« Che calore, » songea l’italienne en essuyant son front perlant d’un revers de manche.

Dans les cuisines de Dante Valentine, les casseroles fumaient à qui mieux mieux, baignant la vaste pièce dans une atmosphère de chaleur moite. L’air embaumait le persil, le basilic et l’origan. Sur les plans de travail souillés de farine, d’épluchures et de sauce, les derniers ingrédients étaient alignés en rang d’oignons, attendant leur moment pour passer à la casserole. Filippa avait fait parvenir la plupart des légumes et des épices de l’épicerie, mais elle avait été étonnée des ressources déployées par l’homme de confiance des Hennessy pour trouver les agréments spécifiques de certaines recettes. Notamment les alicis qu’elle avait déjà préparé en apéritif.
Il y avait déjà quelques heures qu’elle s’activait comme une damnée pour préparer le buffet que donnait le banquier de Silverstone.

Les chants de son pays lui venaient naturellement tandis qu’elle voltigeait de préparations en préparations. Les phrases roulaient dans sa gorge comme des vagues qui viendraient lécher les côtes de Capri et enlacer les hanches de Positano. De-ça, de-là elle relevait une poêlé de légumes ou touillait une sauce pâteuse pour ponctuer la fin de la musique, toujours empreinte d’une mélancolie grave propre aux airs napolitains, qui osait s’aventurer par delà ses lèvres.

Malgré l’hiver qui couvait au dehors, le ciel était clair. Un coup d’oeil par la fenêtre et, absorbée par les senteurs de son pays, peut-être aurait-elle pu s’imaginer à Naples - bien qu’alors, elle n’aurait rien eu à faire dans une cuisine des domestiques -.

D’un geste de doigts habiles, elle ouvrit les deux premiers boutons de son corsage pour libérer les vapeurs tièdes qui assourdissaient ses sens. Elle soupira en s’éventant du mieux qu’elle put avec un éventail qu’elle avait pris soin d’amener avec elle. Mais elle brassait de l’air chaud. Ses mèches noires, malmenées par l’humidité ambiante et les efforts fournis, commençaient à s’échapper de son chignon sévère et frisaient sur ses tempes.

Se hissant sur la pointe des pieds, elle entreprit d’ouvrir un peu le vasistas au-dessus de sa tête. Elle finit par y poser les deux genoux dans l’espoir d’atteindre la poignée.
Des bruits de pas résonnèrent derrière elle.

« Ah, » fit-elle sans se retourner en songeant qu’il s’agissait d’un domestique. « Je vais aérer. »   

Occupé à travailler dans son bureau, Dante avait demandé à n’être strictement dérangé sous aucun prétexte. Les préparatifs de sa réception pourraient se faire sans lui pour un temps. Lorsqu’il avait le nez dans les comptes, plus rien ne pouvait l’en tirer, pas même la pensée de la belle italienne qui se trouvait affairée en cuisine. Pourtant, ce furent bien ses sens qui finirent par le distraire, et plus précisément son odorat. Il ne parvenait pas encore à identifier la nourriture cuisinée mais le fumet était absolument délicieux et il réalisa qu’il était proprement affamé.



Après tout, les chiffres pourraient attendre. Il sortit de son bureau et descendit jusqu’aux cuisines d’un pas nonchalant, curieux de ce qu’il allait y trouver. Et ce ne fut pas la nourriture qui attira véritablement son attention, mais plutôt la jeune femme qui s’y trouvait. Ses mèches sombres venaient se coller à sa nuque, sa silhouette souple se dressait de toute sa hauteur pour tenter d’ouvrir la fenêtre. Il pouvait voir quelques gouttes de sueur perler sur sa peau de miel. Une vision propre à réveiller un tout autre appétit…

La chaleur le contaminait également, mais au lieu de le pousser à quitter les lieux, elle ne fit que l’enhardir davantage. D’un pas léger et presque dansant, il s’avança de manière à se retrouver juste derrière elle, suffisamment proches pour que leurs corps se frôlent sans réellement se toucher. Armé d’un sourire des plus charmeurs, il baissa les yeux vers elle. « Laissez-moi faire. » Il leva le bras sans effort et ouvrit le vasistas, leur offrant une fraîcheur bien méritée, mais pas suffisante pour éteindre son propre feu intérieur.

Il se recula néanmoins immédiatement, créant une soudaine disante entre eux, sans pour autant cesser de la regarder. « Et bien miss Rinaldi, si vous me parliez de ce que vous êtes en train de préparer ? L’odeur est absolument divine. » Il ponctua sa phrase d’un geste grandiloquent de la main.

Ce n’était d’ailleurs pas l’unique chose divine de cette pièce. « Avez vous quelque chose à me faire goûter ? Il se trouve que je meurs de faim. » Il n’en dit pas davantage, mais lui lança un regard chargé de sous-entendus.

Une voix suave résonna près de son oreille, hérissant les cheveux sombres sur la nuque de l’italienne, aussitôt suivie par la sensation tiède d’un corps s’affaissant légèrement contre son dos. Elle frissonna subitement et peut-être n’y avait-il pas que de la surprise dans la tension de son corps appuyé contre le comptoir.
Le bras de Dante Valentine glissa sur son épaule jusqu’à atteindre la poignée lisse dont il se saisit sans mal. C’était la première fois que Filippa observait les mains du banquier d’aussi près. Ses paumes étaient larges et carrées. Sa peau plus pâle que la sienne étaient parcourues de veines bleutées. Elle accueillit sans un mot la chaleur diffuse du torse de Dante et la sensation de son coude dans le creux de sa nuque. Un soupir et elle laissait son dos se fondre un peu plus contre sa poitrine. Un soupir et il serait plus qu’un mirage. Il se taisait, mais elle pouvait entendre sa respiration lente et profonde faisait frémir ses boucles noires. De lui se dégageait un parfum propre aux hommes : indéfinissable et qui l’affamait de plus sans qu’elle ne puisse l’expliquer.

La fenêtre fut ouverte. Dans la sillage de la fraîcheur qui s’engouffrait, l’hôte se retira et avec lui la brumeuse sensation de sa présence. Filippa goûta quelques secondes à l’air hivernal caressant son visage engourdi avant de faire volte-face.

S’il laissait peser sur elle le poids de son regard voilé , elle lui rendit la pareille, s’attardant sur le froncement de ses sourcils et l’imperceptible ourlet de ses lèvres. Elle lui décocha le même sourire flou, comme pour signer une entente mystérieuse qui n’avait pas besoin d’être prononcée.

