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| | Jeu 11 Fév - 19:27
Unless we’re free
Février 1885, Imogen La voix indignée du meneur survole la foule. Chaque mot est une balle, et le tireur ne s’arrête pas pour recharger. Les phrases se succèdent, exploitation des ouvriers, le ton monte, conditions scandaleuses, le public encore clairsemé s’indigne, un autre accident la semaine dernière, un mort et deux amputés, quand cela va-t-il s’arrêter, finalement le mot est lâché : la grève est déclarée. L’homme est monté sur une caisse de bois, et prêche son sermon comme le pasteur quelques instants plus tôt. Les passants se pressent, après la célébration dominicale vient l’heure du repas de famille, et personne ne veut être en retard à la table de belle-maman. Une silhouette blonde lutte pour remonter le courant des familles qui s’éparpillent. Ses yeux sont fixés sur l’orateur : à défaut d’entendre ses mots, elle semble les voir, et cela lui suffit pour les comprendre. L’intervention divise les habitants d’Imogen en deux catégories distinctes : ceux qui s’arrêtent pour l’écouter, et ceux qui préfèrent passer leur chemin. Les brebis égarées et le troupeau bien domestiqué, pense le prêtre. Les pauvres et les riches, si l’on se fie à leurs habits. Les honnêtes et les hypocrites, pense la blonde.
Les accidents sont monnaie courante dans les ateliers de la Scierie Beaver. Comme dans ceux de la Hennessy Company, à Silverstone, ou dans ceux de la Wellington Factory, à Santa Veronica. Partout, le même scénario : des ouvriers sous-payés, des horaires trop chargés, des machines toujours plus dangereuses. Partout, les mêmes histoires : la fatigue, la saleté, la pauvreté, la faim et le froid en hiver, la soif et la chaleur en été. Partout, les mêmes résultats : les accidents, les murmures qui enflent et deviennent cris de colère… Elle connaît le récit, mais cette fois, elle veut y jouer un rôle. Tous ces bourgeois, pressés de retrouver le confort de leur petite existence tranquille, pressés d’oublier un sermon aussi vide qu’ennuyeux, ils la dégoûtent, à s’enfuir ainsi face à cet homme qui leur dit enfin la vérité.
L’appel à la grève est maintenant un chant, qui enfle comme une vague. Enfin, elle imagine que c’est une bonne ressemblance. Comme l’immense majorité des locaux, elle n’a jamais vu la mer de ses propres yeux. Elle se dit que ça doit ressembler à ça, l’océan, à cette foule qui gronde et qui lève le poing, qui reprend le slogan en chœur et se tourne vers les bourgeois. C’est peut-être à ça que ressemble la noyade, se laisser aller pour devenir partie de la vague, être la vague. À côté d’elle, quelqu’un lance une brique, qui s’écrase quelques mètres plus loin sans toucher personne. Ses poings sont si serrés que les jointures de ses doigts blanchissent, elle partage la colère des hommes et des femmes qui l’entourent, elle veut qu’ils comprennent, ceux qui fuient et rangent déjà l’incident dans la catégorie des choses dont ils discuteront ce midi. Il faut qu’ils comprennent que cela ne peut pas durer. Que leur silence est la pire des complicités.
Elle n’a pas assisté à la messe, elle n'y mettrait pas les pieds si on l'y forçait, mais cela ne l’empêche pas de savoir qui est le pasteur. Elle le reconnaît, dans la masse qui s’empresse de s’éparpiller sans se dire au revoir et à dimanche prochain. Le pasteur, le pire d’entre eux, pense la blonde. Son regard bleu prend la dureté de l’acier, et ses mots volent, dépassant sa pensée :
« Et toi, qu’est-ce que tu fais pour protéger tes ouailles ? Tu crois que prier va suffire à soigner leurs membres amputés ? »
Sa véhémence étonne, on ne croirait pas une demoiselle aussi frêle et délicate capable de s’en prendre ainsi à un représentant du clergé. Ses mots non plus ne sont pas habituels, et les yeux se tournent pour la suivre un instant.
