ft. Millie Brady
Voici la partie la plus importante de la fiche : les anecdotes. Elle devra contenir 10 anecdotes minimum (sur 25 lignes minimum). -
#1. « Dans quel bourbier elle s’est encore fourrée celle-la ? ». La voix graveleuse de Milly ne réveilla pas Seonaid, le seau d’eau glacée de Birdie oui. Son cri aigu se mêla à celui des cochons dans l’enclos au milieu duquel une curieuse décence l’avait empêchée de s’assoupir. Pour le reste, elle avait bien piqué le meilleur somme de sa vie sur une paillasse au beau milieu d’une porcherie, aussi nue que tous les autres animaux crées par dieu.
« Oh Seonaid, ne me dis pas qu’une entière garnison t’es passée dessus gratuitement ? ». La tête vissée sur ses épaules faisait le même poids qu’une grosse courge de foire, c'était creux pareil dedans. Le triste effort de réminiscence conduisit au moins la racoleuse à se gratter le crâne et le cerveau vierge qu’il y avait dessous se devina coiffée d’une tignasse puante. Quelle drogue avait-elle avalé hier soir ? Et où pouvait-elle s’en procurer à nouveau ? Milly ne résista pas à l’envie de lui jeter à son tour un seau d’eau à la figure pour chasser le sourire déréglé qui commençait à y danser. Ca lui fit gueuler un paquet d'insanités :
« Va-t-en l’ancêtre ! Tu dégoûterais un vautour d'un chariot rempli de tripes ! ». Mais Milly n’avait pas besoin de hurler pour la dominer avec sa voix de vétéran.
« Debout la godiche ! Le jour se lève et si Madame te balance à Fraser, t’es bonne pour une nouvelle cure au pain et à l’eau ! ». Il n’en avait pas fallu plus à Seonaid pour rentrer fissa au bordel sans prendre le temps de remonter ses chaussettes.
#2.
Le placard où Seonaid logeait à l’Open Purse était juste assez grand pour contenir un lit et une coiffeuse. Toutes ses affaires ne remplissaient pas l’espace situé entre le plancher et le sommier. Pas assez de place pour une chaise, ses fesses étaient donc posées sur un coin du matelas. La lampe à huile à la lueur de laquelle elle se préparait face au miroir mal dépoli déformait ses traits hideux, ceux d’un masque de carnaval de piètre manufacture. Ses lèvres étaient pincées et son menton plissé pendant qu’elle étalait un phare pourpre sur ses joues. Effort nécessaire pour dissimuler les cicatrices qu’une petite vérole lui avait laissées en souvenir. Sa respiration saccadée, ses yeux luisants, son masque congestionné de douleur prêt à éclater en sanglots. Mais à la place, elle s’entraînait, pratiquait à se décerner son sourire le plus large. Pas âme qui vive à Silverstone ne le considérait assez pour se figurer cette éclatante vérité. Celle que Seonaid n’avait de joie que le nom de sa profession. Alors la fille se repoudra son âme grêlée de cicatrices par le nez.
#3.
« Je m’en bouille comme de la Sécession de ta coca, j’veux dormir … DORMIR PUTAIN - un raffut du diable partout où elle chouinait, dégringolait sur un buffet, morvait sur une peau d’ours -
De l’opium. Plus. PRONTO ! ». Les crises de Seonaid étaient un refrain incontournable de l’Open Purse. La gagneuse livrait des blagues à tour de bras, du très mauvais goût de son audience licencieuse, amusait toute la galerie. Parfois naturellement mais souvent à ses dépends. Un vrai canari de la petite taille de celui qui volait dans son crâne. Elle exultait puis chutait. Seonaid s’était retrouvée comme ça au milieu du salon chichement décoré armée d’un ridicule coupe-papier.
« JE TRIME PLUS QUE LES AUTRES ALORS TU ME FILES PLUS ! ». Son hystérie tira un rire sincèrement amusé à Monsieur en même temps qu’un soupir désespéré à Madame. La comédie de la précieuse ridicule divertissait autant l’un qu’elle épuisait l’autre. Leur voix furent pourtant égales pour rétorquer que Birdie était moins gauche avec les clients, Sally moins sale de sa personne. Alors poussée au dernier acte de son drame, le ridicule coupe-papier glissa sous sa gorge. Le tapis sur lequel elle menaçait de s'égorger valait plus d’or également.