« En apperitivo, des alicis, des tarallini et des saucisses napolitaine al tartufo. En primi piatti, les peperoncini verdi fritti et les zucchine alla scapece. En secondi, le coniglio a l’Ischitana et l’osso bocco. »

Elle accompagna le dernier plat d’un lever de couvercle pour laisser s’échapper la vapeur et vérifier la cuisson du veau qui mijoterait encore pendant une heure.

« Et si vous avez encore faim, des caprese et des sfogliatella en dessert, » ajouta-t-elle.

Dante était un homme de goût, si bien qu’elle ne jugea pas bon de détailler chacune des spécialités qu’il devait déjà bien connaître.

« Prego, installez-vous, » l’invita-t-elle en inclinant doucement la tête. « Voici un aperitivo pour accompagner les impepata di cozze. »

En versant le vermouth blanc infusé aux épices de l’épicerie, elle ne résista pas à l’envie subite d’effleurer à peine les doigts fins et robustes du banquier - une vengeance pour l’éloignement qu’il lui imposait - avant de lui servir les pasta al vongole. Dans l’assiette, les moules parfumées s’ouvrirent sous l’effet de la vapeur. Elles n’attendaient qu’un coup de fourchette pour mettre fin à leur calvaire.  

« Vous n’y êtes pas allergique, je crois ? »   

Se sentir si proche de la belle Italienne avait quelque chose d’enivrant, et chacun de ses sens était en éveil. S’arracher à son contact, créer de la distance entre eux était presque une torture tant il mourait d’envie de respirer son odeur un peu plus et de goûter sa peau. Mais rien n’était plus amusant ni délicieux que faire durer le plaisir de l’attente, et Dante s’amusait de voir sa réaction, presque son impatience qu’il pouvait deviner, espérant parvenir à aiguiser son intérêt.

La fraîcheur de l’hiver, loin d’éteindre ses ardeurs, ne semblaient faire que les accentuer. Mais il se sentait également émoustillé par la liste des succulents mets qu’elle résistait de son accent chantant. Un accent auquel il lui aurait été bien difficile de résister… « Tout ceci me semble parfait, vous vous êtes surpassée… » Il la regarda en prononçant ses mots, un regard qui aurait paru proprement indécent en public et que même lui n’aurait pas osé exprimer dans une certaine société. Décidément, il n’avait pas fait erreur en faisant appel à ses services, ni même en se laissant convaincre de quitter ses activités pour un temps.

Elle le pria de s’installer à table, et il s’exécuta avec plaisir. Se voir servir une délicieuse nourriture par une belle femme était l’un des grands plaisirs de l’existence, qui lui manquait parfois en tant que célibataire de longue date. Il l’observa avec la plus grande attention, tandis que sa silhouette gracieuse se mouvait pour son bon plaisir. Il dut se retenir d’attraper sa taille fine et de l’attirer contre lui, mais l’heure était d’abord au repas et au badinage. Il attrapa le verre et en but quelque gorgées. Tout ce qui venait de Filippa était exquis, sans nul doute.

Les odeurs émanant du plat posé devant lui ravissaient ses sens et il prit un temps pour en respirer le fumet avec la délicatesse dont il était capable, avant de répondre à sa question. « Oh non, j’ai toujours eu un goût particulier pour les moules. » Il joignit d’ailleurs le geste à la parole, attrapant sa fourchette pour déguster une première bouchée, qu’il mâcha lentement avant de l’avaler avec un soupir de plaisir. « Vous avez un talent sans pareil Miss Rinaldi. Vous feriez le bonheur de n’importe quel homme. »

Il leva de nouveau les yeux vers elle, sans quitter son sourire charmeur, puis tapota le siège de la chaise qui se trouvait à sa droite. « Installez-vous à mes côtés. Je ne connais rien de plus triste que manger seul. Et puis, vous méritez de profiter de ce que vous avez préparé. » C’était certes cavalier, mais partager un repas en sa compagnie lui semblait en cet instant une excellente idée, surtout lorsque la compagnie en question était particulièrement séduisante et promesse de bien d’autres délices…

Avant d'obéir docilement à la proposition de Dante, elle coupa les feux sous les casseroles, bien que cela ne changea pas grand chose à la température de la pièce. Celle-ci triomphait de l'air hivernal qui, pourtant, continuait à pénétrer en vives bourrasques par la fenêtre. Seul l'osso bucco continuerait de mijoter dans son suc pour l'heure à venir.

Elle s'assit à ses côtés, les cuisses fermement serrées, comme pour briser les vagues ininterrompues qui assaillaient le creux de son estomac. Elle doutait cependant que les alicis parviendraient à la contenter depuis qu'elle avait vu les lippes du banquier épouser la coquille lisse du crustacé.

Lorsqu'elle se tourna vers lui pour trinquer, sa jambe frola la sienne dans un bruissement de tissus sourd. Les coupes tintèrent comme un soupir. Et le sillage brûlant que laissait l'alcool dans sa gorge ne parvenait pas à rivaliser avec le regard qu'avait posé l'hôte de la demeure sur elle. Sa gorge se dévoilait dans un frémissement qui descendit trop loin dans son bas ventre. Dans une pudeur toute catholique, elle referma ostensiblement les boutons de son corsage, curieuse de voir si le vague sourire de Dante s'agrandirait ou disparaîtrait.

Un insolent morceau de persil s'était perdu sur la lèvre supérieure du banquier.
Les doigts de la main droite de Filippa appuyerent sur son avant bras - dont elle regretta qu'il ne soit pas nu pour sentir sa chair -, tandis qu'elle se penchait en avant. En un souffle, elle avait à nouveau aboli l'espace entre eux. Ses doigts flottèrent à un murmure de son visage masculin, se refusant encore à transformer leurs effleurements en toucher.
Puis, du pouce gauche, elle chassa le condiment, goûtant un instant à la sensation moite de sa bouche contre sa pulpe. Ses phalanges bruissèrent contre sa peau. Son souffle sur le dos de sa main creusa ses reins d'un manque innacceptable.
En se retirant, elle s'attarda sur sa joue et sur l'angle ferme de ses mâchoires. Elle se demanda si ses dents étaient serrées. Puis, elle reposa sagement une paume dans les plis de sa jupe. L'autre trouva son chemin jusqu'à son verre.

« Vous voilà propre, » acquiesça-t-elle avant de finir son verre.

Son regard tomba sur le pantalon serré de l'homme.

« Quoique... »

Une tache - probablement causée par la sauce des moules - souillait le tissu.

« Laissez-moi faire. »

De sa ceinture, elle fit claquer un chiffon qu'elle humidifia avec de l'eau tiédie. Enfin elle s'agenouilla pour se trouver à la hauteur de son bassin puissant. D'une main, elle s'appuya sur le genou de Dante et de l'autre, tapota en lents mouvements circulaires la trace après que ses ongles aient griffé le velours côtelé pour se débarrasser des froissements.

