Free my soul and I'll be yours

@Mae Matthews & Sean O'Reilly

S’il avait été seul avec Kilian, Dieu seul sait ce qui se serait passé. Sean s’était dégagé de ses compagnons dans un état secondaire, prenant conscience qu’il devait partir pour éviter d’en arriver à des limites irréversibles.
Au départ, la sensation d’avoir trop bu lui monta à la tête. Ses pas s’enfonçaient dans la terre meuble avec peu d’assurance, trébuchant à la moindre pierre et à la plus petite racine. Il marqua une pause contre un arbre, cherchant à calmer son cœur qui trébuchait tout autant que ses pieds. Son front contre l’écorce, il ferma les yeux un instant. Ni son cœur ni son souffle ne le laissèrent en paix et Sean balança son poing contre le tronc d’arbre qui ne plia pas sous le coup. Chose étrange, sa main ne le fit pas souffrir. En réalité, il ne sentait plus rien. Il la regarda, incrédule. Était-ce son sang, ou celui de son frère ?

Tout ce qu’il souhaitait, c’était de s’éloigner. Il ne voulait plus entendre le crépitement du feu ou les éclats de voix des O’Reilly. Dans sa tête, ils étaient les O’Reilly, comme si lui s’était fait déposséder de son nom.
Il appuya ses mains sur ses genoux et resta comme ça, sans pouvoir bouger. Il se mit à rire, un rire nerveux qui vint en réponse à une respiration saccadée qui lui brouillait l’esprit.
« Putain… » Il avait pleuré de rage, tandis que ses poings défiguraient un peu plus Kilian et son visage en portait encore les traces. Il avait encore le goût des larmes et du sang dans la gorge, comme une sensation de brûlure désagréable qui ne le quittait pas. « Fallait qu’il merde. Juste là. Faut toujours qu’y en ait un qui merde… »
Il se remit à marcher, passant ses mains sur sa bouche nerveusement. « Y en a pas un qui lui a dit 'Eh O’Reilly, c’pas une bonne idée. Eh, O’Reilly, vous êtes pas deux à avoir ce nom ?' » La connerie de son frère ne l’étonnait plus vraiment, mais celle des autres, c’était toujours ce qu’il redoutait.
« En fait, c’est ça. » Il parlait avec de grands gestes crispés. « Ils sont si forts à deux. J’vais les marier, comme ça il prendra son nom et ils le donneront à leur clan. Ça sera bien ça oui. Sans le vieux Sean qui casse les couilles à tout le monde. » Un nouveau rire. « Fais pas-ci, fais pas ça. Crame pas des gens, ramène pas des prisonniers inutiles, montre pas ton visage quand tu tires sur la FOULE ! » Sa voix traversa la forêt, vibrante et brisée, laissant derrière elle un silence que seule sa respiration venait déranger. « Qu’ils aillent tous se faire foutre. » Pas un n’avait la moindre valeur à ses yeux, en cet instant.

En bas d’une pente se trouvait un énorme rocher sur lequel il vint s’appuyer. De ses mains meurtries et mal assurées, Sean sortit une cigarette qu’il tenta d’allumer à plusieurs reprises. Ses allumettes tombaient une par une dans la mousse dépourvue de neige. « Fait chier ! » Il se mit à jurer, jusqu’à enfin pouvoir prendre deux bonnes bouffées qui ne le calmèrent pas pour autant.
Tandis que les minutes passaient, Sean observait le sol de la forêt en réfléchissant à ce qu’il venait de lui arriver. Rationaliser, essayer de comprendre. Il voyait distinctement cette scène qu’il se repasserait en boucle jusqu’à en avoir la gerbe. Comme souvent et parce que son esprit ne l’épargnerait jamais, Sean se mit à interpréter, analyser et des fois comprendre certaines choses qu’il aurait mieux aimé ignorer.

Il avait la gueule de travers et l'âme cassée, mais il se tenait droit, n’ayant plus besoin de son rocher pour ne pas tomber. Il avait tourné en rond sans s’en rendre compte.
Soudain, il distingua un craquement dans son dos, malgré le bruit de son cœur qui tambourinait dans ses tempes. Sans réfléchir, il dégaina son colt et fit face à celle qui venait vers lui. Sean mit un certain temps avant de baisser son arme, la mâchoire crispée et les yeux encore humides. Des secondes qui parurent des heures, puis un sourire forcé se voulant charmeur. En baissant son arme, il prit sa voix la moins tremblante possible, la plus grave et la plus fausse qui soit.
« T’inquiète. T’as pas vu la gueule de l’autre, murmura-t-il comme essoufflé. »
Il n'avait jamais eu besoin d'user de sa force avec ce gang, mais il n'était pas tendre dans sa jeunesse et il n’était pas certain que Matthews l'ait déjà vu ainsi. Mais elle n’aurait pas dû s’en étonner, car même si la vie lui avait donné une personnalité très différente de celle de Kilian, il était bien le frère de son frère. À n'en pas douter.

Malgré toute l’affection qu’il pouvait éprouver pour cette femme, son sourire disparut quand il réalisa qu’elle ne méritait pas un masque de faux-semblant. Peut-être par amour ou par colère, toujours est-il qu’il se voulait sincère avec elle, comme il l’avait toujours été. Dans la haine, comme dans la tendresse.
« J’ai pas envie d’parler Matthews. » Il s’était tourné et avait déjà sorti une nouvelle cigarette. Seulement à ses pieds se trouvait tout un tas de petites brindilles aux extrémités noircies, mais plus rien dans la boîte qu’il venait de sortir.
« T’as un briquet ? » Il aurait aimé lui dire tant de choses et lui en faire tout autant, bonnes comme mauvaises, mais sa gorge restait serrée à l'idée de lui dire tout son amour comme toute sa haine.