« J’suis prête à tout … cap de tout … ». C’est une violente claque du dos de la main, des bagues à lui déboulonner la mâchoire, qui lui fit lâcher son surin avant de se blesser.
« Ah ! Maintenant on discute comme des adultes … C’est monnayable ça, la fille qui fait tout, qu’en penses-tu, Ella ? ». La première et dernière crise de rébellion de Seonaid.
#4. « SPEC-TA-CU-LAIRE, spectacuuuuulaire ! ». Fi la chorégraphie mise en place, fi la technique plus ou moins élaboré des autres filles ! Dieu n’avait pas gracié Seonaid d’une once du talent de Sally Wiggins. Il y avait plus de délicatesse dans un seul de ses doigts de pieds. Dieu, surtout, ne lui avait pas amnistié la patience. Seonaid avait de l’humour à revendre, autant qu’elle n’avait aucune pudeur pour séduire. La fille de joie gloussait comme une oie en retournant son jupon pour offrir la vue obscène de son derrière chaque fois que le pianiste chantait les deux dernières syllabes.
Sepactacul l’air ! La plaisanterie dépourvue de toute finesse avait une première fois poussé les autres filles à ricaner. Mais la répétition finale du spectacle qui se déroulerait cette nuit s’étirait depuis plus de trois heures maintenant. Le répétitif canular, semblait-il, étiolait la tolérence de l'audience appliquée. Quand les autres filles profitaient de chaque pause pour reprendre leur respiration, la camée se repoudrait le nez, descendait cul sec whisky sur whisky. Seonaid clôtura la catastrophique répétition des cocottes en s’écroulant de tout son long dans les plumes d’une Claudine Beauger qui ne se dérida pas. L’Irlandaise, elle, crut mourir hilare comme un mauvais diable.
#5.
Le bouche à oreille marchait mieux que le télégramme à Silverstone sauf quand vous rencontriez un sourd. Et la rumeur du retour de William Fraser avait courru dans la grande rue plus vite que la boule de paille poussée par le vent. La dernière cocotte de son poulailler avait fait irruption comme une tornade dans le saloon pour lui sauter dessus, accrocher ses bras à son cou, ses cuisses à sa ceinture.
« Oh, Wiiiiill ! Will ! Mon Will ! ». Elle embrassait partout le visage de son nouveau bienfaiteur. A la fois plus généreux et moins naïf que le précédent. L’ancien comptable lui remplissait un peu la tête également et pas que les nasaux. Seonaid avait par exemple longtemps ignoré que la virginité valait si cher sans quoi elle ne l’aurait jamais perdue à treize avec le marchand ambulant. Le charlatan avait été le premier à la déniaiser quand il l’avait surprise une main dans son étal de poudres. Maintenant, le pauvre bougre chiquait sombrement son tabac à une table du fond en lui décernant toutes les insultes méritées par sa carrière de merde. La garce allait lui coûter plus cher !
#6.
Dieu est grand ! Dieu est puissant ! Dieu est Mexicain ! Il se dresse dans le ciel au sommet de la montagne, ses orteils chatouillent la cime, ses cheveux d’ébène sont couronnés de nuages. Il sent le chanvre et l'aubépine. Pointe Seonaid du doigt et lui dit : Ô mort, où est ta victoire ? Ô mort, où est ton aiguillon ? Seonaid est persuadée d’entretenir avec le maître un rapport intime et privilégié depuis qu’il lui ait apparu ce jour-là. Elle s'est convertie au protestantisme. Il n’y a aucune corrélation avec le fait qu’elle ait ingurgité juste avant, aussi goulument qu’un canasson après la traversée du désert, toutes les potions d’apothicaires de sa mère feu soumise à des vertiges.
#7.