« Personne n'en saura rien, » le conforta-t-elle.   

Oulalah CHE CALORE !

Félicitation vous avez réveillé le shérif des mœurs ! Vos aventuriers ont relevé le défi avec beaucoup de passione et on peut sentir l'odeur des saucisses napolitaines jusqu’au campement des O'Reilly. Gare au courroux des pionniers qui rêvaient de la conquête de l’ouest avec une toute autre ferveur. Un nouveau challenge vous attend.

De succulents mets étaient capables d’éveiller le corps et l’âme d’une manière infiniment surprenante, et plus encore lorsque les dits mets étaient partagées par une non moins délicieuse compagnie. Chaque mouvement de Filippa semblait être un appel à goûter ses faveurs. Elle avait beau travailler en cuisine, elle possédait la grâce et la distinction d’une reine. Et de plus, elle paraissait profiter de ce petit jeu de séduction également, ce qui ne faisait lui que l’amuser et l’émoustiller davantage.

Chaque contact de la jeune femme était électrisant et lui procurait une sensation de brûlure sur sa peau, jusque dans tout son être. Mais une brûlure des plus agréables. L’Italienne semblait s’en donner à coeur joie, multipliant les prétextes pour le toucher. La douceur de ses doigts et la précision de ses gestes semblaient promesses de bien des plaisirs à venir… Il esquissa un sourire, ne cessant de la regarder avec autant de gourmandise qu’un dessert qu’il mourait d’envie de dévorer. « Et je vous en remercie. »

Mais voilà qu’elle remarqua une tache sur son pantalon, qu’il n’avait pas vue. Lui, toujours si soigné, voilà qui n’était guère seyant. Heureusement, elle semblait tout aussi dévouée pour arranger la situation, effectuant d’habiles mouvements provoquant en lui de ces sensations dont personne n’aurait osé faire mention publiquement.

Mais avant qu’il ait l’opportunité de lui répondre, voilà qu’une explosion se fit entendre dans la cheminée. Dante sursauta brusquement lorsqu’un boulet de canon déboula du foyer - boulet de canon qui s’avéra n’être qu’un pigeon - . Il ne put retenir un cri de surprise, malheureusement moins viril qu’il l’aurait voulu, mais il n’eut le temps de s’en émouvoir, car lui comme Filippa se retrouvèrent en un instant couverts de suie de la tête aux pieds. Il poussa un juron en voyant l’oiseau qui provoquait un véritable désastre dans sa cuisine.

Il saisit une casserole tombée par terre et entreprit de chasser l’oiseau par la fenêtre ouverte, malheureusement sans grand succès. L’animal était en effet si affolé qu’il ne semblait pas décidé à s’approcher de la fenêtre, et Dante se voyait à moitié aveuglé par la suie qui s’accrochait dans ses cils. « Il faut l’empêcher d’aller plus loin dans la maison ! » aboya-t-il d’un ton rageur. Il n’avait aucune envie de voir son intérieur sacrifié parce qu’un maudit piaf aurait décidé de tomber dans la cheminée. Malheureusement il était probable que tous les délicats mets préparés si minutieusement par la belle Italienne soient perdus, tout comme ces instants si brûlants qu’ils avaient partagés quelques instants plus tôt…

Ses doigts s’égarèrent le temps d’une respiration en amont de cette cuisse tendue, près d’une zone qui appelait au danger. Mais comme la marée, Filippa sut se retirer avec la mollesse lascive des vagues. En même temps que le jour perdait de sa lumière, l’italienne se dépouillait de sa langueur. Par l’espace qu’elle imposa à nouveau entre eux vint un froid né de l’inimitié entre un jeune souffle et l’air d’avant, échauffé par leurs deux corps.

Elle ne s’attendait certainement pas à ce que ce froid se matérialisa sous la forme d’un pigeon.

Le volatile surgit de la cheminée avec fracas, entraînant à sa suite un voile de suie qui macula le sol d’une poussière noire. Son coude devant le visage - barrière de chair inutile - ne suffit pas à la protéger de l’animal qui était devenu un champion de chasteté.
Filippa n’eut que le temps d’écarquiller les yeux que, déjà, il s’écrasait sur la table en prenant grand soin de renverser la bouteille d’aperitivo - un scandale qui la laissa sans-voix - avant de s’envoler dans les rangées des casseroles. Certaines se décrochèrent avec un bruit de tonnerre alors qu’il tourbillonnait comme une girouette, en quête d’une étagère sur laquelle se poser.

Le cri aiguë du banquier termina d’achever le feu qui lui retournait l’estomac. La situation aurait pu la faire sourire du sourire moqueur des femmes n’étant pas satisfaites - après tout, Dante Valentine s’agitait, en vain, armé d’une casserole et hurlait sur un pigeon -… Jusqu’à ce qu’elle remarque que l’oiseau ponctuaient ses pics de terreur par autant de fientes laissées sur les plats du comptoir. Un instant, elle resta hébétée, fataliste presque, alors que Dante continuait de s’égosiller et que le pigeon lui répondait par des déjections affolées. La nourriture - si sacrée à ses yeux - étaient souillée et peut-être était-ce un affront supérieur aux pulsions brusquement éventées qui l’avaient consumée l’instant d’avant.

« Je vais le tuer, » pensa-t-elle en claquant la porte laissée ouverte pour ne pas qu’il s’échappe dans la maison.
Alors qu’elle s’armait à son tour, prête à lui tordre le cou et à l’envoyer cuire avec l’osso bucco, une nouvelle gesticulation de l’hôte envoya le pigeon par la fenêtre après qu’il eut percuté le fond de la casserole avec un « poc » sonore.

Et alors que le battement de ses ailes s’atténuait à mesure qu’il s’éloignait, Filippa observait, dépitée, l’état de la cuisine. La désagréable impression d’avoir été tirée d’un mirage la fit soupirer. Du revers de sa manche, elle essuya sommairement son visage noirci.

«  Je vais retourner à l’épicerie, » décréta-t-elle d’une voix teintée de son sérieux habituel. « Pour me laver et chercher de quoi sauver ce désastre. »

Elle ne se laisserait plus perturber.
  

Avec un empressement rageur, il ne cessait de poursuivre le malheureux pigeon terrorisé, armé de sa casserole. Cet oiseau de malheur non seulement ruinait sa cuisine et les bons petits plats qui s’y préparaient, mais en plus venait de réduire à néant ses tentatives de séduction envers la belle Italienne. Autrement dit, il devait payer, c’était à présent une affaire personnelle - mais en vérité Dante se serait contenté de son départ, du moment qu’il ne l’avait plus sous les yeux -.

