- 12 aout 1872  - A une centaine de kilomètres de Fort Stanton - Nouveau Mexique -



J'ouvre à peine les yeux et j'ai l'impression de me réveiller d'un lendemain de  cuite... très péniblement. Le soleil tape fort. Je garde les yeux encore fermés. Je tente de me représenter ce qui m'entoure et de rassembler mes souvenirs éparpillés...
Je suis assis, le dos appuyé contre un arbre. Je suis protégé par l'ombrage des branches interminables. Je tente de bouger les jambes. Une douleur fulgurante me rappelle à l'ordre... Mes jambes sont étendues en v. La botte gauche est déchiré, mise en charpie... le pantalon est déchiré jusqu'au genoux. Je peux voir, sans faire de mouvements trop brusques un énorme hématome partant de la cheville jusqu'à mi-mollet et d'une couleur particulièrement dégueulasse...
Tant que la blessure ne pue pas, je vais rester calme...

Putain de crotale...

Ses crocs ont en parti traversés le cuir de ma botte au niveau de la cheville.
... en partie seulement... c'est surement pourquoi je suis encore en vie ...

Comment j'ai pu me faire mordre...?
Et puis je souviens. Les indiens en fuite en ont rempli plusieurs sacs laissés sur la route. Mon cheval s'est cabré et j'ai vidé mes étriers comme un abruti de bleu... je n'ai pas eut le temps de me redresser. Un des serpents m'a mordu quand j'étais à terre et puis plus rien... Je me réveille comme ça... Je n'ai même pas le souvenir d'avoir déchirer ma botte.
Je tente de replier ma jambe pour espérer mieux voir.

Ne faites pas ça...

Je n'ai pas la force de sursauter. Je lève les yeux vers une femme qui devait être assise à coté de moi. Sa silhouette toute fine bloque la lumière du soleil et m’empêche de distinguer ses traits. Il me faut quelques instants pour finir par les discerner...

Elle est travestit en homme avec une tenue d'ouvrier. Elle tente ainsi de masquer son sexe et sa race. Elle a rassemblé sa lourde chevelure à l’intérieur d'une  sorte de casquette.

T'es qui toi... ? Un putain d'ange?

Il parait que je ne sais pas parler aux femmes...
Elle secoue la tête. Ses cheveux manquent de sortir de leur "prison" de tissu. Elle aurait du les couper. Elle est assez mince pour passer pour un garçon... très efféminé.

Je ne crois pas.

En peu de syllabes, j'ai compris qu'elle parlait bien ma langue

Ou sont tes amis?

Elle hausse les épaules

Pas ici en tout cas...

Je suis curieux de cette présence féminine

Tu pourrais être loin. Pourquoi t'es restée?

Elle s'agenouille prés de moi et je peux désormais voir son visage et en mémoriser les traits. C'est encore presque une enfant...

J'ai pensé que cela serait triste pour vous de mourir seul... et puis je ne sais pas ou aller...

Ses compagnons ont du l'abandonner. Ils méritent peut être bien la corde qui les attend au Fort de Stanton. Et puis je tressaille...

Ou est le serpent?

Elle me sourit franchement. J'ai le temps de voir que sa dentition n'a pas été endommagée par la malnutrition ou la nourriture immonde du fort réservée aux indiens. Elle a un vague geste vers un taillis

Il est la-bas... crevé...

Elle m'observe avec sérieux

Je n'ai rien fait. Il est mort comme ça... après vous avoir mordu...

Elle semble me jauger

... c'est peut-être vous le serpent...?

Je balance la tête d'un coté et de l'autre. C'est une ivresse bien étrange... si je reste immobile, c'est presque agréable... Si j'ai le malheur de bouger la jambe, j'ai l'impression qu'une meute de chien cherche à me l'arracher.

J'entends ses paroles. Comment peut-elle avoir confiance en moi...?
Elle dépose sur ma tête mon chapeau qu'elle a mouillé.

Ne gaspille pas de l'eau pour rien...

Elle ignore ce que je dis et continue de rafraichir mon visage avec un linge...
Je lui suis reconnaissant pour ses attentions muettes ... Elle est très proche. La regarder de si près suffit à me garder bien éveillé. J'ai tellement vu de femmes indiennes à la peau rongée par la vérole... Je suis surpris par la vision de cette peau si lisse...

Aucune femme n'a été signalé dans le groupe de fuyards. Tu es juste une ombre pour les autorités... on a même pas réalisé ton absence... alors rentre maintenant. Une personne contrainte n'est pas une criminelle...

Elle essuyait mon cou et suspend son geste.

Recevoir de l'aide de ma part vous coute tant...?  vous êtes prêt à me chasser

Elle continue à humidifier un tissu avec le contenu de sa gourde.

On est tombé sur des nids de crotales... C'est moi qui est eut l'idée des serpents dans des sacs... Je voulais simplement effrayer les chevaux. Je ne souhaitais pas de morts ou de blessés... Je voulais juste qu'ils aient le temps de fuir

Sa confession me surprend. Je crois que j'aime ce qu'il y a dans la cervelle de cette gamine, en plus de sa peau...
J'ai une pensée pour John Morton  parti sur une piste. Il considère tous les anciens des Colonnes Infernales comme ses frères de sang, dont moi...
Quant au reste, quelque soit la couleur de peau, de sexe ou d'age... tout est un ennemi pouvant être broyé... J'aurais gardé en vie les fuyards, lui ramènera leurs cœurs.

Si vous tenez jusqu'au soir, c'est que votre sang est plus fort que le poison...

