John ne savait pas trop comment il s'était retrouvé là, assis dans l'herbe face à la chaleur d'un feu qui crépitait dans l'air d'y soir, mais ce qu'il savait c'est qu'il ne regrettait pas d'y être. Il faut dire que Mako avait des airs de grand sachem (ou du moins l'idée que John s'en fait) assis en tailleur de l'autre côté des flammes dont la lumière vacillante se mêlait aux reflets dorés de sa peau. Il triait ses feuilles, le visage fermé, cérémoniel et John était juste heureux d'être sur le point de partager un pan de la culture de son nouvel ami, lui qui n'avait encore jamais parlé à un indigène à peine deux mois plus tôt. Le fermier se rappela leur rencontre quand ils avaient partagé un lapin à côté du cadavre d'un cougar. Ou l'inverse. Il ne savait plus trop.

Sa tête se faisait déjà lourde et pourtant il n'avait rien inhalé contrairement à une partie de la petite compagnie rassemblée en cercle qui se passait la pipe de main en main. C'était peut-être à cause de la bière qu'il avait déjà bien entamée, ou bien l'effet hypnotique des flammes dansantes sous son nez. Ce fut enfin à son tour d'aspirer les volutes de l'herbe sacrée. Il  fut très fier de réussir à contenir la toux qui lui montait dans la gorge alors que les volutes tourbillonnant es qu'il recrachait allait rejoindre le petit nuage bleuté qui se formait déjà au-dessus du feu de camp. C'était plus fort que ses cigarettes, pour sûr, mais cela avait meilleur goût que les immondes cigares qu'on lui avait mis dans la bouche à l'Open Purse.

Il n'avait pas fini de passer la pipe à son voisin de droite que déjà la moitié de la compagnie se levait. John reflua une envie irresistible de pleurer. Ils voulaient pas rester là ? On était bien non ? Il se leva pour les suivre mais ne réussi qu'à se retrouver face aux étoiles qui clignotaient. De l'herbe lui chatouillait agréablement les oreilles.

- Mais arrêtez je ne connais pas le morse, dit-il mollement aux astres bavards.

Il ferma les yeux pour faire taire cette cacophonie visuelle et cent ans ou quatre secondes plus tard il les rouvrit. Le feu se trouvait de nouveau en face de lui, coucou, tu es revenu toi ainsi que Dolly dans une jolie robe à fleur. Il regarda la petite vache avec adoration et tapota l'air a côté de lui (ou était passée l'herbe ?) pour l'inviter à s'assoir.

- Tu as les plus beaux yeux bruns du monde. Tu savais ça ?

C'est vrai qu'il n'avait pas remarqué la dernière fois qu'il l'avait vue. Il décida qu'il lui répéterai tous les jours à partir de maintenant pour palier à son inattention. Dolly était la plus jolie vachette, ses yeux scintillaient de mille feux…

- Ah non. Vous allez pas vous y mettre aussi ! Parlez avec votre bouche enfin !

Tous ces clignotements allaient lui donner mal à la tête à force. Si John avait su parler une autre langue que l'anglais il l'aurait fait pour rendre la monnaie de leur pièce aux yeux de la vache et à ceux du ciel. Mais comme ce n'était pas le cas il se contenta donc de cligner frénétiquement des yeux à un rythme qui ne voulait sûrement rien dire. Allez décrypter ça bon sang de bonsoir !

Un écho délitait la mer de luciole dans laquelle John flottait avec béatitude. Une mouche qui lui bourdonnait à l’oreille. Une mouche des montages, en toute logique, puisque le mot qu’elle zonzonnait semblait rebondir tout autour de lui comme un cri dans la vallée. Les lucioles s’enfuirent, John n’avait même pas eu le temps de leur dire au revoir. Ne restait que les ténèbres, et ce mot. Cougar.

- Cougar! Cougar!

John ouvrit les yeux en même temps que le premier cougar sortit de sa bouche. Les deux bêtes fauves et bondissantes allèrent se cacher dans les flammes. Mais John n’était pas dupe, il pouvait tout à fait voir leur deux paires d’yeux qui le fixaient entre les braises.

- Mako! Mako! Criait-il en se roulant sur le sol sans réussir à se lever, il avait oublié comment fonctionnait ses pieds. Il est revenu! Et il a ramené un ami! Ou est mon fusil?

Finalement debout, ses jambes avaient de nouveau décidé de coopérer, il se tâta la ceinture à la recherche de son holster avant de se souvenir qu’il l’avait laissé dans la grange puisque de toute façon il ne possédait plus de revolver. Il entreprit de ramper à quatre pattes dans l’herbe à la recherche de son fusil, heureusement que les yeux qu’il avait dans le dos pouvaient surveiller les terribles lions pendant ses recherches. Il ne mit pas longtemps à le retrouver, il était sous les fesses de Mako qui venait de se lever.

- Cette fois c’est moi qui te donnerai la peau! Affirma-t-il à son ami qui était déjà bien loin.

Il fit volte-face vers les bêtes enflammées. Elles n’étaient plus dans le feu. John lança un regard désespéré vers la forêt en comprenant la tragédie qui était sur le point de se dérouler s’il n’agissait pas vite. Les cougars poursuivaient Nuttah qui était partie se cacher dans la forêt. Elle était en grave danger. Tout le monde savait que les cougars voyaient à travers les arbres. N’écoutant que son courage, le fermier brandit son fusil comme un conquérant sans prêter attention à l’écorce qui lui picotait la paume et courut à la suite du petit mexicain qui le devançait d’une bonne dizaine de mètres. Le fermier eut une bouffée d’admiration pour le garçon qui s’élançait au devant du danger avec bravoure.

-Attends-moi Chuy, je viens t’aider j’ai un fusil! Il est léger mais c’est normal, il est en bois.