Mais l’animal n’en avait que faire, et ne cessait de créer plus de dégâts, accompagnés d’un vacarme sans nom. Le banquier fulminait: pourquoi les domestiques qu’il payait ne venaient-ils pas à leur aide ? Ils devaient bien entendre que quelque chose n’était pas normal pourtant ! Il se jura qu’ils seraient vivement sermonnés pour leur crasse incompétence - et l’humiliation qu’il subissait sous les beaux yeux de Filippa -. Pourtant, malgré ses efforts, le volatile semblait bien incapable de trouver la sortie, pourtant si visible. C’est avec un grand plaisir que Dante l’aurait écrasé contre un mur à coups de casserole et il pouvait deviner que la Napolitaine était tout aussi furieuse.

Enfin, il sentit qu’il avait frappé le pigeon et afficha une expression triomphante avant que l’oiseau ne s’échappe finalement par la fenêtre. Ce n’était certes pas une issue qui lui permettait d’assouvir sa vengeance, mais au moins le calme était revenu. Posant l’ustensile sur la première surface à sa portée, il soupira et tenta d’épousseter son habit, mais sans grand succès. Puis, il jeta un oeil autour de lui.

La cuisine était dans un état effroyable. Les domestiques avaient gagné le droit de nettoyer ce désastre, cela leur apprendrait à ne pas être suffisamment réactifs. Puis, il se tourna vers la jeune femme, un air de sollicitude plaqué sur son visage maquillé par la suie. « Vous n’avez rien j’espère ? » Malheureusement, il pouvait sentir que le feu qui animait Filippa quelques instants plus tôt avait laissé place à de la glace. Elle semblait furieuse et il pouvait aisément le comprendre. Mais il n’avait pas l’intention de la laisser partir si facilement. Hors de question qu’il laisse un stupide oiseau ruiner cette si délicieuse opportunité !



Il lui saisit la main avec délicatesse, la pressant doucement dans la sienne. Sa voix avait des accents suaves et il avait pris un air terriblement contrit. « Ma chère miss Rinaldi, je ne peux que mon confondre en excuses face à une telle situation. Puis-je vous offrir de prendre un bain dans ma modeste demeure, ainsi que des vêtements propres, pour me faire pardonner ? C’est la moindre des choses. » Il lui adressa un regard emprunt de sollicitude, mais également des plus charmeurs. Il espérait sincèrement que sa belle Italienne accepterait cette offre.

À la question du banquier, elle répondit par un « non » de la tête. Non, elle n’avait rien si ce n’était son coeur qui était brisé devant le triste spectacle s’étalant sous ses yeux. Les verres d’aperitivo avalés coup sur coup s’étaient évanouis avec l’arrivée du pigeon. Ses joues rosies étaient redevenues brunes et son corps avait perdu l’élan souple conféré par des moeurs légères.

Un dernier coup du plat de la main pour épousseter - vainement - ses jupes dans un froissement et Filippa était prête à tourner les talons pour tenter de sauver ce qu’il restait du repas.

Néanmoins, son mouvement fut interrompu par la tiédeur d’une main se saisissant de la sienne, bientôt suivie par la voix caressante du banquier, désormais dénudée de la colère qui l’avait secouée l’instant d’avant.
Comme un serpent, un frisson glissa de sa nuque jusqu’à ses reins, lui faisant presque imperceptiblement remuer les épaules. « Il a les yeux bleus, » remarqua-t-elle alors pour la première fois, désormais que leurs visages s’étaient de nouveau rapprochés. Et que la suie sur son visage faisait ressortir l’océan brûlant qui baignait son regard.
Il lui avait suffit d'un murmure pour qu'à la manière d'un tisonnier il se glisse à nouveau en elle pour remuer les braises d'un feu qu'elle croyait pourtant avoir bien aspergé de devoir et de morale.

Dans sa tête résonnait encore le cri fluet de Dante et si elle avait menacé d'en sourire auparavant, elle regrettait désormais de ne pas en être à l'origine. Elle se demandait les réactions qu'il aurait si ses doigts le touchaient ici. Ou bien là. Si sa voix se modulerait en gémissements étouffés ou s'il s'affamerait de plus d'elle.

Il avait présenté ses armes et elle s’en était saisies puisqu’elle n’avait pas retiré ses doigts des siens. Au contraire, elle les y enfonçait plus encore. Finalement, les bonnes résolutions avaient la vie courte et il n'avait pas suffit d’un cauchemar en cuisine pour la restreindre.

« Dans ce cas, guidez-moi, » susurra-t-elle comme un ordre. « Je ne voudrais pas me perdre. »
  

Rien n’aurait pu être pire que perdre pareille opportunité auprès de la belle Italienne, uniquement à cause de ce malheureux incident. Il ne pouvait qu’espérer que la déception d’avoir perdu le fruit de son dur labeur ne suffirait pas à la dissuader de passer un moment bien plus charmant à ses côtés. Mais Dante n’avait pas peur de jouer, encore moins lorsqu’il avait de bonnes raisons de penser qu’il pouvait gagner.

Néanmoins, il n’aurait pu nier être pris d’une légère tension, une incertitude. A présent, les cartes étaient entre les mains de la demoiselle. En la sentant ainsi frissonner, son sourire s’élargit légèrement, unique témoin de sa satisfaction. Etonnamment, la suie ne parvenait qu’à magnifier ses traits et sa beauté. Ses yeux sombres avaient le don de le rendre fou et il dut faire appel à toute sa raison pour ne pas se jeter sur elle, ici et maintenant. Mais au milieu des vestiges du travail acharné de la belle, cela n’aurait sans doute pas été digne d’un gentleman.

« Avec grand plaisir ma chère. Veuillez me suivre. » Apposant une pression plus tendre autour de sa main délicate, il sortit de la cuisine à ses côtés et la conduisit vers les escaliers qui menaient au premier étage. Ils aperçut l’une des domestiques qui portait des serviettes pliées. « Annie, faites couler un bain chaud à Miss Rinaldi. Et vous nous amènerez des vêtements propres également. » Il espérait bien évidement que Filippa l’inviterait à se délester de cette crasse à ses côtés. Mais bien sûr, il n’en dit rien, il n’était certainement pas un rustre. Il se réservait néanmoins la possibilité de se montrer plus direct sur ses intentions si nécessaire...

Il omit de parler du ménage qu’il y aurait à faire, la chose étant évidente étant donné la suie qu’ils répandaient à chacun de leurs pas. Attrapant au vol deux serviettes propres sur la pile que la servante transportait, il amena sa belle compagne dans l’une des chambres attenantes à la salle de bain. Il lui tendit l’une des serviettes sans se délester de son sourire charmeur. « Pour vous essuyer un peu avant que votre bain soit prêt. » Son ton, chargé de sous-entendus, ne laissait guère de place à l’interprétation de ses désirs.