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| Since : 27/11/2020 Messages : 185
Name : Cy
Faceclaim : Tanaya Beatty Crédits : etheral
DC : Louisa & Dante
Age : 22 ans
Statut : Jeune fille non mariée, dédiée à son labeur
Job : Tente de gérer la ferme dont elle a hérité du mieux qu'elle peut
Habitation : La ferme de feu son père adoptif
| Dim 21 Fév - 20:03 L’office du dimanche était un rendez-vous qu’elle et son père ne manquaient jamais. Mais par un mauvais coup du sort - ou plutôt l’imprudence d’avoir porté des vêtements mouillés par la pluie trop longtemps - Jedediah avait été pris de fièvre. Rien de bien sérieux d’après le médecin. Doyle se remettrait rapidement, à condition bien sûr d’observer le repos nécessaire. Nuttah avait dû insister encore et encore pour qu’il accepte de rester couché cette fois-ci et la laisse y aller seule. Elle avait obtenu gain de cause, mais au prix d’une énorme dispute. Ces derniers temps, leur relation était devenue conflictuelle et compliquée. Elle était persuadée qu’il ne voulait pas voir qu’elle n’était plus une enfant, et comme tant d’autres jeunes filles de son âge, qu’elle en savait bien assez pour ne plus avoir besoin de son opinion ou de ses conseils.
Elle était particulièrement agacée durant le service ce jour-là, si bien qu’il lui était difficile de se concentrer sur le sermon du pasteur. Elle ne cessait de ruminer ce conflit qui avait eu lieu quelques heures plus tôt. Elle détestait se disputer avec son père, mais elle avait de plus en plus de mal à garder son calme en sa présence, et cela semblait réciproque. Elle était profondément attachée à lui, à la terre où elle avait grandi, tout en brûlant de partir loin découvrir autre chose. Elle allait bientôt avoir dix-huit ans et elle se sentait de plus en plus à l’étroit dans ce monde que Jedediah avait bâti pour elle.
C’est à peine si elle vit le temps passer, totalement plongée dans ses pensées, ressassant encore et encore les mots qu’ils avaient échangés, partagée entre la tentation de lui faire des excuses et sa fierté qui lui réclamait de ne surtout pas céder la première. C’est à peine si elle arrivait à suivre le rythme des chants. Lorsque le service prit fin, elle n’était pas certaine d’avoir envie de rentrer chez elle, mais elle n’avait pas vraiment le choix, d’autant plus qu’elle avait promis de passer chez l’apothicaire prendre de quoi aider Jedediah à se soigner. Et puis, elle se sentait coupable malgré tout de l’avoir laissé seul. Tant de sentiments contradictoires bouillonnaient dans la tête de l’adolescente, dont elle fut cependant distraite à l’instant où elle sortit de l’église.
L’agitation qui régnait dans les rues n’avait plus rien à voir avec le calme qu’elle avait connu plus tôt dans la matinée. Des masses d’individus se pressaient, hurlaient. Elle comprenait qu’il s’agissait d’une grève - bien que le concept soit plutôt flou pour elle - et c’était à peu près tout. La tension la gagna, mais ce n’est que lorsqu’elle vit une brique voler dans les airs et s’écraser au sol non loin d’elle qu’elle prit conscience du danger. Elle se sentait comme un petit animal perdu au milieu de prédateurs: elle n’avait pas la moindre idée de la manière dont elle devait agir, elle savait seulement qu’elle voulait sortir d’ici.
Elle faisait de son mieux pour rester le plus possible collée au petit groupe de pratiquants qui malheureusement ne cessait se se réduire au fur et à mesure que les ouailles s’échappaient pour rentrer chez elles. Quelqu’un hurla des insanités contre le pasteur et Nuttah put voir que ces mots emplis de colère venaient d’une jeune femme frêle, sans doute pas beaucoup plus âgée qu’elle. La jeune fille ne cherchait pas à cacher qu’elle avait peur, essayant désespérément de trouver une porte de sortie. Mais plus les minutes passaient, plus il lui semblait que la foule devenait compacte. Le temps ne fut guère long avant que croyants et grévistes soient indiscernables les uns des autres.
Elle tenta comme elle le pouvait de se frayer un chemin sans parvenir à distinguer la direction qu’elle prenait. Elle avait la sensation d’étouffer et des larmes brûlantes lui montaient aux yeux. Tout ce qu’elle voulait, c’était sortir d’ici, peu importe où elle se retrouverait.
Elle poussa un cri lorsqu’elle fut bousculée, un peu plus violemment et perdit l’équilibre avant de tomber. Elle fit de son mieux pour se relever avant d’être piétinée, mais une nouvelle bousculade la renvoya à son point de départ. Jusqu’à ce qu’elle sente des mains l’attraper et l’aider à se remettre debout.
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