« Le execution bhios suil an cheidir, costas buinte na chuine ag an ndeanach ». Les derniers mots que Seònaid professa en gaélique quand elle vit le visage de ses parents disparaître dans une fosse commune sous trois pelletés de poussière. Une étrange semaine qui avait arrachée la vie des derniers membres de sa famille sur ce nouveau territoire que la gamine n’aurait même pas su placer sur une carte du monde. Le ciel était de ceux qui précédaient une tempête, gris et bas. Le trajet que les O’Mara parcouraient jusqu’au ciel serait plus court que celui qu’ils avaient tracé dans l’océan, puis dans le désert, pour trouver leur tombe à Silverstone. Son père avait été pris au piège après un accident dans une mine. En l’apprenant sa mère avait fait une fausse couche, plus grave que les précédentes, la mort les avait foudroyés. Et puis on avait retrouvé son père, en même temps que les autres mineurs de sa compagnie, le visage tuméfié et asphyxié. Eux qui avaient rarement été d’accord sur quoi que ce soit …
#8.
« Seoooonaid, oh, j’te cause ! Tu l’dis comment ton prénom ? » « Lui cause pas, elle capte rien, j’te dis ! » « Seoo … » « C’est une demeurée ! » « … oolaide ! ». Des gamins de la ville aussi sales qu’elle mais trois fois plus nombreux (multiplier par trois un cul terreux, ça se résolvait quand même sur les doigts d’une seule main, toute cancre en calcul que dieu l'eut faite) s’amusaient parfois à la suivre jusqu’à sa maison. Ils s’arrêtèrent d’un même mouvement quand Seònaid sortit de la poche de son pantalon une fronde, puis éclatèrent de rire en la voyant viser la croupe de la jument familiale, un tinker plus large que haut.
« Une demeurée que j’te dis, y’a rien sous son chapeau que des cheveux ! ». Et vlan, l’animal s’égosilla comme un beau diable en lâchant une embardée qui déboulonna le poteau auquel on l'avait accroché. Elle zigzagua dans le soleil couchant avec son morceau de bois pendant que les gamins s’esclaffaient.
« Daaaiaidí ! Daaaiaidí ! ». Ce n’était pas les braiments aigus de sa gosse, mais bien ceux de son gagne-pain, qui firent sortir Donald O’Mara dans sa grenouillère, armé d’un vieux fusil à pompe. Lui visa bien les gamins que le doigt de sa fille lui désignait. Il leur tira dessus par deux fois avant que la vermine se carapate en se salissant le froc. Fort heureusement, on retrouva la jument en train de paitre deux âcres plus loin avant que le patriarche referme son poing sur le col des chenapans.
#9.
« A h-aon, a dha, a tri, a ceithir ». Siobhán versait au compte-goutte les médicaments dans la bouche putride de sa soeur cadette Seònaid. Le mal de mer qui avait touché la petite fille de sept ans s’était transformé en fièvre et en diarrhée avant que la plus grande de dix ans n’attrape le même mal. Les soeurs contagieuses avaient été reléguées au fond d’une cale comme des brebis galeuses. Un docteur dégoté par leurs parents parmi les passagers se contentait de leur livrer des remèdes sans ne jamais attarder son nez près de leur puanteur. Dieu les avait bénies de partager une paillasse à deux petits corps sans se faire écraser par personne. Mais plutôt que de partager pareillement le traitement entre sa cadette et elle, Siobhán souhaita jouer à la doctoresse. Toutes les gouttes que le docteur leur apportait seraient pour la petite Seònaid. Cette dernière à depuis oublié jusqu’au prénom de sa grande soeur. De cette traversée d'un océan de soixante jours, elle ne se souvient que de l’effet divin des drogues qui transformaient les pires tempêtes en douces berceuses.
#10.
Siobhán et Seònaid, avec leurs yeux bleus de comtesse sous une épaisse couche de suie, juraient comme les deux souillons qu’elles étaient bien au pays.
« Sassunaich ! ». Et ça se marrait en jetant de la fange sur les beaux costumes des éducateurs.
« A mhic an diabhoil ! ». Ca crachait au visage des orphelins du village contraints d’apprendre l’anglais contre un quignon de pain ou une pomme de terre rance. La famille O’Mara n’avait pas grand chose mais à cette époque en Irlande, pas grand chose voulait dire beaucoup. Dans cette rare famille que la famine avait laissé entière, les petites filles grandirent avec un toit sous lequel on ne parlait généreusement que le gaélique. Seònaid poussa comme une mauvaise herbe sur ses terres inhospitalières, toujours à l’ombre de sa grande soeur Siobhán. La jeunesse leur conférait l'invulnérabilité, l'immortalité, cette conviction inébranlable que pour elles les choses seraient différentes.