Déjà il ne pouvait s’empêcher de la déshabiller du regard, imaginant ses courbes sublimes sans les encombrants tissus qui la couvraient…

Dante répondit à son élan charnel par une nouvelle caresse, plus chaude encore que la précédente, de sa main contre la sienne.
Comme auparavant, ils se délièrent lentement, avec la langueur des après-midi d’été, lorsque le soleil embrassait les corps et étourdissait les sens. Dans son sillage, il ne laissa que la morsure de sa peau contre la sienne et l’imagination de tout ce que cette main était capable de faire.
Lorsqu’ils franchirent les portes de la cuisine, les masques furent remis pour le public errant là.

Une fois les serviettes récoltées, Filippa suivit sans mot dire le banquier jusqu’à une vaste chambre qui - elle le devina sans réellement savoir pourquoi - ne devait pas être celle de l’hôte. Après le craquement du parquet ciré sous leur pas, c’est l’épais et moelleux tapis au centre de la pièce qui les accueillis dans une tiédeur différente de celle de la cuisine. Ici point de casseroles fumantes, de fumet d’ail (de pigeon, mais c’était une histoire qu’elle préférait oublier) et de buée étouffante. Un large lit à baldaquins tout couvert de soie et de velours aurait tenté quiconque à venir s’y prélasser. La fenêtre ne contenait plus qu’un grand vivier de ciel vert, troué de deux ou trois étoiles aux pulsations désordonnées. La napolitaine, elle le savait, aurait dû se méfier du jour qui menaçait de décliner et qui signait alors l’arrivée prochaine des invités de son patron du jour. Néanmoins, elle devait bien se rendre à l’évidence : elle s’en fichait désormais comme d’une guigne.

La porte de la salle de bain ouverte laissait apercevoir les moulures courbes et blanche de la large baignoire. De l’eau brûlante se dégageait des parfums lourds d’ambre qui venait effleurer leur peau comme s’ils avaient été nus.

Se saisissant de la serviette tendue alors que dans la pièce voisine, le robinet ne finissait pas de s’écouler, l’italienne s’avança d’un pas, brisant une fois de plus le vide insoutenable qu’ils s’imposaient depuis que Dante avait eu l’idée de venir la visiter.

Puis, elle tourna les talons avant d’incliner légèrement sa tête sur le côté pour exposer l’arc léger de sa nuque. Son dos s’enlisa dans ce dernier espace avant, d’enfin, effleurer sa poitrine.

« Aidez moi, » lui demanda-t-elle d’une voix saturée.

Son chignon, las de soutenir ses efforts et l’humidité, s’était délié en un ensemble de mèches folles entortillés autour des attaches de sa robe comme autant de noeud coulants autour d’une gorge. Il ne lui suffirait que de presser un bouton pour la libérer.

« S’il vous plaît. »

À l’étage, un silence uniquement brisé par leur deux respirations lentes et profondes ; les domestiques étaient au labeur sur la scène du crime.
  

Entre ces murs, ils étaient désormais dans un espace bien plus propices aux intentions de Dante. Des intentions qu’il comptait bien concrétiser… La chambre était à l’image du reste de la maison: confortable, d’un luxe extravagant. Tout semblait aménagé afin de montrer à ceux qui voulaient bien l’entendre l’étendue de ses finances. Il n’était bien sûr pas un Rosenbach, mais il n’avait certainement pas à rougir des lieux qu’il occupait.

Elle s’avança d’un pas, se mouvant avec une grâce royale, même couverte de suie. Chacun de ses gestes ne faisait qu’accroitre le désir du banquier, l’envie de goûter sa peau et tant d’autres choses… Il était plus qu’évident qu’il espérait une invitation à partager son bain, mais il attendait avec curiosité de voir si elle aurait l’audace de la formuler d’elle-même, ou s’il devrait se montrer plus explicite.

Il pouvait sentir d’ici la chaleur de l’eau qui s’écoulait, rencontrant la chaleur intérieure qui l’habitait. En un mouvement inattendu, elle se retourna et se retrouva dos à lui, pratiquement contre sa poitrine. Tout en lui s’éveilla tandis qu’il dirigeait ses mains vers les cheveux sombres de l’Italienne. « Avec plaisir. » Le plus délicatement possible, il entreprit de les libérer et les dénouer, profitant de la volupté d’un tel instant, ne manquant pas de caresser sa peau du bout des doigts par la même occasion.

Sa respiration s’intensifiait et tout en démêlant ses cheveux des agrafes de sa robe, il en détacha une par inadvertance - ou manoeuvre habile - puis deux. Une fois sa crinière libérée, il la repoussa légèrement sur le côté et se pencha pour embrasser délicatement le creux de son cou. Même la présence de la suie ne pouvait suffire à le dissuader de ce geste. Puis, il s’écarta avec un sourire et laissa la chevelure de la Napolitaine s’épanouir le long de son dos. « Voilà qui est fait Miss Rinaldi ».

Il se tourna vers la salle de bain afin de contrôler le niveau d’eau de la baignoire et la regarda d’un air satisfait. « Il me semble que votre bain est prêt. » Il le lui indiqua d’un geste théâtral, non sans la regarder avec gourmandise et curiosité. Allait-elle décidé de poursuivre leur petit jeu ? Il était certain qu’elle en avait autant envie que lui et espérait bien après l’épisode du pigeon poursuivre plus agréablement cette journée. Il avait à présent tout oublié de la soirée à venir et des invités qui tôt ou tard se présenteraient alors qu’il n’avait plus rien à leur faire servir. La présence de Filippa et la promesse d’autres délices à venir suffisait à éclipser tout le reste.

Elle sentit la tiédeur de ses mains glisser dans ses cheveux. Et il lui sembla que ses doigts étaient partout, glissant de ses chevilles jusqu’à ses cuisses, remontant avec la lenteur et la puissance inexorable des marées, s’attardant là, avant de se lover dans le creux de son oreille et de s’accomplir dans son soupir d’obéissance qui se moulait si bien contre sa nuque. Cette voix grave, rauque presque, elle voulait la sentir plus près encore ; qu’elle ait à peine le temps d’échouer sur sa peau avant de s’évanouir dans un écho charnel.

Contre son dos, sa poitrine forte se gonflait à un rythme hiératique et elle pouvait sentir son souffle se déposer dans ses boucles, contre son cou, sur ses épaules et bientôt, elle n’eut plus envie d’être vêtue que de lui. Son rythme, à elle aussi, s’était modelé contre le sien et elle se laissait aller, toujours plus près, pour se fondre en lui.