Je l'interromps...

Donne moi mon colt.

Son joli visage se crispe. Je souris, mais cela doit ressembler à une grimace. J'aimerais lui dire que je mérite sans doute les minutes que je suis en train de vivre et que je ne lui veux absolument pas de m'avoir mis dans cette situation... et elle me donne une furieuse envi de vivre.

Tu es la dernière personne sur cette terre à qui je ferrais du mal. J'ai besoin d'une arme, parce que tout est un ennemi pour moi... sauf toi

Je suis en train de découvrir qu'un venin de crotale avait l'effet d'un alcool fort sur mon cerveau. Si je m'en sors... je ferrais tout pour ne pas récidiver cette expérience.
Je soupire... mes pensées n'ont aucun sens.
Je suis en train de réaliser qu'une indienne qu'elle me plait... c'est à pleurer, tant c'est pathétique. ... mais le pire, c'est que c'est vrai.

Ce sentiment... c'est comme l'envi de boire en plein désert. C'est l'assouvir ou crever...

"Je ne suis pas un homme insistant avec les femmes... mais si je reste en vie après cette journée, je risque de le devenir..."

Sans blague... c'est moi qui parle comme ça... ou bien c’est le voisinage de la mort qui me rend bizarrement sensible

Elle me fait parler pour m’empêcher de dormir.
Étrange fille qui s’est assignée une bien étrange mission. Celle de garder en vie, l'un des bourreaux de son peuple...

Tu n'es pas douée pour la haine? C'est pourtant facile... Imagine ce que j'ai pu faire...

Elle sourit tranquillement tout en nettoyant mon visage avec un linge humidifiée à l'eau de sa gourde

Vous aimez tant que cela être détesté?

C'est que cela ne me dérange pas... à moins que cette détestation vienne d'elle. Et je choisis de fermer ma gueule. Que le passé reste dans la tombe...

J’attrape sa main au vol.

Je sais ce que tu vas me dire. Mais donne moi de l'eau...

Elle fait non de la tête

Fille cruelle...

Elle se lève et s'éloigne à mon grand désappointement... Elle part récupérer la couverture accrochée à ma selle et revient. Elle la déploie d'un geste sec au-dessus de moi pour m'en recouvrir. Elle soulève un coté pour se blottir contre moi. Elle a soulever mon bras pour se lover contre mes cotés.

Une vrai chatte... étrange et imprévisible. Mais je ne la lâche pas.

Elle relève la tête vers moi. Elle est bien plus jeune que moi...

Le froid va tomber avec la fin de l'après-midi. Et vous êtes déjà gelé comme un mort...

Elle semble réfléchir et une idée l'a faite sourire.

Vous devez rester éveillé au moins jusqu'à la nuit. Votre sang aura vaincu le venin...

On a bien quatre heures à tenir. Tiens... je pense "on" et pas "je"

Chantez moi une chanson...

Sans déconner. Elle me rend si faible... Il suffit qu'elle demande... je me souviens d'une balade irlandaise... Ses paroles me reviennent toujours quand je suis ivre. Ce qu'elle entend la fait rire... Elle est trop indulgente pour les salopards de mon genre et les chants d'ivrognes...

J'ai l'habitude de la solitude. Elle ne m'a jamais pesée. C'est pourquoi je suis agacé par ce que je ressens à cet instant... J'ai froid depuis qu'elle s'est éloignée. Et cette absence dure un peu trop... Je tente de me lever et je parviens à rester en équilibre.

Ça ira.... faut que ça aille...

La nuit et les espaces désertiques portent facilement les sons. J'entends clairement des bruits de lutte, des cris étouffés. Je saisis mes colts. Le froid métallique des crosses me réveille comme une gifle. Je descends le chemin pieds nus. Indifférent aux coupures, je ne fais aucun bruit...

J'arrive derrière une silhouette féminine écrasée par l'age. Son rire de crécelle me vrille le cerveau et ce que je vois en contrebas me met en fureur...
La fureur, la véritable fureur me rend froid... peut être bien comme un crotale.

De ma main gauche, je place le bout du canon de mon colt sur le crane de la femme. Son rire prend fin dans un hoquet. De mon autre colt dans la main droite, je tire en l'air. Chaque silhouette se fige dans une position étrange.

Je braque mon arme fumante sur le plus grand. Il dégage une grande force. Je le soupçonne de pouvoir rompre le cou de la fille comme il le ferrait d'une allumette.

La mère: Mes fils sont de gentils garçons.

L'amour maternelle est quelque fois pathétique...

La mère:Calme-toi mon grand... ils n'ont pas d'armes.

C'est vrai... je vois sur le coté un empilement d'outils de chercheurs d'or et des armes...
En état normal, je suis un type réglo.
Mais la normalité... c'est juste un putain de vernis que j'ai du mal à conserver chaque jour que dieu ou le diable me donne... Je me bats constamment pour rester civilisé. Mais pas ce soir...

Le premier tir atteint le géant en pleine tête. La balle rentre par l’œil gauche et ressort par l'arrière du crane que je devine s'être transformé en cratère. Il s'effondre comme une buche sur le coté.
Le plus petit hurle comme une pucelle et s'enfuit. Ma balle le cueille en pleine nuque.

La vieille hurle comme je m'y attendais...

La mère:MES BÉBÉS!!!!
Ils étaient sans armes!!! Tu as tué mon petiot d'une balle dans le dos!

Je hausse les épaules tout en réarmant mes colts avec des balles que je garde dans ma ceinture...

Il avait cas me faire face...