☆ 1. La famille Maharaj fait fortune dans le transport maritime de marchandises. En plus des denrées venues d’Inde, il n’est pas rare que les navires ramènent des soldats ou quelques veuves éplorées qui iront s’enfermer dans les bas quartiers d’Est End. Arthur grandit très confortablement, ne manquant de rien si ce n’est d’un frère. A défaut il aura quelques petites sœurs à suivre. C’est un précepteur qui lui donne cours alors que ses aînées et cadettes vont dans une école privée. C’est un élève attentif et loin d’être très turbulent, trop timide et effarouché pour initier les bêtises. Il est plus enclin à suivre le mouvement quand celui-ci est bien lancé.

☆ 2. Son père décède de la gangrène (après s’être mordu la langue suite à une chute insolite d’un trottoir et sans s’en être inquiété) alors qu’il est âgé d’un peu plus de sept ans. La dégradation rapide de l’état de son père, sa souffrance extrême traduite par des troubles de la conscience importants le marque profondément. Régulièrement il restera auprès du médecin qui essaie tant bien que mal de le soigner ou en tout cas d’apaiser la douleur. Il n’y a pas grand-chose à faire. Arthur redoute les moments où il est seul avec son père, supposé l’aider à garder le peu de dignité qu’il lui reste. La plupart du temps il se contentera de déposer le repas sur la petite table de nuit encombrée de traitements en tout genre et de filer. Tant pis si l’assiette n’est pas accessible. De toute façon ce n’est pas avec une langue pourrie que l’on peut prendre plaisir à manger quoi que ce soit.

☆ 3. Enterrer le fantôme cadavérique et moisi de son père est un soulagement pour tous. La maison ne sera plus hantée par les sanglots et plaintes sans mot du mourant. Arthur devient l’homme de la maison très tôt comme s’amuse à lui dire sa grand-mère. Une de ses sœurs aînées, chipie de première, lui explique donc que c’est à lui que revient la charge de prendre soin de leur arrière-grand-mère, très naturellement. Cette dernière perd de plus en plus la tête. Elle hurle des injures, oublie son mauvais anglais, frappe et n’écoute rien. Ses moments de lucidité se font de plus en plus rares et elle sort très peu. Il vaut mieux la garder caché. Souvent elle déambule dans la grande maison, joue avec les poignées de porte en trainant des pieds.

☆ 4. Arthur a toujours apprécié se promener près du port. Il peut courir à loisir derrière les chats ou les mouettes, malgré les recommandations sévères de sa mère pour le rappeler à l’ordre. Harceler les pauvres bêtes qui viennent essayer de voler des viscères de poisson est une activité particulièrement prenante. Il rêve d’en attraper un pour l’adopter et le faire rejoindre la grande famille des chats qui chassent déjà les souris chez eux. L’idée de tirer de la misère l’une de ses bestioles faméliques lui plaît tout autant que celle de jouer avec la majorité des animaux qu’il croise. Ses jeux prendront fins assez brutalement quand un chat lui fera comprendre de façon très explicite qu’il n’est pas d’accord avec ce traitement, de plusieurs coups de griffes et feulements mécontents. Ce petit accident n’est bénin qu’aux premiers abords. La vue d’Arthur à l’œil droit finit par se détériorer très rapidement, un coup de griffes ayant perforé le globe oculaire malgré une douleur moindre qui n’aura que peu alarmé lors de l’accident. L’opération est finalement inévitable et Arthur se voit partir comme son père dans des douleurs abominables. C’est de toute façon un fait connu et reconnu que le sexe masculin ne fait jamais long feu dans cette famille.

☆ 5. Les prothèses oculaires sont toutes importées du meilleur souffleur de verre de Lauscha, Ludwig Müller-Uri, dont le travail est reconnu mondialement. La prothèse est discrète épousant l’iris de son œil valide. Sa paupière reste tombante et la prothèse lui donne un œil fatigué qui a du mal à suivre l’autre. Son strabisme reste difficile à voir tant il s’applique à garder le regard fuyant.
Lorsqu’en 1875 Arthur quitte sa famille pour rejoindre la faculté d’Oxford afin d’y suivre une formation de médecine il s’est parfaitement adapté à son handicap. Les prothèses se perfectionnent au fil des années, devenant de moins en moins irritantes. Les trois ans d’études bien que purement théorique sont particulièrement laborieuses. Son intérêt reste stable ce qui lui permet de ne pas tenter de mettre fin à ses jours durant les longues heures de cours rébarbatifs en amphithéâtre. Il n’hésite pas à retirer sa prothèse pour amuser la galerie lorsque le professeur à le dos tourné, quitte à la faire tomber au sol et regretter amèrement ses choix de vie.