Un frémissement.

Sa main glissa entre ses omoplates, entraînant dans son sillage fiévreux les mèches noires qui obscurcissait son dos d’un voile opaque. La pression de ses lèvres à la naissance de sa nuque lui creusa le bas-ventre et lui coupa le souffle. Mais aussi vite que sa marque fut posée, il se retira pour ne laisser que le souvenir lancinant de lui contre elle. Mais Filippa était avide. Elle en voulait toujours plus.

Elle laissa glisser sa peau de cuisinière le long de ses bras, de ses hanches pour l’abandonner là où elle devait être : par terre. Alors, il ne lui resta plus que sa peau de femme lorsqu’elle s’avança dans la salle de bain où Dante attendait avec toujours ce même regard qui, désormais, n’avait plus personne à déshabiller.

Se hissant sur la pointe des pieds et ses glissant contre lui comme une vipère, il n’y avait plus que la serviette qu’elle tenait contre sa poitrine et ses vêtements de soirée pour empêcher leur rencontre. Il sentait l'ambre, l'ébène et le musc. Il sentait l'argent et il sentait l'homme. Et il avait les yeux bleus.
Sa main droite se glissa dans sa nuque tandis que son pouce traçait la ligne invisible depuis son oreille jusqu’au creux de ses clavicules. Plus proche.

« Pour vous essuyer un peu après votre bain, » chuchota-t-elle contre sa joue en reprenant ses précédents mots à sa guise.
  

Ses gestes envers elle avaient été une invitation, et elle lui répondit au-delà de ses espérances. Il la regarda avec attention, non, avec admiration se défaire de ses frusques pour laisser apparaitre ce corps qu’elle présentait avec une fierté qui ne faisait qu’intensifier le désir qu’il avait pour elle. Filippa avait cette aura presque royale qu’il aimait particulièrement chez les femmes qu’il côtoyait mais trouvait habituellement plutôt chez les ladies et les élégantes, ces femmes qui possédaient un certain pouvoir, le savaient et ne craignaient pas d’en user. La belle Italienne en était l’incarnation même et il se sentait attiré par elle comme un aimant.

Elle se glissa vers lui avec une assurance qui le fit sourire. A ce petit jeu là, elle semblait imbattable et il était tout prêt à la laisser gagner. Sa présence, puis le toucher de ses doigts sur sa peau l’embrasait. Il posa ses mains avec douceur sur ses hanches, effleurant ses courbes, puis caressant plus intensément sa peau si douce, bien plus douce qu’il ne l’aurait pensé. Peu importait la suie à présent.

Il noya sa main dans la rivière de sa chevelure d’ébène et son regard dans la nuit du sien. Son autre main se posa sur la serviette, retenant cette barrière entre eux. Son visage était à présent si proche de celui de Filippa qu’ils se touchaient presque  « Je crois qu’elle me sera fort utile… » murmura-t-il avant de réellement rompre la distance entre eux et capturer ses lèvres en un baiser où s’exprima tout le désir qu’il ressentait pour elle en cet instant. Elle avait une odeur épicée qui ne faisait qu’éveiller davantage ses sens. Il la pressa contre lui, ressentant l’intense chaleur de ce corps brûlant contre le sien.

Lorsque leurs lèvres se détachèrent, il s’écarta légèrement d’elle, un sourire malicieux ornant son visage. Il ne pouvait cesser un instant de contempler chaque partie d’elle, dont le tout formait une véritable oeuvre d’art. Une oeuvre qu’il brûlait plus que jamais de posséder.

« Je crains d’être encore trop habillé pour prendre un bain… » Il entreprit de déboutonner petit à petit son veston, avant de le laisser s’échouer au sol pour ensuite s’attaquer à sa chemise. « Je crois que c’est à mon tour de requérir votre aide. » Il esquissa un sourire en coin, dans l’impatience de sentir cette peau de nouveau contre la sienne et de prolonger ces délicieux instants.

Lorsque ses mains trouvèrent ses hanches, Filippa laissa son corps échapper à son contrôle. Son bassin se coula dans celui de Dante et les vêtements, la ceinture et les boutons pressés contre sa peau nue auraient pu lui faire mal si ses sens n’étaient pas si embrumés par le toucher du banquier. Et elle pouvait le sentir se mouvoir, ce corps masculin, stable et fort, tout tendu vers elle. Il la réclamait et elle sentit un soupir se glisser hors de ses lèvres entrouvertes.

Lorsqu’il emmêla sa main dans ses cheveux, elle lui répondit en apposant ses deux paumes de part et d’autre de sa nuque, ses pouces glissant le long de l’angle de ses mâchoires. Son désir la consommait et sa puissance animait ses traits en un incendie ardent. L’espace d’un souffle entre leurs visages, sa voix éraillé embrassa sa bouche avant ses lèvres.

Un frisson glissa de sa nuque jusqu’à ses reins tandis qu’il s’engouffrait par-delà le rempart de ses commissures. Dans cette pièce qui avait disparu, elle ne sentait plus que lui et leurs respirations qui désormais ne faisaient qu’une. Elle ne touchait plus que sa gorge et ses épaules encore douloureusement vêtues. Elle n’entendait plus que le feu hurlant de son bassin et les expirations graves de Dante qui ornaient son visage de parures brûlantes. Elle ne voyait plus que lui.

Ils se délièrent finalement et Filippa rit à sa remarque, les mains toujours nouées dans son cou. Ses bras s'étaient enroulés comme des voiles autour de ses épaules.

« Avec plaisir, monsieur Valentine. »

Avec une urgence qu’elle prit un malin plaisir à contrôler, ses doigts firent glisser un à un les boutons hors de leur attache. Son ventre qui, en dépit de la richesse et de l’ostentation n’avait rien de replet, frémissait sous la pulpe de ses doigts, ce qui lui arracha un rictus ravi. Elle laissa ses mains se faufiler sous la chemise désormais ouverte, parcourir les vagues de ses côtes jusqu’à ses hanches où ses phalanges se glissèrent à peine à l’orée de sa ceinture.

Comme elle s’était débarrassée de sa robe, elle le débarrassa de son pantalon qui percuta le parquet avec un bruit sourd.

Elle l’embrassa à nouveau, ses dents doucement plantées dans sa lèvres inférieure, plus demandeuse encore, désormais qu’elle le ressentait tout entier, avant de laisser sa bouche baiser ses commissures et choir jusqu’à la chair tendre sous son oreille. Ses mains s’étaient perdues dangereusement bas sur la carte de son corps, mais se refusaient encore à avaler les derniers frissonnements.
  

Mouais.

