots sur le sol encore humide de rosée.
Sa paix est bien vite interrompue par Freddy qui a certes des questions mais surtout besoin d’être rassuré. Thomas a bien conscience que ses aller-retours inexpliqués et l’absence de réponses aux dernières lettres perturbent son petit frère et cela n’est absolument pas son intention.

“Je suis content d’être revenu aussi. Honnêtement. Et de pouvoir passer du temps avec mon petit frère préféré. ”

L’aîné des Rosenbach se redresse pour capter le regard de Freddy et essayer de mettre autant de conviction que possible dans son expression. Si les yeux de son petit frère exprime la même adoration que depuis son plus jeune âge pour son aîné, ce dernier ne peut manquer de remarquer les récents changements chez le jeune homme. De sa carrure qui s’élargit de jour en jour à ses expressions qui démontrent une maturité sûrement acquise lors de son séjour en Europe.

Thomas avait redouté ce moment. Celui où il allait sans aucun doute perdre une grande partie de l’estime que lui porte son frère. Freddy est sûrement la personne la plus à même de le pardonner ou de lui trouver des excuses, au vu de l’admiration sans borne qu’il lui porte. Mais cela ne rendait la situation que plus difficile car Thomas savait pertinemment qu’aucune excuse digne de ce nom ne pouvait légitimer sa couardise.

“Je suis revenu pour de bon et de ma propre volonté. Père et Mère n’étaient pas plus informés de mon retour que toi.”

Perdant le courage de soutenir le regard de Freddy pour la partie suivante, Thomas concentre son attention sur le paysage alentour.

“Je croyais avoir un futur à New York pour quelques années encore et ne revenir que lorsque Père serait prêt ou forcé à me laisser la main sur les affaires familiales. Je me suis trompé, lourdement. Mais tu n’as pas à t’inquiéter, je vais bien, Père va bien et la mine se porte on ne peut mieux.”

Friedrich avait redouté que son frère soit plus retord à l’idée d’une conversation après avoir été tiré de son lit après un aussi long voyage. Mais New York n’a pas assassiné la compassion naturelle de Thomas, juste sa capacité à envoyer un télégramme. Le jeune homme est sincèrement soulagé d’entendre que ses peurs étaient infondées, Thomas va bien et veut juste revenir à Silverstone. Ce qui était déjà un symptôme touchant à la folie pour lui, mais ça, c’était une autre histoire.

La chevauchée calmée, le plus jeune peut jeter un meilleur regard sur son grand frère. Il y a quelque chose dans son expression de… différent, qu’il ne peut pas identifier. Mais il lui semble visible que le jeune homme a vécu diverses choses à New York qui ont aidé à son départ impromptu. Freddy ne forcera pas son frère à en parler, mais il espère qu’il trouve en lui le confident dont il semble avoir besoin.

Mais son frère détourne le regard et finit par donner une vague raison pour expliquer son retour. Non sans prendre le temps de le rassurer une nouvelle fois, ce qui ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Si un problème venait à arriver à leur père ou la mine, il est certain qu’il serait le dernier à être prévenu sur la liste de leur paternel. Si il ne l’apprenait pas par un tiers auparavant.

“Oh. D’accord.” Hoche-t-il la tête poliment, un peu confus. “Je suis désolé que ça n’ait pas fonctionné comme tu voulais.” Tente-t-il un peu maladroitement de continuer la conversation. “Mais je sais que tu as tout fait pour que ça marche. Tu n’as pas à en rougir” Il tente un sourire, en espérant que ça encourage son frère à toisé son regard. “Enfin… Je suis sûr que Père est ravi de t’avoir ici de nouveau. C’est pas à moi qui m'occuperai de la mine, pas qu’il me confierait autre chose que son désespoir en me voyant perdre mon temps à peindre.” Ricane-t-il dans l’espoir de remonter un peu le moral de la discussion.

Sans compter que Mère est on ne peut plus ravie d’avoir a nouveau tous ses enfants avec elle. Le manoir devait lui sembler bien vide avec juste ses deux filles, et il ne dit pas uniquement ça parce qu’il est -bien évidemment- son préféré.

“Dis moi, Thomas…” Essaie quand même le jeune homme, conscient de la pente glissante. “Si il y avait le moindre problème… tu me le dirais, n’est-ce pas ? J’en ai pas l’air, mais je sais garder un secret quand il faut.”

Et dieu sait qu’il en garde beaucoup, il a dut développé ce talent tout seul et très rapidement à peine de retour à Silverstone.