☆ 6. Son diplôme ne lui permettant pas encore de pratiquer, Arthur va s’installer à Londres pour débuter un apprentissage auprès d’un chirurgien qu’il a démarché. Il n’est pas le seul caneton à suivre partout le professionnel et il faut parfois jouer des coudes pour pouvoir manier le scalpel. Découper des cadavres et voir comment fonctionne l’intérieur d’un corps humain lui plait. Il suit avec intérêt les évolutions concernant l’hygiène et l’antalgie dans le milieu. Après plusieurs années dans ce cadre, il rejoint l’hôpital toujours avec un statut étudiant. Le rythme est beaucoup plus cadencé, le milieu hospitalier ne lui plaît pas autant. Il ne trouve que peu de temps pour s’instruire des avancées médicales (ou du nouveau traitement à la mode). Arthur y reste deux ans pour compléter et mettre derrière lui cette partie de son parcours avant de partir deux ans exercer en Europe auprès d’éminents médecins.

☆ 7. Elisabeth, l’aînée de la famille qui gère dans l’ombre de son époux la société familiale, souhaite commencer à s’établir sur le continent américain. Elle veut profiter des premiers grands vapeur, particulièrement utile pour les traversées d’Europe aux Etats-Unis. L’Amérique est source de promesses et d’avenir. Elle envoie deux de ses sœurs et leurs époux embarquer à Bristol pour rejoindre New-York. Arthur les accompagne mais non pas pour l’intérêt de la société. Lui va quitter le bord de mer et les ports pour s’enfoncer dans des terres plus reculées. Il a à cœur de rejoindre une tante éloignée, herboriste, établie dans la petite ville d’Imogen qui lui a trouvé un apprentissage auprès du médecin. La traversée de l’Atlantique ne sera pas de tout repos. Il n’a pas le pied marin et sa qualité de soignant est peu utile puisqu’il est surtout occupé à essayer de réguler le contenu de son estomac. Bien que le navire soit à utilité marchande, les quartiers pour les quelques voyageurs intéressés par les promesses de l’Ouest reste très confortables quand on y met les moyens.

☆ 8. La traversée des terres américaines n’est pas des plus confortables non plus. Au moins il n’est plus question de mer agitée et de rendre ses repas. Arthur met du temps à trouver ses marques à Imogen, où il s’installe peu avant l’année 1885, très loin du confort britannique et aisé auquel il est habitué. Il fait plus poussiéreux, par ici. La pratique de la médecine est plus précaire mais aussi moins aléatoire à suivre des modes. Là il n’est plus question de tester les derniers conseils in mais de rester dans la certitude des soins (et plus souvent des croyances) procurés. Le médecin d’Imogen, Franklin Hobbs, est un bon samaritain qui suit à la lettre son serment d’Hippocrate en aidant sans distinction de classe ou de race. Les plus nécessiteux n’ont pas à payer pour son aide car il ne fait pas ça pour l’argent. Il a la réputation d’un drôle d’oiseau mais qui fait correctement son travail. Le rythme de ce petit village américain est bien moins effréné que celui de Londres.

☆ 9. Arthur n’a pas trop de raison de se plaindre de dépaysement. La ville d’Imogen n’est pas étrangère aux européens les plus aventureux, rêveurs de bonne fortune. Il retrouve parfois  l’accent anglais au saloon ou près du bordel de la ville. Evidemment se faire une place de choix dans un endroit si reculé n’est pas évident au vu de sa situation, mais la protection du bon Hobbs plane sur lui. Il l’accompagne parfois dans de longues et laborieuses tournées à l’extérieur d’Imogen, il faut bien que quelqu’un se dévoue pour visiter les plus excentrés. D’autre fois c’est lui qui garde le cabinet du médecin en son absence. Partir à la chasse aux plantes pour gonfler les réserves l’amuse, ajoutant une touche d’aventure quand la saison des allergies arrive. Arthur peut vivre sa confortable aventure indépendante de petit bourgeois en profitant de l’exotisme américain de bon cœur. Il se prend très vite au jeu, enclin à suivre de loin les magouilles des bandits pour pouvoir raconter ses folles aventures par écrit. Mais sa prudence naturelle l’en fait tenir loin. Plus ou moins.

☆ 10. En 1887 un événement quelque peu inattendu vient bousculer la vie bien réglée qui convenait très bien à Arthur. Le médecin de Silverstone a pris la fuite, il a disparu du jour au lendemain et il est impossible de remettre la main dessus. Tout comme il est impossible de lui trouver un vaillant remplaçant pour l’instant. Hobbs jure que les vautours ne tarderont pas à tenter de venir se rassasier sur la charogne. Arthur n’a jamais été très fort en métaphore, mais soit. Il faut se méfier de Silverstone, dit-on, de la menace invisible qui graisse les pattes mais n’accepte pas les refus. C’est bien joli tout ça. Mais Silverstone offre l’opportunité d’un poste dans une ville un poil moins bouseuse qu’Imogen (on ne refait pas son snobisme de britannique expatrié) et surtout d’une indépendance totale. Terminé la vie d’apprenti. L’idée est attrayante. Faisant fi des conseils avisés de son maître (mais lui réclamant tout de même ses recommandations), Arthur quitte Imogen valises et chats sous les bras pour aller s’installer à Silverstone. Son installation se passe sans encombre. Il sera vite mis dans la confidence que son prédécesseur n’a pas eu l’opportunité de s’enfuir très loin, arrêté par plusieurs balles dans le dos.



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