Esmeralda déambule entre les tentes qui entourent le chapiteau. Elle observe son environnement, laissant ses yeux balayer les différentes attractions et les animaux en cage. Ces derniers viennent du monde entier afin d’offrir la touche d’exotisme manquante à cette bonne vieille Amérique.

Ici, elle se sent moins tâche dans le paysage. Les gens ne la dévisagent pas comme ils le feraient habituellement. Ici, elle n’est qu’une gitane parmi d’autres vagabonds. Habillée d’une robe jaune et pied nu, elle déambule gracieusement. Ses années de danse dans la rue l’avaient rendue plus aérienne. Sa longue crinière était tressée et reposait sur son épaule. Dans son cou teintaient ses anneaux d’or. Elle était jolie Esmeralda. Jolie pour ceux qui savaient apprécier les filles naturelles et différentes.

Sa sortie d’aujourd’hui lui permettait d’oublier les récents événements : la perte de Logan qui lui avait éclaté le cœur et déchiré l’âme. Elle avait besoin de prendre du recul vis-à-vis du gang. De voir autre chose. De découvrir un peu plus le monde qui l’entourait. Mais même en se fixant ces petits objectifs, elle continuait à voir le monde d’un œil terne. Tout était gris et semblait sans vie. Elle riait moins, souriait moins. Elle n’était plus l’ombre que d’elle-même. En perdant son cher et tendre ami, même s’il les avait -soit disant- trahi, elle s’était rendue compte qu’elle avait aussi perdu un amant… Et plus encore, son grand amour.

Au loin, des cris lui firent lever la tête. En alerte, sa main se porta instantanément à sa cuisse, relevant le pan de sa robe afin de sentir le métal froid de son arme contre la paume de sa main. Autour d’elle, les gens se mirent courir dans tous les sens. Esmeralda ne bougeait pas. Jusqu’à ce qu’elle le voit. Un tigre massif. Puissant. Une bête faite de muscles saillants aux crocs acérés. Parce que c’était un animal, elle savait qu’elle ne pourrait pas lui faire de mal. C’était un félin brisé et apeuré. Il était donc normal qui agisse ainsi, prêt à attaquer ceux et celles qui ne voyaient en lui qu’une attraction. Elle n’avait donc plus qu’une chose à faire : courir.

La gitane s’embarqua dans une course folle tandis que le tigre la prenait en chasse. Ses pas la menèrent droit dans une cage où elle referma la porte derrière elle. Un clic sonore se fit entendre, l’informant qu’elle avait bel et bien fermé la cage. Tellement bien qu’elle ne pourrait plus en sortir.

Le cœur en émoi, martelant sa poitrine tel un troupeau de chevaux lancé au galop l’empêchait de respirer. Le fauve tenta tant bien que mal à l’attraper entre les barreaux, lui arrachant un cri de terreur. Elle se recula jusqu’à sentir une masse contre elle. Un deuxième hurlement lui échappa et elle se retourna pour faire face à un homme. Un jeune homme même, d'à peu près son âge. Agacée par cette situation, elle se mit à jurer en espagnole. Fustigeant l’animal qui l’avait poussé à s’enfermer avec un homme qu’elle ne connaissait même pas. La foule s’était dispersée et il ne restait dorénavant plus qu’eux : l’inconnue, le tigre et la Gitane. Elle se mit à prier les dieux pour que quelqu’un passe afin de les tirer de ce mauvais pas.

Encore un peu sonnée par cet événement, l'européenne en avait oublié ses bonnes manières.

( Pando )
@Timothy Smith & @Markus Kennedy

Alors qu’elle s’était éloignée de l’inconnu dans la cage, priant à voix basse, une voix forte lui fit relever la tête. Une nouvelle personne venait d’entrer en scène. Un homme grand, à la moustache impressionnante. Il semblait parler au fauve, utilisant une langue qui ne lui était pas inconnue. Même si elle ne savait pas la parler ni la comprendre, elle reconnaissait la mélodie chantante de l’accent et des mots employés. Cet homme était un Gitan. Comme elle. Plus jeune, lorsque l'étrangère s'était retrouvée à arpenter le pays sans famille, les seules personnes qui avaient accepté de l'aider avaient été des "foreigners", comme elle. D'instinct, elle ne put que se sentir liée à cet individu.

Hypnotisée par la scène, elle eut un mouvement de recul lorsque le tigre s’approcha du moustachu. La bête sauvage allait le dévorer. Elle en était certaine. Dans un dernier élan, en fermant les yeux, elle se blottit contre le torse du blond. La chaleur de son corps l’enveloppa doucement, rassurante. Elle s’y sentit légèrement plus en sécurité. Le temps s’écoula et aucun nouvel hurlement ne vint briser le silence qui s’était installé. Esmeralda rouvrit les yeux et leva la tête. Ses prunelles sombres se perdirent un peu trop longtemps dans les opales obscures de l’homme qu’elle collait dorénavant outrageusement. Il avait les joues roses, ce qui lui ôta quelques années en une seconde. La brune ne tarda pas à s’empourprer à son tour. Qu’est-ce qu’il lui prenait ? Ce n’était pas dans ses habitudes de perdre complètement ses moyens dans une situation pareille. Elle s’était complètement laissé envahir par le stress. Elle ne valait pas mieux qu’une quelconque autre fille de la ville.  

— Je suis désolée Monsieur.

Son accent espagnol fit vibrer ses mots. Elle lui offrit un sourire gêné pourtant, elle resta à sa place, contre lui. De son côté, il tenta de la rassurer en lui disant que la situation était sous contrôle. Elle en profita pour observer la scène face à eux : l’inconnu était en train de se faire lécher le visage par le fauve. Incroyable ! Son cœur se mit à battre la chamade dans sa poitrine. Le tableau qui leur était offert était touchant. Son âme sensible n’y résista pas. A moins que son émoi n’ait été causé par le blond dont le torse était toujours lové dans son dos.

— Que faisons-nous maintenant ? murmura-t-elle, de peur de rompre le charme qui semblait lier l’animal et l’homme.

A nouveau, elle tourna son visage vers le jeune homme. Seuls quelques millimètres les séparaient. Ce qui fut assez pour terminer de la perturber.

( Pando )
@Timothy Smith & @Markus Kennedy