Félicitation, clap, clap, clap, vous vous croyez les plus malins j'imagine ? Donc voilà, moi je vous faisais confiance, je me disais ils sont italiens ils ont sûrement des meilleures manières que les autres pécores, ça s'invite à boire un ristretto avant de se tapoter la nouille, ça présente la famille, le respect quoi. Et bien vous m'avez choqué et déçu. De toute façon y a pas de basilic dans l'ouest, Filippa elle fait son pesto avec du cactus prémâché et Dante c'est même pas un prénom. Alors il est temps qu'un vrai chef reprenne les choses en main et plus vite que ça. Vous méritez qu'on vous apprenne un peu les bonnes manières puisque vos parents étaient aux abonnés absents apparemment, ou je sais pas sûrement trop occupés à gérer un gang de sérénades en Europe.

Postez, postez, savonnez vous, et puis oubliez pas de vous frottez les oreilles (ah mais je vois que Filippa est déjà sur le dossier). Le glas de votre indécence sonne déjà dans les ustensiles de la cuisine.

 

Filippa n’était pas seulement d’une beauté époustouflante, elle était aussi des plus surprenantes. Il aimait les femmes entreprenantes, malheureusement celles-ci n’étaient pas forcément légion - il ne comptait pas dans le lot les prostituées qui avaient à ses yeux le même statut que les beaux bibelots dont il ornait sa demeure -. Il brûlait à présent d’être débarrassé du moindre bout de tissu qui le couvrait pour que leurs peaux enfin se rencontrent pleinement.

Elle s’exécuta avec un plaisir visible, qui ne fit que l’émoustiller davantage. Il la laissa le défaire peu à peu de chacun de ses vêtements, la voyant ravie de le découvrir comme s’il était un présent de Noël. Sa respiration se faisait plus profonde et rauque sous son voluptueux toucher et les merveilles que celui-ci promettait.

Grâce à la dextérité de la jeune femme, il ne tarda pas à être aussi nu qu’elle. Cette fois ce fut elle qui unit leurs lèvres en un baiser tout aussi passionné, qui ne faisait que l’enivrer davantage. La pointe d’exquise douleur qu’il ressentit sous sa morsure aurait facilement pu le rendre fou. Il en voulait plus, toujours plus et l’ardeur de Filippa l’entrainait sur une pente dans laquelle il se laissait glisser bien volontiers.

Alors que leurs peaux se fondaient l’une dans l’autre, elle quitta sa bouche pour répandre d’autres baisers, tout aussi délicieux, jusqu’à son oreille, lui faisant pousser un soupir. Elle savait parfaitement ce qu’elle faisait et comment arriver à ses fins, ce qu’il ne pouvait qu’admirer. Dante laissa ses mains s’aventurer sur les courbes de son corps, merveilleuses collines et vallées qui auraient pu inspirer des poèmes au plus illettré des hommes.

A son tour, il laissa ses lèvres explorer les contours de sa mâchoire, pour s’échouer plus passionnément le long de sa nuque puis le creux de son cou. La chaleur qui l’étreignait à présent était pratiquement incontrôlable, décuplée par le parfum qui se dégageait de sa peau, bien plus douce qu’il n’aurait pu l’imaginer. Il voulait la posséder, entièrement et pleinement. Mais le jeu était trop beau pour qu’ils en viennent à l’apothéose si rapidement, surtout avec une telle adversaire face à lui. Il approcha sa bouche de son oreille, murmurant quelques paroles en un souffle brûlant. « Je crois ma chère Filippa que notre bain nous attend. » La simple idée de se retrouver avec elle immergé dans une délicieuse eau chaude le faisait frémir d’impatience.

Dante, de ses doigts brûlants, traçait des sillons qui enflammaient chaque parcelle de la peau de Filippa. Ses lèvres s’acquittaient tout aussi bien de leur labeur charnel, la laissant frémissante et le souffle court. Partout dans son corps, mille particules soulevaient ses membres et loin de mollir à ce contact, elle s’imposait, plus fière encore, clamant son intimité autant qu’elle voulait posséder la sienne. Le râle qui coula de sa bouche d’homme pour venir draper ses épaules attisa le feu entre ses reins tandis que leurs bassins s’enlaçaient.

Elle l’attira contre la baignoire et tous deux se laissèrent basculer dans l’étreinte chaude de l’eau épousant leurs silhouettes confondues. La napolitaine profita d’avoir le dessus pour agripper la base de sa nuque dont les cheveux mouillés collaient déjà entre ses doigts. Elle offrit sa gorge dévoilée en sacrifice et approfondit la pression de leurs hanches en serrant plus fort ses jambes contre ses flancs. Pas encore.
Autour d’eux, le moindre de leur mouvement lascif entraînait des remous tiède venant s’écraser au rythme de leur respiration contre leur peau perlée. Une lune timide dans le ciel encore mauve couvrait leur deux corps d’un halo crépusculaire, les habillant des vêtements qu’ils n’avaient plus.

Sa main droite trouva rapidement ce qu’elle cherchait. L’eau rendant chaque geste d’une lenteur exquise, elle en jouait, ponctuant chaque effleurement d’une pression de son bassin contre son ventre dur. Elle se prélassait de le ressentir contre elle et réceptif à chacune de ses attentions aussi, elle en redoubla jusqu’à laisser planer un flottement entre plainte et plénitude qu’elle conclut par un nouveau baiser fiévreux où, cette fois, ce fut elle qui glissa sa langue contre la sienne.

Se redressant sur ses genoux, son visage désormais au-dessus du sien et ses cheveux trainant dans son dos comme un voile virginial sombre, elle écarta les mèches rendues brunes par l’eau des tempes de Dante pour observer une fois encore ses yeux si bleus et embrumés. Elle noua ses bras autour de son cou.

« Devrions-nous nous arrêter, maintenant ? » lui chuchota-t-elle avec ce qu’il fallait de langueur.

Dans sa question, pourtant, la réponse était d’une clarté plus limpide que l’eau dans laquelle ils baignaient. Non.  
  

La belle Filippa approuva sa suggestion en les entrainant tous deux dans la baignoire. Submergé par l’eau délicieusement chaude et parfumée - quoique bientôt de couleur grisâtre - si agréable au contact de sa peau, il se sentit définitivement perdre la tête, dévorant de baisers passionnés la gorge qu’elle lui offrait. Ses caresses se firent plus insistantes tandis que leurs bassins se pressaient l’un contre l’autre. Il la voulait, ici et maintenant.



Mais la demoiselle désirait encore jouer et elle savait comment prendre les choses en main. S’inclinant sans peine, il aurait été de toute manière bien incapable de protester, emporté par la foudre et les éclairs qui sévissaient entre ses reins. Il ne pouvait que se couler à son mouvement, frémissant de tout son être tandis que ses soupirs incontrôlables fendaient l’air. Elle l’embrassa de nouveau avec une fougue qui le surprenait autant qu’elle lui plaisait. Le temps sembla soudain se suspendre et il l’observa. Elle était si belle, plus belle que bien des femmes qu’il avait connues. Ses yeux sombres l’hypnotisaient et attisaient son envie d’elle. Ce jeu était décidément son favori.

Il était tout prêt à lui offrir la réponse qu’elle désirait ardemment. Malheureusement, il n’en eut pas le temps. Eut-il été plus attentif, il aurait entendu les cris qui retentissaient dans toute la maison. Mais il eut la surprise de voir la porte s’ouvrir de façon fracassante. Dante se redressa, tout prêt à corriger l’importun qui osait les déranger dans ce moment si… intime, et eut la surprise de faire face à nulle autre que son cuisinier, Philippe Espelette.

Parce qu’il aimait la bonne chair et ne souhaitait que le meilleur à sa table, il avait embauché ce chef cuisinier, qu’on lui avait vivement recommandé. Il avait dit-on un caractère épouvantable, mais le banquier n’était pas de ceux qui se laissaient impressionner. Peut-être aurait-il dû y réfléchir à deux fois, car l’homme était à présent dans la salle de bain, sans montrer la moindre gêne ni intention de préserver leur pudeur. Ces Français avaient décidément des moeurs très particulières et c’était bien la dernière fois qu’il en laissait un s’introduire sous son toit.

Furieux, il sortit du bain, non sans attraper une serviette pour cacher ce que le cuisinier n’était pas supposé voir. Il était en tout cas prêt à en découdre… mais c’était sans compter le regard féroce que lui lança Espelette, sous lequel Dante se dégonfla comme un ballon baudruche. « Monsieur, je vous prie de nous laisser sur le champ, vous voyez bien que nous sommes… occupés ! » Mais sa voix s’étouffa et le banquier avait d’ores et déjà perdu de sa superbe face à ce monstre qui semblait avoir pris possession des lieux.

La question flottait entre leurs deux corps tandis que leurs regards s’accrochaient encore et encore. Filippa observait les gouttelettes translucides glisser de ses cils bruns jusqu’à ses mâchoires avant que sa bouche ne les chasse en une multitude de caresses avides.
Elle n’était pas suspendue qu’à ses lèvres et lorsque ces dernière s’étirèrent pour laisser deviner une réponse, un craquement sourd l’immobilisa.

Un colosse marmoréen était apparu avec fracas dans l’embrasure de la porte. Sous la clarté nocturne, son crâne - probablement lustré à la peau de chamois - scintillait comme une belle coquille d’oeuf. Ses bras, qui auraient pu être ceux d’un grizzli, refermés sur sa poitrine comme une camisole laissaient deviner la souffrance des coutures de sa blouse qui peinaient à contenir la rondeur de ses muscles. Ses yeux profondément enfoncés dans leurs orbites brillaient d’une ire rare, bientôt formulée par un flot - ou plutôt des rapides - de paroles aigres qui n’avaient rien à envier au vinaigre. D’ailleurs, la moue de Filippa laissa songer qu’elle venait d’en avaler un verre cul-sec.

Moue qui manqua de se transformer en grimace lorsque Dante quitta l’eau, qui n’était pas trouble que de suie, et chipa la serviette abandonnée sur le sol avant de s’en draper les hanches. Sa voix tremblante n’avait plus rien à voir avec les élans langoureux d’il y avait quelques minutes.
Alors, la napolitaine sut qu’elle ne pourrait pas compter sur lui et que le moment était perdu (on ne pouvait se remettre d’une telle intervention). La triste réalisation lui arracha un soupir.

Prenant appui sur le rebord de la baignoire, elle se redressa, laissant glisser des cascades d’eau de ses reins et de son dos. Philippe n’ayant pas été troublé par leurs deux corps nus, il ne s’offusquerait certainement pas de l’observer désormais à la lueur blafarde de la lune. « Vraiment ces français, » s’agaça-t-elle et se glissant hors du bain. « Une espèce à part. »

Par chance (la prod était dans le coup), une blouse n’attendait qu’elle, abandonnée sur un porte-manteau dans le coin de la pièce. Encore trempée, elle l’enfila et le tissu colla si bien à sa peau qu’il en devint translucide. Elle réajusta les manchettes bleues sur ses avant-bras et rassembla ses longs cheveux noirs en un chignon serré.

« Oui, chef ! »

Et peut-être restait-il des accents incontrôlés de la fougue passée dans sa voix.
  

Dante regardait Filippa, puis Espelette, pouvant presque sentir le désespoir l’envahir. Il n’était pas possible que ce moment si sensuel et délicieux se termine de cette façon ! Il le refusait absolument ! Décidant de prendre son courage à deux mains, il se planta devant le cuisinier, persuadé qu’il allait bien finir par se faire entendre. « Ecoutez, je suis votre patron et je vous ordonne de… »

Il n’eut malheureusement pas le temps de dire un mot de plus. Espelette, dont la figure avait pris une teinte d’un rouge soutenu, se mit à lui hurler dessus si fort que Dante crut en perdre l’audition. « COMMENT ÇA PATRON ? C’EST MA CUISINE, C’EST MOI QUI DÉCIDE. ON A UN MENU À SERVIR ALORS TU PRENDS TA BLOUSE ET TU ME SUIS SANS DISCUTER, C’EST CLAIR ? »

Que répondre à une pareille engueulade ? Il ne put que baisser les yeux et murmurer un timide « Oui chef. » Dante tourna la tête et découvrit qu’une seconde blouse aux manchettes bleues se trouvait suspendue à un crochet. Tout en pestant - mais très intérieurement de peur que le chef ne l’entende -, il enfila la blouse - qui n’était pas du tout seyante, une vraie honte - avant de suivre en trainant des pieds Espelette qui les conduisait tout droit vers la cuisine.

Furieux et humilié de s’être ainsi fait réprimander comme un enfant de cinq ans en faute, il profita que le cuisinier était à une certaine distance et avait le dos tourné pour se rapprocher mine de rien de Filippa et murmurer à son oreille. « Il faut absolument qu’on se débarrasse de lui. » Il la regarda d’un oeil sceptique, espérant qu’elle allait le suivre dans ses plans. Il n’avait pas oublié qu’elle avait presque immédiatement obéi au chef, comme une première de la classe totalement lèche-bottes - il aurait aimé pouvoir dire que ce n’était absolument pas séduisant, mais force était de constater qu’elle lui faisait toujours autant d’effet -.